Navigation – Plan du site

AccueilLes numéros2018-3Comptes-rendus de lectureNicolai Volland, Socialist Cosmop...

Comptes-rendus de lecture

Nicolai Volland, Socialist Cosmopolitanism: The Chinese Literary Universe, 1945-1965

New York, Columbia University Press, 2017, 304 pp. 
Krista Van Fleit
p. 93-95
Référence(s) :

Nicolai Volland, Socialist Cosmopolitanism: The Chinese Literary Universe, 1945-1965, New York, Columbia University Press, 2017, 304 pp. 

Texte intégral

1Ces dix dernières années ont connu une croissance remarquable du nombre de publications en langue anglaise consacrées à la littérature chinoise de l’époque maoïste (1949-1976). Les textes de cette période, considérés auparavant comme de la simple propagande communiste par les chercheurs anglophones, sont enfin appréhendés avec un regard nouveau. Les lecteurs peuvent ainsi mieux apprécier la complexité des productions culturelles maoïstes et comprendre la richesse de ce corpus. Cette réévaluation a d’abord été initiée par des chercheurs appréhendant la production littéraire de l’ère maoïste au regard d’autres périodes de la littérature chinoise. Ces études ont été suivies par des travaux consacrés exclusivement aux productions littéraires maoïstes. Ces travaux interprètent la littérature communiste en référence à ses composantes indigènes et en insistant sur sa dimension locale. Nicolai Volland, dans son excellente étude sur la production littéraire des années 1950, replace quant à lui la littérature chinoise dans le cadre de la littérature mondiale, pour montrer qu’elle est indissociable d’un processus transnational de construction d’une culture socialiste globale. Son ouvrage apporte une inflexion aux travaux du champ des « cultural studies » chinoises qui analysent la production littéraire dans un cadre national. Plus encore, il invite à une correction du concept de littérature mondiale qui place l’Occident au centre et occulte souvent la culture socialiste en affirmant que « la littérature socialiste est toujours d’emblée une littérature mondiale » (p. 15).

2Volland articule deux concepts pour repenser la littérature socialiste ou chinoise : celui de cosmopolitisme et celui de littérature mondiale. Il affirme que la notion universaliste et euro-centrique de cosmopolitisme doit être remplacée par une approche conceptuelle qui « considère les expériences et les attitudes transnationales comme particulières plutôt qu’universelles, et exclusives plutôt qu’inclusives, car elles sont situées dans et incarnées par des textes concrets » (p. 10). Plutôt que d’examiner d’autres aspects de la tradition littéraire chinoise comme de nombreux auteurs l’ont fait avant lui, ces deux concepts lui permettent d’établir des liens entre les années 1950 et d’autres moments du XXe siècle chinois en les rapportant au contexte international.

3L’étude est structurée en six chapitres, qui recouvrent quatre aspects distincts des échanges littéraires transnationaux. Dans un premier temps, Volland s’intéresse aux échanges interindividuels en évoquant la diplomatie culturelle des années 1950. Il s’interroge par la suite sur l’importation du réalisme socialiste en Asie en revenant sur les adaptations asiatiques du modèle soviétique de romans sur la réforme agraire ou de fictions industrielles. Il consacre un troisième moment à l’analyse des traductions directes de littérature soviétique, plus particulièrement de science-fiction et de littérature pour enfants, en montrant comment ces deux genres ont ouvert de nouveaux horizons à la littérature socialiste chinoise. Enfin, il analyse les modes de diffusion internationale des textes et plus largement la création littéraire mondiale en s’appuyant sur le contenu de Yiwen, une importante publication consacrée à la traduction de la littérature étrangère, et renommée ultérieurement World Literature. La courte conclusion situe le sujet au regard de la littérature chinoise contemporaine, en affirmant que « le cosmopolitisme socialiste émerge comme l’un des multiples liens structurant le projet cosmopolite qui s’étire sur l’intégralité du XXe siècle chinois » (p. 189).

