Chün-fang Yü, Passing the Light: The Incense Light Community and Buddhist Nuns in Contemporary Taiwan
Texte intégral
1Cet ouvrage est indispensable à toute personne souhaitant approfondir ses connaissances du monachisme féminin du bouddhisme. Il transporte en effet le lecteur dans une communauté de nonnes nommée « Incense Light » (Xiangguang), créée en 1974 à Taiwan, et dans laquelle l’auteur a effectué un long travail de terrain. Historienne de formation, Chün-fang Yü s’était plutôt penchée dans ses précédents ouvrages sur les transformations et le développement du bouddhisme à l’époque pré-moderne. Passing the light constitue donc une rupture de par sa dimension contemporaine. C’est en outre la première recherche de l’auteur sur les nonnes et leur approche de la modernité.
2Bien que de nombreux travaux, parus depuis le début des années 2000, s’intéressent au phénomène d’accroissement des effectifs monastiques féminins à Taiwan, peu se penchent sur les transformations d'une communauté donnée face à la mondialisation. C’est pourtant ce que s’attache à faire Chün-fang Yü, en étudiant les missions que ces nonnes se donnent, à la fois dans l’éducation et dans la pratique. Elle souligne, et c’est là le fil conducteur de l’ouvrage, que les nonnes ont façonné leur propre tradition du bouddhisme, par manque d’une tradition préalable à leur arrivée. Cette communauté est donc un exemple concret de la réinvention du bouddhisme contemporain. En exploitant des sources variées, le livre cherche alors à résoudre un paradoxe : comment les membres de la communauté préservent la tradition tout en s’en distanciant. L’intérêt de l’ouvrage réside dans le fait que l’auteur associe sa vaste connaissance de l’histoire des mutations du bouddhisme à l’étude approfondie d’un phénomène contemporain.
3Dans un premier chapitre introductif, l’auteur s’intéresse à des recueils d’hagiographies : Biographies des Nonnes (Biqiuni zhuan) écrit en 516 ap. J.C., et Suite des Biographies des Nonnes (Xu biqiuni zhuan) écrit au XXe siècle par un disciple de Taixu. L’analyse de ces recueils permet à l’auteur de revenir sur la position et la perception des nonnes dans l’histoire de la Chine, bien que les nonnes dont il est question ne représentent pas la norme. Elle se penche par la suite sur l’évolution de la perception des nonnes dans différents types d’écrits, qui est bien souvent condescendante : les femmes sont à plaindre car elles n’entrent pas en religion par choix. De plus elles représentent tout ce que la société confucéenne rejette : elles vont à l’encontre de la piété familiale et ne participent pas à l’effort économique. Ce n’est qu’avec les années 1980 que l’auteur note un changement : les femmes commencent à défendre leurs choix. Selon Chün-fang Yü, cela coïncide avec l’arrivée de la première génération ayant profité de la loi sur les neuf ans d’éducation obligatoire à Taiwan, promulguée en 1968. Le développement du « bouddhisme humaniste » à Taiwan au début du XXe siècle y est aussi pour quelque chose : certains leaders prônent une spiritualité qui se distingue du genre. Ce courant, qui influence beaucoup la gestion de Xiangguang, insiste sur la reconstruction sociale et sur l’éducation. C’est ce dernier point qui fait selon l’auteur la spécificité des nonnes à Taiwan. Beaucoup d’entre elles sont éduquées, avec un niveau universitaire, apportant ainsi leurs compétences au monastère. Cela explique en partie les innovations constatées dans la gestion de Xiangguang et dans les méthodes d’enseignements proposées.
4Les deuxième et troisième chapitres sont consacrés à l’historique de la communauté et à son abbesse actuelle, Wuyin, à sa tête depuis 1980. Après l’installation des premières nonnes en 1974, la suppression de certains éléments n’appartenant pas au bouddhisme ont eu lieu lors des nombreuses reconstructions du temple originel. L’auteur démontre alors que ces actions dénotent clairement une volonté des premières résidentes à rompre avec les schémas traditionnels et à créer une nouvelle identité religieuse. Trois nonnes ont eu une influence importante sur l’orientation prise par cette recherche d’identité, grâce à leurs idées progressistes : Xinzhi, Wuyin et Mingjia. L’importance de ces trois personnages réside, pour l’auteur, dans le fait qu’elles sont responsables de la mise en place des éléments concrets permettant la réinvention du bouddhisme contemporain. À titre d’exemple, elles instituent un séminaire (Incense Light Buddhist Seminary for Nuns) en 1980, puis des cours pour adultes (Buddhist Adult Classes) en 1984. L’auteur dépeint la dirigeante progressiste qu’est Wuyin à travers le regard des membres de sa communauté. Ses entretiens avec elle lui permettent d’affirmer qu’elle n’est pas féministe. Elle remet simplement en question les inégalités homme-femme et les schémas traditionnels : les nonnes doivent enseigner aux nonnes, et ne doivent effacer leurs caractéristiques féminines que pour éviter toute considération de genre face à l’accomplissement spirituel.
