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Les Arts et les Lettres en Provence au temps du roi René

Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2013
Florence Bouchet
Référence(s) :

Les Arts et les Lettres en Provence au temps du roi René, sous la direction de Chantal Connochie-Bourgne et Valérie Gontero-Lauze, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, « Senefiance » 59, 2013, 292 p.

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Mots clés :

mécénat, Provence, théâtre, fête

Parole chiave:

mecenatismo, Provenza, teatro, festa
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Texte intégral

  • 1 Jean Favier, Le Roi René, Paris, Fayard, 2008 ; Splendeur de l’enluminure. Le roi René et les livre (...)

1Le 500e anniversaire de la mort de René d’Anjou, en 1980, avait contribué à relancer la recherche sur le « bon roi », en partie encore engoncée dans une approche historiographique orientée (sinon déformée) par l’idéologie ou l’empathie. Le 600e anniversaire de la naissance du duc d’Anjou et comte de Provence, en 2009, a naturellement suscité, à travers expositions et colloques, de nouvelles (et novatrices) publications1. Le colloque organisé à l’université de Provence du 18 au 21 novembre 2009 a clos de belle manière une année de commémoration fort riche ; le présent volume, réunissant 20 articles, en constitue les Actes.

2La première rubrique considère, à travers quelques relais particuliers, comment « la mémoire du bon roi » s’est perpétuée jusqu’à nous. Marguerite d’Anjou, fille de René, ayant épousé le roi d’Angleterre Henri VI, c’est outre-Manche que se sont précisés, non sans contradictions, certains traits du roi René. Noël Coulet dégage du roman de Walter Scott, Anne de Geierstein (1829), un portrait assez peu flatteur d’un « roi impécunieux qui se flatte de vains titres », prêt à tout (y compris donner sa fille en mariage) pour conserver le Maine et l’Anjou, faisant preuve d’insouciance face aux coups de la Fortune. Le romancier écossais, renseigné par son compatriote James Skene qui séjourna à Aix de 1820 à 1822, a décrit avec précision la topographie et les traditions aixoises. Les préraphaélites, férus comme on sait de Moyen Âge, n’ont pas repris à leur compte le portrait « trop peu chevaleresque » popularisé par Scott. Pour preuve, Barbara Denis-Morel présente un meuble raffiné, le King René’s Honeymoon Cabinet (1862), décoré par Dante Gabriel Rossetti, Edward Burne-Jones et Ford Madox Brown : les différents panneaux peints représentent les arts appréciés par René, associés à des scènes d’amour ; image bien plus courtoise en somme. Après avoir intéressé plusieurs collectionneurs, le meuble est entré dans les collections du Victoria and Albert Museum en 1927. Céline Magrini-Romagnoli nous ramène en Provence, où la mémoire populaire du « bon rei Reinié » s’est façonnée au fil des siècles, parfois par des détours imprévus. C’est ainsi que de la contemplation des splendides miniatures du manuscrit viennois du Livre du Cœur d’amour épris de René d’Anjou naquit Lou Cor d’Amour amourousi, « ballet parlé » en quatre tableaux écrit par le grand poète provençal Max-Philippe Delavouët en 1964 et représenté à Genève en 1968. Dans une atmosphère mêlée de mélancolie et d’humour, René, « lou Rèi », y incarne, par un surprenant effet en retour de l’allégorie, « l’homme universel » qui s’interroge sur sa vie.

  • 2 « Les tombeaux allégoriques et la poétique de l’inscription dans le Livre du Cuer d’Amour espris, d (...)
  • 3 Elle a traduit l’œuvre dans l’édition en fac-similé du manuscrit de la fondation Martin Bodmer : Re (...)

