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Politique

L’enseignement supérieur en Chine : un dilemme politique

Le Parti communiste devrait-il avoir une présence politique dans les établissements privés d’enseignement supérieur?
Limin Bai

Résumé

Le Parti communiste chinois (PCC) devrait-il être présent politiquement dans les institutions privées d’enseignement supérieur ? Cette question est liée à la structure de gouvernance de l’enseignement supérieur privé. Dans le secteur public, le PCC supervise la gestion des institutions et son contrôle est assuré structurellement. En revanche, la plupart des institutions privées ont un statut d’entreprise, ce qui implique que, structurellement, le PCC ne fait pas partie de l’instance de direction. Cet article s’intéresse tout d’abord aux modalités du « contrôle absolu du Parti sur l’éducation », puis étudie les enjeux de la relation entre le PCC et l’instance de direction d’une institution privée. Les possibilités légales sont ensuite examinées. La question de la présence du PCC dans l’enseignement supérieur privé reflète un dilemme caractéristique de la société chinoise actuelle : des éléments capitalistes ont été introduits pour réformer divers aspects de l’économie et de la société, mais le système politique reste inchangé. La Chine peut-elle poursuivre ses réformes sans toucher à son système politique ? Ce débat peut être considéré comme un appel en faveur de réformes politiques.

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Notes de la rédaction

Traduit de l’anglais par Séverine Bardon

Texte intégral

1Le Parti communiste chinois (PCC) doit-il être présent structurellement dans les institutions privées d’enseignement supérieur ? Cette question est primordiale pour la gouvernance de l’enseignement supérieur privé. Cet article s’appuie sur une enquête menée à Shanghai en 2003, qui avait pour objectifs d’identifier les problèmes posés par le rôle du Parti dans l’enseignement supérieur privé et de proposer des solutions pour accroître le contrôle du Parti1.

2Les principales différences entre les secteurs public et privé d’enseignement supérieur résident dans les structures de gouvernance et les modalités de financement. Dans le secteur public, le Parti supervise la gestion et son autorité est garantie structurellement. Le statut légal d’une institution privée d’éducation est souvent celui d’une société commerciale : le conseil de direction gère les questions financières, organise le fonctionnement et nomme également le directeur, responsable de la gestion. Structurellement, le Parti n’est pas intégré aux instances de direction. Cette différence est liée au financement : le secteur public est largement financé par le gouvernement, alors que le secteur privé repose sur des financements propres et doit survivre dans un marché devenu compétitif. Cependant, politiquement et idéologiquement, le contrôle du Parti sur l’éducation dans les deux secteurs est absolu.

3La réforme de l’enseignement supérieur a entraîné le développement d’un secteur privé, et l’utilisation progressive de méthodes capitalistes dans le financement et la gestion. Mais la question fondamentale du rôle des représentants du Parti dans les institutions privées d’éducation reste un sujet tabou. Alors que le système politique chinois est toujours communiste, le système de financement et la structure administrative de l’enseignement supérieur privé sont plutôt de nature capitaliste. Cette tension qui menace le contrôle du Parti sur l’éducation est à l’origine de débats. En quoi l’éducation privée en Chine est-elle socialiste ? L’enseignement doit-il être autorisé à faire du profit ? Quelles organisations devraient être responsables de la supervision des institutions privées d’éducation ? Des mesures légales devraient-elles être préférées à l’intervention du Parti pour les réguler ? Ces questions se rejoignent toutes en une interrogation centrale : jusqu’où l’éducation privée peut-elle se développer en Chine si des méthodes capitalistes sont utilisées dans sa gestion, mais que le rôle politique structurel du Parti reste inchangé ?

Le contrôle du Parti sur l’éducation reste absolu
© Imaginechina

4Jusqu’à présent, il y a eu très peu de discussions sur le rôle dirigeant du Parti dans le secteur de l’éducation privée, et sur la manière dont le gouvernement chinois pourrait utiliser la loi pour réguler et superviser ce secteur tout en respectant son autonomie. Pour les chercheurs hors de Chine, le développement et l’expansion du secteur de l’éducation privée sont fascinants2 ; de nombreuses institutions d’éducation se sont déjà intéressées à cet immense marché depuis que la Chine a adhéré à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). En Chine même, quelques chercheurs et enseignants ont préconisé le recours à la loi pour promouvoir et développer l’enseignement privé3, et il existe des débats sur « comment modifier le rôle administratif du Parti »4.

