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Politique

La démocratie dans l’impasse

Les élections législatives de septembre 2004 à Hong Kong
Ma Ngok

Résumé

Les démocrates de Hong Kong n’ont pas réussi à prendre une avance significative aux élections législatives de septembre 2004, et leurs modestes gains ne leur ont pas permis d’obtenir la majorité parlementaire qu’ils avaient espérée. Leur position actuelle leur permet difficilement de réclamer une accélération du processus démocratique. En effet, leur pouvoir de négociation vis-à-vis du gouvernement central est réduit, ce qui peut inciter ce dernier à reporter encore plus loin dans le temps la réforme politique dans le territoire. Toutefois, les résultats du scrutin n’ont en rien apaisé la crise de gouvernance qui frappe le gouvernement de Hong Kong puisqu’une assemblée davantage pluralisée créera inévitablement de nouvelles difficultés pour celui-ci.

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Notes de la rédaction

Traduit de l’anglais par Raphaël Jacquet

Texte intégral

1Les démocrates de Hong Kong ne sont pas parvenus à prendre une avance significative aux élections législatives de septembre 2004, malgré une renaissance du mouvement démocratique dans le territoire ces derniers mois. Ils avaient l’espoir de conquérir la majorité des sièges du Conseil législatif (Legco), assemblée élue selon un système semi-démocratique, mais n’en ont remporté que 25 sur 60. Ce résultat décevant a réduit leur marge de manœuvre vis-à-vis du gouvernement central concernant les futures réformes politiques à Hong Kong. Si Pékin est quelque peu soulagée, la crise gouvernementale qui frappe la Région administrative spéciale (RAS) de Hong Kong n’est pas réglée. Le fait que les démocrates n’aient pas réussi à remporter la majorité risque de reporter la réforme politique encore plus loin dans le temps, ce qui ne fera que prolonger et aggraver la crise de gouvernance dont souffre le territoire.

2Le scrutin de septembre 2004 a eu lieu juste après les importantes manifestations qui s’étaient succédées en faveur d’une accélération du processus de démocratisation. Dans cet article, nous analyserons les récents développements politiques en amont des élections législatives et montrerons comment la renaissance du mouvement démocratique dans la RAS a incité Pékin à changer de politique à l’égard de Hong Kong. Le gouvernement chinois s’est notamment montré plus actif dans les affaires concernant Hong Kong après 2003, redoublant d’efforts pour empêcher les démocrates de remporter la majorité lors du scrutin. Les démocrates, quant à eux, ont considéré cette élection comme un référendum sur la démocratie, mais n’ont pas réussi à élargir substantiellement leur soutien électoral lors de la campagne. Bien qu’ils soient parvenus à obtenir 60 % des voix, la nature semi-démocratique du système les a empêchés de remporter la majorité des sièges. L’élection a mis en place une législature plus pluralisée ; la majorité gouvernementale y est maintenue, mais est quelque peu fragilisé. Une telle situation laisse présager des difficultés de gouvernance accrues pour le gouvernement de la RAS dans les années à venir.

De l’article 23 aux articles 45 et 68 : la renaissance du mouvement démocratique

3Hong Kong connaît le processus de démocratisation le plus lent du monde contemporain. Au début de la période coloniale, le gouverneur tout-puissant était nommé par Londres et, jusqu’en 1985, nommait à son tour les principaux hauts fonctionnaires et la totalité des membres du Legco. Ce système permettait au gouvernement colonial de coopter les élites commerciales et professionnelles afin de désamorcer toute opposition sociale à sa politique et de mettre en place une « synarchie » associant les bureaucrates coloniaux aux élites locales1. Après la signature de la déclaration conjointe sino-britannique de 1984 qui prévoyait le retour de Hong Kong à la Chine, les Britanniques commencèrent à engager un processus progressif de démocratisation dans le territoire. Le nombre de sièges du Legco soumis au suffrage universel augmenta très lentement : il fallut attendre treize ans pour que la proportion de députés élus directement passe de 30 % en 1991 à 50 % en 2004 (voir tableau 1). L’autre moitié des députés est élue par des « collèges socioprofessionnels » (functional constituencies). Le chef de l’exécutif de la RAS, qui a hérité de la plupart des pouvoirs du gouverneur colonial, est aujourd’hui élu par un comité électoral composé de 800 personnes, censé être représentatif des groupes socioprofessionnels de Hong Kong.

1. Les types de sièges du Legco (Conseil législatif)

1. Les types de sièges du Legco (Conseil législatif)

4La décolonisation ainsi que la démocratisation progressive menée d’en haut dans les années 1980 donnèrent rapidement naissance à un mouvement démocratique local. À la fin des années 1980, 95 groupes issus de la société civile formèrent une large coalition de démocrates engagés dans le combat pour l’inclusion d’une formule politique plus démocratique dans la Loi fondamentale, la mini-Constitution de Hong Kong depuis la rétrocession2. Toutefois, leurs efforts furent anéantis par une sainte alliance regroupant Pékin et les conservateurs du milieu des affaires local pour qui une démocratisation rapide du territoire risquait de mener à l’instabilité ou à l’instauration d’un Etat-providence, et donc de toucher au statut de paradis capitaliste à basse fiscalité dont jouissait Hong Kong3. La Loi fondamentale, promulguée en 1990, prévoit un processus de démocratisation très progressif, même si elle garantit à terme l’élection du chef de l’exécutif et de la totalité des membres du Legco au suffrage universel. Dans le même temps, le mouvement pour la démocratie à Hong Kong se trouva renforcé par les événements de Tian’anmen en 1989. Un million de Hongkongais descendirent dans la rue au printemps 1989 pour afficher leur soutien au mouvement démocratique sur le continent. Soudain, pour les Hongkongais, l’attachement à la démocratie, la peur de l’ingérence chinoise après 1997 et la défense des libertés et de l’autonomie du territoire après la rétrocession devinrent un seul et même combat. Lors des élections législatives semi-démocratiques de 1991 et 1995, les démocrates remportèrent un large succès aux élections directes, ce qui leur permit d’obtenir une minorité non négligeable au Legco.

5Le mouvement démocratique perdit toutefois un peu de son élan après 1997, en partie parce que la Chine n’était pas intervenue de manière ostentatoire dans les affaires du territoire. Faisant preuve d’une grande retenue au lendemain de la rétrocession, les dirigeants de la République populaire de Chine (RPC) laissèrent le gouvernement de Hong Kong voler de ses propres ailes. Par ailleurs, la récession économique déclenchée par la crise financière asiatique détourna également l’attention des Hongkongais des questions politiques au profit de problèmes plus concrets4. Des différends quant aux orientations que devait prendre le mouvement démocratique firent alors surface au sein du camp pro-démocrate, ce qui aboutit à des luttes intestines et à des querelles entre factions qui ternirent l’image des démocrates5. Les élections législatives de 2000 marquèrent le creux de la vague pour les forces démocratiques, les candidats démocrates n’ayant remporté que 57 % des sièges directement élus, contre 30 % pour les candidats pro-Pékin de la Democratic Alliance for Betterment of Hong Kong (DAB) qui rattrapaient ainsi quelque peu leur retard par rapport à leurs rivaux démocrates.