5Dans le quatrième chapitre, l’auteur détaille le fonctionnement des sociétés d’études bouddhiques à l’université, qui sont bien souvent le premier contact avec le bouddhisme des jeunes femmes éduquées, et jouent un rôle majeur dans leur décision d’entrer dans les ordres. Le but de ces sociétés d’études est surtout de faire renaître une vie laïque bouddhiste pour changer la vision de la société, un concept développé par des bouddhistes laïcs persuadés que le renouveau du bouddhisme ne peut venir que de personnes éduquées. À Taiwan, deux d’entre eux ont notamment permis l’insertion de ces sociétés sur les campus : Zhou Xuande et Li Bingnan, dont la vie et les contributions font l’objet d’une description détaillée dans l’ouvrage.
6Les cinquième et sixième chapitres proposent une description exhaustive de deux programmes mis en place par les membres de la communauté Xiangguang, les séminaires pour les nonnes, et les cours pour les adultes laïcs. L’exploitation de sources telles les livres de cours ou les devoirs des étudiants permet au lecteur une pleine compréhension du système d’enseignement pratiqué par la communauté. Il en ressort que les sujets d’examens et de devoirs sont actuels afin de rester au plus proche de la vie des laïcs et que l’enseignement porte sur le bouddhisme originel plutôt que sur une école précise, afin de toucher un plus large public. Ces directives visent à satisfaire les laïcs, qui deviennent par la suite des donateurs subvenant aux besoins de la communauté.
7Le septième et dernier chapitre est consacré à des portraits de nonnes ayant été membres de la communauté Xiangguang. L’auteur montre qu’elles ont grandement contribué au développement de Xiangguang, en rédigeant plusieurs propositions visant à moderniser le fonctionnement de la communauté. L’une d’elles consiste en une modification du système de rotation des tâches quotidiennes, une autre en la création d’un centre de ressources éducatives afin d’actualiser les enseignements et méthodes. Elles proposent également de créer un corps de règles pour le sangha de la communauté, ou encore d’inviter des experts externes à donner des cours. Au côté de ces multiples contributions, ces portraits visent aussi à analyser les différents facteurs de la vocation religieuse.
8Dans une courte conclusion, l’auteur évoque le futur de la communauté, lié selon elle à l’évolution de la société taïwanaise. Aujourd’hui, le défi pour Xiangguang est d’améliorer la fréquentation des classes pour adultes. De celles-ci dépend en effet la sécurité économique de la communauté, que la concurrence engendrée par le développement de ce type de programme menace. Un autre enjeu est de trouver une alternative à la mission d’enseignement des nonnes car celle-ci devient si prenante qu’elles ne trouvent plus le temps pour la pratique religieuse. Au final, l’auteur se demande si l’identité religieuse unique de Xiangguang n’est pas un particularisme qui risque de la mettre à mal aux yeux des laïcs. Une réinvention trop poussée du bouddhisme ne risque-t-elle pas en effet de faire perdre des repères préalablement acquis à la fois par les laïcs et par les religieux ?
9Au total, Passing the light est essentiel à la compréhension de ce que représente « être nonne » à Taiwan, mais est aussi incontournable pour ceux qui étudient le rôle des nonnes et les mutations du bouddhisme dans la société contemporaine. Pourtant, si les observations de l’auteur sont extrêmement pertinentes, l’accent qu’elle met sur l’originalité de l’objet d’étude est discutable. Elle évoque par exemple le fait que les membres de Xiangguang dissimulent leur féminité, non pas pour ressembler à un homme, mais pour transcender la notion de genre. D’un autre côté, elles font de cette même féminité une essence qui serait, selon Wuyin, très proche de celle du bouddhisme, ce qui justifierait de l’intérêt des femmes pour celui-ci. Mais cette contradiction, que l’auteur présente comme propre à cette communauté, a également été constatée ailleurs à Taiwan par d’autres chercheurs. De plus, Chün-fang Yü observe que le programme d’étude et l’identité religieuse de la communauté privilégient le « bouddhisme des origines » plutôt que les traditions chinoises. On peut se demander s’il n’y a pas là une volonté sous-jacente de se distinguer de la tradition du continent et de créer une identité bouddhique taïwanaise. Ce point n’est pas abordé dans l’ouvrage, et ce manque mériterait d’être comblé par le biais, par exemple, d’études comparatives sur le rôle des nonnes chinoises et taïwanaises dans leur société contemporaine respective.
Pour citer cet article
Référence papier
Amandine Péronnet, « Chün-fang Yü, Passing the Light: The Incense Light Community and Buddhist Nuns in Contemporary Taiwan », Perspectives chinoises, 2016/3 | 2016, 77-78.
Référence électronique
Amandine Péronnet, « Chün-fang Yü, Passing the Light: The Incense Light Community and Buddhist Nuns in Contemporary Taiwan », Perspectives chinoises [En ligne], 2016/3 | 2016, mis en ligne le 15 septembre 2016, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/perspectiveschinoises/7479
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