Chen Zuwei, Liang Wentao (éd.), Zhengzhi lilun zai Zhongguo (Théorie politique en Chine)
Notes de la rédaction
Traduit de l’anglais par Blaise Thierrée
Texte intégral
1Le but de la théorie politique est de réfléchir sur les valeurs politiques, mais cela ne peut se faire sans lien avec la société particulière à laquelle ses théoriciens appartiennent. Les quinze articles de cette anthologie proposent un éventail des préoccupations de la dernière génération de théoriciens politiques issus de trois sociétés chinoises : la Chine, Hong Kong et Taiwan. La plupart des auteurs ont suivi des études supérieures en Occident. Même si la qualité varie d’un article à l’autre, elle témoigne d’un niveau scientifique qui mérite d’être loué. Tout lecteur intéressé par les problèmes normatifs dans les sociétés chinoises consultera avec profit cet ouvrage.
2Les essais sont regroupés autour de trois thèmes : la pertinence contemporaine du confucianisme ; libéralisme, marxisme et socialisme ; la société civile. Après deux articles d’introduction, les quatre articles suivants (re)définissent les valeurs confucéennes à l’usage de la société contemporaine. Comme aucun des auteurs n’appartient à l’école néo-confucéenne, les analyses sont d’autant plus intéressantes et susceptibles d’être mises en relation avec d’autres disciplines. Deux auteurs adoptent la méthodologie méta-éthique de la philosophie analytique pour envisager l’intégration de l’idée occidentale d’autonomie morale dans le confucianisme, et pour fonder un discours confucéen sur les droits de l’homme. Même si les deux auteurs parviennent à des conclusions contradictoires (pp. 90-93, pp. 111-112), leurs analyses sont novatrices et convaincantes. Les deux autres essais déploient le concept weberien de légitimité et celui de Begriffsgeschichte pour analyser les valeurs politiques confucéennes. Il est notable que trois des quatre auteurs viennent de Hong Kong, le dernier de Taiwan. Aucun spécialiste de Chine continentale ne participe au débat, tant et si bien que le lecteur peut se demander comment un auteur de Chine populaire aborderait ce problème.
3La tradition libérale mise en perspective dans différentes sociétés fait l’objet des quatre articles suivants. Le contraste est significatif entre les deux auteurs de Chine et les deux de Taiwan qui traitent du problème. A Taiwan, le libéralisme a connu un sort spectaculaire : valeur politique chérie sous le régime autoritaire, il est supplanté par les valeurs nationalistes et postmodernes avec la démocratisation. Comment ressusciter les valeurs libérales dans une société démocratisée est au cœur des préoccupations des libéraux taiwanais. La Chine, au contraire, n’a ni complètement libéralisé ni démocratisé. On peut percevoir une stratégie discursive très subtile de la part des libéraux chinois. L’accent est mis sur la croyance que le libéralisme ne serait pas contradictoire avec un Etat fort, mais neutre dans la mise en place d’une gouvernance efficace. John Rawls est considéré comme le représentant de ce libéralisme de gauche. Les deux auteurs montrent que des fonctions bien définies du pouvoir d’Etat constituent le prérequis pour gouverner efficacement un Etat chinois en transition. Aussi, la séparation des pouvoirs et la séparation entre la société civile et l’Etat, deux valeurs libérales fondamentales, sont présentées de telle façon qu’elles peuvent être adaptées à la fois aux conditions actuelles de la gouvernance chinoise et aux discours publics. Les différences entre les libéraux de Taiwan et de Chine continentale mettent en lumière des stratégies subtiles relatives au développement politique de leurs sociétés.
4Les auteurs des trois articles sur les réformes en Chine ne sont pas originaires de Chine populaire, comme le problème l’exigerait, mais de Hong Kong. Ils insistent unanimement sur les limites des réformes, en l’absence d’innovations théoriques et idéologiques correspondantes. La littérature sur le socialisme de marché, en particulier les travaux de David Miller et Michael Walzer, est susceptible de poser de nouveaux jalons pour la reconstruction normative de l’idéologie socialiste.
5Les trois derniers articles constituent l’ensemble le plus équilibré et cohérent de cette anthologie. Chacun trace les développements de la société civile dans chacune des trois sociétés. Les objets en sont respectivement la gouvernance (Chine), les mouvements sociaux (Taiwan), les organisations sociétales (Hong Kong). Un survol historique associé à des réflexions théoriques éclaire les différentes caractéristiques de ces sociétés civiles émergentes.
6Malgré un cadre de travail bien construit et la grande qualité scientifique de la plupart des contributions, on relève une lacune thématique évidente : le problème du nationalisme. Ni la montée d’un « nouveau nationalisme » en Chine durant la dernière décennie, ni le problème épineux de « l’identité nationale » à Taiwan ne sont abordés. A l’avenir, si un autre colloque était envisagé, une préparation et une coordination minutieuses seraient nécessaires pour qu’il soit pleinement fructueux. Il y a bon espoir que les théoriciens politiques puissent alors librement discuter de la transition socialiste en Chine, de la démocratisation, de l’identité nationale à Taiwan, et des perspectives d’« un pays, deux systèmes » à Hong Kong. Sans cela, on ne peut parler véritablement de théories politiques chinoises.
Pour citer cet article
Référence électronique
Carl K. Y. Shaw, « Chen Zuwei, Liang Wentao (éd.), Zhengzhi lilun zai Zhongguo (Théorie politique en Chine) », Perspectives chinoises [En ligne], 83 | Mai-juin 2004, mis en ligne le 26 avril 2007, consulté le 25 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/perspectiveschinoises/872
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