Hong Kong : un avenir urbain modelé par les transports ferroviaires
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1Archipel portuaire de 6,7 millions d’habitants, Hong Kong présente un territoire naturel physiquement limité qui supporte une des densités urbaines les plus élevées du monde.1 L’image d’une forêt de tours adossées à la montagne – la tour étant le type architectural le plus largement adopté en raison de son rapport avantageux entre volume bâti et emprise au sol – correspond assez bien au paysage urbain qui s’y est développé depuis l’après-guerre.
2Par ces caractéristiques extrêmes, Hong Kong affiche d’emblée les stigmates d’une métropole dont les réseaux de transport doivent intégrer de lourdes contraintes. La gestion de quantités massives de flux, la nécessaire rentabilisation d’un sol rare et coûteux, ou encore le poids d’une centralisation excessive des activités, ont conduit le gouvernement de Hong Kong, depuis une trentaine d’années, à repenser l’accessibilité de son territoire. Cet enjeu, complexe mais source de valeur ajoutée, est devenu capital pour toute métropole qui désire conserver une place de choix au sein du réseau des grandes cités mondiales. La réputation et la richesse économiques de Hong Kong proviennent en effet de la dynamique de ses échanges commerciaux à l’échelle du globe, puis des services dont le secteur représente 89% de son PIB actuel. L’originalité et l’efficacité du projet du gouvernement tiennent à l’articulation de plusieurs échelles territoriales. A Hong Kong, la modernisation des réseaux de transport passe par une maîtrise simultanée de ses flux, tant locaux que régionaux et a fortiori mondiaux. Rappelons notamment que le tourisme s’appuyant, entre autres, sur la performance et la qualité des services et des déplacements, est la deuxième source de revenus de l’archipel derrière l’activité commerciale.
3A la fin des années 1990, d’importants nouveaux équipements et infrastructures de transport ont été mis en service, tels que l’aéroport de Chek Lap Kok sur l’île de Lantau, la gare multimodale de Kowloon ou le pont Tsing Ma, tandis que d’autres sont en projet. Fait remarquable : le déplacement de l’aéroport international du centre urbain vers une localisation périphérique a entraîné une recomposition de la carte des transports de la ville ; il devrait aussi à terme redistribuer celle des centralités urbaines. Mais, au-delà d’une modernisation des réseaux de transport, ce bouleversement offre à la ville de nouvelles opportunités foncières, tant par la régénération (friche aéroportuaire de 230 hectares à reconquérir2) que par le développement urbains (densification des nouveaux nœuds de transport, terrains supplémentaires gagnés sur la mer). Conjointement, le gouvernement et les acteurs du transport ont réussi à s’emparer avec clairvoyance de cette situation pour hisser Hong Kong au rang de métropole du XXIe siècle3.
Tableau 1 :Voyages (en milliers) effectués annuellement par moyen et compagnie de transport

KMB : Kowloon Motor Bus. CMB : China Motor Bus. NLB : New Lantao Bus. KCRB : Kowloon-Canton Railway Bus. CB : Citybus. LWB : Long Win Bus. NWFB : New World First Bus.
HYF : Hong Kong and Yaumati Ferry. SF : Star Ferry.
HKT : Hong Kong Tramway.
KCR : Kowloon-Canton Railway (East Rail). LRT : Light Rail Transit. MTR : Mass Transit Railway.
NB : Pour 1959 et 1969, le nombre de voyages correspond aux billets vendus ou à l’argent perçu pour des allers simples, auxquels s’ajoutent des estimations de trajets effectués par des détenteurs d’abonnements.
* Y compris les Public Light Buses. ** Y compris les lignes de ferry secondaires. *** Y compris les minibus rouges. **** Y compris les services de ferry sous licence.
Sources : pour 1959 et 1969, Hong Kong Government Press, Hong Kong Report of the Year, 1970, p. 312 ; pour 1978, Hong Kong Government Press, Hong Kong Report of the Year, 1979, p. 286 ; pour 1980, Hong Kong Government Press, Hong Kong Report of the Year, 1983, p. 309 ; pour 1989, Hong Kong Government Press, Hong Kong Report of the Year, 1992, p. 442 ; pour 1999, Transport in Hong Kong 2002, p. 35 (chapitre 14 de Hong Kong 2001).
