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Études & travaux
Analyses

Marshall McLuhan : un spectre hante-t-il les études médiévales canadiennes ?

Patrick Moran

Résumés

Cet article revient sur les travaux de Marshall McLuhan et sur leur influence diffuse sur les études médiévales, au Canada et ailleurs. Le paradigme médiatique formulé par McLuhan lui permet, dans La Galaxie Gutenberg, de dépeindre un Moyen Âge transitionnel, une civilisation mixte qui tend vers une domination massive des médias visuels et vers l’invention de l’imprimerie, mais a encore un pied fermement ancré dans le paysage médiatique antérieur, celui de l’ouïe et de la synesthésie. L’article examine la valeur heuristique des propositions formulées par McLuhan, ainsi que leur influence sur le discours médiéviste canadien, depuis la lecture critique de Paul Zumthor au début des années 1980 jusqu’aux approches actuelles fondées dans le renouveau philologique et codicologique de la fin du xxe siècle et du début du xxie.

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Texte intégral

  • 1 L’édition de référence dans cet article sera la suivante : Marshall McLuhan, The Gutenberg Galaxy [ (...)
  • 2 À la fois pour la notion de mouvance définie dans l’Essai de poétique médiévale, Paris, Le Seuil, 1 (...)
  • 3 Pour la notion de variance, définie dans La Parole médiévale. Discours, syntaxe, texte, Paris, Minu (...)
  • 4 Michel Foucault, Les Mots et les Choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1 (...)

1Envisager l’impact de Marshall McLuhan sur les études médiévales, c’est contempler tout à la fois une présence et une absence. Présence diffuse, discrète, inévitable : bien que McLuhan ne fût pas médiéviste et que La Galaxie Gutenberg1, son ouvrage le plus historiciste, ne traite pas que de Moyen Âge, le rôle singulier qu’y occupe la période médiévale dans la succession de révolutions médiatiques dépeinte par l’auteur a profondément façonné la manière dont les médiévistes envisagent leur période et son paradigme scripturaire propre. Derrière les réflexions actuelles sur la manuscriture, sur l’oral et l’écrit, sur la mouvance ou la variance, sur le passage de la copie manuelle à l’imprimé, il est possible de déceler l’ombre portée du professeur de Toronto. Mais cette ombre reste le plus souvent implicite, voire impensée : chez les médiévistes français, sur ces thématiques on fera plus souvent référence aux travaux d’un Paul Zumthor2 ou d’un Bernard Cerquiglini3, ou aux réflexions de Michel Foucault sur la notion d’épistémè4. Quant aux médiévistes anglophones, s’ils font plus de références explicites à McLuhan, c’est souvent sur le mode du passage obligé, comme un chercheur de langue française qui cite Gérard Genette ou Roland Barthes en passant, comme par acquit de conscience. Il y a donc, au cœur des études médiévales, une absence de Marshall McLuhan, devenu un auteur que l’on connaît de réputation et de seconde main, et dont les thèses colorent la recherche actuelle de manière inconsciente.

  • 5 Et d’ailleurs il faudrait inciter à relire non seulement La Galaxie Gutenberg, mais aussi Pour comp (...)

2Le propos de cet article, au demeurant, n’est pas d’inciter à relire Marshall McLuhan5, même si l’on peut souhaiter qu’il y encourage ; c’est plutôt, dans le cadre de cette discussion générale sur les études médiévales en Amérique du Nord, de réfléchir sur la façon dont McLuhan incarne et informe un apport canadien à la réflexion sur le Moyen Âge ; sur comment McLuhan influence la recherche médiévale au Canada, aussi bien dans le domaine anglophone que francophone, que cette influence soit implicite ou explicite, assumée ou pas ; et comment son ombre affecte la médiévistique en général, au delà du seul domaine canadien. Si le titre de cet article assimile McLuhan à un spectre qui hante les études médiévales, ce n’est pas uniquement sur un mode facétieux : il est difficile, voire impossible, de tracer une généalogie claire de l’influence de McLuhan sur la médiévistique moderne, et c’est bien plus à une contamination diffuse qu’on a affaire : bon gré mal gré, lorsque nous traitons du statut de la textualité médiévale, nous le faisons dans un paradigme dont les contours ont été tracés en grande partie par lui.

1. Médias et messages

  • 6 La séparation n’est pas, au demeurant, strictement géographique : il y a évidemment des médiévistes (...)

3Parler d’une médiévistique canadienne ne va pas de soi, tant le bilinguisme du pays divise sa communauté de chercheurs en deux sous-groupes aux interactions parfois limitées. Les médiévistes anglophones sont plus prompts à être anglicistes, et gravitent vers les États-Unis et, dans une moindre mesure, le Royaume-Uni ; quant aux francophones, ils sont habituellement spécialistes de littérature française du Moyen Âge et dialoguent plus volontiers avec leurs pairs en France, en Suisse ou en Belgique6. De part et d’autre, ce lien de connivence fort avec des pays tiers qui pèsent beaucoup plus lourd en termes de démographie universitaire peut donner l’impression d’un manque d’autonomie et de cohésion des études médiévales au Canada. Cette disparité apparente est pourtant relativisée par certains éléments de convergence, dont les échos de Marshall McLuhan ne constituent peut-être pas le moindre : échos directs dans le milieu anglophone, échos indirects mais réels dans le milieu francophone, médiatisés par la lecture critique de Paul Zumthor – on aura l’occasion d’y revenir dans la troisième partie de cet article.

  • 7 Plus largement, le caractère souvent fragmentaire, métaphorique et aphoristique des ouvrages de McL (...)

4Que dit Marshall McLuhan sur le Moyen Âge ? En examinant le contenu proprement médiéval de La Galaxie Gutenberg, il est important de garder à l’esprit que le propos du livre, malgré sa forme globalement historiciste et chronologique, porte surtout sur l’époque présente et les transformations qu’elle est en train de subir : si les prémisses de l’ère Gutenberg intéressent McLuhan, c’est dans la mesure où elles forment le pendant symétrique de la fin de cette même ère, que nous vivons actuellement. L’affaiblissement du règne de l’imprimé sous les coups des nouvelles technologies est l’occasion d’un retour en arrière, non au sens d’une régression ou d’une dégradation, mais au sens du rétablissement de certains paradigmes que le triomphe de l’imprimerie avait fait passer pour obsolètes. Si l’examen des débuts de l’ère typographique sert donc surtout à penser sa fin, la description de l’ère pré-Gutenberg joue un rôle peut-être encore plus ancillaire, et la question du paradigme médiéval, même si elle occupe un nombre important de pages dans le volume, ne vaut pas pour elle-même. Il n’est donc pas inutile de garder à l’esprit que, si le médiéviste peut tirer un certain nombre d’éléments concrets de La Galaxie Gutenberg, l’ouvrage ne s’adresse pas principalement à lui7.

