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CONTRIBUTIONS DES DOCTORANTS

Le cosmopolitisme selon Habermas : un dépassement du cosmopolitisme kantien ?

Olivier NAYAGOM
p. 29-48

Résumé

Cet article se propose d’abord d’examiner le lien que le cosmopolitisme de Habermas entretient avec le cosmopolitisme kantien et d’interroger ensuite sa prétention à dépasser ce dernier. Il montre que la lecture habermassienne du Projet de paix perpétuelle n’est pas la meilleure pour rendre au texte kantien toute sa cohérence. Il fait voir enfin, sans rien lui ôter de sa force, que la version habermassienne du cosmopolitisme, conçu comme société mondiale dotée d’une constitution et désétatisée, ne dépasse pas au fond la version kantienne d’une Société des nations juridiquement constituée. Plutôt que d’un dépassement, il est préférable dès lors de parler d’un approfondissement et d’une plus grande détermination de l’idée cosmopolitique que le recul historique et les connaissances acquises de l’évolution du droit international ont rendue possible.

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Texte intégral

  • 1  P. Coulmas, Les Citoyens du monde. Histoire du cosmopolitisme, Paris, Albin Michel, 1995.
  • 2  Le premier à employer le terme fut Diogène de Sinope. « Interrogé sur ses origines, il répondait q (...)
  • 3  Ibid., p. 12.

1Dans son livre1, aussi instructif qu’impressionnant par son ampleur et la richesse de sa documentation, Peter Coulmas réalise un programme dont l’objectif n’avait jamais été tenté auparavant : retracer l’histoire du concept du cosmopolitisme, depuis son apparition en Grèce au IVe siècle avant J.‑C.2 jusqu’à la période contemporaine la plus récente et ce, en prêtant attention aux différences d’accentuation ou infléchissements que ce concept a pu connaître d’une époque à l’autre. Il ne saurait, bien sûr, être question ici de refaire ce trajet immense qui s’étend sur plus de deux millénaires. Simplement, nous nous intéresserons à ce qu’il faut entendre, selon l’auteur, sous le terme de cosmopolitisme. D’après lui, il est employé en deux sens « (conjointement ou concurrentiellement) certes liés mais différents l’un de l’autre : 1) par ce terme, on entend que l’humanité forme une unité (…), on finit par désigner sous le nom de cosmopolites tous ceux qui prétendaient avoir partout sur la planète un droit à la citoyenneté et tenaient pour illégitimes les frontières, fermetures et exclusions, interdictions d’entrer ou de sortir d’un pays, 2) le cosmopolitisme désigne aussi l’intérêt porté à des êtres et à des pays étrangers. Les cosmopolites sont des individus disposés à faire un effort pour acquérir des informations sur les étrangers ou dialoguer avec eux (l’apprentissage des langues étrangères, voyages) »3. Deux sens donc, un cosmopolitisme que l’on pourrait qualifier de juridique ou d’institutionnel avec l’idée de citoyenneté mondiale, et un cosmopolitisme, pourrait-on dire, éthique, qui exprime plutôt une attitude, une manière d’être au monde, caractérisé par un élan de liberté, un esprit de curiosité, de découverte de l’ailleurs et de l’autre, un sens de l’hospitalité. Seul le premier sens retiendra notre attention. À cet égard, il est remarquable que le cosmopolitisme, entendu en ce sens, soit spécifiquement moderne, au sens où ce n’est qu’avec les Modernes que l’on trouve les premières tentatives sérieuses de théorisations d’un cosmopolitisme juridico-institutionnel. Ni chez les stoïciens en effet, ni chez les chrétiens, où le thème avait pourtant été longuement thématisé, on ne retrouve quelque chose d’équivalent. Chez les premiers, parce qu’être citoyen du monde, c’est accepter de se soumettre à la loi naturelle, non à la loi conventionnelle, chez les seconds parce que le citoyen du monde, c’est celui du monde céleste (la Cité de Dieu chez Saint Augustin), non du monde terrestre. Le cosmopolitisme juridique soulève des questions qu’aucune entreprise théorique visant à lui donner une certaine consistance ne saurait éluder : premièrement, un ordre juridique politique universel est-il possible ? Deuxièmement, est-il souhaitable ? Troisièmement, quel contenu juridique et institutionnel pourrait-il avoir ? Autrement dit, pourquoi vouloir l’unification politique de l’humanité, sous quelle(s) forme(s), selon quels dispositifs juridiques et institutionnels ? La division de l’humanité en cités politiques ou États-nations n’est-elle pas insurmontable et, conséquemment, les guerres alimentées par cette division, depuis la nuit des temps, ne sont-elles pas à jamais inéluctables ? Si tel est le cas, l’unité politique, et donc l’entente entre tous les peuples, est-elle utopique ? Ne serait-elle pas en effet un doux rêve, le produit d’une imagination désireuse de s’évader par la pensée de la triste et implacable réalité humaine caractérisée depuis toujours par les conflits de toute nature avec leur cortège de maux innombrables ? Visant à répondre à cette problématique, une théorisation du cosmopolitisme, en raison de son poids et de son caractère récent, retiendra notre attention, à savoir celle qu’a mise en œuvre Habermas. Nous l’aborderons cependant par le biais du rapport critique qu’elle entretient avec une autre grande théorisation à laquelle elle puise, pour une part (à déterminer), son inspiration, celle construite par Kant. Habermas souligne lui-même que son cosmopolitisme est une reformulation du cosmopolitisme kantien, reformulation qui est à entendre comme une correction. Il sera donc intéressant d’examiner la lecture habermassienne du cosmopolitisme kantien d’où découle sa propre conception et voir si celle-ci peut être vue comme son dépassement. À cette fin, il faut 1) rappeler la manière dont Habermas comprend la construction kantienne, 2) exposer, sur la base de sa critique, sa propre conceptualisation, 3) examiner la validité de cette critique à la lumière du texte kantien. C’est alors que nous pourrons faire le bilan et déterminer si, et dans quelle mesure, son cosmopolitisme dépasse véritablement celui de Kant.

Une lecture critique du cosmopolitisme kantien

  • 4  J. Habermas, « La Paix perpétuelle. Le bicentenaire d’une idée kantienne », in L’Intégration répub (...)
  • 5  Id, p. 162.
  • 6  Ibid., p. 165.
  • 7  Ibid., p. 62.
  • 8  J. Habermas, « La Constitutionnalisation du droit international a-t-elle encore une chance ? », in (...)

