David Shambaugh, China’s Future
Texte intégral
- 1 Bruce Dickson, The Dictator's Dilemma: The Chinese Communist Party's Strategy for Survival, New Yo (...)
1La question du devenir de la Chine interroge et divise à juste titre nombre d’observateurs. Il n’est pas une seule année où ne sont publiés un ou plusieurs ouvrages épousant soit la thèse de la future superpuissance chinoise, soit au contraire celle de son déclin prochain, voire de son effondrement pur et simple. Rien qu’en 2016, on notera, parmi d’autres publications, The Dictator’s Dilemma de Bruce Dickson, China’s Crony Capitalism de Minxin Pei ou Forecasting China’s Future de Roger Irvine1. Mais c’est sans aucun doute China’s Future de David Shambaugh qui fit le plus sensation.
- 2 David Shambaugh, « Contemplating China’s Future », The Washington Quarterly, vol. 3, n° 3, automne (...)
- 3 Ibid., p. 129.
2China’s Future est un court ouvrage d’un peu plus de 170 pages (notes de fin et index non inclus) divisé en cinq chapitres présentant respectivement un modèle analytique puis les évolutions économique, sociale, institutionnelle et géopolitique du pays. L’argument central est que la ligne ultra-autoritaire du président Xi Jinping n’a que peu de chance de régler les problèmes endémiques d’une Chine en crise : entreprises publiques inefficaces ; pouvoir corrompu ; endettement massif ; système financier archaïque et opaque ; population vieillissante, inquiète et déchirée ; environnement pollué ; attitude de plus en plus ferme à l’international. Comme l’auteur l’expliquait déjà dans un article du Washington Quarterly publié à l’automne 20162, sans libéralisation politique, la société chinoise sera de plus en plus instable et imprédictible. Shambaugh se différencie ainsi de la plupart des commentateurs « pessimistes » en ce sens qu’il insiste non sur l’économie (comme Gordon Chang ou Minxin Pei) qui pourrait, selon lui, stagner ou continuer à croître faiblement, mais sur les aspects politiques et institutionnels : « Très simplement, le pays n’avance aujourd’hui pas sur le plan politique, et ne peut donc pas par conséquent avancer économiquement ou socialement. La Chine peut soit rester sur cette voie… soit s’ouvrir politiquement et augmenter ses chances de devenir un pays moderne et une économie vraiment développée»3.
- 4 Notons que Singapour a aujourd’hui un système multiparti mais que le PAP est toujours dominant. Da (...)
3L’auteur conseille donc l’adoption partielle du modèle singapourien, c’est-à-dire celle d’un système semi-démocratique, progressiste et libéral qui, sous l’égide d’un parti unique mais soutenu par le peuple, aboutirait à un relâchement de l’influence étatique sur des points essentiels tels que l’allocation des ressources, les décisions judiciaires, la production scientifique ou l’enseignement supérieur4. Cela permettrait de libérer les forces nécessaires, aujourd’hui réprimées au sein de la société civile, pour relancer la machine économique, pour amener la Chine dans le cercle restreint des nations innovantes mais aussi pour échapper au « piège du revenu intermédiaire » auquel sont confrontés de nombreux pays en voie de développement, tout ceci dans le cadre d’un nouveau contrat social entre un PCC rénové et une société apaisée.
- 5 David Shambaugh, Is China Unstable? Assessing the Factors, Armonk, M.E. Sharpe, 2000 ; Modernizing (...)
4Jusqu’ici, rien de très nouveau. La polémique est, en fait, moins la résultante des arguments exposés que de la surprise des commentateurs chinois et occidentaux par rapport à l’apparente évolution – certains parlent de retournement – de la position d’un des sinologues les plus respectés. David Shambaugh est professeur en sciences politiques et en affaires internationales à l’université George Washington. Il est aussi chercheur dans le célèbre think tank « Brookings Institution ». Il est l’un des sinologues les plus réputés et un des mieux introduits dans les hautes sphères universitaires et politiques chinoises. L’ONG américaine Asia Foundation l’a d’ailleurs nommé en 2015 parmi les « China Watchers » les plus influents avec David Lampton, Cheng Li et Kenneth Lieberthal. Auteur très prolifique, il a travaillé sur la politique étrangère de Pékin, sur la sinologie contemporaine occidentale ou encore sur les réformes militaires et institutionnelles chinoises. Ces dernières années, ces travaux sur la stratégie de développement adoptée par Pékin furent très remarqués5.
- 6 David Shambaugh, « China at the Crossroads: Ten Major Reform Challenges », Brookings Institution, (...)
