Hongmei Li, Advertising and Consumer Culture in China,
Texte intégral
1Advertising and Consumer Culture in China est une excellente enquête sur la publicité chinoise dans un contexte de commercialisation, de mondialisation et d’autoritarisme à l’ère des réformes de marché. En approchant la publicité chinoise « en tant qu’industrie, profession et discours », Hongmei Li examine la formation et la transformation du secteur de la publicité en Chine depuis la fin des années 1970 jusqu’à aujourd’hui, les contraintes structurelles et les pratiques créatives de ses professionnels, ainsi que les caractéristiques discursives dominantes des publicités chinoises en réponse à « la volonté de la Chine d’imiter le modèle de développement occidental tout en intégrant la culture chinoise et d’équilibrer les tensions entre le nationalisme et le cosmopolitisme, le local et le mondial, et la tradition et la modernité » (p. 16). L’analyse est centrée sur la publicité chinoise ; les agences multinationales et leurs publicités étant examinées à divers endroits principalement pour contextualiser, comparer et faire apparaître un contraste avec le secteur chinois. Ce livre offre un point de vue complet et détaillé aux lecteurs intéressés par la publicité chinoise contemporaine, la culture de la consommation, les médias et les relations Chine-Occident. Les théoriciens de la culture, en particulier ceux de la mondialisation culturelle, de l’orientalisme, du nationalisme et du cosmopolitisme, trouveront dans la publicité chinoise un domaine de recherche du plus haut intérêt.
2Le livre est divisé en sept chapitres en plus d’une introduction et d’une conclusion succinctes. Les chapitres 1 et 2 examinent un certain nombre de concepts théoriques et d’événements historiques qui ont marqué la publicité en Chine et auxquels les chapitres suivants font référence. Les chapitres 3 à 5 présentent une série d’études de cas richement documentées et minutieusement analysées qui illustrent comment la sinité est diversement construite par les annonceurs chinois et leurs agencess coincés entre un nationalisme et un cosmopolitisme au sein desquels ils cherchent alternativement leur inspiration. Les deux derniers chapitres abordent des questions légèrement différentes, l’un traite de l’évolution des limites culturelles et politiques de la publicité, illustrée par les controverses dont elle a été l’objet, et l’autre de l’impact des technologies numériques sur la publicité, visible à travers la montée du divertissement de marque et du marketing participatif.
3Le chapitre 3 examine « comment les politiques néolibérales et les relations fantasmées entre Orient et Occident ont façonné les idées et pratiques publicitaires avant l’entrée de la Chine dans l’OMC et pendant la période qui a suivi jusqu’en 2005 » (p. 5). Ce chapitre se concentre dans un premier temps sur une personnalité à part du monde de la publicité chinoise, Ye Maozhong, puis sur une entreprise privée, Youbang, pour illustrer la manière dont les leaders du secteur capitalisent sur les connaissances locales tout en empruntant aux pratiques occidentales. Concrètement, les entreprises locales utilisent la sinité pour se créer un avantage vis-à-vis des agences multinationales. Ainsi, lors de la promotion et de la priorisation des expériences locales, elles peuvent simplement ignorer les connaissances occidentales sur la publicité en les considérant comme inapplicables en Chine. Li note que la notion de sinité ne va pas sans comporter quelques pièges. En réifiant les différences entre la Chine et l’Occident, cette stratégie commerciale prend le risque de perpétuer inconsciemment le discours orientaliste. La stratégie devient encore plus problématique lorsque les entreprises publicitaires locales appuient tacitement et pratiquent l’exploitation, les pots-de-vin et la corruption sous prétexte que ces pratiques seraient spécifiquement « chinoises ».