4D’une part, la création de l’aéroport de Chek Lap Kok est accompagnée de plusieurs grands projets d’infrastructure ferroviaire et autoroutière afin d’établir des connexions directes et rapides entre la nouvelle porte internationale et le cœur de la cité. D’autre part, une série de sites connexes aux nouvelles gares ferroviaires ont été identifiés pour leur potentiel élevé de développement urbain le long des nouvelles liaisons. Le plus innovant de ces développements, la ville nouvelle de Tung Chung, prévue à l’origine pour accueillir 180 000 habitants4 à proximité de l’aéroport, tire profit de cette nouvelle accessibilité et participe à l’amorce d’un processus de rééquilibrage vers l’ouest du centre saturé.
L’avènement du transport urbain rapide voit l’émergence d’un nouveau type d’opérateur
5Paradoxalement, pour une métropole aussi densément peuplée et urbanisée, le réseau de transport en commun rapide a été développé tardivement par rapport à d’autres métropoles modernes telles que Tokyo, Paris ou New York. Certes, l’histoire de Hong Kong est plus récente, et sa topographie plus contraignante : l’étendue de son territoire est bien moindre et, parmi ses 1 100 kilomètres carrés de terres, 70% sont constitués d’un relief montagneux quasiment non construit. La localisation des activités économiques dépasse rarement le cercle d’environ 15 kilomètres de diamètre défini à partir de Victoria Harbour, qui détermine le périmètre central de la ville. Cependant, tant la répartition contrastée des fonctions économiques que celle, plus diffuse, de la population actuelle au sein des trois zones habitées principales5 révèlent toute l’importance des liaisons face à cette occupation du sol discontinue.
6Jusqu’à la fin des années 1970, respectivement 34 et 16 kilomètres de voies ferrées sont exploités par deux compagnies de transport distinctes. Mais celles-ci sont marginalisées au sein d’un marché accaparé par les nombreuses compagnies privées de ferry et de bus bon marché (voir tableau). La première ligne de chemin de fer, ouverte en 1910 et électrifiée au début des années 1980, est exploitée par la compagnie publique Kowloon-Canton Railway (KCR, aujourd’hui KCR East Rail, créée en 1982). Elle relie la populaire péninsule de Kowloon à la frontière chinoise au nord en traversant l’est des Nouveaux Territoires où de nombreuses villes nouvelles sont implantées le long du corridor ferroviaire, sur des terrains principalement agricoles, après la seconde guerre mondiale. Cette ligne demeure pendant plus d’un demi-siècle la seule infrastructure ferroviaire interurbaine du territoire.
7De même la seconde, ligne de tramway qui dessert la côte nord de l’île de Hong Kong où se situe le quartier d’affaires de Central, bien que privée, n’a jamais été étendue depuis son ouverture en 1904. La population hong-kongaise doit attendre 1979 pour jouir enfin d’un nouveau mode de transport moderne et rapide, le Mass Transit Railway (MTR). Celui-ci vient à la fois compléter et soulager le réseau existant de transports en commun, certes dense et varié, mais fortement congestionné.
8A la veille de cette année-clé, environ 6,3 millions de déplacements sont effectués quotidiennement sur les réseaux de bus, ferry, chemin de fer, tramway et taxi. En 2001, ce chiffre a déjà presque doublé pour atteindre 11 millions de voyages quotidiens sur l’ensemble du réseau, augmenté en vingt ans des cinq lignes de métro du MTR. Aujourd’hui, si le bus demeure le mode de transport collectif dominant à Hong Kong, un peu plus de 2,2 millions de passagers circulent néanmoins quotidiennement sur le réseau MTR – 87,7 kilomètres d’infrastructures et 49 gares. Mais cette croissance impressionnante de l’ensemble des mouvements de personnes, au cours des vingt dernières années, s’explique aussi par l’augmentation soutenue de la population d’une part6, et par la persistance d’un très faible taux de motorisation des ménages hong-kongais d’autre part7. Cette dernière situation illustre bien les habitudes de la population en matière d’usage des transports collectifs et rend compte de l’importance des enjeux de la mobilité quotidienne à Hong Kong.