2C’est à l’occasion du bicentenaire de la parution du Projet de paix perpétuelle de Kant qu’Habermas publie un article4 dans lequel il analyse l’argumentation kantienne en faveur de l’avènement du cosmopolitisme, seul à même, à ses yeux, de mettre un terme définitif aux guerres entre les États. Le jugement qu’il émet à l’endroit de cette argumentation est sans appel : « Grâce aux connaissances que nous avons acquises depuis lors, sans avoir à ce titre de mérite particulier, nous savons aujourd’hui que la construction proposée par Kant pose des problèmes conceptuels et qu’en outre, elle n’est plus guère conciliable avec les connaissances historiques qui sont les nôtres »5. Ou encore, « De toute évidence, cette construction est contradictoire »6. Pour comprendre cette condamnation, il faut restituer la façon dont Habermas comprend le raisonnement de Kant : « C’est pourquoi je commencerai par rappeler les prémisses kantiennes. Elles concernent les trois temps de son raisonnement, c’est-à-dire la définition du but à atteindre, autrement dit la paix perpétuelle, la description qu’il donne du problème, celle de la forme juridique d’une fédération des peuples, et enfin la solution historico-philosophique de ce problème, à savoir la réalisation de l’idée de l’état cosmopolitique »7. Ce qui ne serait pas tenable conceptuellement, ce serait la deuxième et la troisième étape du raisonnement kantien, à savoir le contenu donné à l’idée cosmopolitique (l’idée fédérative des peuples) et sa réalisabilité (qu’est-ce qui fonde notre croyance que cette fédération mettant fin aux guerres interétatiques se réalisera effectivement). En ce qui concerne le but à atteindre, la paix, Habermas ne trouve en revanche rien à redire puisqu’il partage l’intuition kantienne selon laquelle la guerre est un fléau qu’il faut absolument éradiquer et que le droit est le moyen nécessaire à cette fin (pacifisme juridique). Il s’inscrit donc dans la droite ligne de l’héritage kantien sur ce point et adopte ouvertement la perspective du cosmopolitisme comme seule solution aux maux (la guerre mais pas seulement) qui frappent l’humanité. À cet égard, il salue Kant comme un précurseur ayant ouvert la voie en matière de théorie du droit. En effet il « franchit une étape décisive puisqu’il dépasse un droit international centré jusque-là uniquement sur les États vers un droit cosmopolitique »8, centré sur les individus. Idée innovante qui viendrait enrichir selon Habermas la théorie du droit en ajoutant au droit étatique (droit civil) et au droit des gens (droit international) une troisième dimension avec le droit cosmopolitique (droit des citoyens du monde). En revanche, il se montre très critique pour le reste, à savoir sur la conceptualisation de la forme juridique du cosmopolitisme (fédération des peuples) mais aussi, et a fortiori, sur la réalisation envisagée de cette forme. D’abord, la fédération en question, telle qu’elle est conçue par Kant, serait selon Habermas tout bonnement contradictoire. Ensuite, l’argumentation qu’il construit pour justifier sa réalisabilité serait non recevable parce que reposant sur un présupposé métaphysique. Autrement dit, la direction est bonne, le cosmopolitisme comme condition sine qua non d’une paix durable, voire perpétuelle, entre les peuples, mais la voie construite pour l’atteindre est une impasse parce que s’y dresse un obstacle insurmontable en la figure incohérente d’une fédération des peuples. Voyons donc en quoi cette idée d’une fédération des peuples envisagée par Kant est inconsistante, puis, pourquoi la manière dont il conçoit sa réalisation est irrecevable.

  • 9  E. Kant, Doctrine du droit, in Œuvres philosophiques, t. III, Paris, 1986, Gallimard, coll. Biblio (...)
  • 10  L’Intégration républicaine, op. cit., p. 168.
  • 11  Id., p. 168.
  • 12  Ibid., p. 176 : « Ces réflexions critiques montrent que, pour ne pas perdre contact avec une situa (...)

3Cette fédération des États est en effet conçue par Kant comme une « alliance des peuples » (Völkerbund) qui, elle-même, est explicitée comme « un congrès permanent des États »9 libre et désirant la paix. Autrement dit, les États restent souverains mais, parce qu’ils voudraient la paix, las de se faire la guerre et conscients que cela n’est pas dans leur intérêt, ils choisiraient de régler leurs conflits par la voie de la négociation, plutôt que par la lutte armée. La dimension de permanence de ce congrès est supposée garantir la pérennisation de la paix, sa durabilité, là où les traités de paix en droit international classique n’assuraient la paix que provisoirement parce qu’ils étaient souvent conclus entre deux États et avaient de ce fait une force d’engagement moins grande. Avec l’alliance des peuples qui est supposée regrouper un nombre plus conséquent d’États, lesquels, qui plus est, sont censés désirer ardemment la paix, le risque de guerre serait écarté en raison précisément de la permanence ou de la stabilité de l’alliance. Cette permanence de l’alliance permettrait ainsi de mettre fin non pas à une guerre pour une durée limitée mais à toutes les guerres pour toujours (paix perpétuelle). Habermas montre sans peine en quoi ce concept est fragile et même contradictoire. Fragile car qu’est-ce qui garantira la permanence de l’alliance en vue de la paix ? Rien si ce n’est la volonté morale des États de faire passer l’impératif de la paix avant leurs intérêts nationaux. Bref, la paix perpétuelle serait suspendue à la bonne volonté (guten Wille) des hommes. Or c’est en ce point précis que Kant tomberait dans une contradiction dans la mesure où il reconnaît lui-même par ailleurs avec une grande lucidité que ce qui anime les États, ce sont toujours leurs intérêts particuliers. Comment dès lors échapper à la contradiction lorsque, d’un côté, on fait reposer la paix sur le désir permanent des États de régler pacifiquement leurs conflits, tout en reconnaissant, d’un autre côté, de façon réaliste, que les relations internationales sont toujours régies par la considération des intérêts nationaux qui ne sont pas nécessairement en accord avec l’impératif de la paix ? L’idée fédérative des peuples, sous la forme d’un congrès permanent des États, que Kant conçoit dans son opuscule sur la paix perpétuelle comme un remède au problème de la guerre, serait donc inconsistant parce que foncièrement contradictoire. Mais, selon Habermas, Kant aurait eu conscience de cette difficulté et, pour la surmonter, il aurait tenté d’y remédier par l’élaboration « d’une philosophie de l’histoire à finalité cosmopolitique, destinée à rendre plausible ce qui est à première vue invraisemblable, à savoir “un accord entre la politique et la morale”, fondé sur une intention cachée de la nature »10. En clair, la réalisation effective de la paix reposerait bien sur la bonne volonté des dirigeants des États mais celle-ci serait en quelque sorte favorisée par une téléologie de la nature réalisant certaines conditions favorables à la paix. Il s’agirait donc pour Kant, selon Habermas, de montrer que l’alliance des peuples, libre et permanente, propre à écarter efficacement tout risque de guerre, n’est pas une « idée exaltée » en mettant en évidence un certain nombre de tendances naturelles historiques œuvrant en ce sens. Trois tendances favoriseraient ainsi l’avènement d’une telle alliance : « 1) le caractère pacifique des républiques, 2) la vertu socialisatrice du commerce international et 3) la fonction de l’espace public politique »11. Fort de cette philosophie téléologique de l’histoire, nous aurions enfin une bonne raison d’espérer cet avènement puisque celui-ci ne dépendrait plus uniquement de la bonne volonté des gouvernants mais aussi d’un dessein caché de la nature. L’accord entre la morale et la politique ne paraîtrait ainsi plus inconcevable : la moralisation des gouvernants étant conçue comme une fin naturelle, elle s’opérerait donc naturellement au fil de l’histoire. Habermas considère cependant le recours à cette métaphysique de l’histoire comme nul et non avenu au regard des exigences de la pensée post-métaphysique. Cette solution ne résoudrait en effet le problème qu’au prix d’un présupposé métaphysique exorbitant qui est celui du concept de finalité naturelle. Considérée dans son ensemble, la construction kantienne du cosmopolitisme serait donc selon Habermas conceptuellement inconsistante. C’est à partir de la mise en évidence de ces défauts inhérents au dispositif kantien qu’Habermas entreprend alors de le rectifier12.

Le cosmopolitisme habermassien comme réactualisation13 du cosmopolitisme kantien

  • 13  Nous reprenons ce terme à V. Pratt, Nuremberg, les droits de l’homme, le cosmopolitisme, Bordeaux, (...)
  • 14  Sur l’histoire détaillée de ces événements, voir V. Pratt, op. cit., p. 17‑19 et chap. 6.
  • 15  J. Habermas, « La Constitutionnalisation du droit international a-t-elle encore une chance ? », in (...)
  • 16  J. Habermas, L’Intégration républicaine, op. cit., p. 179.
  • 17  Id., p. 179.
  • 18  Sur l’histoire du procès de Nuremberg, la condamnation par le TMI d’un certain nombre de dignitair (...)
  • 19  L’Intégration républicaine, op. cit., p. 180.
  • 20  Id., p. 182‑183.