5Dans cet article, nous examinerons d’abord « le contrôle absolu du Parti sur l’éducation », pour étudier ensuite les relations entre le Parti et l’instance de direction d’une institution privée. Puis nous examinerons les possibilités de recours à la loi pour garantir le respect des directives et réglementations du gouvernement par les établissements d’enseignement privés.

En quoi consiste le contrôle absolu du Parti sur l’éducation ?

6Le contrôle absolu du Parti sur l’éducation est garanti par la Constitution et la loi. Le Parti a autorité sur les principes et les orientations politiques, la prise de décision sur les enjeux majeurs, et sur la nomination des fonctionnaires importants des organisations gouvernementales. Les politiques et les décisions du Parti deviennent les codes de conduite que doit observer l’intégralité de la société. En résumé, le Parti est le moteur de la construction socialiste chinoise. La domination absolue du Parti dans l’éducation est garantie par le système politique.

7La gouvernance d’une université ou d’une institution d’enseignement supérieur financées par le gouvernement est assurée par deux autorités : le Parti et l’administration. Alors que le président d’une université est, d’un point de vue administratif, l’équivalent d’un directeur général, il reste néanmoins subordonné au secrétaire du Parti. Cette structure assure la domination du Parti sur l’enseignement supérieur. Ce système a été mis en place en 1949, quand toutes les institutions privées d’éducation ont été supprimées ou fondues dans des institutions publiques. La domination du Parti sur l’enseignement supérieur public est ainsi assurée structurellement.

8Au milieu des années 1980, les débuts de la réforme de l’éducation ont permis l’apparition et le développement d’un enseignement non gouvernemental. En 1993, le Conseil des Affaires d’Etat a publié un « Abrégé sur la réforme et le développement de l’éducation en Chine », qui annonçait des mesures visant à amplifier les réformes. Le gouvernement ne serait plus le seul à prendre en charge l’éducation, et il ferait bon accueil aux investissements privés (ou non gouvernementaux) dans ce secteur.

9En 2002, le comité permanent de la neuvième Assemblée populaire nationale a adopté la « Loi pour la promotion de l’éducation non gouvernementale », dans laquelle le gouvernement mettait l’accent sur le développement de l’éducation privée : encouragement, aide, conseils et supervision dans le respect de la loi5. C’est alors que de nombreux chercheurs, en vue d’élaborer la nouvelle réglementation, se sont inspirés des expériences et des leçons d’autres pays développés, ainsi que de Taiwan, Hong Kong, et de l’histoire de l’éducation traditionnelle chinoise. Cependant, aucun modèle ou expérience ne permettait de résoudre la question du rôle du Parti.

10En Chine, l’éducation privée est aujourd’hui généralement désignée par le terme minban, ou « éducation non gouvernementale » ; elle comprend des institutions créées et gérées par des entreprises et organisations d’Etat ou collectives, ainsi que des entreprises privées ou des individus. Des débats ont eu lieu sur la définition de ce terme, et notamment sur sa capacité à rassembler, sous la désignation « éducation privée », les différents pourvoyeurs d’éducation. Il a été convenu que les organisations d’éducation non gouvernementales ne sont pas toutes de nature privée. Le secteur regroupe à la fois des propriétaires privés et publics, avec une proportion considérable d’écoles non gouvernementales sous un régime de propriété qui n’est pas privé. Malgré la diversité des structures et des propriétés, ces organisations d’éducation ont néanmoins un point en commun : leurs ressources financières ne proviennent pas de fonds gouvernementaux. De fait, les termes de minban ou d’éducation non gouvernementale désignent les institutions éducatives qui ne sont pas financées par le gouvernement6. Les universités et institutions privées d’enseignement supérieur répondent à une demande et leur apparition a contribué à alléger la pression sur les fonds publics destinés à l’éducation.

