Bill Hayton, The South China Sea: The Struggle for Power in Asia
Texte intégral
- 1 Voir par exemple Tran Truong Thuy et Le Thuy Trang (éds.), Power, Law, and Maritime Order in the S (...)
1Publié en 2014, cet ouvrage de Bill Hayton sur la mer de Chine du Sud se démarque d’une bonne partie de la littérature récente consacrée à cet espace maritime, et ce au moins pour deux raisons. D’abord parce qu’il s’agit d’une monographie rédigée par un seul auteur, dont le mérite est de retracer dans ses grandes lignes une histoire de la mer de Chine du Sud, de la préhistoire au début des années 2010, et d’analyser les conflits territoriaux et les rivalités de puissance dont cet espace est l’objet. Elle repose sur l’exploitation d’une abondante littérature académique, d’entretiens avec divers acteurs menés par l’auteur, d’articles de presse ainsi que de rapports et autres working papers. C’est donc plutôt une large synthèse qui diffère en cela des nombreux et très intéressants ouvrages collectifs parus ces dernières années, dont beaucoup sont des publications d’actes de colloques régulièrement organisés dans les divers pays de la région1. Si le chercheur travaillant sur la mer de Chine du Sud trouvera dans le livre de Bill Hayton d’intéressantes informations et par ricochets d’utiles, voire précieuses, références, il ne sera guère surpris en revanche par ses grandes lignes. Ce n’est cependant pas là un problème fondamental car de notre point de vue ce livre demeure une des premières lectures incontournables pour quiconque (étudiants, journalistes, diplomates) souhaiterait avoir un aperçu, qui plus est assez complet, de ce point chaud que constitue aujourd’hui la mer de Chine du Sud.
2La seconde spécificité de The South China Sea réside dans le style du récit qui reste pour une grande part assez journalistique du fait de la fonction même de Bill Hayton, journaliste à BBC News depuis plusieurs années. Il se manifeste par de longues digressions sur certains acteurs ou personnages, directement ou indirectement impliqués dans le litige, ou par des descriptions d’épisodes phares de l’histoire pour le moins troublée de cet espace maritime. Ces diverses narrations contribuent à construire une histoire très détaillée des initiatives prises par les acteurs que ce soit par exemple l’achèvement de l’annexion des Paracels par la Chine en janvier 1974, vécue par Gerald Kosh, un militaire américain alors embarqué sur un navire sud-vietnamien (p. 72-78), la façon dont la petite compagnie pétrolière américaine Crestone est parvenue à obtenir de la Chine une concession pétrolière dans les eaux revendiquées par le Vietnam (p. 123-127), ou encore l’opposition du Cambodge à ce que la question de la mer de Chine du Sud soit mentionnée dans le communiqué conjoint de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’ASEAN tenue à Phnom Penh en 2012 (p. 192-200). En tant que chercheur soucieux du détail historique, ces récits ont leur lot d’importance bien que certaines descriptions comme celles relatives à Wu Shicun, président du China National Institute for South China Sea Studies, ne nous paraissent pas très utiles (p. 248). En dépit de sources nombreuses, nous regrettons aussi que beaucoup d’informations données dans l’ouvrage ne soient pas systématiquement référencées. Les neuf chapitres auraient sans doute mérité des subdivisions de façon à mieux articuler l’analyse. Enfin, en tant que géographe, si nous saluons la présence des quatre cartes présentes au début de l’ouvrage – une rareté dans le monde de l’édition anglo-saxonne où la cartographie est souvent pauvre, voire absente – il est dommage que Bill Hayton n’y fasse pas véritablement référence, notamment la carte 4 qui malgré son intérêt n’est pas, sauf erreur de notre part, véritablement commentée dans le texte. Une carte des concessions pétrolières citées dans le chapitre 5 aurait été plus que bienvenue.
3TheSouth China Sea se compose d’une introduction, de neuf chapitres, d’un épilogue et, après la section des notes de fin, de quelques pages intitulées « Acknowledgements and Further Reading » qui viennent souligner le nombre important des personnes rencontrées ou interviewées par l’auteur ainsi que les travaux de référence utilisés ou jugés utiles pour comprendre davantage la géohistoire et la géopolitique complexes de la mer de Chine du Sud.
4S’ouvrant sur une fiction qui verrait un accrochage sino-philippin relatif à la possession du haut-fond Scarborough (Scarborough Shoal) dégénérer en de très fortes tensions militaires sino-américaines, l’introduction rappelle d’emblée que « La mer de Chine du Sud est le principal lieu où l’ambition chinoise fait directement face à la détermination stratégique américaine » (p. xvi), mettant ainsi en évidence le sous-titre de l’ouvrage The Struggle for Power in Asia.
5Par le biais des trois premiers chapitres – « Wrecks and Wrongs: Prehistory to 1500 » (p. 1-28), « Maps and Lines: 1500 to 1948 » (p. 29-60) et « Danger and Mischief : 1946 to 1995 » (p. 61-89) –, Bill Hayton revient sur une histoire longue de la mer de Chine du Sud. Elle tranche bien entendu avec les historiographies officielles avancées par les États pour justifier leur souveraineté sur les îles. L’auteur rappelle ainsi que ces îles (en fait diverses formations insulaires surtout composées de récifs, de bancs de sable et de hauts-fonds découvrants) n’ont pas suscité d’énormes intérêts avant que les puissances européennes et japonaise ne lorgnent sur celles-ci pour des raisons économiques et stratégiques à partir de la fin du XIXe siècle. Avant la mise en branle des machines coloniales occidentales, la mer de Chine du Sud constituait une « méditerranée » structurée par des flux commerciaux et migratoires et bordée par des systèmes étatiques et territoriaux au sein desquels les questions de souveraineté et de frontières – notamment en Asie du Sud-Est, dominée par le système territorial du mandala – se posaient en des termes différents.