6Les collèges socioprofessionnels restent quant à eux dominés par les conservateurs depuis leur création en 1985. Le milieu des affaires de Hong Kong est généralement conservateur et la plupart de ses membres ne souhaitent contrarier ni le gouvernement central ni celui de la RAS sur la question de la démocratie, de peur de mettre en péril leurs intérêts commerciaux. Ainsi, les collèges socioprofessionnels constituant depuis 1997 la moitié des sièges au Legco, le gouvernement de la RAS a pu s’assurer une majorité de soutien de 1997 à 2004, les démocrates n’occupant que 21-22 sièges de l’assemblée qui en compte 60.

7Pour le mouvement démocratique en difficulté, la proposition faite en 2002 par le gouvernement de la RAS de promulguer des lois sur la sécurité nationale apparut comme une aubaine. L’article 23 de la Loi fondamentale stipule que « la Région administrative spéciale promulguera elle-même les lois visant à prohiber tout acte de trahison, de sécession, de sédition et de subversion contre le gouvernement populaire central ou le vol de secrets d’Etat, à interdire les organisations ou groupements politiques étrangers de se livrer à des activités politiques dans la région, et à interdire les organisations ou groupements politiques de la Région d’établir des liens avec des organisations ou groupements politiques étrangers »6. Les activistes des droits de l’homme et les démocrates ont toujours craint que des lois de ce type soient utilisées pour réprimer la dissidence pacifique à Hong Kong, notamment les démocrates du territoire qui avaient apporté un soutien important aux dissidents du Continent pendant le mouvement de 1989.

8Le projet de loi sur la sécurité nationale, présenté au Legco en février 2003, fut critiqué par les juristes et les activistes des droits de l’homme qui le jugeaient vague, mal défini et susceptible d’être utilisé à des fins abusives par les autorités pour menacer la dissidence pacifique à Hong Kong7. Les sondages parus à l’époque révélaient que la majorité de l’opinion publique était opposée aux propositions du gouvernement8. Soutenu par une majorité pro-gouvernementale au Legco, le gouvernement de la RAS était persuadé qu’il parviendrait à faire voter la loi et ignora l’appel des démocrates qui réclamaient l’ajournement de la deuxième lecture du projet de loi, prévue pour le 9 juillet 2003. L’attitude du gouvernement provoqua une mobilisation sans précédent de la société civile. Un grand nombre de groupes religieux, socioprofessionnels et civils appelèrent aussitôt les citoyens de Hong Kong à manifester leur opposition à ce projet. Les Hongkongais étaient également très mécontents de l’action du gouvernement depuis 1997, notamment de la manière dont celui-ci avait géré l’épidémie de SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère) lors de l’été 2003, épidémie qui causa la mort de 299 personnes dans le territoire. C’est pourquoi la manifestation du 1er juillet 2003, dernière chance pour s’opposer au projet de loi, prit l’envergure d’une protestation massive contre le gouvernement. Le nombre de manifestants, estimé à 500 000, surprit autant le gouvernement de la RAS que le gouvernement central. Cette démonstration de pouvoir populaire contraignit le gouvernement de la RAS à retirer le projet de loi quelques jours plus tard.

9Très vite, cette mobilisation contre l’article 23 se transforma en un mouvement dévoué à la cause démocratique. Les démocrates firent valoir que si le gouvernement de la RAS était prêt à défier l’opinion publique pour proposer des lois liberticides, c’était parce qu’il n’était pas élu par le peuple. Ils avancèrent également que, dans la mesure où le Legco n’était pas totalement démocratique, il ne pouvait en aucun cas refléter l’opinion publique et était donc susceptible de promulguer des lois contraires aux intérêts du peuple. Les articles 45 et 68 de la Loi fondamentale stipulent respectivement que le chef de l’exécutif de la RAS et la totalité des membres du Legco seront, à terme, élus au suffrage universel. Aucun des deux articles ne donne d’échéance précise, et la Loi fondamentale ne précise le mode d’élection du chef de l’exécutif et des membres du Legco que jusqu’en 2004. Aussi les démocrates ne tardèrent-ils pas à réclamer l’élection du chef de l’exécutif au suffrage universel à partir de 2007 et celle de la totalité des membres du Legco dès 2008. La manifestation du 1er juillet 2003, la plus importante depuis 1989, redonna confiance aux démocrates. Ils affirmèrent alors que l’élection du chef de l’exécutif et du Legco au suffrage universel serait le meilleur moyen de garantir les intérêts du peuple de Hong Kong et de guérir les maux dont souffrait la RAS depuis 1997. Fin 2003, les sondages d’opinion montraient qu’une écrasante majorité des citoyens hongkongais (jusqu’à plus de 80 %) étaient favorables à l’élection au suffrage universel en 2007/20089.

Le revirement de la politique de Pékin à l’égard de Hong Kong

10Le retour en force du mouvement pour la démocratie à Hong Kong inquiéta beaucoup Pékin. En réalité, le gouvernement chinois n’a jamais eu l’intention d’accorder la pleine démocratie au territoire. Après 1989, les autorités chinoises étaient particulièrement méfiantes vis-à-vis des chefs du mouvement démocratique de Hong Kong qui avaient soutenu activement le mouvement étudiant et parcouru le monde pour critiquer le gouvernement chinois sur les questions des droits de l’homme et de la démocratie. Jusqu’en 2003, le gouvernement central était plutôt satisfait de la situation dans la RAS puisque les démocrates, en tant que groupe minoritaire au Legco, étaient largement sous contrôle et voyaient même leur popularité décliner et l’élan de leur mouvement faiblir. Les 500 000 manifestants du 1er juillet 2003 changèrent radicalement le regard de Pékin sur le territoire. D’abord, et avant tout, les dirigeants de la RPC étaient soucieux de la stabilité sociale de Hong Kong et craignaient que le gouvernement de la RAS, qui souffrait déjà d’une crise de légitimité, ne parvienne pas à relever le défi d’une plus grande mobilisation. Le gouvernement central craignait aussi que les démocrates, profitant d’une situation qui leur était favorable, ne remportent la majorité aux élections législatives de 2004. La victoire écrasante de ces derniers aux élections des conseils de quartiers de novembre 200310 ne fit que renforcer les inquiétudes de Pékin. Bien que le système garantisse les principaux pouvoirs de décision au chef de l’exécutif, le Legco est toutefois en mesure de contrer les initiatives du gouvernement en opposant son veto à certains projets de loi présentés par le gouvernement et au vote du budget annuel. En d’autres termes, une victoire des démocrates signifiait pour Pékin la perte du contrôle sur le territoire.

