Mary Elizabeth Gallagher, Contagious Capitalism. Globalization and the Politics of Labor in China
Texte intégral
1Le livre de Mary Gallagher a un double objectif. Il vise d’une part à démontrer le rôle des Investissements directs étrangers (IDE) dans le processus de réformes économiques et d’autre part à remettre en cause la thèse d’une identité entre libéralisation économique et démocratisation politique. La première démonstration est réalisée de manière convaincante. Pour l’auteur, les IDE ont permis d’abord d’exercer une « pression compétitive » (competitive pressure) sur les autorités régionales. Celles-ci ont dû adopter des réformes, notamment en termes de législation du travail, pour attirer des capitaux. Les IDE ont ensuite constitué une sorte de laboratoire des politiques publiques, les mesures prises au bénéfice des investissements étrangers étant peu à peu étendues aux entreprises nationales. Enfin, ils ont permis une reformulation idéologique du régime qui conduit à un recentrage des préoccupations autour de la « propriété nationale ». Ce « state-led capitalist developmentalism» (Blecher) émergent fournit les outils nécessaires à une articulation entre capitalisme et intérêt social (national). Le capitalisme au service de la révolution… nationale.
2L’analyse est bien menée et les exemples nombreux. L’auteur montre notamment comment l’utilisation des IDE permet de contourner le bastion urbain et d’éviter l’apparition d’entreprises privées de taille importante, le changement d’attitude des cadres à partir du début des années 1990 ou encore les mécanismes qui conduisent à la dérégulation du marché du travail. On peut néanmoins faire deux séries de reproches à l’auteur. D’abord de traiter les IDE comme une catégorie unique. Or, on peut raisonnablement penser que les conséquences des investissements des entreprises qui perçoivent la Chine comme un marché et ceux des entreprises qui n’y voient qu’un atelier sont très différentes. Autrement dit, les investissements ne sont pas un simple flux, mais le vecteur d’ambitions et de stratégies qui déterminent pour une part l’avenir des entreprises chinoises. La deuxième critique porte sur la façon dont un certain nombre d’éléments sont traités. Ainsi, comme il est de coutume dans beaucoup de travaux anglo-saxons, le travail est traité d’une manière unidimensionnelle. Pour l’auteur, la situation actuelle des travailleurs migrants serait l’avenir des ouvriers du secteur public, sans voir que nous avons à faire à des populations très différentes et qui sont liées à des modes d’exploitation et des conditions politiques spécifiques. Le chapitre 5 qui traite de l’utilisation par les ouvriers de la loi pour lutter contre l’arbitraire patronal oublie de préciser qu’il s’agit pour l’essentiel de travailleurs migrants, les citadins étant plus souvent voués au chômage ou aux emplois réservés. De même la question des contradictions de « l’idéologie développementaliste » conduit l’auteur, d’une manière étonnante, à comparer le cas chinois aux « idéologies managériales qui prévalent dans les économies de marché » et qui seraient caractérisées par une « glorification de l’individu et l’hypothèse de l’acquisition des postes par le mérite ». Affirmation qui fait fi des variations historiques et des spécificités nationales des « idéologies managériales ».
3En réalité, ces critiques ne sont pas sans relation avec la très faible valeur heuristique de la deuxième thèse – le contraste « nécessaire » entre libéralisme économique et autoritarisme politique – que défend l’auteur. Dans l’un et l’autre cas, un certain « flottement théorique » limite la portée de l’analyse1. D’abord, la critique de la thèse selon laquelle libéralisme économique égale démocratisation n’est pas nouvelle et a donné naissance à une abondante littérature – que l’on peut faire remonter aussi loin que Polanyi ou Braudel. Faut-il encore et toujours la remettre en cause ? De même, le fait que le développement du capitalisme conduit à un « brouillage des frontières » n’est pas nouveau2. Il n’y a ici rien de spécifique à la Chine.
4En fait, le constat qu’il n’existe pas de classe entrepreneuriale privée pose plus de problème qu’elle n’en résoud. Qu’est-ce qu’une classe entrepreneuriale privée : une force totalement extérieure à l’Etat et aux élites ? Un vecteur indispensable à la démocratisation ? Difficile d’en imaginer les contours tant on sait que dans tout capitalisme les rapports entre sphère privée et sphère publique, l’Etat et l’accumulation sont complexes et variables. Finalement, Mary Gallagher est victime de sa propre critique. En voulant montrer que l’identification entre libéralisme et démocratie ne fonctionnait pas en Chine, elle en justifie l’existence d’une manière plus générale. En substance, c’est l’absence d’une classe entrepreneuriale privée qui empêcherait la Chine de connaître la démocratie.
Notes
Pour citer cet article
Référence électronique
Jean-Louis Rocca, « Mary Elizabeth Gallagher, Contagious Capitalism. Globalization and the Politics of Labor in China », Perspectives chinoises [En ligne], 95 | Mai-juin 2006, mis en ligne le 28 mai 2007, consulté le 14 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/perspectiveschinoises/989
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