9C’est en 1973 que le gouvernement de Hong Kong décide de procéder à la construction d’un système de transport en commun rapide, pour faire face au problème récurrent de congestion du trafic. Deux années plus tard, le gouvernement crée la Mass Transit Railway Corporation (MTRC) qui est la seule responsable du financement, de la construction et de l’opération du nouveau système de métro de la métropole. En tant qu’établissement public indépendant entièrement détenu par le gouvernement – puis partiellement privatisé en 2000 –, et à l’instar des autres compagnies de transports collectifs implantées à Hong Kong, MTRC ne reçoit en principe aucune subvention de la part du gouvernement. En revanche, la procédure d’acquisition des terrains – pour MTRC comme pour KCRC – est avantageuse dans la mesure où ceux-ci sont concédés8 par le gouvernement et non pas vendus aux enchères comme c’est le cas habituellement. L’autofinancement des transports collectifs sans recours aux fonds publics et la faible rentabilité de l’exploitation du réseau ont conduit MTRC à adopter une stratégie offensive. Celle-ci consiste notamment à dégager d’importants profits grâce aux revenus issus des développements immobiliers que la compagnie construit – seule ou conjointement avec d’autres promoteurs privés – au-dessus ou à proximité des gares qu’elle met en service. D’autant plus que ce choix d’augmenter la densité bâtie au niveau des gares, et par conséquent la densité de population résidente, garantit en retour une clientèle massive et fidèle. Ce principe d’autofinancement a fait progressivement évoluer le statut de MTRC et multiplié ses rôles : d’un simple opérateur de transport à celui d’un puissant promoteur immobilier tout d’abord, jusqu’à celui d’un véritable acteur de l’aménagement urbain aujourd’hui9.
Des villes verticales nées de la rencontre du transport et de la promotion immobilière
10Les ouvertures successives des cinq lignes du réseau de métro, de 1979 à 1998, sont accompagnées de nombreuses opérations immobilières menées par MTRC. Elles rendent compte des investissements majeurs de la compagnie d’une part, et des transformations de la structure et du paysage urbains de la métropole hong-kongaise d’autre part. Néanmoins, deux époques distinctes caractérisent ces vingt années de développement. Elles ont chacune donné naissance à une génération distincte de formes urbaines.
11Destinées à desservir des zones déjà urbanisées, les trois premières lignes du réseau n’ont eu finalement qu’un impact local sur la transformation physique de la métropole. La rareté des terrains disponibles et/ou leurs dimensions modestes ont eu pour conséquence des opérations immobilières très circonscrites. En revanche, cette contrainte du foncier a conduit MTRC à adopter un double principe de densification et de mixité des fonctions urbaines au-dessus ou à proximité de certaines gares. Ce double principe permet d’implanter les programmes immobiliers nécessaires au financement des infrastructures de transport d’une part, et d’attirer une clientèle potentielle exigeante en matière d’équipements et de services de proximité d’autre part.
12Schématiquement, le principe consiste à superposer à la gare – le plus souvent souterraine – un socle volumineux de commerces (appelé « podium »), également accessible depuis la rue, lui-même surmonté d’une série de tours de logements et/ou de bureaux accessibles depuis la partie commerciale via la gare ou la rue. La toiture du podium est généralement aménagée en un vaste parc réservé aux résidents, qui reçoit aussi quelques équipements et services communautaires. Le podium constitue le nœud d’échanges entre les différents programmes du complexe immobilier. Ainsi la gare, bien qu’elle soit généralement invisible depuis l’extérieur, se repère dans la ville par une émergence verticale aux dimensions colossales qui contrastent avec celles du quartier. En exploitant le terrain dans sa dimension verticale, MTRC établit une stratification des différentes fonctions urbaines (circuler, consommer, se récréer, habiter, travailler) habituellement réparties linéairement le long des voies de communication ; cette configuration créant ainsi un morceau de ville verticale autonome.
13Parmi cette première série de développements « ferro-urbains », quelques sites aux superficies exceptionnelles tels que Kowloon Bay ou Tai Koo ont permis à MTRC de tester son modèle à une très grande échelle.
14Situé à proximité de l’ancien aéroport de Kai Tak, sur la première ligne de métro (Kwun Tong Line), le complexe urbain de Kowloon Bay est la première opération immobilière d’envergure réalisée par la compagnie, au début des années 1980. La prouesse de cette opération est d’avoir su combiner un dépôt de trains en activité avec la mise en place des programmes immobiliers habituels (gare, commerces, logements et bureaux) afin de rentabiliser au maximum le foncier acquis. La proximité de cette large surface, à l’origine dédiée à la maintenance des trains, a permis de développer le complexe immobilier au-dessus, sur une vaste dalle rectangulaire d’environ neuf hectares dont les points d’appui ont été répartis entre les rails. Surélevée, celle-ci couvre la totalité du site et jouxte la gare située au niveau de la rue. L’épaisseur de la dalle, qui abrite les équipements commerciaux, forme le podium sur lequel sont implantés une quarantaine de tours de logements et le siège de la compagnie MTR.
