Mary-Françoise Renart éd., China and its Regions. Economic Growth and Reform in Chinese Provinces
Texte intégral
1Ce livre rassemble des contributions à l’analyse des relations entre la croissance économique globale et les dynamiques régionales en Chine depuis le lancement des réformes. Les treize chapitres correspondent à des communications initialement présentées à un colloque qui s’eetait tenu en octobre 1998. La diversité et la richesse des analyses en fait un ouvrage de référence sur ce sujet. Il n’est pas question ici de les résumer toutes mais de rendre compte de celles dont les apports sont les plus originaux et convaincants.
2Le premier chapitre, « On Measurement of the Openness of the Chinese Economy » en fait partie. Les auteurs (Jean-Louis L. Combes, Patrick Guillaumont et Sandra Poncet) proposent une discussion stimulante sur les différentes méthodes pour mesurer l’ouverture aux échanges et aux capitaux étrangers de l’économie chinoise et la comparer à celle d’autres économies en développement. Cette analyse est ensuite prolongée au niveau provincial et fournit une image nouvelle de l’ouverture des provinces, qui prend en compte à la fois leurs échanges avec le reste de la Chine et leurs échanges avec l’extérieur, de 1985 à 1992. Elle aboutit au constat fort intéressant que l’ouverture sur l’extérieur des trois grandes régions (Côte, Centre, Intérieur) a progressé fortement mais que leur dépendance à l’égard des échanges avec le reste de la Chine a décru. L’accélération de échanges extérieurs s’est faite au détriment des échanges inter-provinciaux. Cette divergence a été particulièrement marquée dans les provinces côtières qui, en 1992, faisaient deux fois plus de commerce avec l’extérieur qu’avec les autres provinces.
3Le deuxième chapitre, « Social Consequences of Economic Reform in China : An Analysis of Regional Disparity in Transition Period » par Justin Yifu Lin, Fang Cai et Zhou Li, présente une étude de l’évolution des inégalités régionales de 1978 à 1995. Il montre que celles-ci ont augmenté depuis le milieu des années 1980, et que les principales causes de ces inégalités se situent, d’une part, dans les disparités entre les trois macro régions (Est/Centre/Ouest) et, d’autre part, dans les inégalités de revenus entre urbains et ruraux. Les inégalités interprovinciales sont les plus fortes dans la région Est mais elle tendent à se réduire. Comme moyen de promouvoir le rattrapage des provinces du Centre et de l’Ouest, les auteurs préconisent le développement des transports, des services et des industries rurales dans ces régions.
4Dans le chapitre 3 (Provincial Economic Growth in China : Causes and Consequences of Regional Differenciation), Barry Naughton donne une analyse lumineuse des raisons pour lesquelles on observe une convergence entre provinces jusque vers 1990 et ensuite une divergence. Il l’explique par l’érosion graduelle du système de redistribution et la lente réaffirmation des tendances réprimées dans la période d’avant les réformes. Dans un premier temps, l’apparente convergence est due à un double mouvement : les provinces les moins riches, qui sont à dominante rurale, ont bénéficié de l’augmentation des prix relatifs des produits agricoles alors que les provinces dont le revenu était artificiellement soutenu par les investissements publics ont pâti de l’effondrement de ces transferts. Dans un deuxième temps, il y a retour à la normale et les taux de croissance provinciaux sont déterminés par les dotations propres à chaque province et par leur compétitivité industrielle. L’auteur conclut qu’il n’y aura sans doute pas de retour à la convergence régionale car on ne peut escompter ni relèvement des prix agricoles ni augmentation de la capacité de redistribution de l’Etat. Il constate cependant certains signes de diffusion de la croissance économique de la région côtière vers les provinces avoisinantes, et plaide pour un accroissement des investissement dans les infrastructures qui faciliterait cette diffusion.