11Le concept d’entreprise d’éducation, avancé aussi par les spécialistes, reste sujet à controverse, bien que l’enseignement supérieur privé ait emprunté de nombreuses idées et méthodes aux entreprises privées. Certains ont même avancé que l’éducation devrait être gérée comme n’importe quelle autre activité commerciale7. Néanmoins, même ces derniers reconnaissent que les entreprises d’éducation sont différentes des autres, car leur activité productive s’applique à des personnes. Cette différence conduit certains à promouvoir un renforcement du rôle du Parti afin d’assurer la nature socialiste de l’éducation y compris dans le secteur privé.

12Selon l’économiste Li Yining, il existe trois différences principales entre l’enseignement supérieur privé et le reste de l’économie privée. Tout d’abord, alors que les entreprises privées recherchent le profit, ce ne devrait pas être l’objectif principal des entreprises d’éducation. Ensuite, alors que les investissements des entreprises sont fonction de leurs profits, les entreprises d’éducation ne peuvent pas opérer de cette manière, car les fonds destinés à des fins d’éducation sont difficilement transférables vers d’autres activités. Enfin, l’éducation est un bien public, et les biens des institutions d’éducation ne peuvent pas être utilisées pour garantir d’autres prêts8.

13Trois différences apparaissent également dans les modalités de direction. Tout d’abord, le conseil de direction d’un organisme d’éducation est placé sous la supervision et le contrôle du bureau de l’éducation du gouvernement local, qui a totale autorité sur sa composition et son fonctionnement, alors que dans une entreprise, le conseil d’administration élit le président. Deuxièmement, le conseil de direction est composé d’enseignants et de personnes s’intéressant à l’éducation, motivés par le service de l’intérêt public, alors qu’un conseil d’administration est composé d’investisseurs dont l’objectif est de redistribuer des profits aux actionnaires. Enfin, tous les membres du conseil de direction ont un droit de vote équivalent, alors que dans un conseil d’administration, l’actionnariat détermine le droit de vote et le poids de chacun9.

14Outre ces caractéristiques propres des entreprises d’éducation, il existe une différence cruciale entre les structures de direction des secteurs d’éducation privé et public. Dans une institution publique d’enseignement supérieur, la gestion administrative est conduite sous contrôle du Parti, alors que dans une institution privée, le conseil de direction est seul maître à bord. Ce conseil de direction est habilité à contrôler le directeur qu’il a nommé et à vérifier que ce dernier suit bien les politiques mises en place par le gouvernement central et le Parti, gère l’établissement dans le respect de la loi, et veille à la qualité de l’enseignement. Le conseil de direction n’intervient toutefois pas dans les affaires quotidiennes. Le cadre légal de cette structure de gouvernance est fourni par la Loi pour la promotion de l’éducation non gouvernementale qui ne mentionne pas de rôle pour le Parti.

15Néanmoins, il n’y a aucune différence en termes d’objectifs, de politique et de contenu entre les secteurs public et privé. Autrement dit, les pourvoyeurs privés d’éducation doivent respecter la nature socialiste de l’éducation. Selon la Loi pour la promotion de l’éducation non gouvernementale, « l’éducation non gouvernementale est également un bien public et fait partie de l’éducation socialiste »10. Afin de mettre ceci en pratique, la Loi stipule que « les pourvoyeurs d’éducation non gouvernementaux agissent en conformité avec la loi et les réglementations, suivent et appliquent les politiques d’éducation du gouvernement, assurent un enseignement de qualité et se dévouent à la formation de talents pour la construction du socialisme »11.

16En résumé, l’éducation privée a émergé en Chine en réponse au rapide développement économique et à une demande d’éducation, notamment dans l’enseignement supérieur. Une différence majeure entre les secteurs d’éducation privé et public réside dans leur financement. Un établissement d’éducation avec des ressources non gouvernementales est considéré comme privé. L’éducation privée est définie par le gouvernement chinois comme faisant partie du système d’éducation socialiste, et comme un bien public. Aussi l’éducation privée est-elle en théorie contrôlée par le Parti, bien que celui-ci n’y ait pas la même position structurelle que dans le secteur public.