11Le gouvernement central commença à s’intéresser de plus près aux affaires de Hong Kong, et, pour empêcher un raz-de-marée des démocrates, modifia ses stratégies économique et politique à l’égard du territoire. Sur le plan économique, il prit des mesures visant à relancer l’économie. Aux yeux des dirigeants de Pékin, le ressentiment populaire à l’égard du gouvernement de Hong Kong était en grande partie dû à la crise économique qui avait débuté en 1997 et à l’incapacité du gouvernement de la RAS d’y faire face. Ils étaient persuadés qu’une reprise économique rapide rendrait moins séduisants les arguments de l’opposition démocrate et redorerait le blason des partis pro-gouvernementaux/pro-Pékin, jugés en partie responsables des médiocres résultats du gouvernement de la RAS.

12Le gouvernement central envisageait depuis quelque temps déjà la mise en œuvre d’un certain nombre de mesures d’aide économique, les événements de juillet 2003 l’incitèrent à accélérer le pas. Un élément central de cette « bouée de sauvetage économique » fut l’Accord de partenariat économique rapproché (Closer Economic Partnership Agreement, CEPA)11 entre le Continent et Hong Kong. Cet accord, signé en septembre 2003, permettait, entre autres, aux entreprises hongkongaises dans les secteurs de services (conseil, immobilier et bâtiment, santé, droit, finance, comptabilité, etc.) d’accéder au marché du Guangdong. Les exportations de Hong Kong vers la province chinoise limitrophe bénéficiaient dorénavant d’exemptions de droits de douanes, et il était prévu que des avantages similaires soient étendus à d’autres provinces. Entre temps, le gouvernement central avait également permis à un plus grand nombre de touristes du Continent de voyager à Hong Kong. Dès juillet 2003, les habitants de quatre villes chinoises (Dongguan, Foshan, Jiangmen et Zhongshan) obtinrent l’autorisation de se rendre à Hong Kong par leurs propres moyens alors qu’ils étaient jusque-là obligés de passer par des tours-opérateurs d’Etat. En 2004, ce « tourisme individuel » fut étendu à d’autres villes chinoises, accroissant immédiatement les recettes touristiques du territoire. Plus tard, ces mesures furent accompagnées d’une série de projets d’infrastructures visant à accélérer l’intégration de la RAS dans la région du delta de la rivière des Perles. Une des mesures-phares était la construction d’un pont reliant Hong Kong, Zhuhai et Macao qui, aux yeux de beaucoup, était appelé à renforcer le statut de Hong Kong comme plaque tournante de la Chine du Sud. Non seulement ces mesures pouvaient contribuer à une reprise économique rapide, mais elles montraient également que le gouvernement central se préoccupait de la RAS et était prêt à lui venir en aide. Enfin, et surtout, une plus grande intégration entre Hong Kong et le Continent accentuait la dépendance de certains secteurs commerciaux vis-à-vis du Continent, ce qui permettait au gouvernement central d’accroître son influence formelle et informelle sur les élites locales12.

La manifestation du 1er juillet 2003 : une protestation massive contre le gouvernement

13Sur le plan politique, Pékin tenta d’enterrer tout espoir de pleine démocratie pour 2007/2008 avant l’élection législative de 2004 pour empêcher les démocrates d’utiliser cette question comme argument de campagne. Dès le début de l’année, Pékin commença à ériger un barrage de propagande contre les démocrates sous la forme d’une série d’articles dans les organes de presse continentaux tels que le China Daily, le Quotidien du peuple et l’Agence Chine nouvelle. Ces articles accusaient les démocrates d’œuvrer contre la patrie, de solliciter l’intervention des étrangers dans les affaires de Hong Kong et d’essayer de remettre en question le système socialiste en Chine continentale. Ils avançaient que Hong Kong ne pouvait être gouverné que par des gens qui « aiment la patrie et aiment Hong Kong » (aiguo aigang) et qu’il serait dangereux pour le territoire d’accéder à la pleine démocratie si les élections ne pouvaient garantir que les futurs élus « aiment la patrie » et « aiment Hong Kong »13.

14En avril 2004, le comité permanent de l’Assemblée populaire nationale (APN) élimina pratiquement toute possibilité de pleine démocratie en 2007/2008 en proposant une nouvelle interprétation de la Loi fondamentale. Il statua que bien que le mode d’élection du chef de l’exécutif en 2007 et du Legco en 2008 soient modifiables, le chef de l’exécutif et l’ensemble des membres du Legco ne seraient pas élus au suffrage universel. Il décida également que la proportion de sièges soumis au vote populaire (50 %) et de ceux élus par les collèges socioprofessionnels (50 %) resterait inchangée pour les élections législatives de 2008, ce qui garantissait le maintien du statu quo au moins jusqu’à la fin du mandat de cette assemblée en 2012. Les démocrates de Hong Kong rétorquèrent immédiatement que cette résolution était une violation manifeste du principe « un pays, deux systèmes » et de l’autonomie de Hong Kong, puisque rien dans la Loi fondamentale ne précise que le comité permanent de l’APN puisse décider de l’ampleur et du rythme de la réforme politique dans la RAS14.

15On rapporta à Hong Kong que les autorités continentales avaient soutenu activement les partis pro-Pékin lors de l’élection de 2004. En avril et mai 2004, les médias de Hong Kong révélèrent que certains responsables politiques du Continent avaient fait pression sur les citoyens hongkongais vivant sur le Continent pour que ces derniers encouragent les membres de leur famille et leurs amis à s’inscrire sur les listes électorales. Un journal annonça même qu’ils auraient demandé aux hommes d’affaires de Hong Kong de faire pression sur leurs salariés pour qu’ils votent pour des candidats pro-Pékin lors du scrutin de septembre15. Des responsables politiques des villes et districts chinois se sont rendus à Hong Kong et ont rencontré les chefs des « associations de compatriotes » pour qu’ils appellent leurs membres à voter pour les candidats pro-Pékin16. Certains se sont même plaints du fait que des responsables continentaux avaient demandé à des salariés hongkongais de photographier leur bulletin de vote à l’aide de leur téléphone portable pour prouver qu’ils avaient voté pour les candidats pro-Pékin17.

