Les rapports de force en Asie, un défi pour l’Europe ?
Résumé
Les relations internationales en Asie, sous les apparences de l’intégration régionale, demeurent régies par les principes du réalisme et des rapports de force. La situation stratégique en Asie se trouve donc dominée par une dynamique des tensions, essentiellement autour du pivot chinois, dont les conséquences sont une tendance au renforcement des capacités militaires et l’imposition de choix difficiles aux acteurs regionaux ou extra-régionaux. Cette absence d’évolution, en dépit des bouleversements qui ont suivi la fin de la guerre froide, constitue un véritable défi pour une Europe qui au contraire tente de se construire selon des principes totalement nouveaux.
Plan
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1Les relations internationales en Asie, derrière les apparences d’une globalisation réussie, offrent la particularité d’être toujours régies par les conflits de puissance et les principes de la realpolitik ; en témoigne le renforcement continu des arsenaux conventionnels et nucléaires dans la région, tout particulièrement en Chine et au Japon1. La fin de la guerre froide et l’autonomisation stratégique qui en a découlé ont autorisé l’expression plus brutale d’ambitions anciennes appuyées sur des moyens matériels nouveaux2. En dépit du discours dominant sur les progrès de la régionalisation et de l’intégration économique, les violents incidents anti-japonais qui ont eu lieu dans les grandes villes chinoises au mois d’avril 2005 attestent de cet état de fait. Les déclarations inquiètes du ministre japonais des Affaires étrangères, Aso Taro, devant la montée en puissance de la Chine, ont brutalement mis en évidence le poids et le caractère déstabilisateur des rivalités de puissance dans la zone.
2Ces rivalités semblent par ailleurs se radicaliser sous l’influence d’un régime chinois idéologiquement sur la défensive qui retrouve dans une thématique agressivement nationaliste un facteur traditionnel de légitimation. Face à cette puissance chinoise « dure », qui repose sur le développement économique du pays, mais aussi sur la capacité de nuisance militaire – nucléaire notamment – dont Pékin n’hésite pas à menacer Taiwan ou même les Etats-Unis3, on assiste à un phénomène préoccupant de « durcissement » des puissances indienne et surtout japonaise. Jusqu’à la fin des années 1980, le Japon cherchait à s’affirmer comme une puissance « douce » (soft power)4, élaborant une stratégie de sécurité globale reposant sur des encouragements à la régionalisation, à la démocratisation, ainsi qu’une utilisation maîtrisée des programmes d’aide au développement, et la minoration des éléments militaires de la sécurité. Mais la montée des menaces nord-coréennes et chinoises, vivement ressentie dans un archipel qui voulait se croire jusqu’alors sans ennemis, a entraîné un regain d’intérêt pour l’acquisition de moyens d’action militaire efficaces. Aujourd’hui, en Asie, la spirale semble aller dans le sens des tensions plutôt que dans celui, plus vertueux, de l’évolution en douceur des régimes les moins démocratiques de la région.
3Dans le monde occidental – et notamment au sein des pays de l’Union européenne – la persistance d’un cadre d’analyse classique des relations internationales dans la région se cache derrière deux conceptions erronées. La première est celle de l’illusion de l’identité, qui pousse à plaquer un modèle d’analyse extérieur sur une réalité politico-stratégique profondément différente. La réalité contredit les thèses post-modernes de la fin de l’histoire, et du choc des civilisations qui, dans une méconnaissance absolue de la situation stratégique régionale, rassemblent dans un même ensemble un monde confucianiste sino-japonais en réalité profondément divisé.
4En Asie, comme le soulignait récemment un analyste indien citant Nixon et Kissinger, « la voie de la paix passe [toujours] par les rapports de force », et ce d’autant plus que, pour la République populaire de Chine (RPC) – qui, si elle n’est pas encore centrale en termes de puissance, l’est devenue en termes de potentiel de nuisance –, la conception marxiste-léniniste du conflit permanent demeure d’actualité5.
5Une seconde fausse grille d'analyse est induite par le fait que le discours dominant sur les progrès de la globalisation et de l’intégration est repris par les acteurs régionaux eux-mêmes. Ce discours permet de « cacher les couteaux derrière les sourires » (cao li cang dao)6 en se pliant aux règles politiquement correctes du discours sur la transformation des relations internationales.