6L’affirmation des puissances occidentales et du Japon en mer de Chine du Sud suscita une réaction en Chine dans les dernières années de la dynastie des Qing puis ensuite au cours de la période républicaine illustrée par l’organisation d’expéditions navales, la rédaction de récits géographiques, la création d’une toponymie chinoise des îles et enfin la réalisation de cartes, dont celle de la célèbre « ligne en forme de U » (U-shaped line), qui aboutiront progressivement à la construction d’une revendication officielle et nationale chinoise sur les archipels de la mer de Chine du Sud. Au cours des années 1946-47, l’heure est surtout à la rivalité franco-chinoise avant que la décolonisation et la difficile construction des États-nations aux Philippines et au Vietnam ne viennent ajouter de nouveaux acteurs à la dispute. S’ensuivent des appropriations unilatérales dans l’archipel des Spratleys aussi motivées par le désir d’exploiter des ressources d’hydrocarbure offshore dans le contexte d’une Convention des Nations Unies sur le droit de la mer naissante : en bref, une véritable course à l’occupation, à laquelle la Chine se joindra d’ailleurs avec un léger retard mais non sans force.
7Les cinq chapitres suivants abordent tour à tour les volets juridiques, économiques, politiques (nationalismes), diplomatiques et militaires avant que le chapitre 9 (« Cooperation and its Opposites: Resolving the Disputes », p. 239-265) ne fasse état des coopérations (ou plutôt de leur absence) et de la question du développement conjoint, activement proposé par la Chine dans les zones revendiquées par les autres États, mais dont aucun de ces derniers ne veut dans la mesure où cela reviendrait à reconnaître tacitement un droit chinois sur ces espaces.
8Parmi les autres chapitres, on retiendra dans le chapitre 4 (« Rocks and Other Hard Places: The South China Sea and International Law », p. 90-120) l’impossibilité selon Bill Hayton de trancher les questions de souveraineté au regard du droit international et ce en dépit des nombreux aménagements (dont certains sont décrits) réalisés par les États à partir du début des années 1970. Le chapitre 5 (« Something and Nothing : Oil and Gas in the South China Sea », p. 121-150) confirme le mythe d’un archipel – celui des Spratleys – qui regorgerait de pétrole et de gaz et montre bien par ailleurs que la délimitation des concessions d’exploration pétrolière participe surtout à un jeu politique visant à affirmer la souveraineté d’un État au détriment de celle d’un autre. Le chapitre 6 (« Drums and Symbols: Nationalism », p. 151-180) s’interroge sur la place des nationalismes dans la dispute tout en mettant en exergue la complexité des relations Chine-Vietnam et la place respective des États-Unis et de la Chine dans les représentations des populations philippines. Le chapitre 7 (« Ants and Elephants: Diplomacy, p. 181-208) montre comment le désintérêt des États-Unis pour l’Asie du Sud-Est (du fait de la priorité donnée à la guerre contre le terrorisme sous l’ère Bush) s’est muée progressivement à partir des années 2007-2008 en une nouvelle politique dite du « pivot vers l’Asie », dont le principal objectif est de rééquilibrer le rapport de force avec la Chine qui avait jusqu’alors tiré un grand bénéfice de la passivité américaine. Dans ce contexte, l’Asie du Sud-Est est devenue l’objet d’une compétition entre les deux puissances, rendant de fait très difficile la recherche d’un consensus au sein de l’ASEAN sur la question de la mer de Chine du Sud. Le chapitre 8 (« Shaping the Battlefield : Military Matters », p. 209-238) s’ouvre sur l’incident de l’USNS Impeccable de 2009 qui a participé à accentuer l’inquiétude américaine sur la question de l’accès à la mer de Chine du Sud, et ce en dépit de la subsistance d’un important déséquilibre en matière de puissance militaire.
9Enfin, dans le cadre d’un épilogue (p. 266-269), l’ouvrage s’achève sur l’espoir personnel de l’auteur de voir un jour une mer de Chine du Sud délimitée, une hypothèse qui bute principalement selon lui sur le maintien des revendications chinoises, jugées « maximalistes » (p. 267) chez certains acteurs comme l’Armée populaire de libération, la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) ou encore certaines provinces côtières, et la permanence de la ligne en forme de U, devenue une « religion laïque de l’école primaire au bureau politique » (p. 267). Sans renier directement ces points, ces dernières pages mettent selon nous un peu trop l’accent sur la responsabilité chinoise et auraient sans doute méritées d’être un peu plus nuancées tant les Philippines, le Vietnam, Taiwan et les États-Unis, et avant eux la France, le Royaume-Uni et le Japon, ont aussi leur rôle dans la complexification d’un dossier où s’enchevêtrent litiges de souveraineté territoriale, rivalités de puissance et défense d’intérêts économiques.
Notes
1 Voir par exemple Tran Truong Thuy et Le Thuy Trang (éds.), Power, Law, and Maritime Order in the South China Sea, Lanham, Lexington Books, 2015, 378 p.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Sébastien Colin, « Bill Hayton, The South China Sea: The Struggle for Power in Asia », Perspectives chinoises, 2016/3 | 2016, 73-75.
Référence électronique
Sébastien Colin, « Bill Hayton, The South China Sea: The Struggle for Power in Asia », Perspectives chinoises [En ligne], 2016/3 | 2016, mis en ligne le 15 septembre 2016, consulté le 25 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/perspectiveschinoises/7477
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