David P. Fidler, SARS, Governance and the Globalization of Disease
Notes de la rédaction
Traduit de l’anglais par Nicolas Ruiz-Lescot
Texte intégral
1Le souvenir de l’épidémie du SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère) survenue en 2003 est encore présent dans tous les esprits. Cet ouvrage examine le système de gouvernance qui a permis un contrôle de la crise sanitaire en un temps record. David Fidler a achevé son manuscrit en août 2003, soit à peine deux mois après que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) eut levé son état d’alerte mondiale. Une nouvelle épidémie de SRAS peut se déclarer, avertit l’auteur, en espérant que son ouvrage sera utile.
2Indéniablement, la lutte contre le SRAS fut un succès. Moins de quatre mois après la première alerte mondiale lancée par l’OMS, la maîtrise de l’épidémie semblait proche car sa propagation était partout contenue. Fidler retrace la série d’événements qui ont entraîné la propagation d’une maladie inconnue à partir d’un étage de l’hôtel Metropole à Hong Kong : l’alerte immédiate lancée par l’OMS, les recommandations pour les voyageurs, les mesures d’isolement mises en place, la course des scientifiques pour identifier l’agent de l’épidémie et les efforts mondiaux pour endiguer le SRAS appartiennent maintenant à l’histoire.
3Ce succès, selon Fidler, révèle un changement de paradigme. Nous sommes passés, écrit-il, d’un système westphalien de gouvernance sanitaire à un système post-westphalien. Le premier était peu interventionniste. Lors des épidémies de choléra, au tout début du XIXe siècle, les grandes puissances se préoccupaient surtout de minimiser des mesures de quarantaine désordonnées, qui entravaient les échanges commerciaux. Lors de la première conférence internationale sur la santé en 1851, les accords se limitèrent à la notification et au contrôle de trois maladies : le choléra, la fièvre jaune et la lèpre, des maladies « asiatiques » importées en Europe par le commerce maritime. En revanche, la malaria ne fut jamais à l’agenda des conférences internationales sur la santé au XIXe siècle. Cette maladie était endémique en certaines régions d’Europe, et toute limitation affectant la souveraineté d’un Etat européen était alors impensable.
4Les efforts menés aujourd’hui pour contenir les maladies infectieuses sont confrontés à des obstacles similaires. Les gouvernements ratifient des traités internationaux sur les questions de santé, mais les ignorent souvent. Dans quelle mesure le système de gouvernance sanitaire qui prend des mesures transfrontalières est-il mondial, ou post-westphalien? Selon Fidler, le changement principal tient à ce que l’information circule aujourd’hui librement à travers les frontières, et que les gouvernements ont perdu le droit exclusif de signaler les épidémies, puisqu’ils partagent désormais ce pouvoir avec les Organisations non gouvernementales (ONG).
5Néanmoins, dans le cas du SRAS, l’alerte mondiale et le filet de sécurité lancés par l’OMS furent loin d’être instantanés, ni même simultanés. De véritables efforts collectifs furent menés, avec rapidité et efficacité après que l’alarme eut été donnée. Mais avant cela, l’épidémie de SRAS s’était propagée dans le sud de la Chine vraisemblablement pendant plusieurs mois. Nous ne saurons probablement jamais ce qui s’est exactement passé, puisque les informations sensibles ne circulent pas librement entre la Chine et l’extérieur, et même à l’intérieur du pays. Par ailleurs, les ONG locales et étrangères subissent des restrictions, car elles sont considérées avec méfiance par le gouvernement chinois. La Chine commença par nier l’existence du problème, jusqu’à ce qu’un médecin militaire en retraite oblige le gouvernement à affronter ses responsabilités.
6Le chapitre de Fidler sur la Chine échoue à prendre en compte la complexité des questions hongkongaises et taiwanaises. On a ici le cas d’un pouvoir puissant, qui s’est opposé à une opinion publique inquiète de la situation du SRAS à Hong Kong et s’est efforcé de maintenir les autorités sanitaires taiwanaises hors du circuit d’endiguement de l’épidémie. Envisager ces questions aurait sans doute affaibli la thèse de l’auteur de la non-pertinence de frontières, fussent-elles intérieures, dans la gouvernance sanitaire mondiale.
7Tout aussi discutable est l’opinion de l’auteur selon laquelle l’OMS « désenchaînée » aurait été soudainement en mesure de dicter ses volontés aux gouvernements, y compris les plus puissants. Que les Etats-Unis, malgré des réticences, n’aient pu résister au zèle de l’OMS n’est pas crédible. L’idée que l’administration américaine ait été intimidée par l’OMS, malgré des désaccords avec son approche, laisse perplexe. Dans la mesure où l’administration Bush se préparait à envahir l’Irak, il est plus vraisemblable que les Etats-Unis aient souhaité éviter une controverse de plus. L’avenir dira si, face à de nouvelles crises sanitaires, l’OMS aura ou non les mains libres pour réagir.
8David Fidler souligne que le contrôle de l’épidémie constitua un bien général. Tout le monde en est d’accord. A l’évidence, chacun s’est senti menacé par un mal qui frappait indistinctement riches et pauvres, Nord et Sud, Est et Ouest, en un temps record. Mais qu’est exactement le bien général en matière de santé ? Selon Fidler, c’est ce qui est bénéfique à plus d’une région ou plus d’un continent. De manière surprenante, il mentionne que la malaria, qui affecte des centaines de millions de personnes en Afrique et en Asie et tue un million d’individus chaque année, n’est pas considérée comme un fléau mondial puisque sa circulation transfrontalière reste faible1. Ce qui peut laisser penser qu’une maladie doit menacer sérieusement les populations riches pour être reconnue comme mondiale. Si une conception aussi étroite du bien sanitaire général devait prévaloir, ce serait assurément une mauvaise nouvelle pour les millions de personnes victimes de la malaria, de la maladie du sommeil, des leishmanioses et autres fléaux des pays pauvres.
9Au-delà du SRAS, cet ouvrage soulève d’importantes questions. Quelle est la meilleure manière de se préparer aux épidémies mortelles, inévitables selon l’OMS ? On ne partage pas forcément l’optimisme et l’enthousiasme de Fidler pour l’utopie post-westphalienne, mais son livre est d’une lecture agréable et donne à réfléchir.
Notes
Pour citer cet article
Référence électronique
Alain Guilloux, « David P. Fidler, SARS, Governance and the Globalization of Disease », Perspectives chinoises [En ligne], 92 | novembre-décembre 2005, mis en ligne le 16 mai 2007, consulté le 23 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/perspectiveschinoises/938
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