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Lectures critiques

Jonathan Unger (éd.), The Nature of Chinese Politics. From Mao to Jiang

Armonk, New York, M. E. Sharpe, 2002, 334 p.
Jean-Pierre Cabestan

Texte intégral

1Ce livre a un titre ambitieux et pour ainsi dire holistique : l’intelligence de la politique chinoise et de ses évolutions depuis la fondation de la République populaire en 1949. En réalité, comme l’indique Jonathan Unger dans sa préface, ce volume se limite le plus souvent à l’étude des élites centrales du Parti communiste chinois (PCC), de leur structuration, de leur fonctionnement, de leurs métamorphoses ainsi que des mécanismes qui déterminent leur renouvellement. En outre, il se consacre pour une large part à discuter de la pertinence des outils d’analyse de ces phénomènes (factions, groupes d’opinion, groupes d’action politique, politiques formelle et informelle, institutionnalisation). Fruit de deux débats successifs, l’un sur les périodes de Mao Zedong et de Deng Xiaoping, l’autre sur l’ère de Jiang Zemin, publiés initialement dans l’excellente revue australienne dirigée par Jonathan Unger, The China Journal, cet ouvrage constitue d’une certaine manière un paradoxe. En effet, autrefois, l’étude de l’« elite Chinese politics » occupait une place centrale, pour de multiples raisons plus imposées que choisies — tels le manque d’information et les difficultés d’accès au terrain. Aujourd’hui, alors que du fait de la grande diversification des manifestations du politique en Chine ce n’est plus le cas, ceux qui comptent parmi les meilleurs politistes occidentaux de la Chine proposent cet ensemble de réflexions.

2Cela étant dit, ce livre est riche d’enseignements, autant sur les époques révolues que sur la période actuelle, de cohabitation transitoire entre Jiang Zemin et Hu Jintao. Cet ouvrage illustre la bien meilleure compréhension que l’on possède aujourd’hui du fonctionnement du pouvoir politique non seulement sous Deng mais aussi sous Mao (première partie). L’ouverture du pays, la multiplication des mémoires de dirigeants et des témoignages de cadres du système, souvent émigrés, l’ouverture d’archives ont permis de lever de nombreuses zones d’ombres qui entouraient les conflits entre Mao, puis Deng, et leurs collègues. Les contributions à ce volume (et les écrits publiés ailleurs) de Lowell Dittmer, de Frederick Teiwes et de Tsang Tsou (décédé en 1999) illustrent tout particulièrement ces importants progrès. Si l’accès à l’information est devenu plus aisé encore sous Jiang, l’opacité persistante du pouvoir politique et le caractère inachevé de la période considérée (y compris aujourd’hui) rendent plus ardu l’établissement de conclusions définitives sur le modus operandi de la direction du PCC après la mort de Deng, malgré les propositions sages et tout à fait convaincantes avancées par Michel Oksenberg (l’un de ses derniers textes avant sa mort en 2001) ou par Joseph Fewsmith.

3Ce livre montre aussi la grande diversité des approches possibles du pouvoir communiste chinois, ainsi que le caractère souvent irréconciliable des divergences qui opposent certains analystes. La distinction  entre la politique informelle (informal politics) et la politique formelle (formal politics), défendue par Dittmer, est remise en question à la fois par Lucian Pye, pour des raisons avant tout culturelles — l’importance des guanxi et le caractère avant tout non-institutionnalisé de la politique en Chine — et par Andrew Nathan, du fait du rôle structurant joué par les institutions. De même, le modèle factionnaliste, fondé sur des liens clientélistes, qui prit son essor après la publication par Nathan d’un article dans le China Quarterly à la fin de la Révolution culturelle continue de diviser, en dépit des révisions introduites par son auteur, notamment la distinction qu’il propose dans ce volume entre les facteurs culturels et structurels (ou institutionnels) d’explication des comportements politiques1. Ou encore, la notion de « politique normale » (ou banalisée) (normal politics) avancée par Teiwes afin de prendre en compte une certaine institutionnalisation du fonctionnement du système est loin de faire l’unanimité : des auteurs aussi mesurés que Fewsmith, s’inspirant des travaux de Tsang Tsou, restent prudents et n’excluent pas d’être témoins à l’avenir de nouvelles luttes pour le pouvoir exclusif (game to win all or lose all) au sein de la direction du PCC. Dans un chapitre conclusif, Susan Shirk a raison de proposer que l’institutionnalisation de la vie politique au sommet a été retardée (delayed), mais n’en prévoit pas moins le départ complet à la retraite de Jiang Zemin lors du XVIe congrès en octobre 2002…

4Ce type d’exercice montre combien les jeux de pouvoir à Zhongnanhai et plus généralement l’avenir du régime politique chinois restent chargés d’incertitudes. L’on peut cependant regretter la place en général secondaire occupée par la société et l’absence quasi complète de réflexion sur les implications politiques des réformes juridiques et institutionnelles introduites depuis le milieu des années 1990 (notamment en vue de l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce).

