He Jiahong, Back From the Dead:Wrongful Convictions and Criminal Justice in China
Texte intégral
1En 1987, Teng Xingshan fut condamné à mort pour avoir violé et démembré une femme. Condamné à tort, il fut exécuté en 1989… mais la « victime » revint chez elle en 1992 et Teng fut innocenté en 2005. Son cas n’est que l’une des nombreuses condamnations injustifiées tragiques discutées par le professeur He Jiahong (de la faculté de droit de l’université du Peuple, à Pékin) dans Back From the Dead: Wrongful Convictions and Criminal Justice in China. Aboutissement de dix ans de recherche, cet ouvrage est une analyse éclairée de condamnations injustifiées qui montre de profonds dysfonctionnements touchant l’ensemble du système pénal chinois.
2He est l’un des plus célèbres experts chinois en droit pénal. Son livre s’ouvre sur une liste de 17 « cas majeurs de condamnations injustifiées en Chine » relevés entre 1987 et 2014 (p. xxv), dont certains font l’objet d’une analyse minutieuse. Et il se conclut par des arguments de poids en faveur de réformes nécessaires – qui ne pourront être mises en place que lorsque des dirigeants chinois décidés feront changer la « mentalité » des fonctionnaires et du public.
3Sa recherche s’appuie sur deux études empiriques de condamnations injustifiées. L’une est un questionnaire envoyé à des professionnels du droit (appartenant à la police, au parquet, à des tribunaux, à des cabinets d’avocats et au ministère de la Justice) dans 19 régions de Chine ; l’autre est un questionnaire également envoyé à des juges, des procureurs, des policiers et des avocats de Pékin et de quatre autres régions. La première enquête conclut que « des erreurs probantes » étaient la cause principale des condamnations injustifiées, en raison « de compétences d’investigation insuffisantes, d’extorsions d’aveux sous la torture et d’équipements et de techniques obsolètes. » La seconde enquête conclut que les faux témoignages, la torture et les faux aveux de l’accusé étaient des « causes majeures » de condamnations injustifiées (pp. 5-6).
4Les analyses de l’auteur font du livre une excellente ressource pour enseigner non seulement le droit chinois mais aussi la culture politique chinoise. Écrit dans un style clair et très accessible, il complétera très bien un autre livre de référence basé sur des recherches empiriques, Criminal Justice in China: An Empirical Inquiry, édité par Michael McConville (Cheltenham, UK, Northampton, MA, Edward Elgar Publishing, 2011).
5He attire l’attention sur les principaux problèmes qui conduisent à donner bien plus d’importance à la lutte contre le crime qu’à la protection des droits de l’accusé : la mainmise de la police sur les enquêtes criminelles, les échéances excessivement réduites fixées pour clore les affaires criminelles, la partialité des collectes de preuves, les interprétations souvent erronées des preuves scientifiques, l’extorsion d’aveux sous la torture, la superficialité des procès, la détention au-delà des durées légales et, en cas de doute, la condamnation à des peines réduites plutôt que l’acquittement.
6He dénonce avec force une défaillance du processus, bien connue mais jamais corrigée : le code de procédure pénale stipule que les trois institutions qui supervisent le processus pénal (la police, le parquet et les tribunaux) devraient travailler indépendamment les unes des autres. Dans les faits, pourtant, les trois coopèrent étroitement. Par exemple, les procureurs traitent les mandats d’arrêt comme des formalités car ils souhaitent « rester en harmonie avec les enquêteurs » (p. 50). En outre, les affaires difficiles sont communiquées à des comités de travail politico-légaux du Parti, présents à chaque échelon du gouvernement, qui insistent lourdement sur la coordination entre les trois organismes plutôt que sur leur indépendance de jugement.
7He condamne la partialité des procédures criminelles dans lesquelles « la preuve de la culpabilité est admise sans être questionnée, qu’elle soit authentique ou non » (p. 69). Dans les faits, écrit-il, la plupart des cas de torture et d’extorsion d’aveux « restent impunis faute de preuves » (p. 44). L’importance d’obtenir des aveux et de conserver un taux élevé de résolution des affaires conduit à procéder à des arrestations avant de rechercher des preuves. Et quand le juge doit rendre sa décision, il n’est plus qu’« un homme de paille ». Ainsi, selon les termes de He, les procès d’audience « sont maintenant une simple formalité » (p. 117).