16De son côté, le gouvernement de Hong Kong s’abstint de soulever des questions politiques controversées après juillet 2003, de peur de provoquer une plus grande mobilisation sociale qui à ses yeux n’aurait fait que profiter aux démocrates. En septembre 2003, il annonça qu’il ne présenterait pas le projet de loi sur la sécurité nationale avant les élections de 2004 au risque de ne jamais pouvoir le faire adopter si les démocrates venaient à remporter la majorité au Legco. Dans le budget annuel 2004/2005, le secrétaire aux finances n’introduisit aucun nouvel impôt malgré la perspective d’un déficit budgétaire de 49 millions de dollars de Hong Kong pour l’année fiscale 2003/2004. Le gouvernement annonça également qu’il reportait de 2007 à 2008/2009 ses mesures de rééquilibrage du budget, relâchant ainsi immédiatement la pression à la réduction des dépenses dans les services sociaux et des salaires de la fonction publique. La stratégie générale à l’approche de l’élection consistait donc à se tenir à l’écart de toute controverse pour ne pas apporter de l’eau au moulin d’une opposition qui ne cherchait qu’à aviver les ressentiments contre le gouvernement.

La campagne

La coordination au sein des deux camps

17Pour préparer l’élection, le camp pro-démocrate comme le camp pro-Pékin consacrèrent beaucoup d’énergie à la coordination des candidats. Hong Kong a adopté un système de représentation proportionnelle pour les 30 sièges directement élus dans les cinq circonscriptions géographiques, chacune d’entre elles élisant entre quatre et huit députés. Les sièges sont alloués en fonction de la proportion de voix obtenues par chaque liste d’un parti/candidat. Etant donné le nombre élevé de groupes et candidats pro-démocrates désirant se présenter aux élections, les démocrates jugèrent qu’il était capital de coordonner leurs candidats pour éviter de gâcher leurs chances en présentant trop de listes dans certaines circonscriptions. C’est au professeur de science politique Joseph Cheng et au révérend Chu Yiu-ming qu’incomba la difficile mission consistant à assurer la concertation entre les différents candidats. Il s’agissait essentiellement d’inciter les candidats jugés peu prometteurs à se retirer, de trouver les candidats appropriés pour se présenter dans les collèges socioprofessionnels (auxquels les démocrates participaient peu jusque-là), de décider si les candidats pro-démocrates devaient figurer sur une seule liste ou être disséminés sur plusieurs listes, et enfin d’empêcher les conflits entre les grosses pointures du mouvement. Cheng et Chu ont tous deux reconnu qu’ils n’ont pas totalement pu mener à bien leur mission, en particulier du fait que personne dans le camp pro-démocrate n’avait l’autorité suprême d’imposer les nominations de candidats à un tel nombre de groupes politiques. Néanmoins, ils ont jugé l’expérience positive puisque les concertations menées avant l’élection ont fourni aux démocrates une plate-forme de débats qui a permis de réduire les risques de conflits entre candidats durant la campagne18. Finalement, après avoir pris acte des différends en son sein, le camp pro-démocrate présenta 19 listes dans les cinq circonscriptions géographiques, ainsi que des candidats dans les onze collèges socioprofessionnels.

18En comparaison, le camp pro-Pékin géra relativement mieux le retrait de ses candidats les plus faibles. Des candidats tels que David Chu et Tang Shiu-tang, tous deux membres de la Hong Kong Progressive Alliance (HKPA), un parti conservateur, se retirèrent peu avant l’élection19. Le DAB se concerta également avec le Parti libéral dans les collèges socioprofessionnels pour éviter toute compétition entre les deux partis et toute dispersion des voix. Certains rapportèrent que le Bureau de liaison du gouvernement central20 avait consacré beaucoup d’énergie à établir une concertation entre les différents groupes pro-Pékin afin d’optimiser la coordination entre les candidats21.

Les thèmes de la campagne

19Le principal thème de la campagne électorale de 2004 fut, sans surprise, la question de la démocratisation. Quand bien même le combat semblait perdu d’avance, tous les démocrates firent campagne sur le thème du « suffrage universel pour 2007/2008 ». Ils avancèrent l’argument selon lequel il restait largement assez de temps pour persuader le gouvernement central de changer d’avis sur la question. Plus spécifiquement, ils firent valoir que s’ils parvenaient à obtenir une majorité ou une quasi-majorité lors de l’élection législative, leur position serait renforcée pour négocier avec le gouvernement central sur cette question. Considérant que l’élection de 2004 allait faire date dans l’histoire du mouvement, les démocrates incitèrent les électeurs à considérer cette élection comme un référendum sur la démocratie et à manifester, dans les urnes, leur soutien à la démocratie.

20Le camp pro-Pékin se montra quant à lui relativement défensif sur la question de la réforme politique. Ses membres affirmèrent qu’il n’était pas réaliste d’exiger la pleine démocratie en 2007/2008 alors même que le comité permanent de l’APN avait rendu son verdict. Le DAB, premier parti pro-Pékin, souligna que la « stabilité » et l’» harmonie » étaient essentiels pour le développement de Hong Kong, thème de campagne qu’il avait déjà utilisé lors des élections de 2000. Il accusa les démocrates d’être trop agressifs envers le gouvernement central et le gouvernement de la RAS, attitude qui, selon lui, ne pouvait que mettre en péril la « stabilité » et l’» harmonie » du territoire. Par ailleurs, le DAB mit en garde les électeurs sur le fait que si les démocrates venaient à remporter la majorité, les initiatives du gouvernement seraient confrontées à une opposition excessive et que cette situation entraînerait la paralysie du gouvernement. Les conservateurs ajoutèrent que Hong Kong devait concentrer tous ses efforts à la reprise économique et qu’ils se trouvaient dans une meilleure position que les démocrates pour redynamiser l’économie du territoire en faisant des propositions constructives au gouvernement de la RAS et au gouvernement central. Sur la question de la réforme politique, la plupart des conservateurs firent savoir qu’ils étaient favorables à l’élection au suffrage universel du chef de l’exécutif et du Legco en 2012.

21Pendant la campagne, les candidats démocrates n’eurent cesse d’attaquer la position des conservateurs sur la démocratisation en soulignant que le camp pro-Pékin avait toujours soutenu les actions impopulaires du gouvernement et la proposition de loi concernant l’article 23. Ils surnommèrent les candidats pro-Pékin « les royalistes », insinuant qu’ils avaient inlassablement suivi, coûte que coûte, les décisions du gouvernement. Les démocrates appelèrent aussi les électeurs à ne pas se fier aux promesses des conservateurs sur l’introduction du suffrage universel en 2012. Les responsables politiques pro-Pékin, disaient-ils, obéiraient toujours aux ordres du gouvernement central, et si ce dernier venait à réfuter plus tard l’échéance de 2012, ils changeraient une nouvelle fois d’avis.