15Autre exemple, le complexe urbain de Tai Koo, situé sur la troisième ligne de métro (Island Line) mise en service au milieu des années 1980, qui a bénéficié de l’opportunité des vastes terrains des chantiers navals fermés en 1987. Ici, la forme du site a permis de développer plusieurs entités commerciales et résidentielles sur le même principe de stratification, ainsi que deux tours de bureaux, le tout relié par un réseau de passerelles piétonnes couvertes. Souterraine, la gare demeure l’un des points d’accès majeur à l’ensemble et le podium le lieu de distribution des flux de toutes natures et directions.
16Le long de la Island Line, qui traverse le quartier d’affaires de la métropole, d’autres opérations davantage ciblées sur des programmes commerciaux et tertiaires ont été développées au-dessus de plusieurs gares (Sheung Wan, Central, Admiralty, etc.).
Transport, promotion immobilière et aménagement urbain : une combinaison innovante
17Le succès de ces premières opérations a fait prendre conscience à la compagnie MTR de l’attraction économique qu’une gare peut déclencher, même au sein de quartiers traditionnellement non dévolus à l’implantation d’activités tertiaires comme c’était le cas à Tai Koo ou à Quarry Bay.
18A la fin des années 1980, au moment où les quatre premières lignes de métro sont achevées, un premier bilan a pu être effectué. MTRC a notamment entrepris de mieux articuler cette triple fonctionnalité de la gare : technique en tant qu’équipement de transport, économique en tant que support d’investissement et de financement, et urbaine en tant que centre du quartier. Pour les urbanistes de la compagnie, si la gare est avant tout un moteur technique et économique, elle doit aussi participer physiquement à la structuration du quartier qu’elle dessert. En effet, l’aspect générique du mode d’empilement des programmes de la première génération des complexes « ferro-urbains » avait tendance à minimiser le rôle de nœud d’échanges de la gare au profit du podium. Par conséquent, les traitements architecturaux spécifiques étaient généralement réservés à ce dernier tandis que la gare demeurait un espace purement technique et fonctionnel, répété à l’identique et non valorisé. Elle était encore moins pensée à l’époque comme un élément physiquement ordonnateur à l’échelle urbaine de l’ensemble du complexe immobilier. De fait, cette lacune empêchait de conférer un caractère spécifique à chacun des sites et d’attribuer à l’équipement ferroviaire un statut urbain à part entière. Performant mais peu identitaire, ce premier modèle est alors réévalué.
19L’opportunité des grands projets de transport du gouvernement de Hong Kong, motivés à l’origine par le déplacement de l’aéroport et initiés au tout début des années 1990, a permis à MTRC de mettre en chantier sa seconde génération de développements « ferro-urbains ». Ceux-ci prennent place le long de la cinquième et double ligne de métro : Airport Express Line10 et Tung Chung Line, toutes deux mises en service en 1998 et dont les tracés sont parallèles. Cette double ligne a été planifiée selon deux objectifs. Tout d’abord, et en priorité, elle est destinée à desservir le nouvel aéroport excentré11 ; elle a ensuite pour vocation de soulager l’ensemble du réseau de transport existant à nouveau saturé, notamment au niveau de Kowloon. Cette cinquième ligne conçue avant tout au sein d’un ambitieux projet de réaménagement du territoire par le gouvernement, s’inscrit dans une perspective de développement urbain et non plus seulement de complémentarité du réseau. En effet, comme d’autres grands projets d’infrastructure ou d’aménagement urbain, elle fait partie des dix Airport Core Programme Projects de la Hong Kong’s Port and Airport Development Strategy (PADS) annoncés en 1991. Ces dix projets, dynamisés par la création de l’aéroport et vitaux pour ce dernier, participent à la constitution d’un nouveau corridor de développement vers l’ouest de l’archipel, peu exploité jusqu’alors mais géographiquement contigu au delta de la rivière des Perles.
20Le tracé de la cinquième ligne de métro MTR (34 kilomètres et sept gares) traverse des sites d’une nature très différente de ceux des lignes précédentes. Peu construits ou gagnés sur la mer, les sites identifiés pour implanter les nouvelles gares offrent des perspectives de développement sans précédent. Au nombre de cinq (Hong Kong/Central, West Kowloon, Tai Kok Tsui, Tsing Yi et Tung Chung), ils totalisent près de 62 hectares ; d’autres sont encore en chantier comme à Penny’s bay pour l’ouverture d’un parc Dysneyland prévue en 2005. Surtout, la variété de ces territoires à desservir – du plus urbain sur l’île de Hong Kong au plus intact sur l’île de Lantau – présuppose d’adopter autant de solutions distinctes. A chaque gare correspondent une architecture et un projet urbain spécifiques au contexte et aptes à créer de nouvelles centralités urbaines à une double échelle, locale et régionale. La mixité et l’importance de leurs programmes rendent compte de ces objectifs (voir tableau). Si les gares de la Airport Express Line (Hong Kong, Kowloon, Tsing Yi, Airport) ont chacune une morphologie singulière et spectaculaire, celles de la Tung Chung Line (Olympic, Lai King, Tung Chung) s’inscrivent en revanche dans une ligne architecturale plus modestement domestique. Dans tous les cas, la conception de chaque gare a été confiée à un bureau d’architecture indépendant, mais guidé par les recommandations établies en amont par MTRC.