6En Asie, les progrès de l’interdépendance économique, indéniables, vont de pair avec un repli stratégique sur des intérêts strictement nationaux de la part de certaines puissances, aux premiers rangs desquelles la République populaire de Chine. Au niveau régional, l’interdépendance économique progresse, les projets de zones de libre-échange se multiplient, même si ces projets sont aussi le champ d’expression des rivalités de puissances. Au niveau politique, les structures de dialogue régionales et sub-régionales prolifèrent, de l’ARF (ASEAN Regional Forum) aux formats ASEAN, ASEAN+1 ou ASEAN+3, en passant par l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), le forum de Boao, le SAARC, le dialogue à six sur la Corée du Nord – que certains auraient voulu pérenniser en forum de dialogue sur la sécurité en Asie du Nord-Est –, l'APEC, l’ASEM ou la toute nouvelle « Conférence de l’Asie orientale » dont le premier sommet à Kuala Lumpur, le 14 décembre 2005, a essentiellement mis en évidence les limites. On assiste donc à une inflation institutionnelle de structures bilatérales, multilatérales, régionales, extrarégionales, « track 1 » ou « track 2 » dont l’une des principales caractéristiques demeure le déficit d’efficacité en période de crise, comme l’ont démontré le tsunami du 26 décembre 2004 ou le tremblement de terre au Pakistan à l’automne 2005. Cette multiplication de structures témoigne en réalité de la persistance de rivalités irréductibles derrière les apparences du multilatéralisme. Chaque puissance tente de contrôler le dialogue régional.
7Alors que le discours sur l’intégration est le seul admis dans les instances internationales pour qui se veut responsable, ce thème est devenu un objet de réflexion majeur en Chine, où il rejoint d’ailleurs un discours et une préoccupation plus anciens sur « la fin des vieux modèles de rapports de puissance issus de la guerre froide ». Cette réflexion s’inscrit dans les débats qui se sont développés autour des concepts « d’émergence pacifique » (heping jueqi) ou de « développement pacifique » (heping fazhan) .7
8Conjugués, ces éléments de discours sur l’émergence pacifique de la Chine et les progrès de l’intégration régionale, ont pour objectif de recréer, autour du pôle chinois, une sphère asiatique excluant toute ingérence extérieure, au premier rang celle des Etats-Unis. De ce fait, et en contradiction avec les déclarations officielles, les situations d’interdépendance sont en réalité perçues par le pouvoir chinois comme un facteur de faiblesse. Plus préoccupant, il semble que, pour la nouvelle équipe au pouvoir, la priorité soit aujourd’hui à l’affirmation des « intérêts du pays » censés être insuffisamment pris en compte par les puissances extérieures. Sont particulièrement visés par cette nouvelle orientation politique l’Union européenne sur la question de la levée de l’embargo sur les ventes d’armes, ou les ambitions plus affirmées du Japon sur la scène internationale.
9C’est également dans ce cadre que s’inscrit l’adhésion proclamée de la Chine aux théories concernant l’émergence de nouveaux risques « multilatéraux » (trafics divers, santé publique, environnement, catastrophes naturelles et même terrorisme), dont l’avantage premier est de contribuer à voiler les rivalités traditionnelles, et à nourrir le discours consensuel énoncé au sein des multiples forums8.
Un champ de rivalités
10Derrière le discours consensuel fondé sur le plus petit dénominateur commun de la recherche d’un environnement « stable et pacifique favorable au développement économique », les rivalités se renforcent et façonnent l’ensemble des relations non seulement au sein de la région, mais également entre la région et le monde extérieur.
11On trouve dans la zone plusieurs types de conflits, anciens ou plus récents, qui ont tendance à se nourrir l’un l’autre. Dans la liste des « couples conflictuels », on compte l’Inde et la Chine, la Chine et le Japon, le Japon et la Russie, mais également la Russie et la Chine, l’Inde et le Pakistan, la Chine et le Vietnam, le Japon et la Corée du Nord, la Chine et la Corée du Sud, et bien entendu la Chine et les Etats-Unis, et même – dans une certaine mesure – la Chine et la Corée du Nord9. S’y ajoutent des conflits « internes » comme la question de Taiwan ou le conflit entre les deux Corées qui, hérités d’une autre époque, s’insèrent dans les enjeux de puissance d’aujourd’hui, retrouvant une nouvelle logique qui dépasse celle des conflits de la guerre froide. On se trouve donc face à un nœud de conflits divers qui toutefois, si on les hiérarchise en fonction de leur caractère permanent, et non en fonction de leur degré de tension actuel, tournent tous pour l’essentiel autour du pôle structurant de la RPC.
