He Qinglian, Wusuo Zhongguo. Zhongguo dalu kongzhi meiti celüe da jiemi (La Chine enfermée dans le brouillard : révélations sur les politiques de contrôle des médias en Chine continentale), Taipei, Liming wenhua chubanshe, 2006, 462 p.
Texte intégral
1On se sent vite désorienté lorsque l’on tente de dissiper les brumes qui entourent les médias chinois. D’une part, la mise au jour des politiques gouvernementales passe par le décryptage du pesant jargon officiel ; de l’autre l’âpre réalité des médias et de la censure au travail peut être une source de confusion plus grande encore. Heureusement, les sinisants peuvent désormais s’orienter à l’aide du livre de He Qinglian, qui constitue une étude minutieuse du contrôle des médias en RPC. L’ouvrage représente un complément bienvenu au plus mince rapport de recherche de 2003, simplement intitulé Le Contrôle des médias en Chine, rédigé par l’auteur pour l’ONG internationale Human Rights in China.
2La Chine enfermée dans le brouillard commence par un passage en revue de l’histoire de la presse et du contrôle de la pensée en République populaire de Chine depuis la création des « réseaux d’information socialistes » avant 1949 jusqu’à l’actuel régime post-Tiananmen « d’opinion publique dirigée » en passant par le « mouvement de libération de la pensée » des années 1980. Les quatre premiers chapitres abordent essentiellement les mécanismes de contrôle, incluant les lois qui leur sont relatives, les réglementations et les leviers d’action du Parti et du gouvernement. Cette section, en grande partie encore d’actualité, représente une référence utile. He Qinglian y traite une palette de sujets importants, notamment la manière dont les lois relatives au secret s’appliquent à la presse, la façon dont les différents médias sont pris dans les hiérarchies politiques chinoises – et en quoi cela influe sur le travail journalistique, enfin la manière dont l’endoctrinement politique est mené dans le monde de la presse. Si l’auteur a le mérite ne pas se perdre dans la complexité du sujet, elle succombe souvent à la tentation de la simplification excessive. Dans la plupart des cas, celle-ci résulte d’une importance excessive accordée à la notion de contrôle, vue comme impulsion première et point d’analyse central pour tout sujet relié aux medias. Dans le premier chapitre, par exemple, He Qinglian utilise le mot « purge », ou zhengdun , en référence à une note officielle de juillet 2003 émanant du Conseil des Affaires d’État. Ce document réprouve la pratique commune de l’abonnement forcé, par laquelle les administrations gouvernementales exploitaient habituellement les services (et les entreprises) dépendant d’eux, en réclamant le versement de sommes substantielles pour que ces derniers s’abonnent à leurs publications. La note, connue sous le nom de document 19, a rendu cette pratique hors-la-loi dans le but de « réduire la pression sur les paysans et la masse populaire ».
3L’auteur souligne, avec raison, que le document 19 a joué le rôle de condamnation à mort pour des centaines de publications, qui ont perdu à cette occasion leur principale source de financement et ont dû tenter de survivre sur un marché commercial concurrentiel. Cependant, cette politique n’avait pas finalité, comme le suggère He, une purge de la presse revenant sur les acquis des années 1990, époque durant laquelle le mouvement de commercialisation avait donné naissance à une myriade de nouvelles publications. Il est peut être vrai que cette disparition de titres a profité aux médias officiels centraux comme Le Quotidien du Peuple car elles ont réduit au silence un flux de propagande superflue, en permettant aux bureaux et aux entreprises de ne plus être submergés de torchons officiels. Mais l’auteur interprète leur disparition comme une regrettable perte de diversité dans la presse, alors qu’ils n’avaient en vérité aucune impact concret sur la qualité du journalisme en Chine. Ces publications n’avaient en effet rien à voir avec du journalisme : c’étaient de simples vaches à lait pour d’avides fonctionnaires gouvernementaux.
4S’il existait réellement, le journalisme offensif se rencontrait ailleurs, dans des titres comme le Nanfang Zhoumo (connu sous son nom anglais, Southern Weekend) et le Nanfang Dushi bao (Southern Metropolis Daily), tous deux des dérivés commerciaux de l’organe officiel du Guangdong le Nanfang Ribao, ou encore au sein de bastions de la presse, plus anciens, comme le Zhongguo qingnian bao publié par la Ligue des jeunesses communistes et également parmi des magazines plutôt commerciaux comme Caijing and Zhongguo xinwen zhoukan (également connu sous le nom China Newsweek), ce dernier étant une filiale du service officiel d’information chinois. L’étrange et intense triangle amoureux formé par le contrôle du Parti, le phénomène de commercialisation et du journalisme professionnel en Chine est une des énigmes clés sur laquelle doit se pencher tout chercheur dans le domaine des médias chinois. Comment réconcilier le désir d’indépendance dans le journalisme chinois – le reportage d’investigation, une diversité toujours plus grande des points de vue éditoriaux, etc. – avec un système draconien de censure ? Alors que les contrôles sont une réalité toujours présente en Chine, ils ne sont pas uniquement ou nécessairement la meilleure façon de décoder la complexité des médias chinois.