3« L’œuvre poétique du roi René », objet de la deuxième rubrique, a retenu l’attention de deux contributeurs qui approfondissent la lecture de ce que Daniel Poirion avait appelé le « diptyque du cœur2 » de René. L’intimidant traité de dévotion ascétique qu’est Le Mortifiement de Vaine Plaisance est analysé par Isabelle Fabre3, qui détaille sa composition, jalonnée par trois « discours-traités » et fermement encadrée par deux prières de l’âme où s’énonce avec lyrisme la prise de conscience progressive de l’indignité de la créature face à son Créateur. La méditation de René, nourrie d’abondantes lectures bibliques et théologiques, témoigne d’une authentique expérience spirituelle et d’une rigoureuse introspection qui contrastent avec l’image d’un prince quelque peu futile véhiculée par une certaine tradition folklorique. Gilles Polizzi étudie quant à lui les sources et l’influence du fameux Livre du Cœur d’amour épris, entre France et Italie au XVe siècle, démentant la faible influence postulée de l’œuvre. Si une première réception de René d’Anjou (du Temple de Boccace de Georges Chastellain au Chevalier delibéré d’Olivier de la Marche) privilégie l’homme politique, la seconde réception, à partir du Séjour d’Honneur d’Octovien de Saint-Gelais, met en avant l’écrivain. En particulier, l’épisode de la navigation du Cœur vers l’île d’Amour, dans le Livre du Cœur d’amour épris, amorce le thème littéraire du voyage à Cythère détaillé par Francesco Colonna dans l’Hypnerotomachia Poliphili (Raffaele Zovenzoni, précepteur du fils du sénateur vénitien Jacopo Antonio Marcello, aurait pu remettre à Colonna un exemplaire du roman de René).

4Dans la troisième rubrique, « la Provence, lieu d’échanges culturels », s’impose notamment en raison de la proximité géographique avec l’Italie et des ambitions napolitaines de René d’Anjou. Oren Margolis examine comment le somptueux exemplaire du De situ orbis terrarum de Strabon, probablement enluminé par Giovanni Bellini, que Jacopo Antonio Marcello offrit à René sert d’agent et de médiateur pour renforcer les contacts (diplomatiques, humanistes, artistiques) de ce dernier avec l’Italie dans l’éventualité d’un retour sur le trône de Naples. Comme le montre Frédéric Elsig, René fut également en contact précoce avec les peintres flamands de l’ars nova qui rayonnèrent, via la Bourgogne, jusqu’en Méditerranée et furent particulièrement appréciés d’Alphonse V d’Aragon, rival de René au trône napolitain. René a probablement visité en 1433 l’atelier de Jan van Eyck, à qui il aurait commandé un diptyque de l’Annonciation qui fut imité, directement ou indirectement, par des peintres provençaux (dont un suiveur de Nicolas Froment) ; c’est également là qu’il aurait recruté celui qui allait devenir son valet de chambre et son peintre attitré, Barthélemy d’Eyck. Celui-ci, ainsi que d’autres peintres (Enguerrand Quarton, Nicolas Froment ou l’auteur du retable des Pérussis) d’origine ou de formation septentrionale, ont contribué, selon Jean Arrouye, à « l’invention du paysage provençal », en opérant la synthèse du réalisme flamand et du soleil méridional. Le paysage, outre son sens référentiel, se double chez eux d’un sens allégorique, spirituel ; ce surplus de sens « intelligible » peut être lié à la diffusion de la théorie thomiste de la connaissance.

  • 4 Il faut rappeler son importante thèse, La Cour d’Anjou-Provence : la vie artistique sous le règne d (...)

