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Lecture critiques

James H. Carter, Creating a Chinese Harbin, Nationalism in an International City, 1916-1932

Ithaca and London, Cornell University Press, 2002, 217 p.
Xiaohong Xiao-Planes

Texte intégral

1Plaque tournante des lignes transsibérienne et transmandchourienne, Harbin a été édifiée vers 1898 par les Russes de la Compagnie ferroviaire de l’Est de la Chine. Prospère, la cité abrite jusqu’aux années 1930 des résidents d’une dizaine de nationalités : Russes, Polonais, autres Européens, Japonais, Coréens, etc., et une majorité de Chinois.

2Harbin, créée par des Russes, aux caractéristiques architecturales et urbanistiques européennes, administrée jusqu’à la Révolution d’Octobre par une compagnie ferroviaire étrangère, était-elle une cité russe ou chinoise ? La question indispose toujours les nationalistes chinois, les auteurs nostalgiques, et jusqu’aux autorités actuelles de Pékin. Celles-ci, soucieuses de contrôler le discours nationaliste et d’entretenir la mémoire de la nation, n’ont pas hésité, en 1998, à suspendre l’ouverture d’un colloque international voué à la commémoration du centenaire de la ville.

3Pour James H. Carter, le débat est mal orienté : il préfère centrer son ouvrage sur l’évolution du nationalisme à Harbin. C’est avec vivacité et pertinence qu’il enquête sur les efforts des acteurs locaux désireux d’affirmer l’identité chinoise de cette « cité russe sur la terre de Chine », de ce « Paris de l’Est » ; il trouve plus judicieux de les recadrer au sein d’un mouvement dont il date la naissance vers 1916, et le dépérissement à la veille de l’occupation japonaise, en 1932.

4Contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres villes chinoises de la même époque, les militants du Guomindang (GMD) et du Parti Communiste Chinois (PCC) n’ont joué qu’un rôle secondaire, sinon minime, à Harbin, et encore s’est-il situé vers la fin de la période traitée. Le nationalisme de la cité a été édifié par des acteurs de types variés et parfois inhabituels : éducateurs, publicistes, marchands, cheminots, étudiants, chrétiens chinois, bouddhistes, fonctionnaires régionaux et généraux des seigneurs de la guerre... Au fil du temps et du contexte historique, le mouvement devait changer de normes, d’intonations et de physionomie. Pour bien cerner les caractéristiques de ses diverses manifestations, James H. Carter recourt à une série de catégories terminologiques binaires telles que « pro-étranger » et « anti-étranger », « moderne » et « traditionnel », « religieux » et « séculier », « promotion de l’Etat-nation » et « promotion de l’Etat » tout court.

5Un petit groupe cosmopolite d’hommes se trouve à l’origine du mouvement : ce sont souvent des intellectuels ou des marchands et la plupart sont des chrétiens liés à la Young Men Christian Association américaine. En collaboration avec les fonctionnaires régionaux, ils projettent en 1916 de bâtir un établissement secondaire — l’Ecole Donghua, ouverte en 1918 — pour dresser à Harbin une « Grande Muraille », en vue d’éveiller la conscience du peuple, de renforcer le sentiment de l’identité chinoise et de former des compétences utiles au salut national. Pour cette première génération (1916-1927) des nationalistes de Harbin, les cultures chinoise (confucéenne) et occidentale (chrétienne) ne recèlent aucune incompatibilité et doivent être développées conjointement, loin de toute xénophobie et de tout rejet de l’héritage cosmopolite de la cité.