La gare de Hong Kong : un nouvel îlot à l’image de l’hypercentre
21Située au cœur du centre d’affaires et dotée d’une façade maritime de premier choix, la gare de Hong Kong est le point focal de la nouvelle ligne en milieu urbain. Pour les voyageurs qui débarquent, cette gare constitue la porte d’entrée de la métropole tandis que pour les autres, elle préfigure l’image de l’aéroport à peine à 23 minutes de la cité. Aussi le vocabulaire architectural employé conjugue-t-il une modernité propre aux grands équipements tant aéroportuaires que financiers. En effet, le complexe immobilier International Finance Centre (IFC) développé au-dessus de la gare se compose d’éléments emblématiques : un vaste atrium pour l’enregistrement des bagages, deux tours de bureaux, un podium commercial et un hôtel agrémenté d’un parc (encore en chantier). L’atrium constitue l’élément principal de la façade nord. Entièrement vitré sur quatre niveaux, ce vaste espace offre des vues sur le port et capte de grandes quantités de lumière naturelle. Two IFC, l’une des deux tours de bureaux, est un gratte-ciel de 88 étages – le plus haut de la ville – qui se détache du skyline existant par son élancement solitaire et constitue le nouveau repère urbain de la ville. One IFC est posé sur un socle circulaire perméable qui sert de rotule à l’extrémité ouest du complexe immobilier. Ce hall ouvert absorbe les flux piétonniers des passerelles piétonnes et les redistribue vers les trois niveaux de commerces construits au-dessus de la gare.
Tableau 2 :Opérations immobilières de la MTRC sur la cinquième ligne de métro (Airport Express Line / Tung Chung Line)

NB : les superficies données sont des surfaces brutes de plancher.
Source : MTR Corporation, Property Related Services, Hong Kong, 2002, p. 15.
22Construite sur un site de petites dimensions (5,7 hectares), gagné sur la mer, la gare de Hong Kong est aussi l’un des nœuds d’échanges les plus complets et compacts de la nouvelle ligne. Bordée au nord par les jetées d’embarcation des ferries, et au sud par le complexe tertiaire Exchange Square, une gare routière et des parkings lui sont également intégrés. Un réseau de passerelles piétonnes irrigue l’ensemble et se ramifie dans tout le quartier de Central, tandis qu’un large tunnel équipé de trottoirs roulants relie la gare de Hong Kong à sa voisine de Central. Localement, l’accessibilité performante de la gare de Hong Kong est liée aux nombreuses connexions physiques – aériennes, souterraines et à niveau –, mais aussi visuelles – verticalité, transparence, etc. – établies avec le tissu urbain environnant. Ce bâtiment-gare se déploie dans les trois dimensions et crée une topographie urbaine appropriée au manque de relief du territoire artificiel d’où il émerge.
Le réseau ferroviaire de Hong Kong

Source : Transport Bureau / Government of the Hong Kong Special Administrative Region, Transport Infrastructure Investment Opportunities in Hong Kong, October 2001.
La gare de Kowloon au cœur d’une ville du futur12
23Située sur le flanc sud-ouest de la péninsule de Kowloon, face au quartier d’affaires de Central, la gare de Kowloon est la plus grande des gares de la nouvelle ligne. Elle constitue également le point d’ancrage d’une gigantesque opération d’urbanisme qui prendra forme en plusieurs phases sur 13,5 des 334 hectares de terres gagnées sur l’eau. Ce projet représente l’évolution la plus aboutie du principe de stratification des fonctions urbaines expérimenté vingt ans plus tôt par MTRC. L’idée majeure consiste à combiner une séparation absolue des circulations motorisées et piétonnes, à celle des activités mobiles et sédentaires, grâce à une interface à l’échelle du site. Celle-ci est matérialisée par une plate-forme urbaine piétonne construite à 18 mètres du sol dont la gare occupe le centre. L’ensemble des programmes à caractère statique (logements, bureaux et hôtels) sont accessibles depuis la plate-forme, tandis que l’ensemble des fonctions à caractère dynamique (transport, commerce) est concentré dessous. L’émergence singulière de la couverture de la gare, qui permet d’éclairer naturellement la grande profondeur du hall, offre une porte d’accès à ce socle massif et compact. La gare, agrémentée d’un vaste espace public minéral, est positionnée de manière à assurer les échanges principaux entre le dessus et le dessous ; elle joue ainsi pleinement son rôle de pivot. De même, l’absence de constructions au-dessus de l’emprise des rails du métro ménage un axe visuel d’un bout à l’autre du site, qui ordonne la répartition des constructions et des circulations sur la plate-forme.