4En s’appuyant sur l’analyse des voyages de Feng Zhi, le premier chapitre est consacré aux évolutions des échanges culturels. Ceux-ci seraient passés, dans les années 1950, d’un régime basé sur des échanges essentiellement privés vers davantage d’échanges inter-États. En se concentrant sur les voyages d’un seul auteur, Volland déroule un récit passionnant et met en évidence la profonde transformation du paysage culturel lors de cette décennie. Par la suite, l’étude se consacre à l’analyse des romans de réforme agraire. L’auteur avance que les interactions entre diverses versions de récits typiques du réalisme socialiste – dans ce cas précis celui de Mikhail Cholokov, les Terres défrichées – « confèrent à la littérature du bloc socialiste une pertinence et une sophistication de stature mondiale » (p. 41). Volland analyse deux romans sur la réforme agraire d’Asie septentrionale, l’Ouragan de Zhou Libo et Terre de Yi Ki-yong, comme des transculturations du roman épique de Cholokov. D’après l’auteur, l’approche transculturaliste des romans sur la réforme agraire permet de remettre en question les représentations établies de la littérature socialiste chinoise en définissant celle-ci non plus dans les seules limites de ses frontières nationales mais en la situant dans le cadre du cosmopolitisme socialiste. Cette perspective comparatiste enrichit la compréhension de notions comme celle de réforme agraire grâce à l’examen de sa déclinaison soviétique. Volland applique le changement méthodologique introduit par la notion de transculturalité à l’étude de fictions ouvrières, ou plutôt de leur absence relative en Chine, en lisant l’œuvre de Cao Ming dans la perspective de la quête chinoise d’un prix Staline. Cette fois encore, la référence à la fiction industrielle soviétique éclaire sa transposition chinoise, et enrichit notre compréhension. « Le principal modèle de fiction industrielle soviétique a ainsi pénétré de bonne heure l’orbite littéraire chinoise, et son importance a cru à mesure que le Parti communiste chinois avançait vers la victoire, promettant de construire un nouvel État dirigé par les ouvriers et les paysans. Le roman Ciment constitue un modèle représentatif de ce nouveau genre chinois, la fiction industrielle » (p. 72). Ces quatre chapitres sont consacrés à différents aspects du concept de littérature mondiale mobilisé par Volland, notamment la circulation internationale des textes et la dimension internationale contenue dans les textes.

  • 1 Krista Van Fleit, Literature the People Love, Reading Chinese texts from the early Maoist period (1 (...)

5Les deux chapitres suivants sont consacrés à des œuvres habituellement exclues du corpus classique : la science-fiction et la littérature pour enfants. Volland analyse en détail la traduction et l’introduction auprès des lecteurs chinois de deux genres de littérature populaire en Union soviétique. Il démontre avec finesse comment les traductions de science-fiction soviétique ont introduit en Chine des modes de représentation de l’avenir. Ce chapitre s’achève par une affirmation : selon l’auteur, ces fictions populaires importées, à l’instar de la science-fiction soviétique, ont suppléé à la disparition d’autres genres de littérature populaire comme les romans policiers, les romans à l’eau de rose et les romans d’arts martiaux qui ont cessé d’être publiés après 1949. Cet argument est selon nous le revers d’une hypothèse avancée dans notre travail1, affirmant que la consécration de la littérature populaire comme culture d’État a participé à la transformation (et pas nécessairement à la disparition) de ces formes littéraires populaires. Plutôt que de considérer l’importation de littérature étrangère comme visant à simplement remplir un vide dans le champ littéraire chinois, il nous paraît essentiel d’analyser ce mouvement comme un processus de transposition de la culture nationale populaire dans des genres que Li Yang qualifie de « romans révolutionnaires populaires ». Dans le chapitre consacré à la littérature pour enfants, Volland utilise une version abrégée du roman soviétique pour enfants L’histoire de Zoya et Shura pour approfondir l’appréhension d’un problème structurant l’ensemble du livre : comment les auteurs chinois, les éditeurs et les traducteurs réinterprètent la littérature qu’ils ont introduite ?

  • 2 Paola Iovene, Tales of Future Past, Anticipation and the Ends of Literature in Contemporary China, (...)

6Le dernier chapitre superpose l’appréhension des réseaux culturels produite par l’analyse des échanges interpersonnels et de la diplomatie culturelle à travers les voyages d’auteurs à la traduction et l’introduction de textes étrangers en Chine, en s’appuyant sur une lecture du journal Yiwen. Tandis que l’étude récente de Paola Iovene sur Yiwen2 se consacre surtout à la temporalité du concept de littérature mondiale dans les pages de cette revue, Volland interprète son contenu et les choix de ses éditeurs de manière spatiale, en affirmant que cette publication a abouti à la production d’une carte de la littérature mondiale vue de Chine. Il distingue quatre zones concentriques présentes dans la carte littéraire de Yiwen : au centre, l’Union soviétique, suivie par les nations socialistes d’Europe de l’est et d’Asie de l’est, auxquelles succèdent les pays du tiers monde, à la suite desquels arrivent les pays capitalistes et les États-Unis. Ce chapitre est une réfutation fascinante des théories sur la littérature mondiale considérant le style moderniste européen comme le fondement d’une conception unifiée de la littérature mondiale, en montrant comment la Chine redéfinit cette carte et détermine sa position sur celle-ci à travers un processus complexe.

