Jianfu Chen, Yuwen Li, Jan Michiel Otto éds., The Implementation of Law in the People’s Republic of China
Texte intégral
1Disposer d’un attirail législatif certes bien imparfait mais modernisé est une chose, l’appliquer uniformément, équitablement et en toute indépendance sur l’ensemble d’un immense territoire en est une autre. En ouvrant cet ouvrage collectif par une préface consacrée à l’impact de l’accession de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur l’activité législative chinoise, les auteurs de The Implementation of Law in the People’s Republic of China offrent une image saisissante des contradictions inhérentes au système juridique de ce pays. En l’espace de dix-huit mois, près de 2500 textes de lois et règlements de nature commerciale ont été amendés afin de les mettre en conformité avec le droit OMC, tandis que plusieurs centaines de nouveaux textes ont été adoptés ou sont sur le point de l’être.Un ensemble normatif majeur a donc vu le jour et comprend des textes aussi essentiels que le nouveau catalogue sur l’orientation des investissements étrangers, le nouveau règlement anti-dumping ou encore la loi sur les marques. Cette inflation législative sans précédent n’est pourtant qu’une étape dans la mise en conformité du droit chinois avec les normes internationales car elle ne garantit en rien la sécurité juridique des affaires et plus largement ce que Jan Michiel Otto désigne par « real legal certainty », concept qui recouvre « la prévisibilité de règles applicables dans un contexte particulier tout comme l’interprétation et l’application juridiques de telles règles par le pouvoir judiciaire et les autres autorités chargées de la mise en œuvre du droit »1.
2Implementation of Law in the People’s Republic of China ne traite pas spécifiquement de l’intégration de la Chine dans le commerce international, mais des difficultés liées à l’application du droit (zhixing nan) dans des domaines aussi variés que la lutte contre la corruption (Ye Feng), les professions juridiques (Randall Peerenboom) ou le droit de l’environnement (Benjamin van Rooij). L’ouvrage souligne les avancées et les résistances dans la transformation d’un « droit livresque » en un « droit en action » dans le contexte de la Chine des réformes. Sans tomber dans le piège du juridicisme, les auteurs éclairent les différentes facettes d’un problème complexe et trop souvent négligé par la doctrine juridique. Après avoir clairement montré que les réformes « désorganisées » du système judiciaire chinois – celle de 1999 y compris – tendent vers une certaine professionnalisation sans pour autant réussir à endiguer une corruption endémique, Yuwen Li insiste sur la nécessité de rendre ce système transparent, équitable et impartial par des changements fondamentaux qui viseraient notamment à minimiser l’influence du Parti sur la nomination des juges ou le déroulement de l’instance.
3Cette contribution trouve un prolongement dans celle de Jianfu Chen sur l’impossible exécution des jugements en matière civile et le discrédit dans lequel ces décisions « sans valeur » (falü baitiao) tombent auprès de la population chinoise. En partant du constat de l’absence de séparation des pouvoirs, Cai Dingjian, montre à quel point les pouvoirs de l’Assemblée populaire nationale et de son comité permanent ont été élargis ces dix dernières années pour aboutir à une situation unique et non moins dangereuse : un parlement – pas exactement démocratique et à l’abri de tout contrôle – doté de pouvoirs en matière d’interprétation et de contrôle de l’application des lois et des décisions de justice !
4La démonstration se referme sur quatre études de cas assez hétérogènes. Dans un chapitre décousu qui mélange les questions de droit public et de droit privé et qui aurait mérité d’être développé et très nettement actualisé, Shaping Shao se propose de définir la position du droit international en droit interne chinois. L’auteur ne répond pourtant pas pleinement à l’épineuse question de l’harmonisation des ordres juridiques. Il est également fort regrettable qu’elle n’ait pas su se départir d’une sempiternelle langue de bois qui fait de la Chine un acteur de premier rang dans le maintien de « la paix internationale » et dans « la promotion et le développement du droit international » depuis « les temps anciens », alors que l’on sait parfaitement que tant les réalisations que les études doctrinales chinoises sont en la matière bien maigres, pour ne pas dire inexistantes. Et Shaping Shao de se fourvoyer davantage en affirmant, par exemple, que puisque la Chine est partie à la Convention des Nations Unies du 3 décembre 1984 sur la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, elle doit tout simplement transposer en droit interne les dispositions de cette convention. Les multiples rapports des organisations internationales de défense des droits de l’homme ne témoignent-ils pas de cette parfaite transposition des normes internationales ? Reste à espérer que la récente publication d’une Revue chinoise de droit international nous éclairera à l’avenir sur ces problématiques2.