5Le prisme d’analyse déformant centré sur la notion de contrôle conduit de nouveau l’auteur à des conclusions contestables au chapitre deux, dans lequel elle étudie les différentes lois et réglementations relatives au contrôle des médias. Elle fait suivre une utile liste de notes officielles et de statuts par cette conclusion
D’apparence, les lois et réglementations susmentionnées semblent être plus en lien avec la régulation qu’avec le contrôle politique, mais quand on les combine avec les actions de contrôle des médias émanant des autorités de propagande du Parti communiste, on comprend que leur but réel est bien le contrôle. Sous le strict contrôle du gouvernement, ces prétendus médias sont en réalité uniquement une machine de propagande de masse, conformes au nom que leur a donné le gouvernement chinois : des « porte-parole ». (p. 106)
Si le contrôle est bien la motivation première derrière ces lois et réglementations, l’application grossière faite par l’auteur du terme trompeur et historiquement chargé de « porte-parole » néglige la complexité d’un riche corpus de publications, notamment le fossé croissant entre les journaux « du Parti », ou dangbao, et les publications commerciales.
6La force et l’utilité du livre de He Qinglian réside dans le travail de compilation de faits pertinents relatifs au contrôle des médias en Chine : affaires clés, dates et systèmes de réglementation. Mais il apparaît qu’à un certain moment l’auteur a pris le parti d’écrire une tragédie et que sa lecture des faits reste prisonnière de sa vision narrative. Au chapitre huit, par exemple, on est confronté à un rappel, globalement de qualité, de la naissance comme journal à scandales du Nanfang Zhoumo, abordant aussi ses fondements intellectuels et commerciaux. Mais l’image qui ressort à la fin du chapitre – auquel est donné le titre légèrement mélodramatique de « Comment fut arrachée la rose épineuse » – est celle d’un journal détruit, d’une silhouette tracée à la craie sur la scène d’un meurtre. S’il est correct d’affirmer que le Nanfang Zhoumon’est plus vraiment le fauteur de troubles qu’il était par le passé, il est prématuré d’annoncer sa mort. Cela est valable pour d’autres médias inscrits sur la liste des victimes dressée par l’auteur à la fin du chapitre huit ; en particulier le supplément au Zhongguo qingnian bao, appelé Bingdian (Point de glaciation). He Qinglian ne fait aucune mention de la relance du supplément en 2006, ni ne fait écho au point de vue répandu dans le monde des médias chinois – et partagé par l’ancien éditeur en chef de Bingdian Li Datong – selon lequel l’affaire illustre autant le changement que le contrôle.
7Le contrôle des médias en Chine continentale est réel et parfois brutal. En tant que chercheurs dans le domaine des médias chinois, nous devons examiner attentivement l’évolution de la censure vers une subtilité et une efficacité croissante. Mais on ne peut nier la vitalité des médias chinois aujourd’hui, qui évoluent et réservent toujours des surprises. Si tout ce que nous parvenons à voir, en scrutant le brouillard, n’est qu’un mélancolique alignement de plaques funéraires, il convient de se demander si le brouillard ne vient pas de nous.
Pour citer cet article
Référence papier
David Bandurski, « He Qinglian, Wusuo Zhongguo. Zhongguo dalu kongzhi meiti celüe da jiemi (La Chine enfermée dans le brouillard : révélations sur les politiques de contrôle des médias en Chine continentale), Taipei, Liming wenhua chubanshe, 2006, 462 p. », Perspectives chinoises, 2008/1 | 2008, 122-123.
Référence électronique
David Bandurski, « He Qinglian, Wusuo Zhongguo. Zhongguo dalu kongzhi meiti celüe da jiemi (La Chine enfermée dans le brouillard : révélations sur les politiques de contrôle des médias en Chine continentale), Taipei, Liming wenhua chubanshe, 2006, 462 p. », Perspectives chinoises [En ligne], 2008/1 | 2008, mis en ligne le 01 janvier 2008, consulté le 27 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/perspectiveschinoises/4833
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