  • 8 Understanding Media, op. cit., p. 7.

5Dans ce livre, McLuhan développe pour la première fois sa réflexion sur les médias, qui sera systématisée dans son ouvrage de 1964, Pour comprendre les média. Par la notion de média, McLuhan n’entend pas tant un canal de communication et de diffusion de l’information, qu’une extension des sens humains : est un média tout ce qui prolonge ou amplifie artificiellement nos sens, dans l’acception la plus large de ces termes ; c’est une technologie transformative. Ainsi l’éclairage électrique est-il tout autant un média que l’imprimerie ou la radio. Les médias sont donc moins des vecteurs par lesquels transitent des données, qu’un environnement qui nous entoure et nous définit ; chaque culture, chaque époque se caractérise par un milieu médiatique qui lui est propre, et son paradigme mental est conditionné par ce milieu. McLuhan va encore plus loin en affirmant que ce sont les changements médiatiques qui conditionnement les changements cognitifs ; étudier les révolutions médiatiques, c’est donc comprendre comment l’esprit humain se configure et se reconfigure. En d’autres termes, et pour reprendre la formulation célèbre donnée au problème par McLuhan dans l’introduction à Pour comprendre les médias : « The medium is the message8 ».

6Dans la perspective historique de La Galaxie Gutenberg, trois mutations médiatiques intéressent tout particulièrement McLuhan, délimitant quatre périodes. La première de ces mutations, c’est l’apparition de l’écriture ou, plus exactement, le développement de l’alphabet phonétique ; elle marque, dans les sociétés qu’elle concerne, la transition d’une culture auditive, caractérisée par l’oralité, à une culture visuelle, marquée par l’écrit. Encore faut-il que l’écrit soit effectivement fondé dans une méthode de transcription phonétique, par exemple l’alphabet grec ou latin : une écriture idéogrammatique ou logographique, comme les hiéroglyphes égyptiens ou les caractères chinois, n’opère pas la même mutation de l’auditif au visuel ; elle ne dissocie pas aussi complètement la lettre du sens et ne provoque pas le même isolement ni la même survalorisation de la vue comme sens directeur, et n’a donc pas la même influence culturelle. Le développement de l’alphabet phonétique opère une transition d’un monde de sons vers un monde visuel, même si cette transition est lente et que les deux paradigmes se chevauchent pendant longtemps.

  • 9 Il faut donc, dans le système développé par McLuhan, que cette invention de l’imprimerie se fasse d (...)
  • 10 À cet égard, McLuhan est largement tributaire du travail de son ami et semi-disciple Walter J. Ong (...)

7Ce n’est qu’avec l’invention de l’imprimerie, qui constitue la seconde mutation médiatique décrite dans La Galaxie Gutenberg, celle qui donne son titre à l’ouvrage, que cette transition se réalise de manière totale9. La « galaxie Gutenberg », c’est le domaine de l’homme typographique ; l’imprimé coupe nettement la culture occidentale de la culture du « village » qui prévalait auparavant, culture de l’environnement sonore, de la communauté et de l’interconnexion ; la nouvelle culture médiatique qui supplante celle-ci, c’est celle de la typographie et de la reproductibilité, mais aussi, en conséquence, celle de l’objectivité et de l’individualité, où l’homme peut se concevoir comme observateur extérieur et détaché face au monde de phénomènes qui l’entoure. Ce n’est pas un hasard si l’apparition de l’imprimerie va de pair avec le développement, dans les arts picturaux, de la perspective mathématique (qui présuppose un point de vue unique), ou avec le remplacement d’une pédagogie fondée sur le dialogue et la mémoire par une pédagogie fondée sur la logique et la méthode10.

  • 11 Le facteur-clé de la revalorisation des thèses de McLuhan depuis le début des années 1990 (et dont (...)
  • 12 Marshall McLuhan, The Gutenberg Galaxy, op. cit., p. 36-38 : « The new electronic interdependence r (...)

8La troisième révolution médiatique envisagée par McLuhan est celle qui, dans un sens, représente à la fois le cœur et la périphérie de l’ouvrage : c’est la révolution électrique, celle du télégramme, de la radio, du cinéma et de la télévision, celle de l’informatique encore balbutiante11. Elle est au cœur de l’ouvrage, dans la mesure où tout y mène, et où l’analyse des révolutions précédentes ne sert qu’à mieux souligner la nature de celle dans laquelle se trouvent l’auteur et le lecteur de La Galaxie Gutenberg ; et elle est à sa périphérie, parce que c’est une révolution en cours, qu’elle n’a pour l’instant qu’une histoire limitée, et qu’elle marque la fin de l’ère qui donne son titre au livre. Surtout, la révolution électrique est foncièrement hostile à la forme même du livre imprimé, même s’il y a fort à parier que les fonctionnements médiatiques anciens et nouveaux coexisteront encore longtemps, de même qu’ils l’ont fait entre l’apparition de l’alphabet phonétique et sa solidification par l’imprimerie. Ce qu’amène la nouvelle révolution, c’est un retour à l’immédiateté : alors que l’homme typographique fondait sa cognition dans un paradigme individualiste, objectivé, où l’observateur et son milieu sont deux entités distinctes, où le temps était linéaire et sécable, les télécommunications et les médias de masse (mais aussi les moyens de transport modernes, compris comme des médias) recréent la coprésence et l’instantanéité caractéristiques de l’époque pré-scripturaire. En d’autres termes, la révolution actuelle ramène le monde à l’échelle d’un village, un « village global12 » ; et l’ouïe devient à nouveau un sens directeur, estompant l’hégémonie visuelle qui était caractéristique de l’ère Gutenberg.

2. Un Moyen Âge transitionnel

  • 13 Ibid., p. 91, McLuhan parle de « the great medieval invention of typography », « la grande inventio (...)