4La nécessité d’une telle réactualisation ne s’impose pas seulement à cause du défaut de cohérence conceptuelle de la construction kantienne, mais aussi et surtout en raison de la distance sans cesse croissante qui s’est creusée au fil du temps entre celle-ci et l’évolution du droit international, distance accrue surtout à partir de la deuxième moitié du XXe siècle, à travers un certain nombre d’innovations du droit international mais aussi à travers une conception différente de la guerre et de la paix. De l’idée kantienne d’une simple fédération des peuples à l’organisation des Nations unies, avec toutes ses arcanes, fondée en 1945, après la Seconde Guerre mondiale, par la Charte des Nations unies, le fossé est en effet très grand. C’est en tenant compte de tous les changements profonds (historiques, juridiques, politiques) qui se sont produits depuis l’époque de Kant qu’Habermas élabore son propre modèle dont on verra qu’il se différencie sur bien des points du modèle kantien. Si l’idée cosmopolitique est revenue au XXe siècle sur le devant de la scène, c’est à cause des deux guerres mondiales. Habermas note qu’on a dépassé dans l’horreur tout ce qui s’était produit jusque-là. Suite à la Première Guerre mondiale, est signé le Pacte Briand-Kellog (1928) qui criminalise la guerre en tant que telle, marquant une rupture profonde avec le droit international classique qui consacrait jusqu’alors le jus ad bellum. Suite à la Seconde Guerre mondiale et au procès de Nuremberg, est signée la Charte des Nations unies qui entraîne dans la foulée l’institution de l’ONU et la Déclaration universelle des droits de l’homme14. L’ONU n’a pas grand-chose de commun avec l’alliance des peuples de Kant, force est de le constater. En témoignent trois innovations15 en droit international intervenues dans le cadre de l’ONU : 1) le lien établi par la Charte des Nations unies entre le respect des droits de l’homme et la paix mondiale, 2) la prévision de sanctions par le Conseil de sécurité de l’ONU en cas de non-respect des règles du droit international, au premier rang desquels d’une part, l’interdiction de l’usage de la force (sauf en cas de légitime défense) et de la guerre d’agression et, d’autre part, le respect des droits de l’homme, 3) le caractère d’emblée inclusif de l’ONU qui compte aujourd’hui 193 membres, ce qui fait dire à Habermas que « l’unité de toutes les nations » qu’avaient rêvée Francisco De Vittoria et Francisco Suarez s’est enfin concrètement incarnée. La distance est grande, du moins en apparence, avec la conception kantienne. Sur le premier point, Kant envisageait bien un droit cosmopolitique et une union cosmopolitique, mais il ne les concevait aucunement selon Habermas comme ayant pour contenu, pour l’un, les droits de l’homme et, pour l’autre, une communauté des citoyens du monde (cosmopolites). Il conçoit l’union cosmopolitique « comme une fédération d’États et non comme une fédération de cosmopolites »16. En cela, il se montre « inconséquent dans la mesure où il ramène tout état de droit (et pas seulement l’état de droit intraétatique) au droit originel que toute personne peut revendiquer en tant qu’être humain »17. Bref, il y aurait rupture dans la théorie kantienne du droit, aux yeux de Habermas, lorsque l’on passe du droit national au droit cosmopolitique, puisqu’alors, les sujets de droit ne sont plus les individus mais les États seulement. Dans ces conditions, on voit mal comment la paix pourrait être issue du respect des droits de l’homme partout dans le monde. Bien plutôt demeure-t-elle suspendue à l’entente entre États. Cette incapacité à concevoir et à défendre un véritable droit cosmopolitique pour les individus qui leur confèrerait alors le statut de citoyens du monde s’explique, selon Habermas, par la conviction kantienne selon laquelle la souveraineté des États est une donnée indépassable. Conviction qui expliquerait également pourquoi la seconde innovation marquerait elle aussi un dépassement par rapport au dispositif kantien. En se dotant d’une force d’obligation juridique sanctionnant les manquements aux règles internationales, notamment celle concernant le respect des droits humains, l’ONU se réserve le droit de condamner des individus qui se sont rendus coupables de crimes au service de leur État ou de crimes de guerres18. « Sur ce point encore, Kant a été dépassé par l’évolution des choses »19. Enfin, la dernière innovation opère aussi un dépassement de la conception kantienne. En s’appuyant sur un passage du Projet de paix perpétuelle, Habermas souligne que « lorsque Kant avait imaginé l’expansion de l’association formée par les États libres, il l’avait conçue comme la cristallisation d’un nombre croissant d’États autour du noyau constitué par une avant-garde de républiques pacifiques. (…) Or, en fait l’organisation mondiale réunit aujourd’hui tous les États, indépendamment du fait de savoir s’ils sont déjà dotés d’une Constitution républicaine et s’ils respectent les droits de l’homme »20. Le processus de cosmopolitisation ne se déroule donc pas du tout comme l’avait pensé Kant, à savoir comme la républicanisation progressive des États-nations par l’influence d’une république exemplaire, ou de plusieurs républiques, jouant le rôle de catalyseur, mais par l’ouverture et l’inclusion de tous les États dans l’organisation mondiale, quelle que soit leur forme de gouvernement. Compte tenu donc de tous ces bouleversements historiques, ainsi que les règles juridiques internationales nouvelles et institutionnalisations à vocation cosmopolitiques (SDN, ONU…) qui s’en sont suivies, il n’est pas étonnant qu’Habermas ait éprouvé le besoin de reformuler le cosmopolitisme kantien. L’idée fédérative d’une alliance des peuples étant frappée de caducité, comme le montre aussi bien l’analyse conceptuelle que le cours historique du droit international, il convient à présent de voir quel contenu Habermas entend donner à la forme juridique du cosmopolitisme, de telle sorte qu’elle soit à la fois conceptuellement consistante (non contradictoire) et en phase avec l’évolution du droit international et le cours des choses (crédible).

  • 21  J. Habermas, « Espace public et sphère publique politique », in Parcours 1, trad. fr. C. Bouchindh (...)
  • 22  Id., p. 21.
  • 23  Sur l’histoire et l’évolution de la pensée de Habermas, voir I. Aubert, Habermas, une théorie crit (...)
  • 24  Cité dans S. Müller-Doohm, Jürgen Habermas, une biographie, Paris Gallimard, 2018, p. 393.
  • 25  Id., p. 394.
  • 26  J. Habermas, Vorwärts, janvier 2012, cité in Stefan Müller-Doohm, op. cit., p. 401.