5Pas exactement neutre non plus, mais bien argumenté, le travail d’Albert H. Y. Chen porte sur les transformations du système légal hongkongais. Les deux dernières études de cas sont certainement les plus originales. Hu Yunteng brosse un extraordinaire portrait de l’application de la peine capitale pour conclure à une application extensive et pour le moins soumise, à l’échelle locale, à des critères extra-juridiques. Perry Keller s’intéresse enfin à l’environnement réglementaire dans lequel évoluent des médias chinois tiraillés entre les impératifs de l’ouverture à la concurrence internationale et le respect des directives du Parti.
6Bien documenté et pourvu d’un appareil critique complet, l’ouvrage est également enrichi d’intéressants appendices. Jianfu Chen y peint un tableau synthétique des principaux acteurs de la vie juridique chinoise (institutions et professionnels du droit) en soulignant avec justesse le caractère inachevé et évolutif des réformes qui ont engendré leur création. Benjamin van Rooij rappelle quant à lui, de façon pertinente, les principes fondamentaux de l’organisation administrative en mettant en avant le rôle clé du système des nomenklatura dans le contrôle du Parti sur l’Etat. Enfin, la dernière annexe offre une sélection éclectique de dispositions aussi ambiguës les unes que les autres et qui sont supposées former un corpus de référence en matière d’application du droit.
7Dans la continuité d’un travail de systématisation amorcé par la publication de Law Making in the People’s Republic of China, le plus grand mérite de cet ouvrage, certes inégal, mais dont nous ne pouvons que recommander la lecture, est de fournir une analyse sans équivalent de l’un des principaux obstacles aux réformes non seulement juridiques mais aussi politiques de ces vingt-cinq dernières années3. Nombreux sont ceux qui, dans le monde académique chinois, dénoncent l’incapacité de la Chine à respecter – aussi rudimentaire soit-elle – sa propre législation. La récente pétition adressée à l’APN par trois jeunes universitaires pékinois et visant à demander l’application des droits garantis à la personne humaine par la Constitution, à commencer par la protection des travailleurs migrants, illustre parfaitement la dichotomie qui existe en Chine entre le dire et le faire4. A l’image du cas de Zhang Jianzhong, célèbre avocat de la défense jugé le 25 février 2003 pour complicité de fabrication de preuves dans une affaire de corruption, l’actualité juridique chinoise rappelle avec cruauté que nous avons à faire à une application pour le moins sélective du droit5. Si le droit à un procès équitable existe, ne serait-ce que partiellement, dans les textes, sa mise en application ne donne souvent lieu qu’à un simulacre de justice. L’Etat de droit revisité que Jianfu Chen appelle de ses vœux ne pourra voir le jour sans une volonté politique qui ne se contenterait pas de s’appuyer sur un pragmatisme juridique, mais chercherait à le dépasser pour instaurer un régime dans lequel un système de contre-pouvoirs garantirait l’indépendance et l’impartialité de la justice face aux gouvernants. Il reste donc à la Chine à mener une dernière bataille politico-légale6.
Notes
Pour citer cet article
Référence électronique
Leïla Choukroune, « Jianfu Chen, Yuwen Li, Jan Michiel Otto éds., The Implementation of Law in the People’s Republic of China », Perspectives chinoises [En ligne], 78 | juillet-août 2003, mis en ligne le 02 août 2006, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/perspectiveschinoises/166
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