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Lectures critiques

Patricia Sieber éd., Red Is Not The Only Color: Contemporary Chinese Fiction on Love and Sex between Women, Collected Stories

Lanham (Maryland), Rowman & Littlefield, 2001, 200 p.
Mirana M. Szeto

Texte intégral

1Ce livre résulte d’une collaboration méritoire entre l’éditeur, des femmes écrivains et des traducteurs. Les histoires sont bien choisies et dotées d’une complexité et d’une diversité culturelle remarquables. Il ne s’agit pas des histoires classiques de révélation d’homosexualité guidées par les enjeux politiques de l’identité souvent trop attendus. Ces histoires sont émouvantes de par leur profondeur intellectuelle et leur maturité émotionnelle, et ne dissimulent jamais la complexité historique, les travers culturels, les contraintes sociales et de liberté individuelle qui conditionnent leur raison d’être. Ces histoires, toutes originales, ont été choisies parmi des nouvelles d’auteurs largement reconnues et expérimentées originaires de Hong Kong, de Taiwan et de Chine.

2La traductrice de l’écrivain de la République Populaire de Chine Zhang Mei, Patricia Sieber, a très justement rendu le ton de l’auteur. « A Record » est une recherche ethnographique de la culture déclinante des « mariages entre femmes » à Shunde, en Chine du sud. Parmi ces femmes mariées, on trouvait des amantes que leur contemporains appelaient « couples d’intimes » (liangxingzhi). La narratrice est une intellectuelle auto-critique qui décrit l’impossibilité de retrouver la culture perdue de l’amour, tant émotionnel que charnel, entre femmes qui travaillaient et étaient indépendantes. Elle fait preuve de scepticisme et d’ironie à l’égard des hommes et de leur univers culturel qui dénote une curieuse fascination pour ces femmes insoumises du passé. L’histoire montre bel et bien que l’amour et les relations sexuelles entre femmes font partie intégrante d’un lieu et d’une époque révolus. Elle résiste à la tentation de faire d’une pratique marginale un symbole. Enfin, les observations sur les effets du capitalisme dans la Chine du sud et les modes de vie passés et présents des femmes sont d’une remarquable intensité, même si l’on peut regretter que les démons du capitalisme soient un peu trop simplement attribués à l’homme de Hong Kong, l’alter ego chinois du capitalisme.

3La traduction de « Breaking Open » de l’écrivain chinoise Chen Ran, par Paola Zamperini, est également superbe. Cette nouvelle flirte avec un ton didactique qui s’approche d’un manifeste féministe : elle prend la forme de discussions très intellectuelles et de débats intérieurs entre deux femmes fières de leur élitisme culturel. Il faudra beaucoup de questionnements philosophiques, l’ombre menaçante d’un péril mortel ainsi que l’approbation de l’esprit de la mère décédée pour que ces femmes rompent avec le tabou sexuel qui s’attache à leur langage et à leurs corps, et se déclarent timidement leur amour et leur désir d’intimité sexuelle. Pour ma part, le langage et l’univers imaginaire de Chen Ran me semblent convenus. La déclaration d’amour provoquée par un accident d’avion imminent est trop prévisible. Enfin, l’élitisme intellectuel paraît quelque peu snob, un travers que l’on retrouve dans bien d’autres productions.

4Les longues et intenses conversations et la forme épistolaire apparaissent également dans « Brothers » de l’auteur chinoise Wang Anyi, traduit par Zhang Jingyuan. Cette nouvelle met en scène trois femmes chinoises artistes et intellectuelles, trois amies inséparables dont l’extrême solidarité s’approprie merveilleusement bien le langage, la camaraderie et la liberté intellectuelle et physique des hommes. La « camaraderie » se détériore à mesure que les trois consœurs se retrouvent confrontées aux impératifs de l’amour, du sexe et du mariage hétérosexuels ainsi qu’avec les enfants, sous le régime Communiste. L’intensité émotionnelle émouvante, la pensée et le langage audacieux de ces femmes transparaissent merveilleusement dans la traduction. Les hommes comme les femmes luttent avec et contre les faiblesses de l’essentialisme des sexes propre à leur culture. L’amour maternel rend caduc l’amour entre femmes. Les maris jaloux et les batailles du mari libéral sont pareillement décrits. Cette nouvelle montre quelles sont les limites de la libération féminine dans la société chinoise, elle décrit jusqu’où un amour intense entre deux femmes peut aller avant que les structures de la famille et du mariage cessent de la tolérer. En réalité, cette nouvelle ne raconte pas une prise de conscience de l’homosexualité féminine et de l’exploration de cette sexualité, mais davantage le déchirement d’une l’amitié passionnée et exclusive entre trois femmes sous les diverses pressions de la société.