9Au sein de ce panorama, le Moyen Âge occupe une position singulière : non pas pionnier comme la culture grecque ancienne après qu’elle développe son alphabet, ou l’ère moderne après l’apparition de l’imprimerie, le Moyen Âge est foncièrement transitionnel. D’un côté il illustre par excellence la façon dont oralité et écriture coexistent encore dans une culture manuscrite ; de l’autre, il est le terreau dans lequel va apparaître l’imprimerie, et McLuhan, loin de considérer l’imprimé comme une rupture, le traite au contraire comme une conséquence logique de la mentalité médiévale13. Même si le Moyen Âge n’est pas au centre de La Galaxie Gutenberg, il y occupe donc tout de même une place de choix. Sa position singulière dans l’histoire des révolutions médiatiques fait de lui une ère de transition mais aussi une ère d’équilibre, avant que la mutation typographique ne ramène à une portion congrue le rôle de l’oralité et le paradigme cognitif qu’elle implique. Les conséquences que McLuhan tire de ce constat d’équilibre précaire sur les représentations textuelles et littéraires au Moyen Âge sont particulièrement intéressantes pour les médiévistes : notamment, l’auteur formule dès 1962 certains aperçus sur la culture manuscrite préfigurant des tendances qui, dans nos études, n’ont émergé que plusieurs années, voire plusieurs décennies plus tard.

  • 14 Ibid., p. 94-96.
  • 15 Même si les recherches subséquentes tendent à indiquer que la lecture silencieuse s’est développée (...)

10Il est important pour McLuhan de souligner que le monde médiéval est un monde de la synesthésie et de la tactilité, caractéristiques qui seront réduites à une peau de chagrin par l’émergence de la typographie. La lecture à voix haute est encore une pratique dominante au Moyen Âge, malgré l’obsolescence de la scriptio continua14 : la culture manuscrite est donc foncièrement conversationnelle ; le scribe et son public sont physiquement reliés, dans la mesure où toute publication est une performance, plusieurs fois réitérée15. Même si l’alphabet phonétique est fermement ancré dans la culture médiévale et la précède de plusieurs siècles, cette culture reste donc à cheval d’un point de vue sensoriel entre l’ouïe et la vue, et ne possède pas le degré de dissociation sensorielle caractéristique de l’ère Gutenberg.

  • 16 The Gutenberg Galaxy, op. cit., p. 109 : « The medieval student had to be paleographer, editor, and (...)
  • 17 Elspeth Kennedy, « The Scribe as Editor », Mélanges de langue et de littérature du Moyen Âge et de (...)
  • 18 Voir note 3.
  • 19 Il s’agit de la question 42 de la troisième partie de la somme, commentée par McLuhan dans The Gute (...)
  • 20 McLuhan va même jusqu’à affirmer que des aspects culturels aussi différents que l’enluminure, la gl (...)

11L’environnement médiatique du Moyen Âge, mélange d’écriture et d’oralité, caractérisé par la copie manuscrite plutôt que par la reproduction automatique de l’imprimé, ne dissocie pas aussi nettement les producteurs et les récepteurs des textes, et la chaîne littéraire met davantage ses acteurs sur un pied d’égalité : l’étudiant médiéval, par exemple, « devait être le paléographe, le correcteur et l’éditeur des auteurs qu’il lisait »16. Difficile de ne pas voir dans de telles affirmations l’annonce de célèbres travaux subséquents, comme l’article « The scribe as editor » d’Elspeth Kennedy en 197017 ou l’Éloge de la variante de Bernard Cerquiglini en 198918. La raison de cette relative indifférenciation entre les différents acteurs du phénomène textuel est que le texte écrit n’a pas encore la centralité exclusive qu’il a aujourd’hui : l’ère de l’imprimé a divorcé le texte de sa composante parlée, écoutée, vécue in situ et intégrée dans un continuum. Au Moyen Âge, au contraire, le manuscrit n’est qu’un succédané de la parole vive ; comme le dit Thomas d’Aquin dans la Somme théologique, les meilleurs enseignants doivent enseigner de la meilleure manière, ce qui explique pourquoi le Christ et Socrate n’ont jamais mis par écrit leurs enseignements : le verbe proféré directement atteint le cœur de ses auditeurs sans intermédiaire19. Le texte écrit est donc un instrument commode mais subordonné à des formes plus authentiques de transmission et de communication : c’est ce qui explique que l’art de la mémoire soit si essentiel à une culture manuscrite, et qu’il décline dans une culture typographique20.

  • 21 Ibid., p. 151 : « Authorship before print was in a large degree the building of a mosaic ».
  • 22 Ibid., p. 154 : « Until more than two centuries after printing nobody discovered how to maintain a (...)

12D’un point de vue littéraire, le paradigme médiéval empêche évidemment d’avoir des auteurs (ou un public) au sens moderne du terme, puisque écrire avant l’imprimerie, c’était, dans une grande mesure, construire une mosaïque21 plutôt que de créer une œuvre unitaire et isolable. De cette mosaïque résulte le caractère souvent disparate ou hétéroclite que le lecteur moderne croit déceler dans les œuvres du Moyen Âge : l’écriture médiévale n’aspire pas à la simplicité, mais à l’unité, c’est-à-dire à un fonctionnement holistique qui ne laisse rien échapper, selon une logique qui a donné naissance aussi bien aux grandes sommes érudites qu’aux cathédrales ou à l’idéal scolastique22.

13Et pourtant, interpréter la culture médiévale comme une culture de la voix, centrée autour de l’ouïe et d’une indifférenciation entre le sujet et l’environnement, serait une erreur : le Moyen Âge est profondément affecté par l’usage de l’alphabet phonétique, et il hérite en cela de la tradition gréco-latine ; ce n’est en rien une culture qui découvre tout juste l’écrit. La période médiévale est donc une zone transitionnelle, et une zone de conflit : elle porte en elle les germes de la révolution typographique, conçue comme une résolution des contradictions internes dues au chevauchement du paradigme oral et du paradigme écrit. Ce dernier pose les bases d’une culture de la vue, qui n’est pas simplement le pendant d’une culture de l’ouïe : le paradigme oral est bien plus celui de la synesthésie que celui d’un seul sens, et si l’ouïe prédomine sous son égide, ce n’est pas de la manière exclusive et hégémonique dont la vue le fera à l’ère typographique.

  • 23 Ibid., p. 128-129.
  • 24 Ibid., p. 134-136.

14Cette culture de la vue émergente, on la voit à la fin du Moyen Âge dans les efforts des peintres pour représenter une perspective géométrique, qui situe précisément les objets dans un espace dont l’orientation est définie par un observateur implicite23 ; mais aussi dans le développement du savoir appliqué, à la même période24, qui présuppose un divorce entre l’individu et son environnement, celui-là modifiant celui-ci. La fin du Moyen Âge est motivée par un désir de visualiser le savoir, au sens large, c’est-à-dire de visualiser le monde. Dans les arts, le mouvement renaissant naît d’une volonté de connaître l’Antiquité en la reproduisant concrètement, pour les yeux ; et l’apparition de l’imprimerie est une façon de solidifier le savoir en l’objectivant. De manière fondamentale, c’est l’accroissement continuel du savoir qui pousse à sa visualisation – cet accroissement étant lui-même dû au divorce entre observateur et observé initié par la révolution de l’alphabet phonétique. En d’autres termes, on a affaire à une boucle cognitive et épistémologique, la culture de l’écrit se renforçant elle-même sans cesse, jusqu’à devenir exclusive.