5La présentation de la reformulation habermassienne du contenu de l’idée kantienne du cosmopolitisme ne saurait cependant être détachée, si l’on veut en saisir pleinement le sens et la portée, de la logique qui a présidé à son élaboration. Habermas n’a pas été dès le départ un farouche défenseur de l’option cosmopolitique, cette option ne s’est imposée à lui que progressivement au fil du temps, à la faveur de certains événements historiques de l’après Deuxième Guerre mondiale. En outre, sa pensée du cosmopolitisme a elle-même évolué entre les premiers textes où il affirme son attachement à l’Europe et ceux, plus récents, où il défend la perspective d’une démocratie cosmopolitique. Reste que ces évolutions ne sont pas purement contingentes mais obéissent à une logique propre qu’il faut restituer. Logique qui s’arc-boute sur un attachement indéfectible à la démocratie. Dans un discours qu’il prononce le 11 novembre 2004 à Kyoto lors de la remise d’un prix, Habermas indique : « La formule magique, pour moi, ce n’était pas le libéralisme anglo-saxon ; elle consistait dans le seul mot : démocratie »21. Et après avoir vécu, juste après 1945 et les horreurs du nazisme, un élan démocratique de la société allemande, vinrent, sur le plan politique avec le conservatisme d’Adenauer et, sur le plan intellectuel, avec la tendance fascisante des grands esprits de l’époque (Heidegger, Carl Schmitt, Ernst Jünger, Arnold Gehlen) le désenchantement et l’inquiétude qui déterminèrent alors la vocation intellectuelle de Habermas : « j’entrepris d’investir théoriquement ma déception face aux difficultés et aux menaces qui ne cessaient de peser sur le processus de démocratisation d’après-guerre. Jusqu’aux années 1980 incluses, ma crainte d’une rechute politique est restée l’aiguillon de mon travail scientifique, un travail commencé à la fin des années 50 avec L’Espace public »22. Le point de départ de toutes les contributions théoriques de Habermas, depuis L’Espace public (1962) jusqu’aux dernières publications, se situe donc (du moins sont-elles traversées par ce fil conducteur), dans la valorisation de l’idéal démocratique et la critique de la positivité au nom de cet idéal. Étant entendu que la démocratie selon Habermas n’est pas, et ne doit pas être conçue, comme la souveraineté du peuple compris comme substance (comme Sujet collectif), mais comme l’institutionnalisation de procédures communicationnelles (discursives) de formation de l’opinion et de la volonté des citoyens. Hitler avait été élu « démocratiquement » mais de façon plébiscitaire et partant, son élection n’était pas vraiment démocratique, aux yeux de Habermas, car elle n’était pas le fruit d’un accord intersubjectivement partagé entre tous les citoyens au terme d’une discussion argumentative, autour de normes devenues problématiques. Ce qui fait la légitimité d’une norme (et par là même celle du pouvoir qui l’incarne), c’est sa validité universelle, telle qu’elle est reconnue et acceptée par toutes les personnes concernées dans le cadre d’une discussion rationnelle (Principe D de l’éthique de la discussion). Or c’est précisément cette idée de la démocratie (autonomie ou pouvoir des citoyens de prendre en charge leur propre destin par des décisions éclairées), en tant qu’elle est étroitement liée à la raison communicationnelle, qu’Habermas défend et élabore dans sa théorie de la société, sa théorie morale, sa théorie politique et sa théorie du droit et qu’il ne cessera de défendre, depuis les années 70 jusqu’à aujourd’hui, à la suite de l’adoption d’un nouveau paradigme, celui de la communication23. C’est dans cette logique qu’il faut resituer, semble-t-il, les textes de Habermas qui développent, dès la fin des années 80, l’idée d’une politique postnationale, puis l’idée cosmopolitique elle-même. S’il en vient à considérer sérieusement ces idées, c’est en effet en raison du danger, selon lui, que fait peser sur la démocratie le capitalisme globalisé. Il s’agit d’apprivoiser cette économie capitaliste mondiale par la politique, laquelle ne saurait plus être nationale seulement mais supranationale. Seule une telle politique supranationale se hissant à la hauteur des impératifs systémiques de l’économie lui paraît en mesure de contrecarrer l’affaiblissement de la démocratie qu’il redoute tant. C’est l’Europe qui fut d’abord le déclencheur. En 1979, Habermas n’était en rien un européen convaincu, il déclarait : « Je ne suis en rien un fanatique de l’Europe et je ne l’étais pas non plus lorsqu’elle était à la mode »24. Et dix ans plus tard, l’année de la Chute du mur de Berlin, il affirme que l’UE est devenue pour lui « un sujet de tout premier plan depuis 1989 et pour des raisons nationales, européennes et internationales »25. La perspective n’a donc cessé de s’élargir au fil du temps : de la défense et de la valorisation de la démocratie nationale d’abord, puis de la démocratie transnationale européenne, enfin de la démocratie cosmopolitique. Cet agrandissement de la perspective s’explique non seulement par l’incapacité des États de droit démocratique, pourtant souverains, à sauvegarder leur modèle politique et socio-économique en l’état mais aussi à remédier aux problèmes multiples (sécuritaire, sanitaire, technologique, écologique etc.) que pose la mondialisation. « Je ne prétends pas, je constate seulement qu’en tant qu’État-nation, nous ne parvenons plus à nous en sortir tout seuls. Des alliances s’appuyant sur des traités internationaux ne suffisent plus non plus à résoudre les problèmes qui se posent à nous aujourd’hui »26. Habermas voit donc dans la consolidation, sur le plan politique, de l’Europe la bonne parade face à la globalisation dérégulée. Mais il ne s’arrête pas là puisque les dangers ne sont pas écartés si le reste du monde n’est pas lui-même politiquement intégré. L’unification européenne n’est, selon lui, qu’une étape à franchir sur la voie menant à une démocratie cosmopolitique, qu’il conçoit comme une association des citoyens du monde décidant, dans un Parlement mondial, des problèmes politiques qui se posent à l’échelle planétaire. Tel est donc, brièvement retracée dans ses grandes lignes, la logique de l’évolution de la pensée de Habermas relative au cosmopolitisme. Bien évidemment, la référence kantienne joue un rôle important dans cette genèse puisqu’elle provoque chez Habermas un ralliement à l’option cosmopolitique, contribuant ainsi à élargir l’horizon de sa pensée du droit et de la politique. Ce qu’il nous faut voir maintenant, c’est le point suivant : comme Habermas se donne pour tâche de « reformuler » le cosmopolitisme kantien dont l’idée lui paraît certes bonne (la juridicisation des relations interétatiques comme solution au problème de la guerre) mais le contenu conceptuellement inconsistant et, en outre, invalidé historiquement par l’évolution du droit international, quel autre contenu propose-t-il d’assigner à l’idée cosmopolitique ?

  • 27  « La Constitutionnalisation du droit international a-t-elle encore une chance ? », op. cit., p. 53 (...)
  • 28  Id., p. 34‑52.

6La version habermassienne du cosmopolitisme sera celle d’une société mondiale politiquement constituée sans gouvernement mondial27. Conception originale qui semble offrir un troisième modèle possible, logiquement consistant et factuellement crédible, entre l’idée fédérative kantienne et celle d’État mondial qu’Habermas, comme Kant d’ailleurs, rejette au motif qu’elle n’est ni possible, ni souhaitable28. Examinons rapidement la manière dont Habermas entend la fonder. L’argumentation semble double : d’une part, il s’agit de montrer sa cohérence logique, d’autre part, qu’elle est vraisemblable ou réalisable puisqu’un exemple concret, en la figure de l’Union européenne, nous en offre déjà une illustration.

  • 29  Ibid., p. 55 : « L’État n’est pas un présupposé nécessaire de l’ordre constitutionnel ».
  • 30  « L’État-nation a-t-il un avenir ? », in L’Intégration républicaine, op. cit., p. 154‑155.
  • 31  Id., p. 155.
  • 32  Sur la déconstruction des objections relativistes aux droits de l’homme et ses instrumentalisation (...)