4Le chapitre 4 continue de démêler la dialectique local-mondial en se concentrant sur les stratégies de vente des annonceurs chinois qui font appel au nationalisme, au cosmopolitisme, ou à un mélange des deux. Deux à trois publicités sont regardées de près et analysées pour illustrer chaque stratégie. Les lecteurs apprennent comment les légendes, les héros et les symboles de la Chine d’hier et d’aujourd’hui sont utilisés pour infuser une dose de patriotisme dans l’image des produits vantés, allant d’un site Internet à une boisson à base de plantes ou un produit pour les cheveux. On apprend également que, si certaines publicités chinoises s’appuient sur le nationalisme, d’autres expriment le désir d’associer leurs produits à des images, symboles et valeurs d’Occident, renforçant ainsi l’idée de la supériorité occidentale à travers une vision faussement cosmopolite. Une troisième catégorie de publicités chinoises s’efforce d’articuler nationalisme et cosmopolitisme en célébrant une humanité universelle tout en faisant de la nation chinoise « un facteur d’unification » (p. 128). En s’appuyant sur l’idée selon laquelle le nationalisme et le cosmopolitisme ne s’excluent pas mutuellement, Li suggère que la fusion cosmopolitisme-patriotisme peut être considérée comme une solution idéologique à la tension et à l’anxiété suscitées par la mondialisation et une réponse aux « désirs simultanés de sinité et d’ouverture sur le monde des consommateurs chinois » (p. 132).
5Le chapitre 5 est une étude de cas portant sur Li-Ning, une marque de vêtements de sport chinoise qui a été très à la mode. Face à la montée implacable de Nike et d’autres marques internationales de vêtements de sport en Chine, ainsi qu’à la forte concurrence des entreprises nationales, Li-Ning n’a cessé de voir ses ventes reculer en dépit de plusieurs tentatives désespérées de redéfinir son image. L’auteur emploie la notion de cosmo-patriotisme de De Kloet pour décrire la construction de l’identité de Li-Ning et les manœuvres entreprises en réponse aux forces de la mondialisation. Par exemple, la marque a utilisé des éléments issus de la culture traditionnelle et contemporaine chinoise tout en signant des contrats avec des joueurs de NBA pour qu’ils promeuvent ses produits. L’identité hybride, cependant, n’a pas fonctionné pour Li-Ning. La marque n’a pas réussi à séduire les consommateurs étrangers tout en apparaissant comme rustique aux yeux des jeunes urbains de la classe moyenne qui lui ont préféré des marques mondiales. Simultanément, sa base de consommateurs dans les petites villes et villages a été érodée par ses concurrents nationaux. Li remarque que « même si Li-Ning reste une marque iconique de la fierté nationale, elle n’est pas propriétaire du concept » (p. 154). La fierté nationale peut facilement être appropriée par les grandes marques étrangères si cela leur permet de vendre plus aux Chinois. Ainsi McDonald n’hésite pas à faire de « J’aime quand la Chine gagne » son slogan. Li identifie un certain nombre de facteurs susceptibles d’avoir entraîné le déclin de l’entreprise, allant d’une expansion globale excessive à une mauvaise stratégie d’établissement des prix. Il existe par ailleurs des facteurs sur lesquels Li-Ning a très peu de contrôle, comme le capital culturel dont les entreprises occidentales jouissent dans les représentations des Chinois. Li utilise la notion d’« impérialisme culturel » pour décrire de tels effets. « Même si les marques chinoises peuvent produire une image hybride de nationalisme et de cosmopolitisme, elles sont désavantagées dans la mesure où l’impérialisme culturel privilégie certaines positions, fige les distinctions culturelles et crée des obstacles aux produits chinois » (p. 116).
6Le chapitre 6 traite des controverses liées à la publicité en Chine. Dans ce chapitre, Li examine les lois, règlements et organismes gouvernementaux qui régissent le contenu et les pratiques de la publicité, puis elle explique comment les lacunes réglementaires et les pratiques commerciales et médiatiques contraires à l’éthique, couplées à des changements rapides et inégaux des attitudes culturelles et des goûts des consommateurs, ont créé un terreau favorisant la prolifération de publicités controversées reconnues par de nombreux consommateurs, voire par tous, comme manipulatrices, trompeuses, fondées sur l’exploitation et/ou culturellement sensibles. Les publicités controversées impliquent parfois aussi des marques mondiales, lorsque celles-ci se montrent insensibles aux sentiments des Chinois. Ici, les sentiments nationalistes jouent clairement un rôle dans le déploiement des réponses émotionnelles aux publicités considérées comme humiliantes pour la culture chinoise. Le pays d’origine compte également : les publicités japonaises sont plus controversées que les publicités américaines en raison des traumatismes, ravivés ces dernières années, causés par le militarisme nippon. Fait intéressant, les controverses sont mondialisées grâce aux technologies de la communication qui transcendent les frontières nationales. Ainsi, une publicité chinoise mettant en scène un sosie de la princesse Diana a suscité l’indignation en Grande-Bretagne, tandis qu’une publicité de Citroën en Espagne jouant avec l’image de Mao Zedong a provoqué un tollé en Chine, et a dû être retirée.