15Le Moyen Âge, on le voit, joue donc un rôle central dans la réflexion de McLuhan, dans la mesure où il fonctionne comme une interface, un carrefour de plusieurs tendances, dont l’une est en déclin et l’autre en plein essor ; pris de manière synchronique, le Moyen Âge de McLuhan est une période riche et complexe, où le manuscrit joue un rôle incontournable comme matérialisation des tensions en présence. Il est remarquable que, dans une étude consacrée aux changements de paradigme médiatique, McLuhan ne se contente pas de passer de la période antique à la période Early Modern, en sautant à pieds joints par dessus un Moyen Âge qui, d’un certain point de vue, ne change rien de fondamental aux logiques antiques. C’est que la période médiévale exacerbe les caractéristiques du paradigme manuscrit et en donne un tableau plus plein et complet ; un long instantané, juste avant le basculement.

3. Paul Zumthor et le problème McLuhan

  • 25 Il faudrait au moins citer, avant lui, son maître Harold Innis, également canadien anglophone : voi (...)
  • 26 La force institutionnelle des départements en communication dans les universités nord-américaines, (...)
  • 27 Jack Goody, La Raison graphique : la domestication de la pensée sauvage [1977], Jean Bazin et Alban (...)

16L’insistance de Marshall McLuhan sur le rôle des médias dans l’évolution cognitive des sociétés est aussi une insistance sur la valeur heuristique de leur étude : si le professeur de Toronto n’est pas l’inventeur des media studies et des communication studies25, il en renouvelle et restructure le champ en leur donnant leurs lettres de noblesse26. L’importance fondamentale donnée aux moyens de communication et aux innovations technologiques inspire aussi des travaux comme La Raison graphique de l’anthropologue Jack Goody27. Dans le domaine qui nous intéresse, celui des études en littérature médiévale, il n’est peut-être pas anodin que la lecture la plus notable des thèses de La Galaxie Gutenberg se fasse au Canada, mais cette fois-ci au Québec, en milieu francophone. Cette lecture, c’est celle de Paul Zumthor : lecture féconde et critique, parfois désapprobatrice, mais qui a une influence profonde sur les recherches en oralité que développe Zumthor à partir de la fin des années 1970. Si les thèses de Marshall McLuhan ont un impact sur la médiévistique francophone dans les décennies suivantes, aussi bien au Canada qu’en Europe, c’est avant tout par ce biais ambivalent.

  • 28 Développées dans l’Essai de poétique médiévale, op. cit., p. 84-96 : « Anonymat et ‘mouvance’ ».
  • 29 Paul Zumthor, « Pour une poétique de la voix », Poétique 40, 1979, p. 514-524, ici p. 514.
  • 30 Voir note 34.
  • 31 Id., Introduction à la poésie orale, op. cit., p. 34.

17Plusieurs passages des articles et des livres de Paul Zumthor, alors que ses théories sur la mouvance médiévale28 se cristallisent en une réflexion plus large sur l’oralité et la poésie orale, attestent plus ou moins explicitement de la présence de La Galaxie Gutenberg à l’arrière-plan de ses propres travaux. On constate d’abord une réticence envers le livre de Marshall McLuhan : dans son article programmatique de 1979, « Pour une poétique de la voix », Zumthor déclare La Galaxie Gutenberg obsolète : « Inutile d’appeler à la rescousse McLuhan et son livre déjà bien vieilli29 ». Dans les premières pages de l’Introduction à la poésie orale, le ton de Zumthor est similaire : « Je ne m’engagerai pas (l’ayant fait récemment ailleurs30) dans une discussion des théories élaborées sur ces bases, à la suite du livre fracassant et hâtif publié en 1962 par Mc Luhan31 [sic] ».

  • 32 Voir note 10.
  • 33 Ibid., p. 35.

18Pourtant, malgré ces réticences qui ressemblent un peu à du dédain, Zumthor reconnaît écrire dans la perspective instaurée par Marshall McLuhan et développée à sa suite par Walter Ong32. Ainsi, après avoir brièvement résumé les thèses de La Galaxie Gutenberg dans l’Introduction à la poésie orale, déclare-t-il : « C’est dans cette perspective que je situe mon livre, non sans apporter, au train des pages, de nombreux correctifs aux propositions avancées par les auteurs qui l’ont définie33 ». Dans son article de 1981, « Entre l’oral et l’écrit », il fait référence à McLuhan, Ong et Goody, et affirme à leur sujet :

  • 34 Id., « Entre l’oral et l’écrit », Cahiers de Fontenay 23 : Écrit-Oral, 1981, p. 9-33, ici p. 10.

Je fais globalement référence à ces autorités. Mon intention est moins de reprendre (bien inutilement à leur suite) le problème comme tel, que de le relativiser. Tout en tenant pour démontrées la plupart de leurs conclusions, je ne crois pas inutile d’en accuser certaines réticences afin d’adapter les critères à l’hétérogénéité des faits auxquels j’entends ultérieurement, dans un livre en préparation, les appliquer : les « littératures orales », considérées du point de vue du poéticien plutôt que de l’ethnologue34.

  • 35 Id., Introduction à la poésie orale, op. cit., p. 34-35, 144 (« galaxie Gutenberg »), 251, 284, 286 (...)
  • 36 Id., La Lettre et la Voix, op. cit., p. 9, dans la préface.

19Dans tous les travaux de Zumthor sur la poésie orale et la voix, McLuhan revient, parfois de manière fréquente (dans l’Introduction à la poésie orale on constate au moins cinq références plus ou moins étendues à McLuhan ou à ses concepts35), parfois de manière presque invisible (dans La Lettre et la Voix, il se trouve dans la bibliographie mais n’apparaît peut-être qu’une seule fois dans le texte36).

  • 37 « Pour sa part, W. Ong, reprenant, en une série d’ouvrages, les grandes lignes de la thèse du maîtr (...)