22Le démocrate vétéran Martin Lee, ancien président du Parti démocrate, ironisa sur le sigle du DAB qui, selon lui, était l’acronyme de « Democracy according to Beijing ». Les conservateurs rétorquèrent quant à eux que la réforme politique devait être progressive pour garantir la stabilité et l’harmonie, que toute réforme devait obtenir l’aval de Pékin et que Hong Kong n’était pas prête pour une pleine démocratie. À leurs yeux, Hong Kong devait pour l’instant se concentrer sur la reprise économique. Les candidats pro-Pékin firent surtout campagne sur le thème des services au niveau des circonscriptions de quartiers. L’utilisation d’organisations intermédiaires telles que les syndicats ouvriers pro-Pékin22, les entreprises financées par la Chine, les organisations conservatrices de quartiers ou kaifong, les comités ruraux et autres organisations de masse pro-Pékin pour mobiliser l’électorat fut le point fort du DAB.

Une campagne négative

23Plus tard, la campagne fut émaillée par plusieurs scandales impliquant divers candidats. Le 16 août, un candidat du Parti démocrate, Alex Ho, fut arrêté à Dongguan, de l’autre côté de la frontière, pour avoir prétendument sollicité les services d’une prostituée, et fut placé – sans procès – en « détention administrative ». Le Parti démocrate déclara qu’il s’agissait d’un coup monté. Quatre jours avant l’élection, la police de Dongguan publia les « preuves » de l’arrestation de Ho, avec, à l’appui, des photos de Ho torse nu dans ce qui semblait être une chambre d’hôtel. Fin août, on révéla que le député sortant du Parti démocrate James To avait utilisé de l’argent public pour acheter un appartement qu’il utilisait comme bureau de campagne, et qu’il n’avait pas déclaré des actions qu’il possédait dans une entreprise, comme l’exige la loi. Les explications de James To ainsi que les preuves apportées concernant les transactions en question étaient tellement confuses que beaucoup soupçonnèrent que lui-même ou le Parti démocrate avait détourné de l’argent public pour acheter l’appartement en question. Une semaine plus tard, Chen Yuen-han, un poids-lourd du DAB se trouvait impliqué dans un scandale similaire, mais l’affaire fit beaucoup moins de bruit, en grande partie à cause de l’autocensure pratiquée par la presse et les médias pro-Pékin de Hong Kong.

24À n’en point douter, ces scandales portèrent un coup à la popularité, à la crédibilité et à l’image morale du Parti démocrate. Les sondages ont montré que les listes démocrates dans les deux circonscriptions concernées ont souffert d’une perte de 5 % à 10 % des intentions de vote, les listes présentées dans les autres circonscriptions étant moins affectées. Il faut toutefois noter que les pertes touchant le Parti démocrate n’ont pas forcément beaucoup profité au camp pro-Pékin puisque certaines enquêtes d’opinion ont révélé que les voix perdues se sont le plus souvent orientées vers d’autres candidats démocrates.

L’analyse des résultats

25Le 12 septembre 2004, 1,78 million de citoyens hongkongais se rendirent aux urnes, soit un taux de participation record de 55,6 %. Des irrégularités furent relevées le jour du scrutin. Dans l’après-midi, plusieurs bureaux de vote firent savoir qu’ils n’avaient plus d’urnes, et certains bureaux durent fermer pendant 45 minutes et renvoyer les électeurs. Certains candidats accusèrent les responsables des bureaux de vote d’avoir ouvert les urnes et compressé les bulletins pour accroître leur capacité sans l’accord des agents des candidats. Par ailleurs, il fallut attendre près de huit heures pour que les autorités publient le taux exact de participation23. Dans certaines circonscriptions, le nombre de voix exprimées ne correspondait pas au nombre de bulletins déposés dans les urnes. Malgré toutes ces irrégularités, le gouvernement de la RAS fit savoir que l’élection était valide.

26Le résultat du scrutin déçut les démocrates. Les 25 sièges obtenus les plaçaient bien en-deçà de la majorité qu’ils espéraient. Alors que certains démocrates enregistraient quelques gains, le Parti démocrate, emblème du camp pro-démocracie, perdit deux sièges sur les onze qu’il possédait dans la précédente assemblée. Le camp démocrate dans son ensemble ne parvint à gagner qu’un seul siège aux élections directes et deux dans les collèges socioprofessionnels. Les principaux rivaux du Parti démocrate, le DAB et le Parti libéral, tous deux conservateurs et favorables au milieu des affaires, parvinrent à gagner de nouveaux sièges malgré un climat défavorable. En remportant deux nouveaux sièges (soit 12 au total), le DAB devenait la formation politique la plus représentée au Legco. Le Parti libéral parvint à maintenir ses huit sièges dans les collèges socioprofessionnels et à faire élire son président James Tien et sa vice-présidente Selina Chow dans les élections directes. À l’issue du scrutin, la majorité pro-gouvernementale était donc maintenue, bien que réduite, les forces pro-gouvernementales remportant 31 à 32 sièges dans la nouvelle assemblée.

27Les médias étrangers ont pour la plupart présenté cette élection comme une victoire pour le camp pro-Pékin et un échec pour les démocrates, ce qui, à strictement parler, est inexact. En réalité, la part des voix obtenues par le camp pro-démocrate a légèrement augmenté (voir Tableau 2), de 57 % à 60 %, même si cette augmentation était inférieure à ses attentes. Inversement, le DAB a vu sa part des voix baisser par rapport à 2000 puisqu’elle passe de 30 % à 20 %, une baisse toutefois inférieure aux prévisions. Si le DAB est parvenu à remporter des sièges supplémentaires, c’est en grande partie parce qu’il a réussi à maintenir sa part des voix dans trois circonscriptions et à décrocher le siège supplémentaire ajouté dans chacune de ces circonscriptions. Avec 60 % du vote populaire, les démocrates ont remporté 60 % des sièges élus directement (18 sur 30), ce qui est plus ou moins équitable en fonction du système de représentation proportionnelle. Ils auraient pu remporter un siège supplémentaire s’ils n’avaient pas commis une faute tactique dans la circonscription de l’île de Hong Kong24, mais, dans tous les cas, ils ne pouvaient remporter plus de 26 sièges au total et obtenir la majorité.