7Deux composantes de la formule habermassienne paraissent surprenantes mais sont en fait parfaitement possibles et même, dans une certaine mesure, réelles (en voie de formation) : une constitution politique sans État d’une part, et une société mondiale d’autre part. La première n’est pas contradictoire car il n’y a pas de lien intrinsèque entre constitution et État29. Il y a certes un lien entre Constitution, Structure étatique et Solidarité civique mais il est historique, donc contingent selon Habermas. Une communauté politique désétatisée et dotée d’une Constitution est donc concevable et une telle communauté sera transnationale. Celle-ci a d’ailleurs trouvé, de fait, une exemplification à travers l’UE. Avant que l’Union européenne se dote effectivement d’une constitution (2004), Habermas avait plaidé fortement en sa faveur. Il s’était heurté, ce faisant, à des objections, notamment celle de Grimm, professeur de droit public, qui faisait remarquer qu’il n’existe pas de peuple européen, et donc qu’une constitution européenne sans peuple européen n’est pas possible. À quoi Habermas répond : « À mes yeux, la clé du républicanisme réside dans le fait que les formes et les procédures de l’État constitutionnel génèrent, en même temps que le mode de légitimation démocratique, un niveau inédit de cohésion sociale. La citoyenneté démocratique (au sens du citizenship) engendre une solidarité relativement abstraite, en tout cas fondée sur le droit, entre personnes qui sont des étrangers les uns pour les autres ; or, cette forme d’intégration sociale, qui apparaît d’abord avec l’État-nation, se réalise sous la forme d’un contexte de communication dont les effets se font sentir jusque dans la socialisation politique »30. L’unité d’une communauté politique ne repose donc pas nécessairement sur une « origine ethnique » de ses membres. S’il s’agit d’une société démocratique (« une nation de citoyens »), elle doit reposer sur « un contexte intersubjectivement partagé d’entente possible »31. Autrement dit, une solidarité cosmopolitique, fondée sur une culture politique partagée (autre que la culture majoritaire) sur la base de droits égaux, est tout à fait possible entre individus ayant des formes de vie culturelle, religieuse et ethnique différentes et elle ne peut se réaliser que par le moyen de consensus issus de discussions argumentatives. Elle est même déjà en cours de formation dans les grandes sociétés démocratiques actuelles en tant que sociétés multiculturelles. Si bien que ce qu’Habermas appelle « patriotisme constitutionnel » et qu’il invoque dans son plaidoyer en faveur d’une « constitution européenne » ne paraît plus abstrait ou chimérique. Par opposition au patriotisme national qui dérive d’un sentiment d’appartenance des individus à une communauté éthico-politique structurée par une langue, une culture et une histoire commune, le patriotisme constitutionnel pourrait fonder, selon Habermas, une communauté politique transnationale ou supranationale juridico-politique autour de la reconnaissance intersubjective de la validité universelle de principes juridiques, créant ainsi une identité commune partagée et une solidarité s’étendant au-delà des frontières nationales. Or les principes juridiques susceptibles de recueillir un tel assentiment universel et, partant, de fonder une communauté politique supranationale, voire cosmopolitique, sont précisément fournis, selon Habermas, par les Droits de l’homme32. Une société de citoyens du monde, fondée sur une constitution cosmopolitique, contenant les droits de l’homme notamment, définit donc in fine le cosmopolitisme habermassien. Par constitutionnalisation du droit international, il faut précisément entendre, chez lui, la transformation de la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU en principes constitutionnels pour tous les États membres. Force est d’admettre qu’on en est, pour l’heure, encore loin, comme le reconnaît Habermas lui-même.

  • 33  « L’État-nation a-t-il un avenir ? », op. cit., p. 94.

8Mais hormis ce point, on peut se demander comment une telle société cosmopolitique serait possible. Cette interrogation nous renvoie à celle de la possibilité d’une société mondiale, deuxième composante de la formule. Toute société présuppose un espace public, selon Habermas, c’est-à-dire un lieu où se tissent une multitude de réseaux d’interactions communicationnelles permettant des ententes et, par conséquent des coordinations d’actions entre les différents sujets. Une société mondiale présupposera donc un espace public mondial. Or celui-ci, selon Habermas, du fait de la mondialisation des échanges et des communications, est d’ores et déjà en voie de formation. Plusieurs faits attestent même de sa réalité : les réactions émotives et les protestations de masse un peu partout sur la planète qui ont suivi la guerre du Vietnam et la guerre du Golfe, par exemple, montrent qu’il faut désormais compter avec cette réalité, celle de « l’existence d’un public mondial qui ne devient réalité politique que de nos jours, dans un contexte de communication cosmopolitique »33.

  • 34  L’interprétation de la Charte comme Constitution de la communauté internationale ne va pas de soi (...)

9L’option retenue par Habermas d’un cosmopolitisme prenant la forme d’une société mondiale politiquement constituée sans gouvernement mondial n’est donc pas absurde d’un point de vue purement conceptuel et trouverait même une incarnation partielle aujourd’hui à travers l’ONU. La Charte des Nations unies, entérinée par un grand nombre de pays, lui apparaît en effet présenter toutes les qualités d’une Constitution34, laquelle aurait ainsi une portée cosmopolitique puisque rassemblant tous les pays de la Terre. Une société politique mondiale désétatisée, telle est donc la teneur que devrait avoir l’idée cosmopolitique selon Habermas. Pour donner plus de concrétude à ce concept, il propose la construction suivante :

10‒ Un système politique mondial à trois niveaux.

11Habermas conçoit ce système comme articulant trois niveaux : le niveau supranational, le niveau transnational et le niveau national. Le niveau supranational aurait pour fonction exclusive de faire appliquer à l’échelle de la planète le droit international, c’est-à-dire pour l’essentiel la sécurité internationale et la politique des droits de l’homme. Il s’agit d’une instance supérieure aux États-nations. Le niveau transnational aurait à prendre en charge une politique intérieure mondiale en vue de régler les problèmes contemporains de notre époque, à savoir les problèmes posés par les disparités économiques grandissantes entre les êtres humains, ceux soulevés par les déséquilibres écologiques, par les risques technologiques, sanitaires, par la criminalité organisée, etc. Cette politique intérieure mondiale prendrait la forme, selon Habermas, d’un ensemble de systèmes de négociations transnationaux entre représentants d’États ou de régimes continentaux mais aussi d’acteurs de la société civile (ONG, citoyens du monde). Le niveau national constitue enfin le socle, aux yeux de Habermas, de ce système cosmopolitique à plusieurs niveaux dans la mesure où il dispose déjà du monopole de la force pour faire appliquer sur son territoire les droits de l’homme imposés par le niveau supranational mais aussi les fonctions régaliennes qui sont les siennes (la collecte de l’impôt, la sécurité publique, l’administration de l’État-providence etc.). Ces trois niveaux s’articulent les uns aux autres car le niveau supranational permettrait d’un côté d’établir la paix grâce à l’action des États-nations qui lui sont subordonnés et de l’autre côté favoriserait la bonne tenue des négociations transnationales en faisant prévaloir le traitement équitable des partenaires de la négociation.

  • 35  Sur la détermination précise des conditions de légitimation démocratiques des décisions de l’ordre (...)
  • 36  En raison, d’une part, du besoin de régulation internationale devenant de plus en plus pressant à (...)
  • 37  Parcours 2, op. cit., p. 94.
  • 38  C’est cette thèse que reprend Pierre-Marie Dupuy, cf. « Actualité du cosmopolitisme juridique : re (...)

12Pour tester la consistance conceptuelle de ce modèle, Habermas pose la question de la légitimation des décisions de l’organisation mondiale à chacun des trois niveaux. Ces décisions ne sauraient être justes si elles ne se fondent pas sur une base démocratique, c’est-à-dire sur les choix de citoyens libres et éclairés. Il faut donc que la chaîne de légitimation qui part de la base jusqu’au somment (du niveau national jusqu’au niveau supranational en passant par le niveau transnational) ne soit pas brisée. Les conditions permettant d’assurer la continuité de cette chaîne sont multiples et complexes mais Habermas estime néanmoins qu’elles ne sont pas impossibles à réaliser35. Ainsi, non seulement le dispositif habermassien serait consistant conceptuellement mais de plus, le cours des événements historiques semble appeler sa venue36. La Charte des Nations unies lui apparaît présenter les qualités constitutionnelles requises par un ordre cosmopolitique mondiale (démocratie cosmopolitique) et l’ONU lui semble incarner le dispositif institutionnel adapté à son application. Mais l’organisation mondiale s’est trouvée souvent empêchée dans l’exécution de ses fonctions en raison notamment des intérêts stratégiques divergents des membres du Conseil de sécurité. Afin de permettre à l’ONU de remplir plus efficacement, et de manière moins sélective, sa mission, Habermas propose donc un certain nombre de réformes37 destinées à améliorer son fonctionnement. Tel est donc en résumé le contenu de la reformulation du cosmopolitisme kantien par Habermas. A-t-on cependant affaire avec une telle conception à un dépassement du cosmopolitisme kantien, comme Habermas le prétend lui-même38 ? Pour le savoir, il faut confronter sa lecture avec les résultats de l’exégèse de la philosophie de l’histoire kantienne.