Mission impossible : le dilemme des cadres du Parti dans les institutions privées d’éducation supérieure

17Sans la participation directe du Parti dans la gestion et l’administration des institutions privées, les réglementations de la Loi pour la promotion de l’éducation non gouvernementale seraient-elles négligées ? Le contrôle du Parti devrait-il être compris dans une perspective plus large, et non pas réduit à une présence structurelle ? Pour répondre à ces questions, nous devons examiner les relations entre le Parti et l’instance de direction d’un établissement d’éducation privé.

18Selon un document émis conjointement par le Département des ressources humaines du Comité Central du Parti et le Comité du Parti du ministère de l’Education en juin 2000, le Parti poursuit six objectifs vis-à-vis des institutions privées d’éducation :

  • faire appliquer les politiques qu’il a définies, contrôler l’administration de l’établissement afin qu’il suive bien la ligne du Parti, adhère à l’orientation socialiste de l’éducation et respecte les lois ;

  • participer à la prise de décision sur les questions importantes, et soutenir les activités de l’établissement dans le respect de la loi ;

  • renforcer le Parti idéologiquement ;

  • diriger les travaux politiques et idéologiques ainsi que l’éducation morale au sein de l’établissement ;

  • encadrer les organisations de masse de l’établissement, telles que les syndicats, les associations d’étudiants, la Ligue de la Jeunesse, etc.

  • contribuer au travail de Front uni.

19Ces objectifs apparaissent peu différents de ceux du secteur public de l’éducation. Comme nous l’avons mentionné précédemment, le rôle dominant du Parti dans le secteur public est garanti structurellement alors que dans le secteur privé, celui-ci n’est pas intégré à l’instance de direction. Les objectifs du Parti sont-ils pris en compte de la même manière dans les établissements privés et publics ? Les 21 institutions d’éducation non gouvernementales, objets de l’enquête à Shanghai en 2003 (dont 14 étaient déjà opérationnels et 7 sur le point d’ouvrir) ont toutes une représentation du Parti, mais la plupart des cadres du Parti ne le sont qu’à mi-temps. Par exemple, le directeur ou le directeur-adjoint de l’institution est en même temps le secrétaire du Parti12. Cette pratique, fréquente, influence l’application des directives du Parti.

20Dans le secteur public, le secrétaire du Parti se consacre exclusivement au travail politique et idéologique. En revanche, dans une institution privée, le secrétaire du Parti à mi-temps exerce en même temps une activité de gestion, et fait de la survie de son établissement sa priorité. Il est donc inévitable que le rôle des secrétaires du Parti dans les institutions d’éducation privées se limite souvent à la diffusion des documents transmis par leurs supérieurs. Lors des prises de décision, ils font en général passer leurs devoirs de directeur avant ceux de secrétaire du Parti. Et si le secrétaire du Parti n’est pas le directeur ou un membre du conseil de direction, il aura peu d’influence sur la prise de décision.

21Quant au travail idéologique des membres du Parti, selon les résultats de l’enquête, il n’existe qu’en théorie. Dans le secteur public, le Parti auquel sont affiliés les employés, occupe la position hiérarchique la plus haute. Dans le privé, que ce soit dans le secteur de l’éducation ou ailleurs, les employés sont embauchés par des patrons privés ; les membres du Parti, au sein du personnel, sont avant tout des employés, et leur lien avec le Parti semble insignifiant.

22Dans ces conditions, les organisations du Parti sont confrontées à des difficultés dans la mise en place dans le privé de fonctions ou d’activités qui n’ont jamais posé problème dans le public. Bien que les organisations du Parti aient été relativement actives dans l’éducation morale et le travail idéologique auprès des étudiants, elles n’ont jusqu’à présent pas joué de rôle significatif dans les organisations de masse. Et le travail de Front uni n’a pas encore été inscrit à l’agenda des organisations du Parti dans le secteur privé de l’éducation13. Ceci suggère que sans rôle structurel dans les institutions privées, il sera difficile au Parti d’y faire les mêmes progrès que dans les institutions publiques : son rôle dans le secteur privé pourrait bien n’être que nominal.