5La quatrième rubrique élargit la perspective à « la politique culturelle du roi René ». Marion Chaigne-Legouy étudie la « piété politique » de la seconde maison d’Anjou à travers les cultes voués par René à sainte Marie-Madeleine (sanctuaire de la Sainte Baume) et par Isabelle de Lorraine à sainte Marthe (la confrérie Santa Marta placée sous son égide s’ancra dans le royaume de Sicile). L’invention des saintes Maries de la Mer en 1448 institue René en fondateur d’un culte qui renforce à la fois son ancrage régional et son rayonnement international. La dévotion rendue aux saintes méridionales sert l’unification dynastique des Anjou et s’impose à l’entourage curial de René. La littérature est également un instrument de cohésion familiale et curiale ; Helena Kogen dresse à ce propos le portrait littéraire de Jeanne de Laval, seconde épouse de René, tel que le révèlent les livres qu’elle commanda et posséda. Ses différentes facettes révèlent la force de sa dévotion, son souci d’entretenir la mémoire familiale (Laval et Anjou), son attachement à la personne et à l’œuvre de son époux. Yannick Frizet compare les apports culturels de René d’Anjou et de son neveu Louis XI en Provence. En dépit de certaines convergences (tous deux ont été les promoteurs du gothique flamboyant dans le comté provençal), le bilan apparaît très défavorable à René : ses libéralités, limitées par une présence discontinue en Provence (moins de dix-huit ans) et la faiblesse de ses finances, étaient plus orientées vers son agrément personnel et celui de sa cour que « vers l’amélioration de la chose publique en Provence », là où le roi de France et premier héritier du comté de Provence a investi pour l’avenir de ses années de delphinat à sa mort (1440-1483). Ceci amène à reconsidérer la réputation de mécène faite à René d’Anjou, dont on connaît le vif goût pour les arts. Certes, il s’est attaché les services de plusieurs artistes qui ont vécu sous sa protection. Cependant Françoise Robin4 explique qu’il n’a pas eu à créer dans sa cour « un centre artistique original » puisqu’il pouvait passer commande à des orfèvres, peintres, sculpteurs bien établis dans la région et qui vivaient déjà bien des commandes passées par les familles bourgeoises et les milieux ecclésiastiques. Le cas de la ville de Tarascon étudié par Claude Roux le confirme : les commandes du comte de Provence n’entrent que pour une part dans l’activité des peintres et verriers (dont certains non encore repérés par les historiens de l’art) répertoriés à partir des archives.

  • 5 Cette communication procède de sa thèse de doctorat, récemment publiée : Rose-Marie Féré, René d’An (...)
  • 6 Le retable est malheureusement reproduit à l’envers, p. 199.
  • 7 Cette spécialiste de Jehan du Prier est hélas décédée depuis le colloque.

6« L’usage du théâtre », auquel est consacré la cinquième rubrique, a en tout cas eu une importance particulière pour René d’Anjou et sa cour, non seulement comme élément de divertissement mais aussi comme médium didactique. La Moralité d’Argent de Jazme Oliou (1470), analysée par Gabriella Parussa, met en scène le rapport dévoyé de l’Homme à la richesse, qui peut le mener à la damnation éternelle. Ce « combat des forces du Bien et du Mal dans l’âme humaine, tiraillée entre les passions terrestres et le désir de spiritualité », fait écho aux préoccupations de René dans son Mortifiement de Vaine Plaisance. Le public curial est amené à réfléchir sur la vanité des biens mondains et sur l’urgence du salut. Le théâtre influe également sur les créations artistiques : Rose-Marie Ferré-Vallancien5 montre que le retable du Portement de croix de Francesco Laurana6, commandé par René en 1478 pour l’église du couvent des Célestins d’Avignon, a pu être inspiré par une scène de la troisième journée du Mystère de la Passion d’Arnoul Gréban (probablement représenté à Aix en 1473). Le retable comme le mystère, servis par leur dimension visuelle, incitent à une pieuse médiation sur l’incarnation salvatrice du Christ. Quant à Marie-Claude Déprez-Masson7, elle passe en revue les cinq œuvres attribuées ou attribuables à Jehan du Prier (attesté dans les comptes de René de 1451 à1480), caractérise leur style et leurs intentions. Non seulement ces pièces contiennent des allusions à des œuvres en faveur auprès de René mais, liées aux circonstances historiques, elles s’inscrivent aussi « dans une politique de diffusion des idées du roi René ».