Dépassement du cosmopolitisme kantien ?

13En réalité, la critique habermassienne ne porte pas, en raison d’une lecture erronée du Projet de paix perpétuelle. Rappelons-la brièvement : Kant aurait d’abord conçu l’état cosmopolitique comme l’avènement d’un État mondial ; puis, s’étant rendu compte, par réalisme, qu’un tel État n’est pas possible, il en serait venu à envisager, à la baisse, une autre option, plus crédible, à savoir celle d’une Alliance des peuples, sous la forme d’un Congrès permanent des États qui soit à la fois libre et permanent ; mais cette Alliance ne serait finalement guère apparue à Kant plus crédible que l’idée d’un État mondial car elle fait dépendre le maintien de la paix de la volonté morale des États et c’est pourquoi il aurait alors recouru ultimement à une philosophie de l’histoire fondée sur l’idée de finalité naturelle afin de rendre plus crédible la réalisation effective de cette Alliance. La conclusion de Habermas est alors de dire que cette construction n’est plus défendable aujourd’hui dans la mesure où elle repose sur un présupposé métaphysique, celui d’une finalité naturelle réalisant le complet développement des dispositions de l’homme comme être raisonnable). Un tel raisonnement alambiqué paraît pour le moins étrange. Mais surtout, ce qui nous semble être un acquis définitif, dans l’interprétation de la philosophie kantienne de l’histoire, nous oblige à écarter la compréhension habermassienne de l’opuscule kantien.

  • 39  A. Renaut, Kant aujourd’hui, Paris, Aubier, 1997, p. 378‑380.
  • 40  La même juxtaposition de points de vue se retrouve dans L’Idée d’une histoire universelle mais sel (...)
  • 41  Id., p. 91.
  • 42  Ibid., p. 103.
  • 43  L’Intégration républicaine, op. cit., p. 168.

14Le découpage du Projet de paix perpétuelle qu’opère Habermas serait donc le suivant : la première section (les articles préliminaires et définitifs) mettrait en place l’Alliance des peuples (l’idée fédérative) comme solution au problème de la guerre ; le Premier Supplément qui vient ensuite aurait pour fonction de rendre crédible la réalisation d’une telle Alliance des peuples par un dessein caché de la nature (la paix ne dépend plus seulement de la volonté des États mais d’un processus naturel) ; les deux Appendices enfin expliciteraient l’union ainsi rendue possible de la morale et de la politique. Quoique cohérente, cette lecture doit cependant être rejetée au profit d’une autre interprétation qui a le mérite, à notre sens, de rendre le texte kantien plus intelligible. Plutôt que de voir la finalité de la nature comme un expédient, un pis-aller, dans la réalisation du cosmopolitisme, il semble plus judicieux d’y voir l’adoption d’un autre point de vue. Kant adopterait ainsi successivement deux points de vue39 sur le progrès dans l’histoire (et sur la réalisation de l’état cosmopolitique) sans en avertir son lecteur. D’où le risque d’une méprise sur le sens de son texte. Un point de vue pratique et un point de vue théorique. Dans les deux premières sections du Projet de paix perpétuelle, le point de vue adopté serait donc pratique : considéré de ce point de vue, le progrès vers la paix est conçu comme devant être l’œuvre des hommes en tant qu’ils se donnent pour devoir de mettre définitivement fin aux guerres et en établissant les conditions nécessaires à cette fin (c’est le sens des articles préliminaires et définitifs). Le Premier Supplément, au contraire, considérerait le progrès d’un point de vue théorique : il ne s’agirait plus de faire dépendre l’avènement de la paix perpétuelle de la volonté (bonne) des hommes mais d’un dessein caché de la nature, supposé conférer une intelligibilité au cours des événements historiques. Deux conceptions du progrès seraient donc mobilisées, une conception volontariste et une conception mécaniste que Kant juxtaposerait sans contradiction puisque précisément il ne s’agit que de points de vue. Cette dualité de points de vue, adoptée comme principe interprétatif des opuscules kantiens sur l’histoire40, offre deux avantages décisifs. Premièrement, elle permet de résoudre une contradiction (apparente seulement) entre deux thèses sur le progrès, exclusives l’une de l’autre. Il est contradictoire de soutenir à la fois que le progrès dépend de la volonté des hommes et qu’il relève d’un processus naturel (ce que fait Habermas), à moins qu’en soutenant ces deux thèses, on ne se place sous deux points de vue différents. Deuxièmement, cette dualité de points de vue permet aussi de comprendre comment Kant peut dire une chose et son contraire sur la guerre. Dans les Articles en effet, la guerre est un mal condamnable sur le plan moral41 tandis que dans le Supplément, la guerre est au contraire encensée par Kant42. Comment concilier ces deux passages qui développent deux appréciations contradictoires de la guerre, sinon en se plaçant à deux points de vue différents ? Du point de vue pratique, la guerre est évidemment condamnable mais du point de vue théorique, c’est-à-dire du dessein caché de la nature en tant qu’il vise le complet développement des dispositions humaines, elle est perçue positivement puisqu’elle est un mal nécessaire à un plus grand bien. En somme, ce n’est que si l’on considère les deux thèses, qu’il adopte à tour de rôle sur le progrès, comme deux points de vue différents sur l’histoire, qu’on évite bien des contradictions et qu’on restitue aux textes kantiens leur cohérence. Cette interprétation nous paraît donc, pour ces raisons, devoir être privilégiée par rapport à la lecture habermassienne du Projet de paix perpétuelle. Le Premier Supplément n’aurait donc pas le sens que lui confère Habermas, à savoir une tentative désespérée de la part de Kant de « rendre plausible ce qui est à première vue invraisemblable, à savoir un “accord entre la politique et la morale”, fondée sur une intention cachée de la nature »43. Il ne s’agit donc aucunement pour Kant de rendre vraisemblable la réalisation d’une fédération libre d’États, soucieux d’empêcher définitivement la guerre par « une philosophie de l’histoire à finalité cosmopolitique », puisque la réalisation de l’idée fédérative est pensée comme un devoir s’imposant à la raison pratique des hommes tandis que la finalité naturelle est pensée comme une hypothèse de la raison théorique visant à rendre le cours des événements historiques plus intelligible, hypothèse qui, au demeurant, a le statut d’un jugement réfléchissant, non d’une thèse dogmatique sur l’histoire comme c’est le cas avec la ruse de la raison hégélienne. Ne pas distinguer ces deux plans, c’est se condamner à manquer le vrai sens du texte. Quelque distance s’impose donc avec la lecture qu’Habermas nous propose du cosmopolitisme kantien. Fort de cette autre interprétation, reste alors à voir si l’on peut parler d’un dépassement du cosmopolitisme kantien.

  • 44  Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique, trad. fr. S. Piobetta, in Opuscu (...)
  • 45  Vers la paix perpétuelle, trad. J.‑F. Poirier et F. Proust, Paris, GF‑Flammarion, 1991, p. 91.