24Le podium regroupe sur trois niveaux (deux en sous-sol et un au niveau de la rue) la totalité des infrastructures et équipements des différents modes de transport, et concentre dans l’épaisseur des premier et second étages un réseau piétonnier de galeries commerciales, de places et de passerelles branchées sur les îlots alentour. Aménagée en un vaste espace ouvert et paysager, la plate-forme est organisée de manière à offrir des vues sur la baie : les quelques tours de bureaux et d’hôtels sont implantées à proximité du cœur tandis que les tours de logements sont disposées en périphérie, à l’est du grand axe. Libérées des contraintes de hauteur liées autrefois à la proximité de l’aéroport de Kai Tak, les 22 tours de l’opération comptent en moyenne cinquante niveaux. Plus hautes et par conséquent moins nombreuses qu’à l’accoutumée, elles permettent de conserver davantage d’espace libre sur la plate-forme. Au sud-ouest du complexe immobilier, le gratte-ciel Landmark de taille équivalente à celle du IFC One à Central est prévu afin de compléter, par symétrie, l’image d’une porte d’entrée dans un Victoria Harbour renouvelé et tourné vers l’ouest.
L’intégration spatiale de la gare de Tsing Yi
25Tsing Yi est une petite île située entre l’ouest des Nouveaux Territoires et l’île de Lantau, face à une des zones de fret de Hong Kong. A l’occasion de l’aménagement du pont Tsing Ma et de l’ouverture de la nouvelle ligne MTR, Tsing Yi se retrouve dans une situation privilégiée puisqu’elle se voit connectée simultanément à l’aéroport, au centre de Hong Kong et aux Nouveaux Territoires. De taille relativement modeste (5,4 hectares), le site identifié pour implanter la nouvelle gare est en revanche des plus contraignants. La présence du Rambler Channel en bordure du terrain, où le trafic de marchandises est actif, a conduit à construire un pont ferroviaire où les deux lignes de métro sont superposées. Celui-ci traverse également l’opération immobilière développée précisément au point de contact avec l’ouvrage d’art.
26La circulation des trains à un niveau supérieur, c’est-à-dire à travers le podium, a bouleversé la rigidité du principe habituel de stratification des fonctions urbaines des opérations antérieures. D’une part, la création de deux vastes halls lumineux – l’un pour la Tung Chung Line au premier niveau du podium, l’autre pour la Airport Line deux niveaux plus haut – rompt la monotonie spatiale de la galerie commerciale et intègre pleinement la gare qui devient une véritable porte d’accès intérieure. D’autre part, en bordure de l’eau, le sol libéré de l’emprise des rails a pu être aménagé en un parc linéaire qui offre ainsi une plus grande perméabilité du podium avec son contexte proche.
27Une douzaine de tours de logements accueillant au total 10 000 habitants est répartie de part et d’autre de l’emprise non construite des rails. Celle-ci divise la toiture du podium en deux triangles équivalents et forme un corridor visuel paysager qui induit la composition de l’ensemble. Au nord, les tours bordent l’axe et sont ainsi écartées d’une voie rapide bruyante. Au sud, elles forment un angle qui ménage l’émergence de la toiture courbe du hall de la Airport Line.13
La gare de Tung Chung et la priorité à l’espace public
28Conçue pour être développée en deux phases et réajustée pour accueillir au final 320 000 habitants d’ici 2011, Tung Chung est une ville nouvelle implantée entre mer et montagne aux portes de l’aéroport, sur l’île de Lantau. Habitée en grande partie par le personnel du nouvel aéroport, Tung Chung est aussi reliée directement au centre de Hong Kong.