20Au fondement du rapport réticent qu’entretient Paul Zumthor avec La Galaxie Gutenberg, se trouvent sans doute plusieurs facteurs. Les rapports complexes entre les deux communautés linguistiques du Canada entrent peut-être en ligne de compte ; plus généralement, Zumthor n’est pas le seul chercheur à avoir accusé McLuhan d’être un penseur « hâtif » dont les livres ont plus une fonction apéritive qu’une véritable consistance érudite. Mais peut-être y a-t-il aussi un décalage entre le projet de Zumthor et celui de McLuhan. Zumthor lit La Galaxie Gutenberg surtout comme un ouvrage sur le passage d’une culture orale à une culture écrite et, dans une certaine mesure, il a raison : c’est un des aspects explorés par le livre. Mais il n’est pas étonnant qu’à cet égard Zumthor préfère les travaux de Walter Ong37 ou de Jack Goody, qui se sont davantage consacrés à cette seule question, qui forme le cœur de leurs livres. Dans La Galaxie Gutenberg, il ne s’agit que d’une des révolutions médiatiques étudiées : c’est la première qui est commentée, mais ce n’est ni la plus importante de l’ouvrage (la révolution typographique), ni la plus urgente (la révolution électrique).

  • 38 D’ailleurs, dans l’Introduction à la poésie orale Zumthor n’emploie le terme de « médiat » [sic] qu (...)
  • 39 Paul Zumthor, Introduction à la poésie orale, op. cit., p. 35.

21Zumthor passe McLuhan au filtre d’une réflexion sur le couple oral/écrit plutôt que d’interpréter ses thèses à l’aune d’une réflexion générale sur les médias : il est significatif à cet égard que Pour comprendre les médias, le grand ouvrage synchronique qui fait suite à l’étude diachronique de La Galaxie Gutenberg, ne soit jamais mentionné par Zumthor38 ; dans cette vaste synthèse, l’oral est ramené au rôle d’un média parmi d’autres, et l’impression – que peuvent donner les premières sections de La Galaxie Gutenberg – que la pensée de McLuhan se construit avant tout autour d’une dichotomie oral/écrit s’évapore bien vite. De surcroît, la différence que fait McLuhan entre oral et écrit n’est pas universelle, comme on l’a déjà dit : c’est l’écriture phonétique qui représente la véritable rupture cognitive, et les arguments de Zumthor en faveur d’un continuum oral-écrit plutôt que d’une opposition39 semblent oublier que McLuhan ne met pas dos à dos l’oralité et toute forme d’écriture, bien au contraire. Zumthor accuse la vision de McLuhan d’être monolithique et d’ériger deux univers radicalement opposés : rien n’est plus éloigné de la réalité. La période médiévale, spécifiquement, est l’occasion pour McLuhan, comme on l’a vu, de montrer comment un média ne supplante pas un autre, mais coexiste avec lui et génère des fonctionnements culturels et cognitifs hybrides.

  • 40 Voir notamment Ibid., p. 36.
  • 41 La conclusion de l’Introduction à la poésie orale (Ibid., p. 281-287), qui constitue une véritable (...)

22Il n’en reste pas moins que, malgré les divergences et malgré la frustration que Zumthor exprime à l’encontre de La Galaxie Gutenberg, les points de rencontre entre les deux auteurs sont nombreux, et il n’y a pas de contradiction de fond entre les recherches de l’un et de l’autre. Les notions désormais célèbres d’oralité primaire ou pure, d’oralité mixte, d’oralité seconde, développées par Zumthor40, ne contredisent pas le paradigme médiéval dépeint dans le livre de McLuhan. Sans doute les différences majeures entre les deux chercheurs résident-elles dans le fait que Zumthor traite surtout d’esthétique, et qu’il s’intéresse à la manière dont l’œuvre poétique se réalise ; alors que McLuhan se consacre avant tout à l’architecture cognitive que les différents moyens de communication élaborent. Pour Zumthor, la différence entre la lettre et la voix n’est pas avant tout cognitive, elle est sociale : une société fondée sur la voix vive n’est pas la même qu’une société fondée sur l’écrit. En d’autres termes, le propos de Zumthor est (par moments) politique, alors que celui de McLuhan est épistémologique. Une des conséquences de ceci, qui est une autre différence de fond entre les deux chercheurs, c’est que dans le couple oral-écrit qu’il analyse, Zumthor valorise la voix et appelle à son retour sur la scène esthétique41 ; tandis que McLuhan refuse explicitement de considérer tel ou tel paradigme médiatique comme plus souhaitable qu’un autre :

  • 42 Marshall McLuhan, The Gutenberg Galaxy, op. cit., p. 55 : « Il est nécessaire de souligner que mon (...)

It is necessary to stress that my concern is with the process of separation of sense by which the detribalizing of men is achieved. Whether such personal abstraction and social detribalization be a “good thing” is not for any individual to determine. But a recognition of the process may disembarrass the matter of the miasmal moral fogs that now invest it42.

23Il s’ensuit que l’actuelle révolution médiatique amenée par les technologies électriques est tout aussi neutre sur le plan axiologique : elle n’est pas plus un progrès qu’un retour en arrière. Le « village global » n’est ni une terre promise, ni une dystopie, pas plus que l’introduction de l’imprimerie ne constitue une amélioration par rapport au paradigme médiéval.

4. De la New Philology à la New Codicology

24À l’heure actuelle, les questions d’oralité dans les études médiévales n’ont plus la visibilité qu’elles avaient à l’époque de La Lettre et la Voix, et la tendance critique semble nous avoir éloignés de Paul Zumthor sur ce point – sans doute momentanément. Mais le regain d’intérêt actuel, depuis quinze ou vingt ans, pour la matérialité du livre médiéval, le paradigme de la manuscriture et la codicologie comme outil d’analyse littéraire, ne nous a pas, bien au contraire, éloignés de Marshall McLuhan. Le Moyen Âge de La Galaxie Gutenberg a beau être le carrefour de paradigmes médiatiques divergents, engageant aussi bien l’oral que l’écrit, l’ouïe que la vue, la culture manuscrite n’en reste pas moins sa pierre d’angle. Mais le manuscrit n’est pas simplement un support d’enregistrement qui sera supplanté sans modification appréciable par l’imprimé : c’est un symptôme paradigmatique, le nœud de la cognition médiévale.

  • 43 En sus d’Éloge de la variante, déjà mentionné (note 3), voir Romanic Review 79, 1988, p. 1-248 ; Sp (...)
  • 44 Voir Keith Busby, « Fabliaux and the New Codicology », The World and Its Rival : Essays on Literary (...)