5Le chapitre 6 examine l’impact de l’accession de la Chine à l’OMC sur les inégalités internes. Fan Zhai et Shantong Li utilisent un modèle d’équilibre général calculable pour simuler les effets sur la croissance économique globale et sur la répartition des revenus de la libéralisation commerciale. L’article présente tout d’abord un description très fine de l’économie chinoise au milieu des années 1990, en terme d’ouverture et de distribution des revenus. Ensuite, l’exercice montre, sans surprise, que la libéralisation commerciale conduit à des gains de croissance, grâce à une allocation plus efficace des ressources internes (plus conforme aux avantages comparatifs du pays). L’essentiel des gains vient de la baisse de la protection du secteur agricole, qui se traduit par une baisse des prix agricoles internes. Cette baisse des prix entraîne une relative contraction de la production, de l’emploi et des revenus dans le secteur agricole. Les gains en termes de revenus pour les ménages sont donc très inégalement répartis et les disparités de revenus se creusent entre ruraux et urbains, les revenus des ménages urbains s’améliorent alors que ceux des ménages ruraux se dégradent, par rapport à un scénario de non accession à l’OMC. En même temps, la disparité des salaires entre travailleurs qualifiés et non qualifiés se creuse au profit des premiers. La libéralisation commerciale est donc favorable à la croissance mais a des effets contraires à l’équité. Les auteurs préconisent donc la mise en place d’une politique fiscale propre à atténuer ces conséquences. L’intérêt de ce type d’exercice n’est pas tant de fournir un chiffrage précis des évolutions mais de souligner le sens des changements structurels à attendre et de mettre en évidence la nécessité de politiques économiques correctrices. On notera que les travaux ultérieurs de ces deux auteurs ont prolongé leur analyse de l’impact de l’entrée de la Chine à l’OMC, et mis en évidence qu’il en résulterait un accroissement des inégalités régionales internes1.
6Wing Thye Woo livre, dans le chapitre 11, une analyse approfondie des heurs et malheurs des industries rurales au cours de la période de réforme et cherche à expliquer pourquoi, après avoir été les moteurs de la croissance, elles sont en perte de vitesse depuis la fin des années 1980. La principale explication réside pour l’auteur dans le fonctionnement du système financier, qui a privé les entreprises de bourgs et de villages de l’accès au crédit bancaire et a orienté les ressources financières vers le secteur d’Etat. L’épargne rurale a été ainsi détournée vers le financement de l’industrie urbaine. Contrairement à ce que l’on aurait pu escompter, le dynamisme des industries rurales qui s’est déployé dans les provinces côtières dès le début des années 1980 ne s’était pas encore propagé aux provinces du centre du pays au milieu des années 1990. Quelques indices cependant suggèrent que les industries rurales des régions de l’intérieur commencent à bénéficier d’un meilleur accès aux financements, une évolution que l’auteur attribue à des progrès de la dérégulation économique et à une clarification des droits de propriété dans ces provinces. Pour libéraliser le système financier et lui permettre d’allouer plus efficacement les ressources, l’auteur préconise de libérer les taux d’intérêt, ce qui faciliterait l’octroi de prêts au secteur privé, de mettre fin à l’attribution préférentielle des crédits aux entreprises d’Etat, d’ouvrir le secteur bancaire aux investisseurs privés et étrangers. On constate, en 2003, que ces préconisations sont toujours à l’ordre du jour et que leur mise en œuvre a encore peu progressé.
7Les regrets que l’on peut formuler à la lecture d’un tel livre sont ceux qui s’adressent à un ouvrage collectif qui regroupe les contributions d’auteurs différents. La diversité des approches contribue à la richesse de l’information et des analyses, mais elle laisse néanmoins regretter l’absence d’une vue d’ensemble sur l’évolution des dynamiques de développement régional en Chine depuis vingt ans. Une autre remarque concerne l’inévitable décalage dans le temps, entre la date de rédaction des contributions et celle de leur publication. Les analyses présentées au colloque, en 1998, s’arrêtent en général au milieu des années 1990, c’est-à-dire au sommet d’un cycle de croissance qui s’est depuis fortement ralenti. Depuis la fin des années 1990, les politiques de relance budgétaire et d’investissement public, les mesures prises en faveur du développement des provinces de l'Ouest, ont été de nature à freiner les divergences régionales. Mais par ailleurs, les progrès de l’ouverture associés à l’entrée de la Chine dans l’OMC ont sans doute accentué les faits saillants mis en avant dans cet ouvrage : l’avance inexorable des provinces côtières, leur intégration croissante dans l’économie mondiale, la tendance au relâchement des interdépendances économiques entre la côte et l’intérieur.
Notes
Pour citer cet article
Référence électronique
Françoise Lemoine, « Mary-Françoise Renart éd., China and its Regions. Economic Growth and Reform in Chinese Provinces », Perspectives chinoises [En ligne], 76 | mars - avril 2003, mis en ligne le 24 juillet 2006, consulté le 20 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/perspectiveschinoises/90
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page