7Le livre de Volland replace l’idée d’expérience mondiale au centre de l’étude de la littérature chinoise des années 1940 et 1950. Dans son introduction il félicite les chercheurs de Chine et des États-Unis qui ont renouvelé l’analyse de la littérature des années 1950, mais il ajoute qu’ils (nous) avons adopté une perspective interne que la notion de cosmopolitisme socialiste permet de corriger. Le livre contribue à cet ajustement en illustrant la manière dont les écrivains des années 1950 s’étaient engagés dans la création d’une littérature mondiale et en recadrant notre compréhension de ce moment présenté ici comme le déploiement d’un cosmopolitisme socialiste opérant un lien entre les autres périodes de cosmopolitisme littéraire en Chine, à l’instar du « 4 mai » chinois ou de la littérature de la « Nouvelle ère ». Cette approche constitue une importante et bienvenue remise en question de toute conception de la littérature mondiale qui ignorerait le bloc socialiste. On peut se demander, toutefois, si l’accent mis sur le cosmopolitisme soviétique n’entrave pas parfois la compréhension de ce qui était en train d’advenir en Chine. Volland fait peu référence aux discours de Mao à Yan’an, et ne qualifie jamais la culture des années 1950 de maoïste. Une analyse qui accorderait plus d’intérêt aux pratiques indigènes tout en les insérant dans le cadre du cosmopolitisme socialiste pourrait donner lieu à une compréhension plus riche de la période. Cette approche pourrait aussi contribuer à décentrer l’URSS, ce pays pouvant apparaitre comme un substitut artificiel à l’Europe ou l’Occident au centre de la littérature mondiale. En se référant à Ciment comme principal modèle de la fiction industrielle chinoise, en affirmant que les traductions de science-fiction soviétique ont permis aux Chinois de se représenter l’avenir, et en représentant la carte littéraire mondiale produite dans le journal Yiwen centrée sur l’Union soviétique, l’auteur risque de réifier le concept d’une littérature socialiste globale dominée par l’URSS. Il est incontestable que la littérature soviétique a souvent fourni des modèles pour la littérature chinoise, comme le démontre de manière éloquente Volland. Mais précisément en raison du peu d’intérêt qu’il accorde à l’étude du local dans la production littéraire maoïste, l’auteur semble surcompenser l’élision antérieure de l’influence soviétique. Enfin, l’auteur ne consacre pas l’attention nécessaire à la Révolution culturelle ou à la période succédant la rupture sino-soviétique, fait compréhensible dans cette courte étude. Cependant, l’analyse de la solidarité envers le Tiers monde, manifeste dans la rhétorique de la Révolution culturelle, pourrait aussi apporter de nouvelles perspectives pour une meilleure compréhension de la place de la Chine sur la carte de la littérature mondiale. Malgré ces réserves, le livre constitue une contribution importante à notre compréhension à la fois de la littérature moderne chinoise et de la culture socialiste mondiale. Il est d’ailleurs écrit dans un style extrêmement accessible qui fait de sa lecture un véritable plaisir.

Haut de page

Notes

1 Krista Van Fleit, Literature the People Love, Reading Chinese texts from the early Maoist period (1949-1966), New York, Palgrave Macmillan, 2013.

2 Paola Iovene, Tales of Future Past, Anticipation and the Ends of Literature in Contemporary China, Stanford, Stanford University Press, 2014.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Krista Van Fleit, « Nicolai Volland, Socialist Cosmopolitanism: The Chinese Literary Universe, 1945-1965 »Perspectives chinoises, 2018-3 | 2018, 93-95.

Référence électronique

Krista Van Fleit, « Nicolai Volland, Socialist Cosmopolitanism: The Chinese Literary Universe, 1945-1965 »Perspectives chinoises [En ligne], 2018-3 | 2018, mis en ligne le 01 septembre 2018, consulté le 15 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/perspectiveschinoises/8722

Haut de page

Auteur

Krista Van Fleit

Krista Van Fleit est maître de conférences au Département des langues, de la littérature et de la culture de l’Université de Caroline du sud (VANFLEIT[at]mailbox.sc.edu).

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search