25Le fait que tant de médiévistes actuels appellent à porter un autre regard sur le manuscrit, non plus le seul regard du philologue-éditeur, mais une reconnaissance que le manuscrit constitue la réalité fondamentale, irréductible, de la littérarité médiévale, offre une remarquable confirmation des thèses de McLuhan. La New Philology, lancée en Amérique du Nord vers 1990 dans la foulée de la parution d’Éloge de la variante43, se fondait déjà sur l’idée que le texte médiéval est réécrit de témoin en témoin et rend donc anachroniques les notions de texte unique, d’auteur isolable et de frontière entre l’auteur et le lecteur. Mais si les prises de position critiques de la New Philology se fondaient sur une conscience de la variance manuscrite et de ses implications idéologiques, les réalisations concrètes de ce mouvement nord-américain portaient assez peu sur les manuscrits eux-mêmes. Plus proche encore des analyses de McLuhan se trouve ce que Keith Busby a baptisé naguère la New Codicology44, et qui est l’idée selon laquelle le manuscrit doit être mis au centre de l’analyse littéraire elle-même, au-delà des questions d’ecdotique ou d’histoire du livre.

  • 45 Par exemple Francis Gingras, « Mise en recueil et typologie des genres aux xiiie et xive siècles : (...)
  • 46 Voir par exemple Isabelle Arseneau, « La condition du pastiche dans le roman lyrico-narratif de Jea (...)
  • 47 The Book Unbound : Editing and Reading Medieval Manuscripts and Texts, Siân Echard, Stephen Partrid (...)
  • 48 Siân Echard, Printing the Middle Ages, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2008.
  • 49 William Robins, « Toward a Disjunctive Philology », The Book Unbound…, op. cit., p. 144-158.
  • 50 The Medieval Manuscript Book : Cultural Approaches, Michael Johnston, Michael Van Dussen (dir.), Ca (...)

26Il n’est peut-être pas surprenant que, pour trouver des manifestations actuelles de cette tendance critique, il ne faille pas forcément quitter le Canada. La valorisation du manuscrit comme objet de pensée et de poétique s’observe aussi bien dans le domaine francophone qu’anglophone, d’ailleurs. En français, les travaux de Francis Gingras, de l’université de Montréal45, ont acquis une grande visibilité, en conjuguant une approche poéticienne qui ne renie pas l’héritage du Zumthor de l’Essai de poétique médiévale avec une analyse minutieuse des témoins manuscrits, que ce soit dans le domaine romanesque ou dans celui des fabliaux et des formes narratives brèves. De même, les travaux d’Isabelle Arseneau, de l’université McGill, accordent la part belle à la mouvance des textes comme révélatrice de choix esthétiques et comme génératrice de sens et d’ambiguïté46. En anglais, Siân Echard, de l’université de Colombie-Britannique, a animé des recherches sur le manuscrit médiéval en entrecroisant de près les questions d’interprétation et les questions d’édition47 ; elle s’est aussi intéressée à la survie des textes médiévaux après l’invention de l’imprimerie, et ce jusqu’à l’ère électronique48. William Robins, de l’Université de Toronto, en développant la notion de philologie disjonctive49, a proposé des méthodes d’édition de texte permettant de mieux rendre compte de la diversité d’une tradition manuscrite donnée, en offrant une idée aussi bien de son centre que de sa périphérie, même dans ses aspects les plus tératologiques. Tout récemment, le volume The Medieval Manuscript Book50, codirigé par Michael Van Dussen de l’université McGill, tente de dépasser les approches du livre manuscrit fondées uniquement sur sa production, et d’étudier plus largement le contexte culturel et théorique du phénomène.

  • 51 L’exception notable étant les deux travaux cités de Siân Echard, qui l’incluent tous les deux dans (...)

27De telles approches dépassent, bien sûr, la seule sphère canadienne, et le but n’est pas d’en faire ici un inventaire complet : il faudrait citer des travaux similaires aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Suisse ou, dans une moindre mesure, en France. Il est tout de même intéressant de constater le succès réel de telles options critiques au Canada, et il n’est pas impossible d’y voir la manifestation – peut-être discrète et indirecte – du contexte de réflexion élaboré par Marshall McLuhan. McLuhan, qui fut l’intellectuel canadien dominant du xxe siècle, a eu, dans une certaine mesure, une réception similaire à celle qu’a eu Roland Barthes en France, couvrant donc un spectre large, de l’engouement à la détestation. La réticence de Paul Zumthor à son égard autour de 1980 est symptomatique ; quant aux recherches plus récentes qui ont été citées, elles invoquent rarement McLuhan explicitement51. C’est plutôt d’une imprégnation qu’il est question, et rien n’est plus difficile à pister de manière précise : de même que l’ombre de Roland Barthes plane de près ou de loin sur un grand nombre de travaux critiques français et francophones, même parmi ceux qui refuseraient d’assentir à son influence, de même celle de McLuhan s’est répandue de manière diffuse depuis les années 1960 et a crée un contexte propice à certaines interrogations.

28La recherche canadienne actuelle, par plusieurs aspects, se souvient de la maxime fondamentale de McLuhan : the medium is the message. Le manuscrit n’est pas que le support contingent d’une textualité abstraite qui resterait immuable en dépit du changement de paradigme induit par l’imprimerie et, à présent, par les technologies électroniques ; il est au contraire le noyau de la textualité médiévale, l’élément qui ne peut être retiré ni modifié sans transformer le texte en quelque chose d’autre. Et, conformément à la synesthésie totalisante qui est le propre du Moyen Âge avant Gutenberg, le manuscrit est un objet total, à cheval sur l’oral et l’écrit, interrogeant tous les champs de l’étude littéraire et culturelle.

  • 52 Marshall McLuhan, Counterblast, Toronto, McClellan & Stewart Ltd, 1969, p. 132. Je traduis.

29À un niveau méthodologique plus général, le Moyen Âge de McLuhan nous renvoie à notre époque, marquée par l’abondance informative et la mutation médiatique : nous sommes, nous aussi, pris dans un paradigme en transition, qui opère un rajustement fondamental de nos sens et de notre cognition, même si l’obsolescence, en termes de médias, est un phénomène rare et que la superposition des ères médiatiques peut durer encore longtemps. Face à un environnement intriqué et opaque, le chercheur est celui qui décèle les logiques cachées et qui tamise les données pour trouver leur agencement profond. « Faced with information overload, we have no alternative but pattern recognition »52 : face à une information débordante, nous n’avons d’autre recours que l’identification de structures. Ce mécanisme de pattern recognition, c’est celui que la culture médiévale met en œuvre elle-même face à sa propre complexité croissante, et qui finit par mener à l’invention de la typographie et la mise à bas du paradigme transitionnel qui lui a donné naissance ; mais c’est aussi celui dont a besoin l’observateur actuel, face à un environnement médiatique surabondant, aussi bien en termes de données brutes qu’en termes de canaux de transmission et qu’en extensions sensorielles différentes. Et pour nous médiévistes, le principe de pattern recognition doit être un rappel que le donné médiéval n’est pas transparent, et qu’il fonctionne selon des logiques qui nous sont, dans une large mesure, incommensurables : en d’autres termes, que la textualité du Moyen Âge ne peut être saisie, c’est le cas de le dire, que de manière médiate.