7Le théâtre n’est pas seul matière à spectacle. Sous le règne de René d’Anjou, plusieurs danses, tournois et pas d’armes, dont le souvenir s’est conservé à travers textes et témoignages iconographiques, ont célébré avec ostentation « l’art ambigu de la fête », comme le nomme la sixième et dernière rubrique. Ambigu, car l’événement est idéalisé à des fins idéologiques. Jane Taylor, se penchant dans une perspective socio-anthropologique sur la relation du Pas de Saumur (ainsi que sur le cas, remontant au XIIIe siècle, du tournoi de Chauvency rapporté par Jacques Bretel), montre que la commémoration n’est pas neutre : malgré les protestations de fidélité à l’événement, le récit reconstruit celui-ci pour exacerber l’identité aristocratique et la gloire du commanditaire. Le manuscrit de Saint-Pétersbourg du Pas de Saumur peut être considéré comme un « livre de fête », précurseur des imprimés de la Renaissance. Pour Denis Hüe, le Pas de la Bergère est « une sorte de conservatoire de la tradition pastorale » ; là encore, l’imaginaire se mêle à la réalité, comme « quelque chose qui se situe entre le jeu de rôle et l’autofiction ». Le scénario du Pas, centré sur une problématique amoureuse, s’appuie sur un luxueux code vestimentaire qui exhibe les passions des participants. Embrassant plus largement les écrits de René et les fêtes qu’il a organisées, Gabriel Bianciotto réévalue le rapport du prince à la fête chevaleresque, au jeu pastoral et à la légende arthurienne ; il en conclut que René adopte, non sans une certaine distance sur lui-même, des postures qui lui permettent de contrôler son image publique. Enfin Bruno Roy identifie sur le revers d’une médaille sculptée par Pierre de Milan une scène relative à la mauresque (ou morisque) du roi Adraste jouée par Triboulet en 1479. Adraste est le roi d’Argos qui accueillit Polynice ; or le choix de la légende qui relate l’extinction tragique de la lignée d’Œdipe à cause d’un contentieux successoral pouvait avoir valeur d’avertissement crypté, par analogie avec le douloureux problème de la succession de René, que Louis XI disputait à ce qu’il lui restait de descendants. Lors de la représentation de la mauresque d’Adraste, commémorée par la médaille, René avait « auprès de lui plusieurs descendants devant qui il pouvait utilement évoquer les dangers qu’entraîne le non-respect des règles successorales ». La fête de cour virait à la leçon politique.

8Il était impossible de restituer ici le détail de chaque argumentation mais on aperçoit au moins que ce volume forme un ensemble stimulant qui, par la diversité de ses approches, contribue utilement au renouvellement des recherches sur René d’Anjou. Des lectures amorcées dans des travaux antérieurs y sont prolongées ou discutées, de nouveaux documents sont interrogés, une nouvelle génération de chercheurs émerge. On n’aboutit pas à un portrait univoque du « bon roi », signe que la personnalité et l’œuvre de René d’Anjou méritent encore d’autres enquêtes, sans attendre le 600e anniversaire de la mort du prince en 2080.

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Notes

1 Jean Favier, Le Roi René, Paris, Fayard, 2008 ; Splendeur de l’enluminure. Le roi René et les livres, M.-É. Gautier dir., Ville d’Angers / Actes Sud, 2009 ; Le Roi René dans tous ses États, J.-M. Matz et É. Verry dir., Paris, Éditions du Patrimoine / Centre des monuments nationaux, 2009 ; René d’Anjou (1409-1480). Pouvoirs et gouvernement, J.-M. Matz et N-.Y. Tonnerre dir., Rennes, PUR, 2011 ; René d’Anjou, écrivain et mécène (1409-1480), F. Bouchet dir., Turnhout, Brepols, 2011.

2 « Les tombeaux allégoriques et la poétique de l’inscription dans le Livre du Cuer d’Amour espris, de René d’Anjou (1457) », Écriture poétique et composition romanesque, Orléans, Paradigme, 1994, p. 400.

3 Elle a traduit l’œuvre dans l’édition en fac-similé du manuscrit de la fondation Martin Bodmer : René d’Anjou, Le Mortifiement de Vaine Plaisance, préface de Michel Zink, traduction d’Isabelle Fabre, Genève-Paris, Fondation Martin Bodmer-PUF, 2009.

4 Il faut rappeler son importante thèse, La Cour d’Anjou-Provence : la vie artistique sous le règne de René, Paris, Picard, 1985.

5 Cette communication procède de sa thèse de doctorat, récemment publiée : Rose-Marie Féré, René d’Anjou et les arts. Le jeu des mots et des images, Turnhout, Brepols, 2012.

6 Le retable est malheureusement reproduit à l’envers, p. 199.

7 Cette spécialiste de Jehan du Prier est hélas décédée depuis le colloque.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Florence Bouchet, « Les Arts et les Lettres en Provence au temps du roi René »Perspectives médiévales [En ligne], 36 | 2015, mis en ligne le 06 janvier 2015, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/peme/7556 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/peme.7556

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Auteur

Florence Bouchet

Université de Toulouse-Jean Jaurès - PLH : Patrimoine, Littérature, Histoire (EA 4601)

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