Navigation – Plan du site

AccueilLes numéros92Lectures critiquesZhang Liang, La Naissance du conc...

Lectures critiques

Zhang Liang, La Naissance du concept de patrimoine en Chine XIXe-XXe siècles

Paris, Editions Recherches/Ipraus, 2003, 287 p.
Dorothée Rihal

Texte intégral

1On attendait depuis longtemps un ouvrage de référence sur le concept de patrimoine1 en Chine, c’est ce que nous offre Zhang Liang dans ce travail issu de sa thèse2. Cette publication arrive à point nommé dans un contexte de modernisation accélérée de la Chine et d’inscription du pays dans les politiques mondiales du patrimoine. Si la notion de patrimoine dans la civilisation chinoise avait interpellé des observateurs occidentaux comme Simon Leys ou Victor Segalen, aucune recherche véritable au niveau conceptuel n’avait été menée jusqu’ici. La qualité principale de l’auteur pour mener à bien son travail, comme l’indique Pierre Clément dans sa préface, est d’être « un architecte chinois mais chercheur “français” ». Il s’interroge sur les fondements de la pensée chinoise sur le patrimoine du point de vue de la recherche occidentale, et les références européennes sont constantes (Françoise Choay par exemple). Sa recherche intéressera architectes, urbanistes, géographes et historiens, et d’une manière générale toutes les personnes soucieuses de comprendre la pensée chinoise.

2Le culte de la mémoire en Chine ne s’exprime pas avec la même déférence pour les constructions prestigieuses qu’en Europe. Zhang Liang donne un éclairage sur les liens profonds et originaux qui unissent les Chinois à leur architecture ancienne et à leur patrimoine. Il s’est interrogé sur les questions de l’authenticité et de la figure, des représentations et de la culture immatérielle et vivante. Il s’est également penché sur les débats concernant le style (WW, fengmao) et les particularités (WW, tese). L’ouvrage expose l’histoire de l’appropriation du concept de patrimoine matériel en Chine, à partir de l’introduction de l’architecture occidentale. Cinq chapitres retracent un siècle d’histoire du concept de patrimoine historique bâti en Chine. L’auteur analyse la façon dont les Chinois ont réinterprété leur propre héritage. Dans un contexte où les notions de modernité et d’identité sont au cœur des débats, il décrit le passage de la modernité à la modernisation, de la naissance du monument historique à la genèse du patrimoine urbain. Zhang Liang distingue quatre étapes : le réveil de la conscience dans la « modernité », l’acceptation du monument historique, l’acceptation de la ville musée, et le patrimoine urbain à l’ère de la « modernisation ».

3Ce livre constitue un ouvrage de référence très utile : il est doté d’une bibliographie fournie, avec une majorité d’ouvrages chinois, et d’une « chronologie des faits, textes et “événements” relatifs au champ patrimonial, 1867-2000 », reprenant les principaux textes législatifs. Il s’appuie sur un travail théorique comme sur l’analyse de cas concrets présentés à l’appui de plans et photos (65 illustrations). Il envisage à la fois le rôle des intellectuels et de la recherche universitaire ainsi que les étapes de l’élaboration d’une politique du patrimoine, montrant ainsi que l’évolution est le fait d’architectes mais aussi d’administrateurs. La lecture des différents chapitres montre comment la prise de conscience est née dans le tumulte des débats idéologiques. L’étude repose sur une analyse précise du vocabulaire du patrimoine en Chine et de son évolution. A cet égard, un glossaire fait cruellement défaut, l’absence de caractères chinois est parfois gênante, surtout quand quelques erreurs de pinyin se glissent dans le texte. D’une manière générale, dans un travail qui souligne le rôle des acteurs et s’appuie sur des études de cas précis, l’abondance des noms propres justifierait le recours au chinois.