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Bibliographie

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Paul Zumthor, Introduction à la poésie orale, Paris, Le Seuil, 1983.

Paul Zumthor, La Lettre et la Voix. De la « littérature » médiévale, Paris, Le Seuil, 1987.

Paul Zumthor, « Entre l’oral et l’écrit », Cahiers de Fontenay 23 : Écrit-Oral, 1981, p. 9-33.

Paul Zumthor, « Pour une poétique de la voix », Poétique 40, 1979, p. 514-524.

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Notes

1 L’édition de référence dans cet article sera la suivante : Marshall McLuhan, The Gutenberg Galaxy [1962], Toronto, University of Toronto Press, 2011.

2 À la fois pour la notion de mouvance définie dans l’Essai de poétique médiévale, Paris, Le Seuil, 1972, et pour la réflexion sur la poésie orale et sur l’importance de la voix dans la pratique poétique médiévale, développée dans l’Introduction à la poésie orale, Paris, Le Seuil, 1983 et La Lettre et la Voix. De la « littérature » médiévale, Paris, Le Seuil, 1987.

3 Pour la notion de variance, définie dans La Parole médiévale. Discours, syntaxe, texte, Paris, Minuit, 1981 et surtout dans Éloge de la variante, Paris, Le Seuil, 1989.

4 Michel Foucault, Les Mots et les Choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966.

5 Et d’ailleurs il faudrait inciter à relire non seulement La Galaxie Gutenberg, mais aussi Pour comprendre les média (Understanding Media : The Extensions of Man, New York, McGraw Hill, 1964 ; Pour comprendre les média : les prolongements technologiques de l’homme, Jean Paré (trad.), Tours/Paris, Mame/Le Seuil, 1967) et Message et Massage (Marshall McLuhan et Quentin Fiore, The Medium is the Massage : An Inventory of Effects, London, Penguin, 1967 ; Message et Massage, Thérèse Lauriol (trad.), Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1968).

6 La séparation n’est pas, au demeurant, strictement géographique : il y a évidemment des médiévistes francisants au Canada anglophone et des médiévistes anglicistes au Québec.

7 Plus largement, le caractère souvent fragmentaire, métaphorique et aphoristique des ouvrages de McLuhan explique que l’influence de cet auteur se fasse parfois davantage sentir dans le domaine artistique que dans le domaine universitaire, depuis Woody Allen (Annie Hall, 1977) jusqu’à des écrivains canadiens qui travaillent à la frontière entre la littérature « sérieuse », la science-fiction ou les arts visuels, et qui sont séduits par l’idée que les changements culturels sont conditionnés par l’évolution technologique, comme Douglas Coupland ou William Gibson (voir par exemple la biographie écrite par D. Coupland, Marshall McLuhan, London, Penguin, 2009 ou le roman de W. Gibson, Pattern Recognition, New York, Putnam, 2003, dont le titre reprend une notion chère au professeur de Toronto).

8 Understanding Media, op. cit., p. 7.

9 Il faut donc, dans le système développé par McLuhan, que cette invention de l’imprimerie se fasse dans une société qui se fonde déjà sur l’alphabet phonétique : l’imprimerie chinoise, par exemple, n’a pas le même impact, puisqu’elle émerge dans une culture logographique. Pour McLuhan, la typographie chinoise ancienne a avant tout une fonction rituelle (The Gutenberg Galaxy, op. cit., p. 40, ou p. 143).

10 À cet égard, McLuhan est largement tributaire du travail de son ami et semi-disciple Walter J. Ong sur Ramus (Walter J. Ong, Ramus. Method, and the Decay of Dialogue : From the Art of Discourse to the Art of Reason, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1958). Par la suite, Ong travaillera plus généralement sur la question de l’oral et de l’écrit, ce qui le rapproche et le distingue à la fois de McLuhan, et le rapproche clairement de Paul Zumthor, dont il sera question dans la troisième section de cet article (à ce sujet voir surtout Walter J. Ong, The Presence of the Word : Some Prolegomena for Cultural and Religious History, New Haven/London, Yale University Press, 1967 ; et Orality and Literacy : The Technologizing of the World, London, Methuen, 1982).

11 Le facteur-clé de la revalorisation des thèses de McLuhan depuis le début des années 1990 (et dont le coup d’envoi est peut-être la biographie de McLuhan par Philip Marchand, Marshall McLuhan : The Medium and the Messenger, Toronto, Random House, 1989) réside évidemment dans leur grande pertinence heuristique, voire prophétique, à l’ère d’Internet.

12 Marshall McLuhan, The Gutenberg Galaxy, op. cit., p. 36-38 : « The new electronic interdependence recreates the world in the image of a global village » (« La nouvelle interdépendance électronique recrée le monde à l’image d’un village global » ; je traduis).

13 Ibid., p. 91, McLuhan parle de « the great medieval invention of typography », « la grande invention médiévale qu’est la typographie » (je traduis).

14 Ibid., p. 94-96.

15 Même si les recherches subséquentes tendent à indiquer que la lecture silencieuse s’est développée plus tôt qu’on ne le croyait précédemment, elle ne devient un phénomène culturel important que dans les derniers siècles du Moyen Âge, avec le triomphe de la scolastique et des pratiques dévotionnelles (voir Paul Saenger, Space Between Words : The Practice of Silent Reading, Stanford, Stanford University Press, 1997).

16 The Gutenberg Galaxy, op. cit., p. 109 : « The medieval student had to be paleographer, editor, and publisher of the authors he read » (je traduis).

17 Elspeth Kennedy, « The Scribe as Editor », Mélanges de langue et de littérature du Moyen Âge et de la Renaissance offerts à Jean Frappier, Genève, Droz, 1972, 2 vol., t. 1, p. 523-531.

18 Voir note 3.

19 Il s’agit de la question 42 de la troisième partie de la somme, commentée par McLuhan dans The Gutenberg Galaxy, op. cit., p. 112-114.

20 McLuhan va même jusqu’à affirmer que des aspects culturels aussi différents que l’enluminure, la glose et la sculpture médiévales relèvent tous de l’art de la mémoire : ibid., p. 123-125.