12Dans ce contexte, deux couples conflictuels dominent le paysage stratégique asiatique, qui répondent à une logique autonome, mais structurent aussi les rapports de force au niveau régional et même extrarégional. Il s’agit du couple sino-indien d’une part et du couple sino-japonais d’autre part. Si les relations entre la Chine et l’Inde se trouvent dans une phase de réchauffement, pour des raisons de priorités stratégiques déterminées par la Chine, dans le cas du couple sino-japonais, au contraire, elles sont dans une phase préoccupante de tension croissante dont témoigne la multiplication des incidents10.
13La rivalité entre la Chine et le Japon repose sur une opposition radicale de deux conceptions du retour à la « normalité » qui s’excluent mutuellement. Pour la première, les prétentions du Japon à jouer un rôle politique, même en matière de sécurité, sur la scène internationale ne sont pas acceptables dans la mesure où elles remettent en cause un ordre du monde favorable aux intérêts de Pékin, basé sur la légitimité et la supériorité de la puissance politique de la RPC face à la puissance économique du Japon. La candidature de Tokyo à un siège de membre permanent du Conseil de sécurité est toujours rejetée par Pékin en raison des conséquences immédiates en termes de rapports de force et plus encore d’image de puissance en Asie11.
14L’affirmation de la puissance de la Chine, la capacité à interdire l’émergence de puissances rivales, participent au processus de légitimation du système politique chinois. L’affirmation de la puissance chinoise à l’extérieur est destinée à témoigner de la puissance du pouvoir à l’intérieur. La mission auto-assignée du Parti communiste chinois est de défendre la puissance de la Chine, dernier refuge de sa légitimité et dernier moyen de se distinguer des régimes dénoncés comme corrompus et faibles des dernières années de l’Empire ou de la République nationaliste12. Contrairement à ses prédécesseurs, le Parti communiste prétend donc rétablir la puissance chinoise dans toute sa gloire et interdire toute ingérence extérieure13.
15Ce faisant, au fur et à mesure de l’émergence de la Chine, un système de relations internationales fortement générateur de crises, fondé sur les rapports de force, s’est mis en place en Asie. De son côté, Tokyo s’inquiète de l’émergence d’une puissance chinoise pour qui le retour à la normalité serait le retour à un ordre du monde du passé, fondé sur l’acceptation, en Asie, de la légitimité du retour au sino-centrisme. Une puissance chinoise pour qui le Japon est érigé en bouc émissaire des insuffisances et des frustrations du régime. Ces rivalités de puissance ont trois conséquences concrètes : l’importance accordée au renforcement des capacités militaires ; l’implication, volontaire ou contrainte, des puissances extérieures dans le jeu des rivalités régionales ; un jeu diplomatique qui vise à constituer des systèmes d’alliances et de contre-alliances
Trois conséquences
Le développement des capacités militaires
16En Chine, le développement des capacités militaires pourrait devenir un objectif prioritaire à égalité au moins avec celui de la croissance économique dans un retour à la théorie classique du fu guo qiang bing (pays riche, armée puissante) élaborée par les légistes14.
17De fait, la RPC développe activement les éléments de puissance militaire. Ses capacités nucléaires et balistiques n’ont cessé de se renforcer depuis la fin de la guerre froide en dépit de la disparition des menaces qui pèsent sur la RPC, même si globalement – et notamment face aux Etats-Unis – les capacités conventionnelles de la RPC demeurent limitées.
18De son côté, le Japon renforce également, dans les limites constitutionnelles, ses capacités militaires défensives, y compris celle de la dissuasion par l’interdiction (dissuasion by denial) ; le projet de Ballistic Missile Defense (BMD) est orienté autant vers les capacités balistiques de la RPC que vers celles de la Corée du Nord. Dans le même temps, le nouveau National Defense Program Outline publié au mois de décembre 2004 par l’agence de défense mentionne pour la première fois la République populaire de Chine comme une menace directe « à suivre avec attention », et non plus potentielle ou indirecte, en raison du renforcement de ses capacités balistico-nucléaires ainsi que de ses capacités navales et aériennes15. Plus préoccupant pour Pékin, le 10 février 2005, Tokyo et Washington ont publié une déclaration incluant la solution pacifique de la question de Taiwan au nombre de leurs préoccupations stratégiques communes.