5D’une part, mis à part Oksenberg (dans sa trop courte contribution), Dittmer et Fewsmith, le corps social reste trop souvent le parent pauvre des analyses livrées. Certes, le pouvoir politique demeure en Chine largement confisqué et aucune transformation systémique du régime instauré en 1949 n’est encore intervenue sous la pression de la société. Mais d’un autre côté, la profonde évolution sociale et économique de ce pays depuis la mort de Mao n’a pu que transformer de manière déterminante non seulement les élites politiques, que celles-ci soient civiles ou militaires (cf. la contribution de You Ji sur l’Armée), mais surtout leur relation avec la société. Et cette relation est au cœur même de la problématique de la définition du système politique actuel. La notion d’« autoritarisme fragmenté » avancée par Oksenberg dans les années 1980, trop statique aux yeux mêmes de son auteur (p. 201), n’a pas été remplacée. Ce concept, comme celui d’« autoritarisme assoupli » transféré du Taiwan des années 1970, que je lui préfère, est probablement le moins mauvais pour décrire la réalité présente. Mais il demeure incapable d’embrasser les facteurs qui forcent le système à évoluer2.

6Pour Oksenberg, ceux-ci sont au nombre de quatre : les adaptations ad hoc des dirigeants aux changements structurels qu’ils ont favorisés, l’ouverture sur l’étranger, l’émergence d’une proto-économie de marché et la transformation des moyens de communication (Internet) et de transport. Et avec Fewsmith, l’on peut préciser que les revendications répétées du corps social, que celles-ci proviennent des bénéficiaires ou des victimes des réformes, ainsi que l’irruption d’une classe d’entrepreneurs plus ou moins privés, contraignent le PCC à négocier de plus en plus souvent avec des forces qu’il ne contrôle plus entièrement et auprès desquelles il doit renouveler et renforcer sa légitimité (d’où les « trois représentations » de Jiang). Enfin, les contributeurs de ce volume auraient pu plus nettement insister sur le fait que toute irruption du corps social dans la sphère politique intensifie ou révèle les divisions qui traversent l’élite politique et peut, soit (le plus souvent) provoquer une réaction paralysante, voire une régression (Tiananmen, Falungong), soit accélérer une évolution (l’amélioration en 2003 du sort des migrants ruraux).

7D’autre part, les réformes juridiques et institutionnelles, et en particulier l’ambition du pouvoir communiste, officielle depuis 1997, de mettre en place un « Etat de droit socialiste » et d’un système de gouvernement « moderne », auraient mérité une attention bien plus grande. Substituts de l’introuvable réforme politique, ces réformes poursuivent un double but de relégitimation d’un pouvoir qui a abandonné ses racines révolutionnaires et de stabilisation d’une relation entre l’Etat et la société qu’aucune vision politique à long terme, aucun véritable contrat social ne soude. Et si le droit est loin d’avoir détrôné le politique et surtout ceux qui le monopolisent, il constitue un facteur appelé à structurer plus largement le fonctionnement du système politique et donc à peser sur la relation entre le Parti et le corps social.

8En dépit de ces réserves, The Nature of Chinese Politics fait œuvre utile. Il renouvelle un débat sur les élites politiques chinoises qui s’est déjà fort opportunément étendu aux élites locales (cf. notamment les travaux de Li Cheng3) et nous rappelle l’importance rémanente de la direction centrale du pays dans un processus de réformes qui a de fortes chances de continuer d’être impulsé du sommet.

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Notes

1 Andrew J. Nathan, « A Factionalism Model for CCP Politics », The China Quarterly, n° 53, janvier 1973, pp. 34-66.
2 Edwin  A. Winkler, « Institutionalization and Participation on Taiwan : From Hard to Soft Authoritarianism ? », The China Quarterly, n° 99, septembre 1984, pp. 481-499.
3 En particulier, China’s Leaders : The New Generation, Lanham, Rowman & Littlefield, 2001.
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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Pierre Cabestan, « Jonathan Unger (éd.), The Nature of Chinese Politics. From Mao to Jiang »Perspectives chinoises [En ligne], 83 | Mai-juin 2004, mis en ligne le 26 avril 2007, consulté le 20 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/perspectiveschinoises/873

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Auteur

Jean-Pierre Cabestan

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