2. Part des voix obtenues par les différents camps, en %

2. Part des voix obtenues par les différents camps, en %

28Si l’on compare la part des voix obtenues par les différents camps politiques depuis 1991 (Tableau 2), on remarque que les conservateurs ont pris, en 2004, une certaine avance sur les modérés/indépendants. C’est le cas notamment de candidats tels que Rita Fan, la présidente du Legco depuis 1997, et des deux poids lourds du Parti libéral James Tien et Selina Chow. Bien que membres du Legco depuis une vingtaine d’années, ils se confrontaient pour la première fois au vote populaire dans des circonscriptions géographiques, et ont attiré les voix de nombreux électeurs modérés-conservateurs. Face à une forte mobilisation du camp pro-Pékin, les démocrates sont parvenus à préserver leurs acquis et même à engranger quelques modestes victoires. En revanche, les indépendants et les modérés qui avaient fait le choix d’adopter une position à mi-chemin entre les deux camps sans un soutien organisationnel substantiel ont essuyé un revers cinglant dans cette élection25. Il est possible que la renaissance du mouvement démocratique depuis juillet 2003 ait permis d’enrayer le déclin continu des partis pro-démocrates depuis 1997, mais leur popularité n’est pas tout à fait revenue aux niveaux d’avant 1997. Dans l’ensemble, au fil du temps, les démocrates sont parvenus à consolider le soutien d’environ 60 % de l’électorat, ce qui reste tout à fait remarquable au regard de la situation observée dans la plupart des démocraties. Ce résultat montre qu’une majorité de Hongkongais soutiennent invariablement les démocrates et/ou une accélération du processus de démocratisation, mais que la nature semi-démocratique du système empêche le camp démocrate d’obtenir la majorité au Legco ou de participer au pouvoir exécutif.

29On peut observer d’autres signes positifs pour les démocrates. Ces derniers ont obtenu deux nouveaux sièges (sept au total) dans les collèges socioprofessionnels (comptables et médecins). Ils représentent désormais sept des neuf secteurs professionnels, ce qui démontre l’attachement des classes moyennes à la démocratie26.

30Plusieurs facteurs peuvent expliquer pourquoi les démocrates n’ont pas obtenu de meilleurs résultats. Il est certain que le verdict rendu en avril par le comité permanent de l’APN a brisé leur élan. Alors que la plupart des Hongkongais demeuraient favorables au suffrage universel pour 2007/2008, ils savaient néanmoins que le combat était presque perdu d’avance, ce qui a quelque peu réduit l’effet mobilisateur de ce thème de campagne. La plate-forme commune des démocrates sur le suffrage universel est certes parvenue à consolider une base de soutien pour les démocrates (qui doit constituer une grande partie des 60 % de part des voix), mais elle n’a peut-être pas convaincu les modérés qui ont voté en fonction d’autres critères non politiques ou plus concrets. Avec peu de ressources, les démocrates disposaient d’un pouvoir de mobilisation plus faible que le camp conservateur, et étaient le plus souvent contraints de s’appuyer sur une mobilisation cognitive27. La légère reprise économique de l’été 2004, en partie due à l’afflux de touristes individuels en provenance du Continent et au rétablissement progressif du territoire après le marasme de l’épidémie du SRAS de 2003, ont suscité un certain optimisme et apaisé les ressentiments contre le gouvernement28. Les sondages ont montré que certaines figures conservatrices, d’ordinaire populaires auprès des classes supérieures et moyennes telles que Rita Fan ou les candidats du Parti libéral, ont obtenu un soutien non négligeable dans certains quartiers de classes moyennes qui étaient traditionnellement des bastions démocrates. Dans l’ensemble, il est possible que la stratégie du gouvernement central ait contribué à empêcher les démocrates de remporter une victoire écrasante lors de l’élection de 2004. Mais étant donné le système de représentation proportionnelle et l’incapacité des démocrates à gagner un nombre suffisant de sièges dans les collèges socioprofessionnels, il aurait fallu que les démocrates obtiennent plus de 70 % des voix pour remporter la majorité au Legco, ce qui semble à tous points de vue impossible.

31L’élection de 2004 a abouti à une pluralisation de l’échiquier politique. Grâce à l’augmentation du nombre de sièges soumis au vote populaire, la représentation proportionnelle a commencé à porter ses fruits en diversifiant le spectre politique. Traditionnellement, les forces politiques du territoire étaient largement divisées entre démocrates et camp pro-Pékin29. La reprise économique aidant, les électeurs ont commencé, depuis 1997, à accorder plus d’importance aux questions concrètes. Un champ politique social-démocrate a émergé au sein du camp démocrate, alors que des syndicalistes démocrates tels que Lee Cheuk-yan et des responsables politiques pro-ouvriers ont commencé à prendre leurs distances par rapport au parti sur les questions de classe30. Le scrutin de 2004 a vu élire au Legco des démocrates pro-ouvriers, y compris de grandes figures de l’opposition telles que Albert Cheng et Leung Kwok-hung (plus connu à Hong Kong sous le nom de « Long Hair »). Le premier, animateur de talk-show radiophonique, est célèbre pour ses critiques au vitriol du gouvernement de Hong Kong et de ses représentants. Le second est un trotskiste autoproclamé, engagé depuis longtemps dans les protestations de rue dirigées contre le gouvernement central et le gouvernement de la RAS. Par ailleurs, le combat contre l’article 23 a vu croître la popularité de certains avocats de renom dans le territoire. Ces avocats et certains autres juristes ont créé le Groupe de vigilance sur l’article 45 (« Article 45 Concern Group ») qui a remporté quatre sièges aux élections de 2004. Le graphique 4 synthétise le nouveau spectre politique depuis ces élections.

3. Répartition des forces politiques dans le nouveau Legco

3. Répartition des forces politiques dans le nouveau Legco

4. Clivage dans le nouveau Legco

4. Clivage dans le nouveau Legco

32L’influence politique du Parti démocrate a indéniablement diminué depuis l’élection, tant au Legco que dans le camp démocrate. Après avoir été, à partir de 1994, l’emblème du camp démocrate, en occupant la moitié des 22 sièges démocrates du Legco dans la mandature 2000-2004, sa part des voix est passée de 35 % en 2000 à 25,8 % en 2004, son nombre de sièges de 11 à 9 et, aujourd’hui, il ne représente qu’un tiers des 25 sièges occupés par le camp démocrate. Ce dernier est donc dans l’ensemble plus fragmenté, puisqu’il comprend désormais à la fois des législateurs capables d’engager des actions plus radicales pour défier le gouvernement et des juristes plus modérés qui peuvent se rallier à l’avis des partis proches du milieu des affaires sur les questions de classe.