L’alternative : recourir à la loi

23Le Parti est conscient de la faiblesse de son contrôle sur le secteur privé de l’éducation : l’équipe de chercheurs qui a mené l’enquête à Shanghai a donc recommandé que le gouvernement ou le Parti consacre davantage de ressources pour favoriser l’implantation du Parti dans les organismes non gouvernementaux d’éducation. Ceci permettrait de garantir la nature socialiste de l’éducation privée14. Mais le gouvernement devrait-il tenter de développer la présence du Parti dans le secteur privé de l’éducation, ou plutôt utiliser la loi pour réguler et contrôler ce secteur ?

24Selon l’enquête, l’un des principaux problèmes des institutions d’éducation non gouvernementales à Shanghai est le manque de supervision sur le conseil de direction. Pour obtenir l’autorisation du gouvernement local, une institution doit mettre en place un conseil de direction et élaborer des règles de fonctionnement. Mais le gouvernement local ne peut pas vérifier en permanence que l’institution respecte ces règles et que le conseil de direction fonctionne correctement. D’autre part, les employés et les membres du conseil dans une organisation privée changent fréquemment. Dans ces circonstances, la supervision démocratique du conseil et de son président est presque inexistante, et les présidents des conseils peuvent facilement considérer l’établissement d’éducation comme une entreprise familiale. Par exemple, au lieu de gérer les institutions grâce au conseil et en conformité avec les règles, certains présidents emploient des parents pour diriger l’établissement15. Comme nous l’avons précédemment mentionné, le conseil de direction nomme un directeur pour gérer l’enseignement et l’administration ; le conseil et son président ont autorité sur le directeur, mais le président du conseil n’est pas autorisé à interférer dans les responsabilités du directeur. Cependant, en pratique, certains présidents enfreignent ces règles.

25Dans ces circonstances, plutôt que d’essayer de renforcer la domination du Parti dans le secteur privé dans un sens traditionnel et étroit, le gouvernement pourrait essayer d’améliorer continuellement l’application de la loi, et employer des moyens réglementaires pour contrôler le fonctionnement du secteur privé de l’éducation.

26Le gouvernement doit fournir au conseil de direction des établissements privés non seulement des principes, mais également des règles de gouvernance adaptées à la direction d’entreprise, et doit mettre en place des systèmes adéquats de contrôle et supervision. Puisque le fonctionnement d’un conseil de direction est une chose relativement nouvelle à la fois pour les membres du conseil et pour son président, il est nécessaire de leur offrir une formation à la direction d’entreprise, de leur faire prendre conscience de leurs devoirs et de leurs droits, de leur faire savoir quelles sont les opérations légales et celles qui ne le sont pas. Les membres du conseil seraient alors en mesure d’empêcher le président d’agir de manière paternaliste, et pourraient promouvoir un fonctionnement démocratique de l’institution.

27Le gouvernement devrait encourager la création d’organisations professionnelles, comme un Comité des directeurs de l’éducation non gouvernementale ou privée, ou une association de l’éducation privée. Celles-ci pourraient ainsi s’autoréguler, et superviser toutes les institutions du secteur16. Le gouvernement doit aussi encourager la création d’organisations capables de mener des contrôles en tant que tierce partie indépendante.

28Ces suggestions mettent l’accent sur le fait que ce n’est pas le contrôle par le comité du Parti, mais plutôt des textes réglementaires qui doivent être mis en place dans tous les aspects des opérations des institutions privées, telles que l’administration, l’enseignement, et les finances. Si, par exemple le directeur adjoint responsable des finances d’une institution détournait des fonds, l’institution devrait tirer les leçons de cette expérience afin d’empêcher que de tels actes illégaux puissent se renouveler.

29L’enquête montre également que le Parti, dans toutes les institutions non-gouvernementales, a joué un rôle actif dans la formation idéologique et politique des étudiants. La plupart des conseils de direction comptent sur l’organisation du Parti pour mener à bien ce travail qui comprend normalement la nomination des enseignants responsables de classes ou des conseillers politiques17. Cependant, des réglementations bien conçues pourraient aider les étudiants à connaître leurs droits et devoirs ; des codes et des normes de conduite clairs pourraient également être mis en place pour guider les étudiants, et des organisations d’étudiants autogérées pourraient être encouragées.