29Sur la totalité des 67 hectares de terres gagnées sur l’eau, une vingtaine a été réservée à la construction de la première tranche de la ville. La gare terminus de la Tung Chung Line y constitue l’élément central et son implantation dicte le plan d’ensemble : habiter à cinq minutes de marche de la gare – et réduire par conséquent la dépendance envers les autres modes – était en effet une des priorités affichée conjointement par le gouvernement et les urbanistes de MTRC. De nombreux facteurs comme la superficie importante du terrain, une densité réglementaire allégée dans cette zone peu peuplée de Hong Kong et le choix d’enterrer la ligne de métro, ont permis une réelle innovation qualitative en terme d’aménagement urbain. Si quelques-uns de ses principes subsistent encore, le modèle de stratification des fonctions urbaines est abandonné au profit d’une répartition horizontale des différentes fonctions de la ville. Celles-ci sont liées par de vastes espaces publics réservés aux piétons et aménagés au niveau du sol urbain. Mixité des fonctions, nombre d’espaces ouverts et quantité de verdure qualifient cette opération.
30L’orientation nord-est/sud-ouest du volume de la gare détermine un long couloir visuel en direction du reste de la ville nouvelle – encore en chantier – en bordure de mer. Les différents programmes (logements, commerces, quelques bureaux et un hôtel) sont organisés le long de cet axe majeur. La gare est un fin volume rectangulaire à deux niveaux : les trains circulent en sous-sol tandis que le rez-de-chaussée se compose d’un hall linéaire et lumineux, de grande hauteur sous plafond, qui abrite les services et petits commerces habituels de gare. Bordée d’un côté par une place piétonne et de l’autre par un aménagement dédié aux modes routiers (taxi, bus, dépose-minute), l’édifice offre une grande perméabilité aux piétons qui peuvent le pratiquer comme un simple raccourci à niveau. Une passerelle piétonne couverte et transparente traverse la gare au niveau supérieur de manière à réunir d’un côté un centre commercial préexistant et de l’autre un podium d’un genre nouveau. Celui-ci a en effet la forme d’un bâtiment-pont afin d’enjamber la North Lantau Expressway – et, parallèlement, l’emprise souterraine de la Airport Line – avant de se brancher sur le réseau piétonnier surélevé du reste de la ville nouvelle. Regroupant commerces et bureaux, ce podium linéaire et sa toiture aménagée en promenade plantée irriguent les différentes parties de la ville, tant physiquement que visuellement, d’une extrémité à l’autre.
31Au-delà de la gare et du podium, en direction de la montagne, huit tours de logements forment un arc de cercle transpercé par l’axe visuel étiré depuis la gare. D’une largeur de 30 mètres, cet axe est matérialisé par une promenade publique plantée qui relie, au niveau du sol, la place de la gare à un futur parc. Les tours épannelées d’une cinquantaine à une trentaine de niveaux sont construites sur un système de pilotis d’une hauteur variant de 10 à 16 mètres. Ce principe de surélévation présente de nombreux avantages : ventiler le site et alléger visuellement l’ensemble de l’opération immobilière grâce aux percées visuelles qu’il procure, doter chaque appartement d’une vue sur le grand paysage, et assurer une continuité urbaine en intégrant les fonctions annexes (commerces, équipements, parkings et circulations piétonnes) au niveau du sol. Ces dernières sont réparties au sein d’un podium qui s’adapte désormais au dispositif général. De petite échelle (deux niveaux maximum) et généreusement planté en toiture, son volume est éclaté en deux parties distinctes : le podium commercial accessible au public est inscrit sous la courbe formée par les tours, tandis que le podium équipé (parkings, terrains de sport, jardins, etc.) et réservé aux résidents est implanté au cœur de l’espace ménagé par la courbe.
Vers un réseau régional unique ?
32La première ligne de chemin de fer KCR avait servi d’accroche aux grands projets de villes nouvelles de l’après-guerre, implantées dans l’est des Nouveaux Territoires. La plupart des lignes de métro MTR se sont ensuite efforcées de desservir les quartiers anciens, congestionnés. Enfin, la nouvelle ligne de métro MTR a été planifiée comme l’épine dorsale des nouveaux développements urbains de l’ouest de Hong Kong.
33La phase suivante de développement du réseau ferroviaire de la métropole, à échéance 2016, est motivée par des enjeux d’une autre échelle, à savoir régionale : les choix de tracé visent principalement à connecter Hong Kong à la zone économique spéciale de Shenzhen et, partant, à la province du Guangdong. La croissance soutenue de la population hong-kongaise et celle du trafic transfrontalier (passagers et marchandises) ont conduit le gouvernement de Hong Kong à lancer, dès l’année 200014, un vaste programme d’extensions des deux réseaux existants, KCR et MTR (voir carte). Mais, à moins d’une fusion entre les deux compagnies (à l’étude), l’âge d’or de MTRC pourrait prendre fin au profit de KCRC. En effet, seuls 16 kilomètres d’extension sont attribués à la première contre 50,4 kilomètres à la seconde au terme de la phase intermédiaire prévue en 2007, alors que le marché immobilier hong-kongais ne cesse de se fragiliser. Tant la complémentarité des réseaux et des sources de revenus des deux compagnies – à l’inverse de MTRC, KCRC tire la majorité de ses revenus du transport – que l’ampleur projetée du schéma régional rendent ce dessein de fusion légitime.