6Mais dans le courant des années 1920, ce nationalisme « syncrétique » cède peu à peu du terrain à un nationalisme plus agressif et plus xénophobe. Les Russes Blancs, privés de leur statut d’extraterritorialité et de la protection d’un puissant Etat voisin, vont en pâtir tout particulièrement. L’incident du match de basket-ball de 1926 entre étudiants russes et chinois marque peut-être l’apogée de ces nouvelles tensions raciales. S’appuyant sur des récits et témoignages d’observateurs russo-européens, l’auteur nous livre d’excellentes pages d’analyses. Les frictions répétées étaient alimentées, côté chinois, par l’hostilité des nouveaux dirigeants politiques et par le radicalisme des étudiants. Côté étranger, la peur du « péril jaune » des Occidentaux nourrissait les fantasmes de la « culture coloniale » (« Chinese Rule in Foreign Eyes : Sex, Civilization, and Power », pp. 107-115).

7Autre changement plus fondamental : si les élites sociales coopèrent toujours avec les autorités régionales, les tenants du pouvoir civil et militaire jouent un rôle croissant dans le développement d’un comportement nationaliste parfois dérisoire. Chacun, qu’il soit administrateur des douanes ou directeur de l’Administration spéciale de la région des provinces de l’Est, s’emploie à ajouter des traits nationaux à un centre-ville quasiment dépourvu de physionomie chinoise, en prenant l’initiative de constructions particulièrement pompeuses. L’auteur y consacre un chapitre fascinant, assorti d’un repérage précis des emplacements, de la description des styles architecturaux et de l’analyse des motivations des promoteurs (« “A Chinese Place”, Chinese Attempts to Claim Harbin’s Physical environment, 1921-1929  », pp. 126-161). L’Ecole secondaire n° 3, grand immeuble de type traditionnel chinois est ainsi dressé au cœur de Nangang, là où se concentrent les consulats, les compagnies et les habitants étrangers. Un splendide Temple bouddhiste du Paradis (Jilesi), puis un temple confucéen, trouvent leur place près des cimetières russe et juif, sur les deux côtés de l’artère principale menant au centre-ville. Promoteur du temple confucéen, l’administrateur civil et chef militaire Zhang Huanxiang change par ailleurs les noms russes des rues et impose des enseignes en caractères chinois aux magasins et entreprises étrangers. Toutefois, les autorités chinoises ne vont pas jusqu’à démolir les édifices russo-européens ; à la demande des Russes Blancs, ils préservent même les icônes de saint Nicolas affichées sur certains immeubles. De toute façon, la communauté en question ne représentait plus une menace pour le pouvoir local chinois.

8A ce propos, l’auteur s’arrête sur la signification particulière de la construction d’un Temple de Confucius à Harbin. En effet, la fonction socioculturelle des temples confucéens déclinait, à la même époque, dans beaucoup de villes chinoises. Mais le nouveau Harbin avait besoin de « réinventer la tradition ». James H. Carter souligne ainsi une nouvelle forme de nationalisme, en même temps qu’il dessine une image inhabituelle de la représentation de l’Etat sous le règne des seigneurs de la guerre.

9Sous la pression japonaise et en raison de la division des autorités chinoises, ce nationalisme d’Etat va de plus en plus se couper, vers 1927-1928, de ses bases sociale et politique. Désormais allié à Zhang Xueliang, le GMD s’emploie à exploiter le sentiment antijaponais des étudiants pour le compte de l’Etat-parti nationaliste. Les jeux complexes de lutte de pouvoir déroutent la population. Quant aux fonctionnaires locaux, soucieux de préserver leurs prérogatives face à la menace du GMD, ils vont pour la plupart collaborer avec les Japonais à partir de l’occupation de 1932.

10En dépit de son originalité première, Harbin a connu, dans le nationalisme de ses habitants chinois, une évolution comparable à celle du reste de la Chine, de la construction de l’Etat-nation au renforcement d’un Etat autoritaire. L’auteur le rappelle très justement dans sa conclusion.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Xiaohong Xiao-Planes, « James H. Carter, Creating a Chinese Harbin, Nationalism in an International City, 1916-1932 »Perspectives chinoises [En ligne], 78 | juillet-août 2003, mis en ligne le 02 août 2006, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/perspectiveschinoises/163

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Auteur

Xiaohong Xiao-Planes

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