- 7 David Shambaugh, « The Coming Chinese Crack-up », The Wall Street Journal, 6 mars 2015.
- 8 Parmi les commentaires les plus négatifs : Dingding Chen, « Sorry, America: China Is NOT Going to C (...)
5Jusqu’en 2015, ses écrits oscillaient entre neutralité académique et une certaine admiration des réformes menées sous Jiang Zemin et Hu Jintao. Il y vantait la résilience et la flexibilité du Parti sans toutefois négliger l’importance des obstacles à surmonter sur la longue route de la modernisation économique et politique du pays. Fin 2014, soit deux ans après la nomination de Xi Jinping, il publia un article particulièrement neutre dans lequel il soulignait les dix défis majeurs que doit affronter la Chine. Il y concluait que celle-ci était arrivée à la croisée des chemins et devait passer à l’action6. Cet article ne fit pas de vague. À l’étonnement de tous, six mois plus tard, son éditorial au Wall Street Journal frappait la communauté des « China Watchers ». Le chapeau de l’article donnait le ton : « C’est le début de la fin pour le régime communiste en Chine, et les mesures impitoyables de Xi Jinping ne font qu’amener le pays toujours plus près du point de rupture ». Shambaugh enchaînait : « en dépit des apparences, le système politique chinois est pourri (badly broken), et personne ne le sait mieux que le Parti communiste lui-même »7. Cet article-là fut avidement commenté et perçu par certains, notamment en Chine, comme une volte-face indigne d’un tel chercheur8.
6Un an plus tard, Shambaugh sort China’s Future, reprenant les thèmes brièvement présentés dans les deux articles susnommés. La polémique repart de plus belle. Certains observateurs avancent qu’il s’agit là d’une tentative d’obtention de poste dans l’administration Obama. D’autres qu’il ne fait que relayer les frustrations de ses contacts ou amis réformistes en Chine. Ou enfin que Shambaugh transcrit simplement dans ses derniers écrits son propre dépit vis-à-vis des trop molles ou trop intransigeantes mesures prises par le pouvoir chinois. Les réactions, souvent sanguines ou politisées, ont tout de suite pris le pas sur les arguments de l’auteur et relancé le débat entre optimistes, pessimistes et indécis. Le livre lui-même est pour ainsi dire passé aux oubliettes.
7Il a pourtant des qualités indéniables. Il est bien documenté et il est extrêmement clair, succinct et synthétique, dans le style habituel de son auteur. Il donne ainsi un très bon aperçu des graves problèmes affectant le pays. Cela permettra aux profanes de mieux comprendre la Chine du XXIe siècle et aux plus initiés de confronter leur propre point de vue à un argumentaire convaincant et bien articulé. Enfin, il faut reconnaitre à Shambaugh un certain courage car, avec cette publication, il avait clairement plus à perdre qu’à gagner et il savait sans aucun doute à quoi s’attendre de ses pairs et du public chinois.
- 9 John Van Oudenaren, « China’s Uncertain Future », The American Interest, 19 mars 2015.
8Plus que les observations de l’auteur, qui font peu débat, ce sont surtout certaines de ses conclusions qui paraissent contestables. L’exercice compliqué auquel s’est adonné Shambaugh aurait peut-être mérité plus de nuance et de circonspection car, comme le note John Van Oudenaren, des prédictions trop spécifiques s’avèrent souvent fausses alors que des conclusions trop générales n’ont que peu d’utilité9. Dans la mesure où la Chine s’est véritablement métamorphosée en l’espace de deux à trois décennies, il est difficile de faire la part des choses entre succès et échecs.
9Le modèle singapourien que l’auteur préconise ne nous semble pas vraiment approprié pour la Chine. Le fait qu’un parti unique relativement autoritaire ait administré un pays qui a connu un grand succès économique n’en fait pas un modèle pour autant. On ne gouverne pas une ville-État comme on gouverne un pays aussi large et complexe que la Chine. Les dynamiques politiques, décisions économiques et problèmes sociaux dans ces deux types d’entités n’ont pour ainsi dire rien à voir. Le contrôle historique du People’s Action Party (PAP) depuis 1965 n’a été possible que grâce à la position géographique et stratégique très particulière de Singapour et à son importance pour le Royaume-Uni, les États-Unis et les riches diasporas chinoises en Asie. Paradis fiscal de 5,4 millions d’habitants et enclave pro-occidentale à 75 % chinoise dans une Asie du Sud-Est particulièrement instable, Singapour a su spécialiser son économie, tirer parti du soutien pérenne des États-Unis et de l’afflux de capitaux massif des entrepreneurs d’origine chinoise présents dans toute la région et enfin profiter de la croissance chinoise. La situation de la Chine est très différente. En plus, les problèmes économiques actuels ne jouent pas en faveur du PAP sur le long terme. Malgré sa surprenante remontée lors des élections législatives en 2015, le fait que celui-ci n’ait recueilli que 60 % de soutien en 2011 montre que Singapour a marqué un tournant. Le PAP sait maintenant qu’il peut être écarté du pouvoir. C’est d’autant plus préoccupant pour lui que l’économie singapourienne ne s’est toujours pas relevée des conséquences de la crise de 2008. Si Singapour, tout comme Taiwan, Hong Kong et certains pays d’Asie du Sud-Est, est en difficulté, ce n’est plus le fait des États-Unis mais justement de la faiblesse de la croissance chinoise. On peut ainsi se demander si le destin du PAP ne dépend pas indirectement du succès qu’auront les réformes du PCC.