8Ses analyses vont plus loin encore et soulignent le rôle de la « mentalité » des fonctionnaires concernés, citant leur « état d’esprit et leurs traditions militaires » (p. 14). Dans les derniers chapitres, He résume son souhait ardent mais un peu utopique de voir changer cette mentalité afin d’améliorer la justice procédurale à tous les niveaux du système.
- 1 Supreme People’s Court, Supreme People’s Procuratorate, Ministry of Public Security, « Opinions o (...)
9Ses recherches montrent que les nouvelles règles adoptées, concernant l’exclusion des confessions ou des déclarations reposant sur des preuves obtenues illégalement, les preuves matérielles ou les déclarations d’un témoin ou d’une victime, n’ont pas été appliquées de manière satisfaisante – révélant un alarmant « fossé entre la loi écrite et la loi en acte » (p. 155). Il ajoute que le code de procédure pénale ne parvient pas à garantir le droit d’un prévenu à garder le silence en dépit d’une disposition stipulant que « personne ne doit être forcé de prouver sa culpabilité » (p. 157). Le livre de He arrive à point : un avis sur le « Système de procédure pénal centré sur le procès » vient d’être rendu par les plus hautes autorités des tribunaux et des procureurs conjointement avec les ministères de la Sécurité publique, de la Sécurité nationale et de la Justice1. Parmi les objectifs proclamés figure la nécessité de fonder les verdicts de culpabilité sur une preuve obtenue légalement et établissant le crime au-delà de tout « doute raisonnable ». Les preuves obtenues par « extorsion d’aveux » doivent être écartées. Ces règles sont trop longues pour pouvoir être discutées ici en détail, mais elles se fondent en substance sur un appel à « un ensemble complet de protections des droits des parties, des prévenus et des autres personnes impliquées dans les litiges. »
10L’organisation de la procédure pénale autour du procès, l’une des réformes clés défendues par He, est également l’un des objectif de ces nouvelles règles qui, si elles sont mises en place convenablement, contribueraient à renforcer la justice procédurale tout au long du processus pénal.
11Dans un vigoureux « Post-scriptum », He cite avec approbation un communiqué du Comité central du Parti, daté d’octobre 2014, appelant à faire progresser l’État de droit en Chine. Lui-même va au-delà de ce langage convenu, arguant qu’il est nécessaire de développer une « habitude » de l’État de droit, qui reste pour l’instant faible. Les fonctionnaires du gouvernement doivent devenir des exemples pour le public, même si « de nombreux fonctionnaires continuent de penser que le pouvoir est au-dessus de la loi » (p. 208).
12De plus, les lois sont souvent négligées à cause de l’influence des guanxi. La loi « dans la vie de tous les jours » est nécessaire, « ainsi que l’importance qu’elle a aux yeux des gens » (p. 208). L’auteur conclut là son ouvrage, sans aucun doute parce qu’il est impossible aujourd’hui de prédire si l’autoritarisme à poigne des dirigeants actuels pourra être tempéré. En même temps, le livre de He est une contribution de valeur à la compréhension de la procédure pénale chinoise, et ses recommandations peuvent montrer la voie à une réforme aussi profonde que cruellement nécessaire.
Notes
1 Supreme People’s Court, Supreme People’s Procuratorate, Ministry of Public Security, « Opinions on Advancing the Reform of Making Criminal Procedure System Trial-Centered », 10 octobre 2016, traduction anglaise disponible sur China Law Translate, http://chinalawtranslate.com/%E5%AE%A1%E5%88%A4%E4%B8%BA%E4%B8%AD%E5%BF%83%E7%9A%84%E5%88%91%E4%BA%8B%E8%AF%89%E8%AE%BC%E5%88%B6%E5%BA%A6/?lang=en (consulté le 23 novembre 2016).
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Stanley Lubman, « He Jiahong, Back From the Dead:Wrongful Convictions and Criminal Justice in China », Perspectives chinoises, 2016/4 | 2016, 99-100.
Référence électronique
Stanley Lubman, « He Jiahong, Back From the Dead:Wrongful Convictions and Criminal Justice in China », Perspectives chinoises [En ligne], 2016/4 | 2016, mis en ligne le 15 décembre 2016, consulté le 27 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/perspectiveschinoises/7560
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