4L’auteur a choisi de commencer son étude par la réaction chinoise à l’introduction de l’architecture occidentale. L’accent est mis sur la réforme urbaine au début du XXe siècle, ainsi que sur l’importation des modèles occidentaux. On suit ensuite l’évolution à partir des réformes de 1901 et du système de gestion urbaine de Zhu Qiqian qui élabore un règlement adoptant les valeurs occidentales. Zhang Liang décrit les années 1920 comme celles de l’ère du patrimoine national. Il souligne le rôle de la « Société d’études sur les constructions chinoises », fondée en 1930 par Zhu Qiqian et sa contribution majeure à la naissance du monument historique chinois. Un travail de recensement, de relevés et de plans, tout comme la redécouverte de traités (WWWW, Yingzao fashi) ou l’édition d’un dictionnaire d’architecture participent à la création de l’histoire de l’art et de l’architecture en Chine. Les rôles de Liang Sicheng et de Liu Dunzhen sont mis en évidence. Si la conceptualisation du monument historique par Liang Sicheng n’a pas eu d’influence immédiate sur la protection du patrimoine, elle a néanmoins concouru à la conception de nouveaux monuments publics et a participé à la « renaissance chinoise ». C’est dans ce contexte que Lü Yanshi a créé le monument nationaliste. Ainsi, la première moitié du XXe siècle a vu l’instauration du concept moderne chinois de patrimoine bâti et l’invention du concept de ville célèbre d’histoire et de culture. Situation paradoxale, les destructions commencent au moment de la prise de conscience de la nécessité de la protection du patrimoine, c'est-à-dire avec la reconstruction de 1949. Le concept de ville socialiste s’oppose à celui de ville-musée et le communisme a raison du culturalisme. Par une étude précise du cas de Pékin et de la politique d’urbanisme qui suit immédiatement la fondation de la République populaire, Zhang Liang montre comment Liang Sicheng définit la notion du patrimoine urbain, mais échoue dans ses tentatives de protection de celui-ci face aux conseillers soviétiques. On peut regretter que la période de la Révolution culturelle n’ait pas été évoquée, car elle représente une rupture dans l’évolution générale décrite, et son analyse aurait pu fournir des éléments de réponse quant à la définition du concept de patrimoine en Chine.

5Les deux derniers chapitres sont consacrés à la période post-1978. L’auteur s’écarte de l’étude conceptuelle pour faire une plus belle part aux études de cas et à l’analyse de la politique en matière de protection du patrimoine. Tandis que la modernisation menace les villes traditionnelles, la protection de celles-ci se met en place avec la création d’une série de dispositifs : secteur historique sauvegardé, zone de paysage, ville de paysage d’eau et de montagne. La première liste nationale des villes célèbres d’histoire et de culture et la loi sur la protection du patrimoine sont promulguées en 1982. L’auteur insiste sur le rôle du Comité d’étude de l’histoire de l’architecture (qui reprend le travail de la Société d’études sur les constructions chinoises), et s’interroge sur la question de la forme nationale, ainsi que sur le critère de style (fengmao). L’étude du contre-exemple du quartier de Liulichang à Pékin (1978), modèle du pastiche, montre comment l’imagination peut encore l’emporter sur la réalité matérielle. La notion de secteur historique sauvegardé s’affirme peu à peu, mais n’a pas de statut au niveau national. Pour la première fois, la notion de « patrimoine urbain » est évoquée dans les années 1980 au cours de la rénovation du quartier de Chaoyang. Dans un contexte de tension entre les intérêts publics et privés, sont forgées les notions de « secteur historique sauvegardé » et de « zone de protection du patrimoine historique et culturel ». Deux études détaillées, l’une de la ville de Tunxi (Huangshan shi) dans l’Anhui, l’autre de la rue Ju’er hutong à Pékin servent de référence. Zhang Liang conclut en précisant qu’il n’y a pas encore un vrai changement intellectuel dans les champs de la conception architecturale et urbaine hors des zones protégées et que cette tâche reste à accomplir.

6Grâce à une information fournie, ce travail permet d’appréhender sous un nouveau jour l’évolution générale du patrimoine aux XIXe et XXe siècles en Chine, que ce soit au niveau conceptuel ou opérationnel. On peut cependant discuter le point de vue de l’auteur qui présente l’émergence du concept de patrimoine comme une réaction à l’introduction de l’architecture occidentale. Le lecteur de la Naissance du concept de patrimoine en Chine attend un peu plus qu’une introduction sur la conception chinoise de l’authenticité et de la ruine. C’est l’adoption de la conception occidentale du patrimoine historique bâti qui est décrite ici, et le terme « naissance » suppose d’une absence de notion de patrimoine en Chine avant l’introduction de l’architecture étrangère. Une analyse sur la perception chinoise du patrimoine avant l’introduction des concepts occidentaux aurait été éclairante pour nourrir la réflexion sur les fondements de la perspective chinoise sur le patrimoine. L’ouvrage n’en reste pas moins une contribution majeure.

Haut de page

Notes

1 Il complète l’ouvrage de Jocelyne Fresnais, La Protection du patrimoine en République populaire de Chine, 1949-1999, Paris, éditions CTHS, 2001.
2 Thèse de doctorat de l’université Paris VIII soutenue en 2001 et intitulée « De la modernité à la modernisation : la genèse du patrimoine historique bâti en Chine, 1900-1998 ».
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Dorothée Rihal, « Zhang Liang, La Naissance du concept de patrimoine en Chine XIXe-XXe siècles »Perspectives chinoises [En ligne], 92 | novembre-décembre 2005, mis en ligne le 16 mai 2007, consulté le 23 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/perspectiveschinoises/935

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search