21 Ibid., p. 151 : « Authorship before print was in a large degree the building of a mosaic ».

22 Ibid., p. 154 : « Until more than two centuries after printing nobody discovered how to maintain a single tone or attitude throughout a prose composition » (« Jusqu’à plus de deux siècles après l’invention de l’imprimerie, personne n’a découvert comment maintenir un ton ou une attitude constants au fil d’une composition en prose » ; je traduis). On peut trouver à redire à un aussi large empan chronologique, qui ne s’applique pas également à toutes les littératures européennes, mais pour la période médiévale centrale la pertinence de cette citation est grande.

23 Ibid., p. 128-129.

24 Ibid., p. 134-136.

25 Il faudrait au moins citer, avant lui, son maître Harold Innis, également canadien anglophone : voir notamment Harold Innis, Empire and Communications, Oxford, Clarendon Press, 1950 ; et The Bias of Communication, Toronto, University of Toronto Press, 1951.

26 La force institutionnelle des départements en communication dans les universités nord-américaines, et tout particulièrement au Canada anglophone, en atteste.

27 Jack Goody, La Raison graphique : la domestication de la pensée sauvage [1977], Jean Bazin et Alban Bensa (trad.), Paris, Minuit, 1978.

28 Développées dans l’Essai de poétique médiévale, op. cit., p. 84-96 : « Anonymat et ‘mouvance’ ».

29 Paul Zumthor, « Pour une poétique de la voix », Poétique 40, 1979, p. 514-524, ici p. 514.

30 Voir note 34.

31 Id., Introduction à la poésie orale, op. cit., p. 34.

32 Voir note 10.

33 Ibid., p. 35.

34 Id., « Entre l’oral et l’écrit », Cahiers de Fontenay 23 : Écrit-Oral, 1981, p. 9-33, ici p. 10.

35 Id., Introduction à la poésie orale, op. cit., p. 34-35, 144 (« galaxie Gutenberg »), 251, 284, 286 (« village global »).

36 Id., La Lettre et la Voix, op. cit., p. 9, dans la préface.

37 « Pour sa part, W. Ong, reprenant, en une série d’ouvrages, les grandes lignes de la thèse du maître canadien, lui a conféré, en la nuançant, sa profondeur » (Introduction à la poésie orale, op. cit., p. 34). Par ailleurs Zumthor semble emprunter à Ong sa notion d’oralité seconde, développée dans Orality and Literacy (op. cit.) et qu’on retrouve aussi dans l’Introduction à la poésie orale et La Lettre et la Voix, à moins qu’il ne s’agisse d’un cas d’invention parallèle.

38 D’ailleurs, dans l’Introduction à la poésie orale Zumthor n’emploie le terme de « médiat » [sic] que dans le sens de « mass-media ».

39 Paul Zumthor, Introduction à la poésie orale, op. cit., p. 35.

40 Voir notamment Ibid., p. 36.

41 La conclusion de l’Introduction à la poésie orale (Ibid., p. 281-287), qui constitue une véritable prise de position engagée, mériterait d’être citée en entier.

42 Marshall McLuhan, The Gutenberg Galaxy, op. cit., p. 55 : « Il est nécessaire de souligner que mon intérêt porte sur le processus de séparation des sens qui mène à la détribalisation des hommes. Qu’un tel phénomène d’abstraction personnelle et de détribalisation soit une ‘bonne chose’, aucun individu n’est en droit de le décider. Mais le fait d’identifier le processus permettra peut-être de désencombrer la question du brouillard moral miasmatique qui l’investit actuellement » (je traduis).

43 En sus d’Éloge de la variante, déjà mentionné (note 3), voir Romanic Review 79, 1988, p. 1-248 ; Speculum 65, 1990, p. 1-108 ; et The New Medievalism, Marina S. Brownlee, Kevin Brownlee, Stephen G. Nichols (dir.), Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1991.

44 Voir Keith Busby, « Fabliaux and the New Codicology », The World and Its Rival : Essays on Literary Imagination in Honor of Per Nykrog, Kathryn Karczewska, Tom Conley, dir., Amsterdam/Atlanta, Rodopi, 1999, p. 137-160 ; et surtout, pour une mise en œuvre systématique de la notion, voir Id., Codex and Context : Reading Old French Verse Narrative in Manuscript, Amsterdam, Rodopi, 2002, 2 vol. 

45 Par exemple Francis Gingras, « Mise en recueil et typologie des genres aux xiiie et xive siècles : romans atypiques et recueils polygénériques (Biausdous, Cristal et Clarie, Durmart le Gallois et Mériadeuc) », Le Recueil au Moyen Âge. Le Moyen Âge central, dir. Olivier Collet, Yasmina Foehr-Janssens, Turnhout, Brepols, 2007, p. 91-111 ; Le Bâtard conquérant. Essor et expansion du genre romanesque au Moyen Âge, Paris, Champion, 2011 (surtout le dernier chapitre, « Roman et livre ») ; ou encore Lire en contexte : enquête sur les manuscrits de fabliaux, dir. Olivier Collet, Francis Gingras, Richard Trachsler, Études françaises 48-3, 2012. La présentation de ce numéro thématique (p. 5-9) invoque explicitement la New Philology et la New Codicology, ainsi que le changement de paradigme amené par Gutenberg.

46 Voir par exemple Isabelle Arseneau, « La condition du pastiche dans le roman lyrico-narratif de Jean Renart (Le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole) », Études françaises 46-3, 2010, p. 99-122.

47 The Book Unbound : Editing and Reading Medieval Manuscripts and Texts, Siân Echard, Stephen Partridge (dir.), Toronto, University of Toronto Press, 2004.

48 Siân Echard, Printing the Middle Ages, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2008.

49 William Robins, « Toward a Disjunctive Philology », The Book Unbound…, op. cit., p. 144-158.

50 The Medieval Manuscript Book : Cultural Approaches, Michael Johnston, Michael Van Dussen (dir.), Cambridge, Cambridge University Press, 2015. De manière significative, le volume contient un article de Siân Echard, et un autre coécrit par Keith Busby.

51 L’exception notable étant les deux travaux cités de Siân Echard, qui l’incluent tous les deux dans leur bibliographie (voir notes 47 et 48).

52 Marshall McLuhan, Counterblast, Toronto, McClellan & Stewart Ltd, 1969, p. 132. Je traduis.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Patrick Moran, « Marshall McLuhan : un spectre hante-t-il les études médiévales canadiennes ? »Perspectives médiévales [En ligne], 37 | 2016, mis en ligne le 01 janvier 2016, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/peme/9930 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/peme.9930

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Auteur

Patrick Moran

Université Laval

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