34Le corridor West Rail de KCR se présente comme l’un des projets les plus significatifs à l’échelle régionale dans la mesure où il ouvrira une seconde brèche au niveau de la frontière et devrait stimuler le développement urbain du nord-ouest des Nouveaux Territoires. A terme, KCRC devrait mettre en œuvre une vaste boucle ferroviaire jalonnée d’opérations immobilières et d’interconnexions, qui desservira l’ensemble du territoire. Cette figure n’est pas sans rappeler celle, d’échelle similaire15, de la ligne Yamanote qui ceinture le centre de Tokyo et le long de laquelle se concentre, au droit des interconnexions avec les lignes de banlieue, une série de centres urbains plus ou moins spécialisés (tertiaire, commerce, loisirs, etc.) qui structurent la métropole. Mais, programmés de logements à 90%, les sites de développement identifiés par KCRC – associée au gouvernement pour le corridor West Rail – auront bien du mal à devenir de véritables pôles de développement et à freiner les déplacements de personnes et de biens comme le souhaite le gouvernement de Hong Kong16. Consciente de cet enjeu qui nécessite de nouvelles visions en terme d’aménagement urbain, KCRC s’interroge actuellement sur une stratégie17 apte à relever ce défi.
Notes
Voir également Vittorio Magnago Lampugnani éd., Hong Kong. The Aesthetics of Density, Munich/New York, Prestel-Verlag, 1993 ; Edward George Pryor éd., Hong Kong - City of Vision, Hong Kong, Hinge Marketing Ltd, 1995 ; Steven Smith, Terry Farrell & Partners : Kowloon Transport Super City, Hong Kong, Pace Publishing Ltd, 1998.
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Titre | Tableau 1 :Voyages (en milliers) effectués annuellement par moyen et compagnie de transport |
Légende | KMB : Kowloon Motor Bus. CMB : China Motor Bus. NLB : New Lantao Bus. KCRB : Kowloon-Canton Railway Bus. CB : Citybus. LWB : Long Win Bus. NWFB : New World First Bus. HYF : Hong Kong and Yaumati Ferry. SF : Star Ferry.HKT : Hong Kong Tramway.KCR : Kowloon-Canton Railway (East Rail). LRT : Light Rail Transit. MTR : Mass Transit Railway.NB : Pour 1959 et 1969, le nombre de voyages correspond aux billets vendus ou à l’argent perçu pour des allers simples, auxquels s’ajoutent des estimations de trajets effectués par des détenteurs d’abonnements.* Y compris les Public Light Buses. ** Y compris les lignes de ferry secondaires. *** Y compris les minibus rouges. **** Y compris les services de ferry sous licence.Sources : pour 1959 et 1969, Hong Kong Government Press, Hong Kong Report of the Year, 1970, p. 312 ; pour 1978, Hong Kong Government Press, Hong Kong Report of the Year, 1979, p. 286 ; pour 1980, Hong Kong Government Press, Hong Kong Report of the Year, 1983, p. 309 ; pour 1989, Hong Kong Government Press, Hong Kong Report of the Year, 1992, p. 442 ; pour 1999, Transport in Hong Kong 2002, p. 35 (chapitre 14 de Hong Kong 2001). |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/perspectiveschinoises/docannexe/image/154/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 40k |
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Titre | Tableau 2 :Opérations immobilières de la MTRC sur la cinquième ligne de métro (Airport Express Line / Tung Chung Line) |
Légende | NB : les superficies données sont des surfaces brutes de plancher.Source : MTR Corporation, Property Related Services, Hong Kong, 2002, p. 15. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/perspectiveschinoises/docannexe/image/154/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 40k |
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Titre | Le réseau ferroviaire de Hong Kong |
Légende | Source : Transport Bureau / Government of the Hong Kong Special Administrative Region, Transport Infrastructure Investment Opportunities in Hong Kong, October 2001. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/perspectiveschinoises/docannexe/image/154/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 48k |
Pour citer cet article
Référence électronique
Corinne Tiry, « Hong Kong : un avenir urbain modelé par les transports ferroviaires », Perspectives chinoises [En ligne], 78 | juillet-août 2003, mis en ligne le 06 novembre 2006, consulté le 27 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/perspectiveschinoises/154
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