15Le concept kantien d’une Alliance libre et permanente des peuples aurait-t-il été dépassé par celui que défend Habermas d’une société mondiale politiquement constituée mais désétatisée ? Ce serait le cas si le concept d’une telle Alliance était la seule option retenue par Kant. Or ce n’est pas le cas, Kant ayant conçu non pas un modèle mais plusieurs avec des statuts différents. Après l’exclusion claire du concept d’État mondial, il avait en effet envisagé un autre modèle encore. Dans la proposition 7, il conçoit en effet une « grande Société des Nations, c’est-à-dire une force unie et d’une décision prise en vertu des lois fondées sur l’accord des volontés. (…) telle est pourtant bien l’issue inévitable de la misère où les hommes se plongent les uns les autres, et qui doit forcer les États à adopter la résolution (même si ce pas leur coûte beaucoup) que l’homme sauvage avait accepté jadis tout aussi à contrecœur : résolution de renoncer à la liberté brutale pour chercher repos et sécurité dans une constitution conforme à des lois »44. Il va sans dire que la « Société des Nations » ainsi définie n’est pas identique à l’Alliance des peuples que Kant évoque dans le Projet de paix perpétuelle45. Elle s’en distingue par la dimension coercitive imposée aux États. Tandis que la Société des Nations semble intégrer l’idée d’une autorité supranationale ayant pour fonction de faire appliquer le droit cosmopolitique en recourant le cas échéant à la contrainte, l’Alliance des peuples ne repose que sur « un contrat mutuel » préservant la souveraineté de chaque État, ce qui exclut leur soumission à une contrainte extérieure. Relativisation de la souveraineté étatique dans un cas, maintien de l’entière souveraineté des États dans l’autre. On aurait donc affaire chez Kant à plusieurs modèles non superposables du cosmopolitisme : le modèle de l’État mondial et le modèle de l’idée fédérative, laquelle se subdiviserait en deux sous-modèles, la Société des nations (Föderation ou communauté juridique internationale) et l’Alliance des peuples (Völkerbund) comme Congrès libre et permanent des États.

  • 46  Idée d’une histoire universelle, op. cit., p. 86.

16En suivant la logique de la dualité des points de vue, il est alors tentant de distribuer ces trois modèles selon les différents points de vue (théorique ou pratique) sous lesquels se situe Kant par rapport à l’histoire. Le modèle de l’État mondial se rattache de toute évidence au point de vue théorique Ainsi, la proposition 8 de L’Idée d’une histoire universelle conclut « qu’après maintes révolutions et maints changements, finalement, ce qui est le dessein suprême de la nature, un État cosmopolitique universel arrivera un jour à s’établir : foyer où se développeront toutes les dispositions primitives de l’espèce humaine46 ». La Société des Nations se rattache également au point de vue théorique, comme en témoigne la proposition 7 du même opuscule où Kant applique le modèle explicatif du dessein de la nature au plan des relations internationales. De même que la guerre entre les individus dans l’état de nature les contraint à renoncer à leur liberté naturelle et à entrer dans l’espace juridiquement administré de l’État civil, de même, elle contraint les États jouissant, dans leurs relations, d’une liberté sans frein (ou presque) à entrer dans un état cosmopolitique juridicisant leurs rapports réciproques, et ce, conformément au dessein de la nature. Le troisième modèle, celui de l’Alliance des peuples, libre et permanente, modèle que critique précisément Habermas, doit en revanche être rattaché à notre sens au point de vue pratique uniquement, ce que ne fait pas Habermas qui l’inscrit dans le registre théorique, se méprenant ainsi sur le sens que lui donne Kant. Dans la logique du registre pratique, la guerre apparaît comme un interdit absolu de la raison pratique. Les gouvernements des États doivent donc contracter un accord en ce sens, conformément au commandement de la raison pratique. Ils doivent ainsi s’obliger dans leurs relations réciproques à régler leurs différends autrement que par la guerre, c’est-à-dire par la discussion ou la négociation. Cette communauté des États décidant de régler ainsi leur conflit correspond précisément, semble-t-il, à cette Alliance des peuples, libre et permanente que Kant mentionne dans le deuxième article définitif du Projet de paix perpétuelle. L’alliance en question est envisagée du point de vue pratique, elle est une exigence morale de la raison pratique : comme les hommes, les États ne doivent pas se faire la guerre et, à cette fin, ils doivent se réunir dans une Alliance et régler pacifiquement leurs dissensions tout en conservant leur liberté et leur souveraineté car autrement la paix ne serait pas obtenue librement mais par contrainte. Ce troisième modèle est évidemment irréaliste car les hommes ne sont pas des êtres purement raisonnables et par conséquent, il serait illusoire de compter sur leur bonne volonté pour que la paix perpétuelle advienne nécessairement. Mais pour autant, il n’est pas un modèle dépourvu de sens dans la mesure où la paix est un impératif de la raison pratique s’imposant réellement à eux. Parce que cette dimension est réelle (réalité pratique) chez Kant, il n’est pas absurde qu’il l’explore de manière contrefactuelle pour déterminer ce qu’il en serait si les hommes se comportaient suivant la raison, ce qui donnerait précisément la mise en place de ce fédéralisme d’États libres œuvrant à l’établissement et au maintien de la paix.

  • 47  L’Intégration républicaine, p. 94 : « L’état cosmopolitique n’est plus un simple fantasme, même s’ (...)
  • 48  Cf. L’Intégration républicaine, op. cit., p. 176‑177 : « Le défi qu’ont représenté les catastrophe (...)
  • 49  U. Beck, Qu’est-ce que le cosmopolitisme ?, Paris, Aubier, 2006.

17À la question de savoir si le modèle habermassien dépasse le modèle kantien, il faut donc répondre par la négative. Si le modèle cosmopolitique le plus solide que conçoit Kant est cette Société des Nations qui règle juridiquement les rapports entre États et qui dispose d’un pouvoir de contrainte suffisant pour faire respecter le droit cosmopolitique, alors on ne voit pas en quoi un tel modèle serait rendu caduc aujourd’hui par l’évolution du droit international. Plutôt que d’un dépassement, il semble donc préférable selon nous de parler d’un prolongement et d’un approfondissement du modèle cosmopolitique kantien. Précisons brièvement ce point pour finir. Société des Nations ou société mondiale politiquement constituée mais désétatisée ? Y-a-t-il une différence structurelle de fond entre ces deux modèles ? Dans les deux cas, la perspective d’un État mondial se trouve exclue pour les mêmes raisons ; dans les deux cas, le principe de règlement des conflits est le droit ; dans les deux cas, les États-nations, fruits d’une histoire et garants des identités, conservent leur souveraineté ; dans les deux cas, l’état cosmopolitique est considéré comme non utopique, donc comme réaliste, mais comme situé encore loin à l’horizon47. Enfin, dans les deux cas, la réalisation historique de l’état cosmopolitique est conçue selon un même principe fondamental : chez Kant, il s’agit essentiellement du « mécanisme des inclinations naturelles » ou encore de ce qu’il appelle « l’insociable sociabilité », et la guerre constitue l’un des ressorts les plus puissants pour pousser les hommes à des « accords pathologiquement extorqués ». Chez Habermas, le principe est au fond le même (la guerre comme ressort du progrès du droit international), à condition d’en retrancher la dimension métaphysico-téléologique48. Habermas parle plutôt des défis que le monde contemporain lance à l’humanité : les guerres mondiales, la mondialisation libérale dérégulée qui menace les démocraties, la globalisation des risques49 écologiques, technologiques, sanitaires, criminels etc. Mais le principe demeure au fond le même, celui d’un état de détresse qui, à chaque fois, contraint les hommes à juridiciser de plus en plus leurs relations quoi qu’il leur en coûte. La différence des deux modèles apparaît donc moindre qu’Habermas ne le fait paraître. Cela précisé, si la SDN a été perçue à juste titre comme l’incarnation institutionnelle du modèle kantien de l’Alliance des peuples, il n’est pas erroné de voir dans l’ONU une incarnation, certes plus déterminée, de cette Société des Nations qu’évoquait déjà Kant il y a plus de deux siècles. C’est ici qu’il faut voir, semble-t-il, un prolongement et un approfondissement accomplis par le modèle habermassien. L’idée kantienne selon laquelle la paix passe par le droit est l’intuition fondamentale qu’Habermas reprend à son compte, mais en la déterminant davantage à l’aune de la réalité positive du droit international pour lui donner plus de concrétude. Le modèle habermassien détermine en effet de manière plus précise le contenu de l’idée cosmopolitique en précisant la teneur de la Constitution cosmopolitique (les droits de l’homme), en distinguant des niveaux décisionnels du système politique mondial tout en les articulant (le supranational pour les questions de sécurité international et de droits de l’homme, le transnational pour les questions de politique intérieure mondiale, le national pour la sécurité publique, la garantie des droits et des libertés des citoyens, le recouvrement de l’impôt, etc.) et en s’appuyant surtout sur l’évolution historique du droit international. Si Kant n’avait pas d’exemple historique d’institutionnalisation du cosmopolitisme sous les yeux, Habermas a pu pour sa part s’appuyer et s’inspirer de repères bien concrets (SDN, ONU, UE, etc.) pour bâtir sa conception théorique du cosmopolitisme. Il a eu conscience de l’avantage épistémique que lui conférait le « fait d’être né après ». Kant ne pouvait évidemment pas savoir la tournure que prendrait le monde deux siècles plus tard. Mais ce n’est sans doute pas une raison pour voir dans sa construction quelque chose de dépassé et d’obsolète.