30En résumé, les problèmes actuels inhérents au secteur privé de l’éducation ne devraient pas être simplement considérés comme résultant d’un manque de contrôle du Parti. Comme de nombreux chercheurs et enseignants l’ont remarqué, les contre-performances dans le secteur privé de l’éducation découlent plutôt de l’insuffisance de la législation et des règlements opérationnels. Maintenant qu’une loi spécifique a été mise en place pour le secteur de l’éducation non gouvernementale, celui-ci devrait être développé et progressivement régulé conformément à cette loi.

Une nouvelle perspective pour le rôle du Parti dans l’enseignement supérieur privé

31Afin de renforcer le contrôle du Parti dans l’enseignement supérieur privé, le même rapport d’enquête recommande que le Comité du Parti de l’échelon supérieur nomme des cadres à temps plein dans les écoles et institutions privées. Ces cadres s’assureraient de la réalisation des objectifs du Parti, ce dernier étant responsable financièrement des coûts associés à leur présence18. Si cette suggestion était acceptée, elle ne générerait pas de surcharge financière pour les établissements d’éducation privés. Mais comment ces cadres pourraient-ils s’intégrer ? Auraient-ils un statut de commissaires du Parti, en étant membres du conseil de direction ? Dans ce cas, quid de l’autonomie des établissements d’éducation privés ?

32Il existe deux différences majeures dans l’administration et la gestion des secteurs public et privé. Tout d’abord, les établissements privés d’éducation sont autonomes en termes de recrutement des enseignants et de leur personnel, d’échelle des salaires, d’utilisation et de gestion des fonds et des équipements. Deuxièmement, les établissements privés d’enseignements professionnels sont autorisés à décider eux-mêmes de leurs programmes en fonction des demandes du marché.

33Les établissements d’éducation privés sont pionniers dans ces domaines : une gestion et des méthodes administratives bien conçues dans le secteur privé pourraient fournir des expériences précieuses pour guider de futures réformes du secteur public. Nommer des cadres du Parti au sein des institutions privées pourrait bloquer ce processus.

34Ce privilège de l’autonomie est également important pour le futur développement de l’éducation privée. Le gouvernement a essayé d’attirer tous les groupes sociaux, indépendamment de leurs opinions politiques et de leurs origines, pour qu’ils investissent dans l’éducation. Mais la nomination de cadres du Parti dans les institutions privées pourrait avoir des implications pour les écoles et institutions établies par d’autres groupes ou partis politiques, ainsi que pour celles utilisant des capitaux étrangers. Elle pourrait entraver le développement de l’éducation privée, et gêner le processus d’internationalisation de l’éducation.

35L’accent mis sur l’autonomie de la direction dans l’enseignement supérieur privé pourrait être considéré comme un appel en faveur de l’abolition de la domination du Parti. Etant données les conditions politiques et idéologiques en Chine, ceci est inacceptable. La présence politique structurelle du Parti dans les institutions supérieures privées n’est cependant pas nécessaire, puisqu’il existe des alternatives qui pourraient répondre aux objectifs du Parti, tout en respectant l’autonomie du secteur.

36Par exemple, tous les membres du Parti dans les instituts supérieurs privés pourraient être affiliés au Comité du Parti du bureau régional de l’éducation, sous une branche de l’éducation privée. Il n’y aurait ainsi aucune contradiction structurelle ni aucun double emploi avec des fournisseurs d’éducation individuels privés. Le Comité du Parti pourrait se concentrer sur la formation de ses membres à la connaissance de la loi et des politiques du Parti, en fonction de leurs droits et devoirs dans le secteur privé de l’éducation. Les membres du Parti, y compris les employés ordinaires, les membres du conseil de direction et les directeurs, devraient être encouragés à respecter la loi et à participer à la supervision des institutions dans lesquelles ils travaillent. De plus, comme les membres du Parti sont issus d’établissements différents, ils pourraient échanger des informations et leurs points de vue, et pourraient ainsi être bien informés sur les évolutions du secteur. Ceci leur permettrait de mieux exercer leurs droits. En même temps, ce système aiderait les autorités du gouvernement à contrôler et surveiller le secteur privé, et notamment à vérifier qu’il respecte bien les lois et veille à la qualité de l’enseignement. Quant à l’aide à fournir aux organisations de masses, telles que la Ligue de la Jeunesse, les associations d’étudiants, les syndicats ou les associations d’enseignants, le Parti pourrait y contribuer et exercer son contrôle à travers ses membres. Le Comité du Parti pourrait également aider les bureaux du gouvernement concernés à résoudre les différends entre employeurs et employés.