7Le dernier chapitre aborde les implications de la révolution numérique pour la publicité chinoise en approfondissant trois pratiques dominantes : l’enchère annuelle organisée par China Central Television (CCTV) pour ses créneaux publicitaires les plus convoités, la collaboration des médias chinois avec Unilever pour créer du divertissement de marque et le marketing participatif d’une marque chinoise populaire de smartphone, Xiaomi. La pratique de la publicité par CCTV est décrite ici comme un héritage de l’ère de la radiodiffusion, alors que les deux dernières, en intégrant les médias en ligne et les fandoms, représentent les tendances émergentes telles que la fusion de la publicité et des contenus, la convergence des plateformes médiatiques et le marketing participatif axé sur les activités des fans. Pour les lecteurs intéressés par le placement de produits (ou sa forme supérieure, le divertissement de marque) – à savoir la marchandisation du travail physique, intellectuel et affectif des publics ou des usagers dans la fabrication des produits numériques multimédias – les études de cas sur Unilever et Xiaomi fournissent des informations précieuses sur la manière dont ces tendances mondiales se manifestent, voire sont dirigées depuis la Chine. En particulier, la partie qui explique comment un produit pour les cheveux d’Unilever, Clear, a été intégré avec succès dans le décor, l’intrigue et la construction des personnages d’une série télévisée pour la jeunesse, Unbeatable, est pleine d’excellentes analyses sur l’influence du placement de produit sur le développement de contenu. Ce chapitre constitue une mise à jour précieuse sur la publicité chinoise à l’ère numérique.
8Comme l’illustre très pertinemment l’ouvrage de Li, la publicité en Chine a été façonnée par les politiques et les réglementations publiques, la commercialisation et la privatisation de l’économie, les transformations culturelles, les médias numériques et les technologies de la communication, ainsi que par la glocalisation des activités des multinationales sur le marché chinois. Ce secteur incarne le double désir de la Chine de rechercher une modernité alternative et d’imiter les pratiques occidentales du capitalisme, tension qui a créé certaines des caractéristiques uniques de la publicité chinoise. Li observe ironiquement que, dans la mesure où « le développementalisme et le néolibéralisme omniprésents réduisent les différences entre les pratiques publicitaires chinoises et étrangères » (p. 230), ces tensions pourraient être partiellement résorbées. Li a effectué un travail admirable en produisant des analyses empiriques riches à partir des théories culturelles critiques. Parfois, Li semble s’adresser directement aux acteurs de la publicité lorsqu’elle affirme par exemple que « l’utilisation des agences de publicité mondiale peut être une bonne idée dans ce cas » (p. 197) ou que « les annonceurs qui s’adressent à la fois aux consommateurs éduqués et ouverts sur le monde et aux résidents ruraux devraient être plus prudents lorsqu’ils utilisent des stratégies basées sur le sexe » (p. 181). Mais, dans l’ensemble, Li maintient avec succès un équilibre entre critique théorique et connaissance pratique. Elle est à la fois compatissante face aux dilemmes des agences, attentive aux nouvelles formes de domination et d’exploitation dans la publicité chinoise, et consciente de la manière dont les pratiques chinoises et occidentales convergent à mesure que la Chine s’intègre au capitalisme mondial.
9Notons enfin que les chapitres 2 et 6 comprennent des discussions brèves mais instructives sur la publicité lors de la première décennie de l’ère des réformes. Ils rappellent qu’une riche histoire culturelle de la publicité reste à écrire en approfondissant les débats, les controverses et les incertitudes entourant cette nouvelle forme commerciale et culturelle. Une étude de l’émergence du consumérisme dans un pays socialiste et de la fabrication du consommateur à partir du sujet socialiste sera d’un grand intérêt pour les historiens de la Chine et les spécialistes des médias chinois.
Pour citer cet article
Référence papier
Ruoyun Bai, « Hongmei Li, Advertising and Consumer Culture in China, », Perspectives chinoises, 2017/3 | 2017, 72-73.
Référence électronique
Ruoyun Bai, « Hongmei Li, Advertising and Consumer Culture in China, », Perspectives chinoises [En ligne], 2017/3 | 2017, mis en ligne le 15 septembre 2017, consulté le 23 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/perspectiveschinoises/7863
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