19Tokyo tente de renforcer son statut de puissance militaire. C’est le sens qu’il faut donner aux déploiements militaires dans l’océan Indien dans le cadre de la lutte contre le terrorisme aux côtés des Etats-Unis, ou encore en Asie du Sud-Est pour des missions humanitaires à la suite du tsunami16. Ainsi le Japon, en réaction à une Chine perçue comme de plus en plus agressive, privilégie-t-il progressivement le principe d’une « défense effective » sur celui d’une « capacité minimum ». De la même manière, l’Inde avait justifié ses essais nucléaires de 1998 par la nécessité de répondre à la menace chinoise.
L’implication des puissances extérieures
20En dépit de la fin de la guerre froide et d’une tentation récurrente de retrait ou de désengagement, les attentes régionales vis-à-vis de la puissance militaire américaine comme facteur de stabilisation se sont renforcées. Pour le Japon, la réaffirmation du caractère vital des accords de sécurité avec les Etats-Unis est constante et passe par l’octroi de gages, comme l’envoi de troupes en Irak, en dépit des oppositions internes et des doutes de Tokyo quant à la stratégie choisie. Ce maintien des alliances héritées de la guerre froide est constamment dénoncé par Pékin qui s’inquiète de la poursuite de l’engagement américain dans « sa » zone, notamment en Asie du Sud-Est et aux côtés de Taiwan.
21Si les Etats-Unis se trouvent engagés au premier chef, les puissances européennes le sont également bien qu’à un degré moindre. Leur engagement se limite généralement au champ du politique, même si la nécessité de nourrir un véritable partenariat stratégique est désormais évoquée. L’idée même de dialogue euro-asiatique peut se trouver remise en cause, l’Union européenne (UE) ou les puissances européennes, en dépit de leurs réticences et d’analyses qui tendent à privilégier le consensus, étant sommées de choisir entre d’un côté la puissance chinoise émergente et de l’autre les « rivaux » de Pékin. C'est ce qu’ont démontré les débats sur la levée de l’embargo sur les ventes d’armes à la Chine. Ces débats ne sont pas que l’expression de pressions américaines, mais reflètent également des préoccupations stratégiques notamment au Japon. La question de l’embargo a d’ailleurs souligné la nécessité d'un dialogue entre l’UE et le Japon, pays qui privilégiait jusqu’alors un dialogue exclusif avec les Etats-Unis sur les questions de sécurité.
22Enfin, les tensions récentes autour du choix de partenariat énergétique de la Russie entre Tokyo et Pékin montrent que Moscou peut également se trouver impliquée dans cette problématique du choix 17.
Les jeux diplomatiques régionaux
23Les rivalités entre puissances s’expriment enfin au travers des jeux diplomatiques qui se mettent en place au niveau régional et qui peuvent se traduire par une instrumentalisation des acteurs locaux. Qu'ils le souhaitent ou non, les partenaires de Pékin, de Tokyo ou de New Delhi se trouvent impliqués dans des jeux d’alliances et de contre-alliances dont ils peuvent tirer parfois profit, particulièrement si la présence américaine en tant qu’arbitre ultime des rapports de force est maintenue.
24Pour la Chine, il s’agit de mettre en œuvre une stratégie régionale dont l’objectif serait de réduire l’influence des Etats-Unis dans la zone. Des réflexions sont en cours sur un nouvel « asiatisme », reprenant les principes d’exclusion des forums régionaux qui avaient précédé la crise de 1998, tels les projets du East Asian Economic Caucus du Premier ministre de Malaisie Mahathir et rencontrant de ce fait les mêmes difficultés de mise en œuvre auprès des puissances comme le Japon, attachées au maintien d’un fort engagement des Etats-Unis dans la zone. La question du format de la Conférence de l’Asie orientale qui s’est tenue au mois de décembre 2005 à Kuala Lumpur, intégrant l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Inde, mais pas les Etats-Unis, souligne ces divergences d’intérêt et cette absence de vision commune asiatique sur les questions de sécurité.