La Chine peut-être poursuivre ses réformes sans modifier son système politique ?

37La réforme de l’éducation supérieure en Chine est révélatrice des tensions entre une économie pour partie capitaliste et un système politique resté inchangé. Ce mélange de capitalisme et de socialisme a été instauré par Deng Xiaoping qui avait décidé qu’il n’y aurait pas de débat sur la nature des réformes, tant que celles-ci contribueraient au développement économique de la Chine. Bien que ce mélange soit enrobé par la théorie du « socialisme aux caractéristiques chinoises », il est en fait une nouvelle interprétation de la thèse du « savoir chinois comme essence, savoir occidental comme usage ». Elle a certes permis à la Chine d’adopter un certain nombre d’éléments occidentaux favorisant le développement économique et les progrès technologiques, sans réformer son système politique, mais cette voie peut-elle être poursuivie ?

38En fait, l’absence structurelle du Parti dans l’enseignement supérieur privé ne menace pas la domination globale du Parti. La politique du Parti en matière d’éducation et ses objectifs sont contenus dans les lois. Ainsi, tant que les établissements d’éducation privés respectent la loi, tant que les programmes des enseignements répondent aux objectifs du gouvernements et des besoins locaux, la domination absolue du Parti sur l’éducation est garantie. Toute interprétation étroite du rôle du Parti dans l’éducation privée ne ferait qu’affaiblir la mise en place de la loi, et bloquerait le développement futur de l’éducation privée.

39De plus, la définition du rôle du Parti dans l’enseignement supérieur privé dépend de la clarification du statut légal des institutions privées d’éducation et du renforcement du cadre juridique dans lequel elles fonctionnent. L’accent doit être mis, selon nous, sur le dispositif légal, plutôt que sur le rôle dirigeant du Parti. Ce cadre juridique garantirait également que le gouvernement, à tous les niveaux, accorde au secteur privé de l’éducation une réelle autonomie, et qu’il lui permette de fonctionner selon les besoins du développement socio-économique et du marché de l’emploi.

40Plus important, l’expérience et les leçons tirées de l’enseignement supérieur privé pourraient être utilisées pour mener une plus ample réforme de l’administration et de la gestion des institutions publiques d’enseignement supérieur, notamment pour redéfinir le statut légal des institutions d’éducation supérieure. Ceci imposerait alors au Parti d’adapter son rôle dans l’éducation. Ce n’est qu’à partir de ce moment-là que la relation entre le gouvernement et les institutions d’éducation supérieure pourra être réorientée, et que les universités pourront avoir davantage d’autonomie en matière financière et académique.

41La portée de ce débat ne se limite pas à la réforme du secteur de l’éducation supérieure. Il révèle un besoin de plus amples réformes politiques. Depuis 1949, le contrôle absolu du Parti sur tous les aspects de la vie politique et sociale est devenu « naturel » ; toute opposition au Parti est considérée comme illégale, et est interdite politiquement et idéologiquement. Durant les vingt dernières années, les réformes économiques de la Chine ont conduit à l’incorporation de nombreux éléments capitalistes dans la matrice socialiste chinoise. Cependant, puisque Deng Xiaoping avait maintenu les Quatre Principes Cardinaux, le contrôle du Parti demeure absolu, bien que le capitalisme soit autorisé en matière économique. Ce mélange de capitalisme et de socialisme a bien fonctionné pendant plus de vingt ans, mais il n’est plus adapté, et le gouvernement chinois devra prendre en compte les demandes de réformes politiques. Le débat sur le rôle du Parti dans l’enseignement supérieur privé peut être considéré comme un signe précurseur de tels changements.