L’impact à moyen terme

33Le gouvernement central a de quoi être satisfait des résultats de l’élection de 2004 ; d’une part, les démocrates ne sont pas parvenus à remporter la majorité et, d’autre part, les candidats pro-Pékin ont obtenu des résultats honorables. Bien que les démocrates aient reçu une nouvelle fois la majorité des voix populaires, leurs résultats médiocres dans ce scrutin donnent moins de poids à l’argument selon lequel l’électorat est majoritairement en faveur du suffrage universel pour 2007/2008. Le fait que les démocrates n’aient pas réussi à augmenter leur nombre de sièges les a cantonnés dans une position de « minorité permanente » et a réduit leur pouvoir de négociation vis-à-vis du gouvernement central et du gouvernement de la RAS sur la question de la réforme politique. Au vu des résultats électoraux, il est fort probable que le gouvernement central sera encore moins enclin à faire des concessions sur les propositions de réformes concernant les prochaines élections. Les résultats de l’élection de 2004 serviront sans doute à repousser encore plus loin dans le temps la réforme politique dans le territoire.

34L’élection de 2004 marque donc le début d’une impasse pour le développement démocratique de Hong Kong. Les démocrates n’ont pas été assez forts pour forcer l’accélération du processus de démocratisation et les résultats électoraux confortent Pékin dans son refus d’accélérer la réforme. Toutefois, le report de la réforme politique ne peut que prolonger et accentuer les problèmes de gouvernance et de légitimité que rencontre le gouvernement de la RAS. La situation politique du territoire est paradoxale dans la mesure où le groupe politique qui remporte invariablement 60 % ou plus du scrutin populaire reste une minorité permanente dans l’hémicycle et demeure presque totalement à l’écart du pouvoir exécutif. Cette situation crée un problème latent de légitimité pour le gouvernement de la RAS, problème rendu apparent par les récents mouvements démocratiques et les difficultés rencontrées depuis 1997. En l’absence de réformes politiques fondamentales, cette crise de légitimité continuera de hanter la gouvernance de la RAS.

35À court terme, on peut penser que le gouvernement de la RAS continuera d’être confronté à des défis. Depuis septembre 2004, la majorité gouvernementale au Legco est quelque peu réduite et il est possible qu’un certain nombre de modérés et indépendants, qui n’appartiennent pas au camp démocrate, ne soutiennent pas systématiquement le gouvernement31. Dans l’ensemble, alors que le Legco se pluralise et se fragmente, le gouvernement risque d’avoir plus de difficultés à faire pression pour obtenir le soutien de la majorité lorsqu’il souhaite faire adopter des projets de loi controversés. Aussi peut-on s’attendre à ce que certains des membres plus radicaux tels que « Long Hair » et Albert Cheng lancent des défis sévères à l’autorité et à la légitimité du gouvernement de la RAS. Même si Pékin et le gouvernement de Hong Kong ont obtenu les résultats qu’ils souhaitaient, l’élection législative de septembre 2004 n’a pas permis de résoudre les problèmes de gouvernance les plus fondamentaux.