5A la différence de la position intellectuellement élitiste et snob adoptée par les écrivains chinoises contre l’inévitable commercialisation de leur culture, « She’s a Young Woman and So am I », de la talentueuse hongkongaise Wong Bikwan, s’en prend aux deux parties. A travers l’histoire de deux étudiantes vivant ensemble et dont la relation homosexuelle demeure de l’ordre de la sphère privée, Wong Bikwan tente de présenter les deux faces du vieux combat entre les aspirations intellectuelles et matérielles. Leur relation érotique se termine lorsque le personnage phallocrate achète cyniquement la vie de l’intellectuelle et que celle-ci rompt pour plonger dans la décadence de la richesse et du prestige. L’auteur, plutôt que de faire preuve d’un élitisme jamais remis en cause, comme chez de nombreuses écrivains chinoises, est plus consciente de sa personne et ironise sur la distinction entre le corps et l’esprit, et sur le pathos des intellectuels et artistes aux prises avec une culture populaire dominée par la médiocrité du mercantilisme. Cette nouvelle ne fait pour autant pas sien le cliché qui voudrait que Hong Kong soit un paradis commercial et un désert culturel. La narration présente et le langage imite de manière cynique la logique des représentations qui tend à transformer les sujets traitant de Hong Kong en des prédictions auto-réalisatrices. Cependant, la traduction de Naifei Ding, du fait probablement d’un manque de maîtrise des tours et détours du cantonais, ne fait pas honneur à certaines ironies subtiles, à l’humour cruel et au choix troublant de mots qui font la réputation de l’auteur. Le ton prétentieux que Wong s’ingénie à éliminer tend alors à apparaître précisément là où il n’existait pas.

6Les tabous sexuels et sociaux liés à l’amour et aux relations sexuelles entre femmes dans la République Populaire de Chine et à Hong Kong sont également présents dans les histoires taiwanaises. Ecrite spécialement pour cet ouvrage, « Andante » de He An a été traduite par Patricia Sieber, et nous n’avons donc pas eu la possibilité de comparer l’original avec la traduction. Il s’agit, là encore, d’une histoire de femmes artistes et intellectuelles, une catégorie très présente dans cet ouvrage. Une musicienne lesbienne est trahie et abandonnée par sa partenaire lycéenne à Taiwan. Elle reprend progressivement confiance dans une relation homosexuelle avec une autre lesbienne musicienne aux Etats Unis. La difficulté de révéler son homosexualité à Taiwan, la pression qui s’exerce pour que ces jeunes femmes ait des « petits amis » et l’homophobie omniprésente, dont font preuve même les amantes qui se cachent, sont également abordés dans « Lips », d’une autre écrivain taiwanaise, Liang Hanyi, dont le texte a été traduit par Kimberly Besio. Cette histoire rend plus explicitement compte des pressions qu’exercent l’homophobie et les tabous les plus courants sur la sexualité des femmes. Un baiser d’une proche amie du lycée devient un traumatisme sexuellement inhibiteur. La lesbienne stigmatisée, qui a déclaré publiquement son homosexualité et qui meurt de tuberculose est un peu trop mélodramatique, en dépit du fait que la mort est un thème récurrent dans la culture lesbienne taiwanaise.

7Les autres nouvelles taiwanaises passent à l’autre extrême. La combinaison impossible d’un langage sexuel explicite et d’une sincérité émotionnelle à la limite de l’innocence transparaît très bien dans la traduction de Patricia Sieber du texte de l’écrivain taiwanaise Chen Xue. La nouvelle de Chen Xue, « In Search of the Lost Wings of the Angels », est la plus sexuellement explicite du recueil. Il s’agit de la découverte d’un désir homosexuel vécue à travers son enchevêtrement avec la perte d’un parent, le traumatisme qui en découle et le rétablissement. La lutte entre la bisexualité et l’homosexualité féminine se retrouve de manière tout aussi forte dans la traduction. On attribue souvent à Chen Xue l’invention du langage érotique et sexuel des femmes dans le langage contemporain chinois. « Fever » de l’écrivain taiwanaise Hong Ling, traduite par Paola Zamperini, met en scène une femme fatale vampire et est également un bijou d’érotisme et de mélancolie. C’est une vision futuriste du deuil que représente la perte d’une amante lesbienne. Le recours aux vampires et autres personnages étranges sont devenus chez Hong un signe distinctif.

8Nous ne pouvons que nous réjouir du rôle précurseur tant attendu que remplit ce recueil de nouvelles. Son introduction bien référencée témoigne d’une connaissance approfondie de la littérature anglophone savante dans ce domaine et des productions de certains groupes féministes à Taiwan. Sa contextualisation culturelle et historique est de bonne tenue, même s’il y a un manque de connaissance évident concernant la culture et l’histoire — proche du cliché — de Hong Kong. Les biographies « critiques » des auteurs me semblent très utiles. En complément des textes traduits ici, nous indiquons qu’un recueil de nouvelles de premiers amours entre femmes est paru à Hong Kong, également en 2001 : Commotion : Her’s and Her’s First Love Stories (Saodong : tata de chulian gushi), édité par Jin Hualu, conçu par Jin Peiwei et publié par Hong Kong’s Cultural Act Up. En outre, de nombreuses histoires et même des films traitant de la sexualité féminine, provenant de Hong Kong, Taiwan et la République Populaire de Chine sont disponibles sur l’Internet. Nous encourageons vivement les lecteurs à consulter ces créations : nombre d’entre elles sont surprenantes et novatrices.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Mirana M. Szeto, « Patricia Sieber éd., Red Is Not The Only Color: Contemporary Chinese Fiction on Love and Sex between Women, Collected Stories »Perspectives chinoises [En ligne], 76 | mars - avril 2003, mis en ligne le 24 juillet 2006, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/perspectiveschinoises/102

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