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Notes

1 Wu Weimin, rapport d’enquête sur 21 organisations privées de l’enseignement supérieur, non publié, Shanghai jiaoyu kexueyuan, 2003.
2 Voir James Tooley, Lessons from Private Education in Developing Countries, Stanford, Ca., Hoover Institution Press, 2002.
3 Pan Maoyuan et Wei Yitong, « Lifa sili gaodeng jiaoyu fazhan de baozhang » (Protéger l’éducation privée par la loi), Gaodeng jiaoyu yanjiu (Recherches sur l’enseignement supérieur), n° 1, 1996, pp. 20-22 ; Wu Yiying et al., « Guanyu jianquan woguo sili gaodeng jiaoyu yunxin jizhi » (Sur la création d’un mécanisme opérationnel pour l’éducation non gouvernementale), Fujian gaojiao yanjiu (Enseignement supérieur du Fujian) n°5, 1996, pp. 19-22 ; Hu Wei, Minban jiaoyu de fazhan yu guifan (Développement et régulation de l’éducation non gouvernementale), Beijing jiaoyu kexue chubanshe, 2000.
4 Lors de la conférence internationale sur la réforme de l’éducation en Chine au xxie siècle, organisée conjointement par l’université de Xiamen et l’université de Hong Kong en décembre 2003, j’ai pris connaissance des débats sur la manière de changer le rôle administratif du Parti (Dang de xingzheng zhineng de zhuanhuan).
5 Pour connaître les grandes lignes de développement de l’éducation non gouvernementale en Chine, on peut consulter le service de planification du ministère de l’Education, et l’Institut de recherche sur l’éducation de Shanghai. Voir Zhongguo minban jiaoyu lüpishu (Livre vert sur l’éducation non gouvernementale en Chine), Shanghai jiaoyu chubanshe, 2003, pp. 169-174 et pp. 229-236 ; Hu Dongfang et Jiang Chunjiao, « Minban » za ban ? – Zhongguo minban jiaoyu yousilu (Où est l’avenir – Inquiétudes concernant l’éducation non gouvernementale en Chine), Fujian jiaoyu chubanshe, 2001, pp. 31-32.
6 Gu Meilin, Zhongguo minban jiaoyu tansuo (Etude sur l’éducation non gouvernementale en Chine), Sichuan jiaoyu chubanshe, 1999, pp. 17-18.
7 « More Money Spent on Education », Beijing Review, vol. 42, n° 26, juin 1999, p. 24.
8 Li Yining, « Lun jiaoyu jingfei de chouji yu yunzuo » (Sur la levée de fonds pour l’éducation et leur utilisation), analysé par Gu Meilin dans Zhongguo minban jiaoyu tansuo, op. cit., pp. 8-9.
9 Cet argument a été avancé par Wang Zhiqiang, responsable du secteur de l’éducation non gouvernementale au sein du Comité de l’enseignement supérieur. L’opinion de M. Wang est citée par Gu Meilin dans Zhongguo minban jiaoyu tansuo, op. cit., pp. 9-10.
10 Non-governmental Education Promotion Act, Chapitre 1, Article 3.
11 Ibid, Article 4.
12 Wu Weimin, op. cit.
13 Ibid.
14 Ibid.
15 Ibid.
16 Chen Guisheng fait deux propositions à ce sujet. Voir « Minban xuexiao dongshihui wenti – jianlun xuexiao de shehui jiandu yu ziwo jiandu » (Le conseil d’administration dans l’éducation non gouvernementale – Sur la supervision des écoles par la société, et l’auto-supervision des écoles), Minban jiaoyu dongtai (Développement de l’éducation non gouvernementale), n° 11, 2000, pp. 35-38 ; et « Guanyu minban xuexiao xiehui de yijian tigang » (Propositions pour l’association des institutions d’éducation non gouvernementales), Minban jiaoyu dongtai (Développement de l’éducation non gouvernementale), n° 2, 2002, pp. 1-4.
17 Wu Weimin, op. cit.
18 Ibid.
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Table des illustrations

Légende Le contrôle du Parti sur l’éducation reste absolu© Imaginechina
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Pour citer cet article

Référence électronique

Limin Bai, « L’enseignement supérieur en Chine : un dilemme politique »Perspectives chinoises [En ligne], 86 | novembre-décembre 2004, mis en ligne le 30 septembre 2008, consulté le 15 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/perspectiveschinoises/704

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