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Notes

1 Ambrose King, « Administrative Absorption of Politics in Hong Kong: Emphasis on the Grassroots Level », Asian Survey, n° 15, 1975, pp. 422-439.
2 Voir Sing Ming, « Economic Development, Civil Society and Democratization in Hong Kong », Journal of Contemporary Asia, vol. 26, n° 4, 1996, pp. 482-504, et Sing Ming, Hong Kong’s Tortuous Democratisation: A Comparative Analysis, London, RoutledgeCorzon, 2004.
3 Voir, par exemple, Alvin So, « The Tiananmen Incident, Patten’s Electoral Reforms, and the Roots of Contested Democracy in Hong Kong », in Ming K. Chan (éd.), The Challenge of Hong Kong’s Reintegration with China, Hong Kong, Hong Kong University Press, pp. 49-83 ; Ming K. Chan, « Democracy De-railed: Realpolitik in the Making of the Hong Kong Basic Law, 1985-90 », in Ming K. Chan et David Clark (éds.), The Hong Kong Basic Law: Blueprint for “Stability and Prosperity” under Chinese Sovereignty, Hong Kong, Hong Kong University Press, pp. 3-35 ; Sing Ming, Hong Kong’s Tortuous Democratisation, op. cit. ; Hsin-chi Kuan, « Power Dependence and Democratic Transition: The Case of Hong Kong », The China Quarterly, n° 128, 1991, pp. 774-793.
4 Voir Ma Ngok, « The Decline of the Democratic Party in Hong Kong: The Second Legislative Election in the HKSAR », Asian Survey, vol. 41, n° 4, juillet-août 2001, pp. 564-583.
5 Voir Ma Ngok, « Factionalism in the Democratic Party and the 2000 Election », in Kuan Hsin-chi, Lau Siu-kai et Timothy Ka-ying Wong (éds.), Out of the Shadow of 1997 ? The Legislative Council Election in the Hong Kong Special Administrative Region, Hong Kong, Chinese University Press, pp. 125-159.
6 La première ébauche de l’article en 1988 n’interdisait que la sécession ou la subversion. Les autorités centrales ont ajouté d’autres dispositions après les événements du printemps 1989 à Pékin. Voir Hong Kong Human Rights Monitor, A Ticking Time Bomb? Article 23, Security Law, and Human Rights in Hong Kong, Hong Kong, Hong Kong Human Rights Monitor, 2001, p. 8.
7 Sur le contenu de cette loi et les débats la concernant, voir Ma Ngok, « Civil Society in Self-Defense: The Struggle Against National Security Legislation in Hong Kong », Journal of Contemporary China (à paraître).
8 Par exemple, les résultats d’un sondage parus en décembre 2002 ont montré que 54 % des Hongkongais étaient opposés aux propositions du gouvernement alors que seulement 20 % y étaient favorables. Voir Ming Pao Daily News, 14 décembre 2002, p. A10.
9 Des sondages menées par le Programme d’opinion publique de l’Université de Hong Kong en novembre 2003 ont montré que 80 % de ceux qui avaient voté aux élections de quartiers (district councils) de novembre 2003 étaient favorables à l’élection du chef de l’exécutif au suffrage universel, et 85 % étaient favorables à l’élection de l’ensemble des membres du Legco au suffrage universel. Voir Hong Kong Economic Times, 26 janvier 2004, p. A23.
10 Les conseils de quartiers (district councils) sont des instances consultatives qui disposent d’un budget limité mais n’ont aucun pouvoir exécutif. En 2003, 400 des 529 conseillers de quartiers étaient directement élus. Traditionnellement, les conservateurs pro-Pékin détenaient un avantage certain dans ces élections locales car ils étaient plus à même de cultiver les réseaux clientélistes locaux. Toutefois, en novembre 2003, grâce à un taux de participation record de 44 %, les démocrates ont remporté une victoire écrasante. Seuls 62 candidats sur les 206 présentés par le plus grand parti pro-Pékin, la DAB, ont été élus – soit un taux de réussite de 38 % – alors que 92 des 120 candidats du Parti démocrate ont été élus – un taux de réussite de 79 %.
11 Voir Bruno Cabrillac, « Un accord commercial bilatéral entre Hong Kong et la Chine : le CEPA », Perspectives chinoises, n° 83, mai-juin 2004, pp. 43-51.
12 Ian Holliday, Ma Ngok et Ray Yep, « After 1997: The Dialectics of Hong Kong Dependence », Journal of Contemporary Asia, vol. 34, n° 2, 2004, pp. 254-270.
13 Pour des essais et des articles concernant le « débat sur le patriotisme », voir Ming Pao Editorial Department (éd.), The Patriotism Polemic (Aiguo lunzheng), Hong Kong, Ming Pao Publishers, 2004.
14 L’annexe II de la Loi fondamentale stipule que si la RAS veut modifier le mode d’élection du chef de l’exécutif après 2007, cette modification doit être approuvée par le comité permanent de l’APN. Tout changement dans la méthode d’élection du Legco doit être rapporté au comité permanent de l’APN « pour qu’il en prenne note ». Aucune disposition dans la Loi fondamentale ne dit qu’il revient au comité permanent de l’APN de décider du contenu des modifications constitutionnelles à la place de la RAS.
15 Apple Daily, 26 avril 2004, p. A6 ; Apple Daily, 27 avril 2004, p. A4.
16 Voir Ming Pao Daily News, 14 mai 2004, p. A2.
17 Hong Kong Economic Times, 14 mai 2004, p. A21.
18 Entretien avec Joseph Cheng et le révérend Chu.
19 The Sun, 24 juillet 2004, p. A6.
20 Avant 1997, l’agence Chine Nouvelle tenait lieu de consulat de Chine à Hong Kong ; c’était aussi le siège du Comité de travail sur Hong Kong et Macao du Parti communiste chinois, l’antenne du Parti à Hong Kong. Depuis 1997, renommée Bureau de liaison du gouvernement central, elle est chargée de mener à bien le travail du Parti à Hong Kong.
21 Sing Pao Daily News, 27 mars 2004, p. A3 ; Sing Tao Daily News, 28 juillet 2004, p. A6.
22 Plus grande fédération syndicaliste du territoire, la Hong Kong Federation of Trade Unions (HKFTU) comptait plus de 300 000 membres.
23 Lors des élections précédentes, le gouvernement était en mesure de donner le taux de participation exact deux heures après la fermeture des bureaux de vote.
24 Dans la circonscription de l’île de Hong Kong, les sondages des dernières semaines de la campagne donnaient une avance confortable à la liste menée par les démocrates Audrey Eu et Cyd Ho, et une légère avance des candidats du Parti démocrate Yeung Sum et Martin Lee sur la liste de la DAB. Le Parti démocrate tira la sonnette d’alarme, annonçant qu’il était possible que Martin Lee, deuxième candidat sur la liste perde son siège. Cette stratégie s’est retournée contre le Parti démocrate puisque de nombreux électeurs ont abandonné la liste d’Audrey Eu à la dernière minute, et Cyd Ho a perdu son siège avec une marge de 0,3 %, soit 800 voix. Finalement, les deux listes démocrates qui avaient remporté près de 60 % des voix n’ont obtenu que six sièges, alors que les candidats pro-Pékin remportaient trois sièges avec 36 % des voix.
25 Un bon exemple est celui d’Andrew Wong, professeur de politique publique et député au Legco depuis dix-neuf ans, qui était d’ordinaire soutenu par de nombreux électeurs modérés et bénéficiait d’un certain soutien organisationnel chez les conservateurs au niveau des quartiers (urbains et ruraux). Lors de l’élection de 2000, il avait été élu avec 14 % des voix dans la circonscription des Nouveaux Territoires-Est, alors qu’en 2004, abandonné par la plupart des conservateurs ruraux et urbains, il ne remporta que 5,4 % des voix et perdit son siège.
26 Sur les trente sièges élus par les collèges socioprofessionnels, neuf sont élus par les professionnels eux-mêmes sur la base d’une voix par personne. C’est le cas pour les enseignants, les avocats, les employés des technologies de l’information, les travailleurs sociaux, le personnel de la santé (essentiellement les infirmier(e)s), les comptables, les médecins, les ingénieurs et les architectes. Les autres sièges sont pour la plupart élus par des sociétés, ce qui défavorise les démocrates dans la mesure où ces sièges sont généralement la chasse gardée des chambres de commerce concernées et des associations sectorielles.
27 Kuan Hsin-chi et Lau Siu-kai, « Cognitive Mobilization and Electoral Support for the Democratic Party in Hong Kong », Electoral Studies, n° 21, 2002, pp. 561-582.
28 Le taux de chômage pour la période juin à août 2004 était de 6,8 %, contre 8,6 % pour la période avril-juin 2003, le plus élevé depuis 1997. La croissance du PIB est de 2,6 % pour le deuxième trimestre 2004. Pour plus d’informations, consulter les différents sites du gouvernement de la RAS :

http://www.info.gov.hk/censtatd/chinese/hkstat/fas/nat_account/gdp/gdp1_index.html

http://www.info.gov.hk/censtatd/chinese/hkstat/fas/labour/ghs/labour1_index.html

29 Voir Ma Ngok et Choy Chi-keung, « Party Competition Patterns: The 1995 and 1998 Campaigns Compared », in Kuan Hsin-chi et al. (éds.), Power Transfer and Electoral Politics: The First Legislative Elections in the Hong Kong Special Administrative Region, Hong Kong, Chinese University Press, pp. 71-104.
30 Ma Ngok, « The Decline of the Democratic Party », op. cit.
31 L’élection du président de la Commission des finances lors de la première séance du nouveau Legco en est une illustration. Le candidat pro-gouvernemental Philip Huang a perdu face à la démocrate Emily Lau parce que six membres indépendants, dont certains étaient considérés comme des députés pro-gouvernementaux, ont fait défection en bloc pour soutenir Lau. Ce résultat, auquel le gouvernement de la RAS ne s’attendait pas du tout, a montré que ce dernier ne pouvait compter systématiquement sur le soutien de tous les non-démocrates.
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Table des illustrations

Titre 1. Les types de sièges du Legco (Conseil législatif)
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Légende La manifestation du 1er juillet 2003 : une protestation massive contre le gouvernement
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Titre 2. Part des voix obtenues par les différents camps, en %
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Titre 3. Répartition des forces politiques dans le nouveau Legco
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Titre 4. Clivage dans le nouveau Legco
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Pour citer cet article

Référence électronique

Ma Ngok, « La démocratie dans l’impasse »Perspectives chinoises [En ligne], 86 | novembre-décembre 2004, mis en ligne le 19 mars 2008, consulté le 27 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/perspectiveschinoises/706

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Ma Ngok

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