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Lectures critiques

Flemming Christiansen, Chinatown, Europe. An exploration of overseas Chinese identity in the 1990s

Londres, New York, RoutledgeCurzon, 2003, 240 p.
Live Yu-Sion

Texte intégral

1Les études sur les Chinois d’Europe sont peu nombreuses, comme l’illustre la bibliographie de l’ouvrage de Flemming Christiansen. Ce livre comble une lacune importante. Il compte sept chapitres qui s’articulent autour de la problématique de l’identité. L’auteur rappelle, au début de son ouvrage, les thèses anthropologiques (primordialistes, instrumentalistes, culturelles…) sur la question de l’ethnicité, évoque les différentes politiques (intégration, assimilation…) adoptées dans les pays européens face à la présence d’étrangers sur leur sol, et surtout l’influence de ces politiques dans la structuration des Chinatowns.

2Il met ensuite en lumière les concepts élaborés sur l’identité chinoise. Les Chinois eux-mêmes définissent comme critère premier d’identification, l’héritage génétique. Cette filiation par le sang (xuetong) qui a servi de base au nationalisme ou au patriotisme, a longtemps présidé à la politique de la Chine à l’égard des Chinois d’outre-mer : est Chinois celui qui est né de parents chinois et qui a droit à la nationalité chinoise en vertu du jus sanguinis. Cependant, ce lien biologique ne fait pas l’unanimité parmi les Chinois d’Europe, son interprétation diffère d’une personne à l’autre et d’une situation à une autre. Pour se définir, les Chinois se réfèrent par ailleurs à leur village ancestral ou à leur région d’origine en Chine. Cet enracinement leur confère une identité locale ancrée dans un territoire précis.

3La langue parlée par chaque personne demeure toutefois le critère le plus pertinent pour distinguer l’appartenance à un groupe. Deux groupes linguistiques sont étudiés et cités comme exemples pour leur cohésion sociale et identitaire : les Siyi originaires du Guangdong (plus connus sous la prononciation cantonaise de Si-Yap) et les Qingtian du Zhejiang. Les différentes vagues et formes d’immigration chinoise dans les pays européens du XIXe siècle à nos jours (travailleurs sous contrat, étudiants, migrants économiques, migrants clandestins…) permettent d’appréhender l’hétérogénéité des origines géographiques et culturelles de la communauté chinoise d’Europe.

4En Europe, les lieux qui symbolisent le plus la présence chinoise sont les Chinatowns. Mais que représentent, pour les Européens, ces espaces urbains habillés de symboles culturels chinois ? Quel rôle et quelle fonction jouent-ils pour les Chinois qui y vivent ? Pour les Occidentaux, le mot Chinatown évoque tout un ensemble de representations, des plus fantastiques aux plus réelles (ghetto, péril jaune, drogue, mafia, concentration d’activités illégales…, mais aussi portiques ou arches à l’entrée des quartiers, danses du tigre et du dragon, kung-fu, pétards, défilés colorés lors des grandes fêtes traditionnelles, etc.).

5En retraçant l’évolution et le développement des quartiers chinois au cours des deux dernières décennies, Flemming Christiansen s’interroge sur le bien-fondé d’une telle vision. Il n’y a pas de Chinatowns dans les villes allemandes et les pays scandinaves. Les Chinatowns d’Europe, contrairement à celles des Etats-Unis ou d’Asie du Sud-Est, ne sont pas des enclaves ethniques regroupant une population renfermée sur elle-même, anaphalbète et non qualifiée. Elles sont ouvertes, et sont surtout utilisées par les leaders d’institutions communautaires dont l’objectif inavoué est d’offrir aux Européens une image conforme à leurs attentes, et de structurer les activités commerciales, sociales, culturelles, politiques ou économiques (exploitation commerciale des symboles culturels chinois, participation aux élections municipales, construction d’un foyer pour personnes âgées, organisation des fêtes traditionnelles, etc.).

6La pratique du commerce est l’un des moyens d’insertion économique pour les nouveaux migrants. L’organisation économique repose sur des réseaux de personnes et des structures institutionelles dont l’exemple le plus connu est le système de la tontine. De nombreux Chinois y ont recours pour constituer un capital et établir une entreprise commerciale. Mais la tontine est-elle spécifique aux Chinois ? Les Caraïbéens d’origine africaine déportés aux Antilles britanniques à l’époque de l’esclavage, ou les femmes maghrébines immigrées en France, ont aussi recours à ce système de crédit tournant pour commencer une affaire commerciale.

7D’après nous, lorsque les Chinatowns se parent d’institutions communautaires (associations, lieux de cultes, espaces de loisirs...), de néons multicolores en caractères chinois, d’exotisme architectural (arches ou portiques), etc., la compréhension des échanges entre Chinois et autorités politiques locales (municipalité, urbanisme…) ne se fait pas uniquement sur des explications culturelles ou psychologiques, mais par l’interprétation des situations en cours, lors de négociations, de pourparlers, de prises de décision… pour développer ou dynamiser les quartiers chinois. Les rapports d’influence entre les deux parties sont produits par des processus d’interprétation. Les pratiques sociales quotidiennes sont la résultante de l’activité continuelle des individus.

8Dans ce sens, les Chinatown ont aussi d’autres rôles, plus symboliques. Les quartiers chinois sont, pour beaucoup de membres de la diaspora, des lieux de mémoire intimement liés à leur vie quotidienne. Ces lieux produisent au fil du temps une part de leur identité. Ainsi, les quartiers chinois jouent souvent un rôle de relais pour les primo-migrants et constituent une première étape, avant l’intégration définitive dans un univers social nouveau. C’est pourquoi leur identité est inscrite dans ces espaces urbains. L'identité individuelle interagit avec l'environnement social dans lequel vivent les acteurs.

9Le livre de Fleming Christiansen s’inscrit dans le droit fil des études sur les relations interethniques et interculturelles. Les thèses du courant interactionniste de ces études relativisent la dimension culturelle des acteurs sociaux, elles insistent davantage sur les rapports sociaux ou les relations sociales qui produisent un sens. Un groupe social n’a d’ethnicité que lorsqu’il est perçu et considéré comme tel selon sa culture, sa position sociale ou professionnelle dans une société donnée.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Live Yu-Sion, « Flemming Christiansen, Chinatown, Europe. An exploration of overseas Chinese identity in the 1990s »Perspectives chinoises [En ligne], 83 | Mai-juin 2004, mis en ligne le 26 avril 2007, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/perspectiveschinoises/876

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Auteur

Live Yu-Sion

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