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Notes

1  P. Coulmas, Les Citoyens du monde. Histoire du cosmopolitisme, Paris, Albin Michel, 1995.

2  Le premier à employer le terme fut Diogène de Sinope. « Interrogé sur ses origines, il répondait qu’il était cosmopolite, citoyen du monde : il voulait ainsi s’élever au-dessus des querelles mesquines et étriquées des cités-États et proclamer son indifférence à la vie politique… », ibid., p. 49.

3  Ibid., p. 12.

4  J. Habermas, « La Paix perpétuelle. Le bicentenaire d’une idée kantienne », in L’Intégration républicaine, trad. R. Rochlitz, Paris, Fayard, 1998, p. 161.

5  Id, p. 162.

6  Ibid., p. 165.

7  Ibid., p. 62.

8  J. Habermas, « La Constitutionnalisation du droit international a-t-elle encore une chance ? », in Parcours 2, trad. V. Pratt, Paris, Gallimard, 2018, p. 31.

9  E. Kant, Doctrine du droit, in Œuvres philosophiques, t. III, Paris, 1986, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, p. 684.

10  L’Intégration républicaine, op. cit., p. 168.

11  Id., p. 168.

12  Ibid., p. 176 : « Ces réflexions critiques montrent que, pour ne pas perdre contact avec une situation du monde profondément transformée, l’idée kantienne de l’état cosmopolitique demande à être reformulée ».

13  Nous reprenons ce terme à V. Pratt, Nuremberg, les droits de l’homme, le cosmopolitisme, Bordeaux, Le bord de l’eau, 2018, chap. 8.

14  Sur l’histoire détaillée de ces événements, voir V. Pratt, op. cit., p. 17‑19 et chap. 6.

15  J. Habermas, « La Constitutionnalisation du droit international a-t-elle encore une chance ? », in Parcours 2, op. cit., p. 81‑86.

16  J. Habermas, L’Intégration républicaine, op. cit., p. 179.

17  Id., p. 179.

18  Sur l’histoire du procès de Nuremberg, la condamnation par le TMI d’un certain nombre de dignitaires nazis et la manière dont ce procès a pu influencer l’ONU en créant un précédent juridique, voir V. Pratt, op. cit., p. 13‑18.

19  L’Intégration républicaine, op. cit., p. 180.

20  Id., p. 182‑183.

21  J. Habermas, « Espace public et sphère publique politique », in Parcours 1, trad. fr. C. Bouchindhomme et R. Rochlitz, Paris, Gallimard, 2009, p. 18‑19.

22  Id., p. 21.

23  Sur l’histoire et l’évolution de la pensée de Habermas, voir I. Aubert, Habermas, une théorie critique de la société, Paris, CNRS éditions, 2015.

24  Cité dans S. Müller-Doohm, Jürgen Habermas, une biographie, Paris Gallimard, 2018, p. 393.

25  Id., p. 394.

26  J. Habermas, Vorwärts, janvier 2012, cité in Stefan Müller-Doohm, op. cit., p. 401.

27  « La Constitutionnalisation du droit international a-t-elle encore une chance ? », op. cit., p. 53.

28  Id., p. 34‑52.

29  Ibid., p. 55 : « L’État n’est pas un présupposé nécessaire de l’ordre constitutionnel ».

30  « L’État-nation a-t-il un avenir ? », in L’Intégration républicaine, op. cit., p. 154‑155.

31  Id., p. 155.

32  Sur la déconstruction des objections relativistes aux droits de l’homme et ses instrumentalisations, voir V. Pratt, op. cit., p. 133‑174.

33  « L’État-nation a-t-il un avenir ? », op. cit., p. 94.

34  L’interprétation de la Charte comme Constitution de la communauté internationale ne va pas de soi et est l’objet de débats. Habermas le souligne, même si pour sa part, il la comprend comme telle.

35  Sur la détermination précise des conditions de légitimation démocratiques des décisions de l’ordre politique mondial, voir l’article de Habermas, « Constitutionnalisation du droit international et problèmes de légitimation dans une société mondiale dotée d’une constitution », in Parcours 2, op. cit., p. 142 sq.

36  En raison, d’une part, du besoin de régulation internationale devenant de plus en plus pressant à mesure que les liens d’interdépendance entre les États se resserrent et, d’autre part, de l’impuissance grandissante de ces mêmes États à remplir leurs propres fonctions dans le contexte de la mondialisation, ce qu’Habermas appelle la Constellation postnationale lui apparaît favorable à tout le moins à l’avènement d’un ordre cosmopolitique futur.

37  Parcours 2, op. cit., p. 94.

38  C’est cette thèse que reprend Pierre-Marie Dupuy, cf. « Actualité du cosmopolitisme juridique : revenir à Kant pour mieux le dépasser ? », in Revue québécoise du droit international, hors-série juin 2015.

39  A. Renaut, Kant aujourd’hui, Paris, Aubier, 1997, p. 378‑380.

40  La même juxtaposition de points de vue se retrouve dans L’Idée d’une histoire universelle mais selon un ordre inversé, le point de vue théorique précédant le point de vue pratique.

41  Id., p. 91.

42  Ibid., p. 103.

43  L’Intégration républicaine, op. cit., p. 168.

44  Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique, trad. fr. S. Piobetta, in Opuscules sur l’histoire, Paris, GF‑Flammarion, 1990. p. 80.

45  Vers la paix perpétuelle, trad. J.‑F. Poirier et F. Proust, Paris, GF‑Flammarion, 1991, p. 91.

46  Idée d’une histoire universelle, op. cit., p. 86.

47  L’Intégration républicaine, p. 94 : « L’état cosmopolitique n’est plus un simple fantasme, même s’il est encore loin d’être achevé ». Cf. L’Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique, op. cit., p. 88 : « mais ce fil conducteur ouvrira encore une perspective consolante sur l’avenir où l’espèce humaine nous sera représentée dans une ère très lointaine sous l’aspect qu’elle cherche à revêtir ».

48  Cf. L’Intégration républicaine, op. cit., p. 176‑177 : « Le défi qu’ont représenté les catastrophes incomparables qui ont marqué le vingtième siècle a favorisé le développement de cette idée (l’idée de la paix perpétuelle par un ordre cosmopolitique) ».

49  U. Beck, Qu’est-ce que le cosmopolitisme ?, Paris, Aubier, 2006.

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Pour citer cet article

Référence papier

Olivier NAYAGOM, « Le cosmopolitisme selon Habermas : un dépassement du cosmopolitisme kantien ? »Philonsorbonne, 18 | 2024, 29-48.

Référence électronique

Olivier NAYAGOM, « Le cosmopolitisme selon Habermas : un dépassement du cosmopolitisme kantien ? »Philonsorbonne [En ligne], 18 | 2024, mis en ligne le 07 mai 2024, consulté le 08 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/philonsorbonne/2783 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11qzt

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