10Quoiqu’il en soit, que l’on épouse ou non les conclusions de Shambaugh importe peu, China’s Future est un petit livre efficace qui poussera tout lecteur à réfléchir à des problèmes essentiels : l’avenir de la Chine et son impact sur le régime au pouvoir, les citoyens chinois et le monde dans son ensemble.
Notes
1 Bruce Dickson, The Dictator's Dilemma: The Chinese Communist Party's Strategy for Survival, New York, Oxford University Press, 2016 ; Minxin Pei, China’s Crony Capitalism: The Dynamics of Regime Decay, Cambridge, MA, Harvard University Press, 2016 ; Roger Irvine, Forecasting China's Future: Dominance or Collapse?, London, Routledge, 2016.
2 David Shambaugh, « Contemplating China’s Future », The Washington Quarterly, vol. 3, n° 3, automne 2016.
3 Ibid., p. 129.
4 Notons que Singapour a aujourd’hui un système multiparti mais que le PAP est toujours dominant. David Shambaugh présente peut-être Singapour comme modèle justement pour le fait qu’en période de difficulté, le parti au pouvoir a su accélérer le processus de démocratisation pour calmer les protestations de la société civile.
5 David Shambaugh, Is China Unstable? Assessing the Factors, Armonk, M.E. Sharpe, 2000 ; Modernizing China’s Military: Progress, Problems, and Prospects, Berkeley, University of California Press, 2002 ; Power Shift: China and Asia’s New Dynamics, Berkeley, University of California Press, 2006; en collaboration avec Robert Ash et Seiichiro Takagi, China Watching: Perspectives from Europe, Japan and the United States, London, Routledge, 2007 ; avec Michael Yahuda, China Foreign Policy and International Relations, Lanham, Rowman & Littlefield Publishers, 2008 ; China's Communist Party: Atrophy and Adaptation, Berkeley, University of California Press, 2008 ; Charting China's Future: Domestic and International Challenges, London, New York, Routledge, 2011 ; China Goes Global: The Partial Power, Oxford, Oxford University Press, 2013 ; Tangled Titans: The United States and China, Lanham, Rowman & Littlefield Publishers, 2013.
6 David Shambaugh, « China at the Crossroads: Ten Major Reform Challenges », Brookings Institution, octobre 2014.
7 David Shambaugh, « The Coming Chinese Crack-up », The Wall Street Journal, 6 mars 2015.
8 Parmi les commentaires les plus négatifs : Dingding Chen, « Sorry, America: China Is NOT Going to Collapse », The National Interest, 10 mars 2015 ; Xie Tao, « Why Do People Keep Predicting China’s Collapse? », The Diplomat, 20 mars 2015 ; Andy Rothman, « The Coming Chinese Crackup? », Matthews Asia, 1 avril 2015 ; Chen Weihua, « Shambaugh China Essay in Shambles », China Daily, 13 mars 2015 ; « Shen Dawei tuhan Zhongguo bengkui wei na ban » (Pourquoi David Shambaugh crie-t-il à « l’effondrement de la Chine » ?), Huanqiu shibao, 9 mars 2015.
9 John Van Oudenaren, « China’s Uncertain Future », The American Interest, 19 mars 2015.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Alexandre de Saint-Denis, « David Shambaugh, China’s Future », Perspectives chinoises, 2016/4 | 2016, 100-101.
Référence électronique
Alexandre de Saint-Denis, « David Shambaugh, China’s Future », Perspectives chinoises [En ligne], 2016/4 | 2016, mis en ligne le 15 décembre 2016, consulté le 15 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/perspectiveschinoises/7563
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