25Au niveau strictement régional, il s’agit pour Pékin de tisser des alliances en fonction d’une analyse des priorités stratégiques ou, comme l’aurait écrit Mao Zedong, en fonction des contradictions principales et secondaires. Ainsi l’Inde, aujourd’hui menace secondaire, est courtisée, même si Pékin n’a pas renoncé à ses partenariats privilégiés avec le Pakistan et la Birmanie, moyens traditionnels de contrôle de la puissance indienne. Le Japon apparaît, au contraire, de plus en plus comme une menace principale, en dépit de la coopération économique étroite entre les deux pays18.
26De son côté, New Delhi tente de se rapprocher de Tokyo, des pays d’Asie du Sud-Est et des Etats-Unis, tout en préservant des liens étroits avec Moscou. Si un dialogue stratégique a été engagé avec Pékin au mois de janvier 2005, et si le Premier ministre chinois Wen Jiabao s’est rendu en Inde au mois d’avril pour mettre en avant les complémentarités économiques entre les deux géants asiatiques, les tensions fondées sur une rivalité de puissance subsistent et les limites au rapprochement demeurent celles de la réticence chinoise à voir émerger en Asie des partenaires égaux qui viendraient concurrencer la position privilégiée de Pékin, notamment au Conseil de sécurité de l’ONU. Dans ce qui est interprété à Pékin comme une logique d'endiguement, New Delhi a envoyé des bâtiments dans le Pacifique, en mer de Chine du Sud, au Japon, au Vietnam, en Corée du Sud et aux Philippines, et a participé à des patrouilles dans le détroit de Malacca19. Simultanément, en dépit d’une volonté de rapprochement proclamé avec l’Inde, la Chine courtise toujours le Pakistan avec lequel un nouveau traité d’amitié a été signé, comportant notamment un important volet de coopération militaire avec le projet de développement en commun d’un nouvel avion d’entraînement, la construction par la Chine d’un nouveau port sur l’Océan indien et la fourniture par Pékin d’un second réacteur nucléaire pour la centrale de Chashma20.
27De même, l’ensemble de l’Asie du Sud-Est constitue un espace faisant l’objet d’offensives rivales de la part de Tokyo, de Pékin, et de New Delhi, notamment dans le domaine économique, avec les propositions rivales de mise en place de zones de libre-échange multilatérales ou bilatérales. Pour les pays de la région, les intérêts offerts par cette rivalité de puissance ne sont en théorie pas négligeables puisqu’ils offrent la possibilité de jeux triangulaires et de marchandages. Mais ces avantages ne pourront être exploités que si une présence extérieure, celle des Etats-Unis, assure un niveau d’équilibre suffisant dans la zone. Seuls les Etats-Unis sont perçus aujourd’hui comme étant véritablement capable d’interdire à la Chine de prendre une importance trop grande ou d’exercer des pressions trop fortes sur ses voisins.
28Dans une zone d’importance vitale en raison de son poids économique, les relations restent régies par des principes qui peuvent apparaître, particulièrement en Europe, comme obsolètes et fortement déstabilisateurs. L’Asie, gouvernée par une logique de rapports de force, échappe par ailleurs pour une large part au champ d’influence d’une Europe qui, contrairement aux Etats-Unis, ne peut offrir de garantie immédiate de sécurité et d’équilibre fondée sur la puissance militaire. La position européenne pourrait se révéler particulièrement inconfortable. La situation en Asie impose à l’Europe dont les responsabilités dans la zone demeurent limitées – bien plus qu’aux Etats-Unis dont la présence n’est fondamentalement pas contestée – de faire des choix, alors que son fonctionnement demeure marqué par la difficulté à élaborer une stratégie commune21. Dans une zone dominée par les rapports de force, seule une véritable puissance serait en mesure de jouer un rôle allant au-delà du discours ou de la simple recherche de coopérations économiques. Mais ce rôle ne peut passer que par l’acceptation et l’appréhension du décalage qui subsiste, en termes d’évolution stratégique, entre une Europe post-guerre froide et une Asie où les critères d’analyse de la guerre froide demeurent pertinents.
Notes
Pour citer cet article
Référence électronique
Valérie Niquet, « Les rapports de force en Asie, un défi pour l’Europe ? », Perspectives chinoises [En ligne], 92 | novembre-décembre 2005, mis en ligne le 01 décembre 2008, consulté le 25 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/perspectiveschinoises/932
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