Legenden der Berufung
Legenden der Berufung, dir. Patricia Oster et Karlheinz Stierle, Heidelberg, Winter, « Neues Forum für Allgemeine und Vergleichende Literaturwissenschaft, 49 », 2012, 230 p.
Entrées d’index
Index des médiévaux et anciens :
Augustin (saint), Chrétien de Troyes, Dante, Paul (saint), PétrarqueŒuvres, personnages et lieux littéraires :
Genest (saint), Julien l’Hospitalier (saint), Julien Sorel, Canzoniere, Confessions, Chanson de Roland, Conte du Graal, Enfance, Familiares, Filosofia nova, Mots, Olympica, Saint-Genet – Comédien et martyr, Vie de Henry Brulard, Vies minuscules, Vocation de saint MathieuIndex des modernes :
Peter Blumenthal, Antoine Arnauld, Jean Racine, Pierre Bayle, Émile Durkheim, Jean Calvin, Maria Moog-Grünewald, Nathalie Sarraute, Jean-Jacques Rousseau, Jean-Paul Sartre, Michel Zink, Stephanie Wodianka, Karlheinz Stierle, René Descartes, Sabine Narr, Gustave Flaubert, Jean Genet, Patricia Oster, Felix Lope de Vega, Jean de Rotrou, Wolfgang Asholt, Pierre Michon, Ursula Bähler, Friedrich Diez, Paulin Paris, Gaston Paris, Joseph Bédier, Gerhard Regn, Adrien Baillet, Franziska Sick, Michel Leiris, Stendhal, Jörn Steigerwald, CaravageTexte intégral
1Issu de l’une des sections du xxxie Romanistentag, qui s’est tenu à Bonn en 2009, cet ouvrage collectif dédié aux légendes de vocation se compose de quatorze articles, précédés d’un avant-propos. Les contributions sont essentiellement littéraires : onze analyses de textes sont encadrés par une réflexion linguistique puis un propos esthétique, en amont, et par une méditation épistémologique, en aval.
2L’avant-propos formule en un court paragraphe la problématique du recueil : s’interroger sur l’appel et la vocation dans la grande tradition légendaire du Moyen Âge et sur la façon dont les siècles postérieurs s’approprient cette thématique et sa codification, ne serait-ce qu’en les mettant à distance. Une synthèse chronologique montre ensuite la fécondité durable du sujet sur le plan littéraire, qui peut émaner du dispositif narratif, souvent enchâssé dans un écrit autobiographique, de la pluralité des voix, de l’aspect performatif de l’appel ou du rôle central qu’y joue un texte, comme dans la Urszene de la vocation dans les Confesssions augustiniennes.
3Qui parle de quelle manière et en quel sens de vocation du xvie au xxie siècle ? L’interrogation linguistique de Peter Blumenthal, qui procure ainsi au recueil une réflexion liminaire utile, s’appuie sur une analyse de corpus. Si le terme-clé et sa combinatoire sont naturellement très liés aux écrits de Calvin du xvie siècle, les deux siècles suivants s’interrogent davantage sur l’éducation des jeunes filles, dont la vocation intérieure et extérieure est ardemment débattue par Antoine Arnauld, Jean Racine ou Pierre Bayle. La laïcisation de la vocation au xixe siècle va de pair avec son recentrage sur celui qui en est désormais davantage le sujet que l’objet, mais aussi avec une tendance à la collectivisation, comme chez Durkheim. De plus en plus présente aussi dans le vocabulaire de la perception et de la sensation, la vocation se banalise au siècle dernier dans son emploi politique – son premier accompagnateur est la France –, une métamorphose certainement due au rôle qu’elle joue dans la propagande gaulliste.
4Valeska von Rosen renouvelle l’interprétation de la Vocation de saint Mathieu (1599/1600) en inscrivant le tableau du Caravage dans le paradigme de l’ambiguïté et de l’incertitude : restituant le débat qui porte sur l’identification difficile du disciple choisi parmi les cinq hommes attablés, l’auteure insiste aussi sur la tension dramatique inhérente à la scène, qui ne montre pas la conversion en elle-même, mais plus précisément le moment de l’indétermination qui la précède.
5La réflexion de Maria Moog-Grünewald à propos d’Enfance de Nathalie Sarraute participe encore aux prolégomènes, dans la mesure où elle replace très pertinemment cette autobiographie d’un type particulier dans une longue tradition théologique, esthétique, philosophique et littéraire, qui mène le lecteur de la cellule-souche des récits de vocation, de la conversion de saint Paul sur le chemin de Damas, aux Confessions de saint Augustin, puis à celles de Rousseau, aux Mots de Sartre et enfin à Sarraute. La vocation initiale prend dans les Enfances la forme d’un refus, d’une insoumission – mais la conversion reste métanoïa, fondatrice d’une poétique spécifique : un vaste « tropisme », qui cherche non à décrire, mais à évoquer, en se plaçant entre les mots et les choses.
6Dans sa courte mais très percutante contribution, Michel Zink démontre par un regard embrassant la littérature narrative médiévale dans son ensemble que cette époque ne peut concevoir de récit qui ne soit aussi appel : appel à l’aventure, comme dans les romans ; appel au secours, comme dans les chansons de geste ; appel à la sainteté et à l’épreuve, comme dans les récits hagiographiques. Voix qui parle, qui se refuse ou qui se brouille, la parole divine est toujours un appel au salut, « vocation unique » de l’homme médiéval, qui se décline en don poétique ou bravoure chevaleresque.
7Se référant à la parabole du semeur évoquée de façon emblématique dans le prologue du roman de Chrétien de Troyes, Stephanie Wodianka lit le Conte du Graal comme une homélie de la Pentecôte : Perceval reste longtemps imperméable à sa vocation, ce dont témoignent les ellipses, les silences, les malentendus et les quiproquos si fréquents dans l’œuvre. La conscience de l’appel ne lui parvient souvent qu’a posteriori, le jeune homme n’étant pas au départ une bonne terre pour accueillir la graine. La lecture rétrospective de son propre destin et ainsi de sa vocation peut devenir un exemple pour les lecteurs, que la stratégie narratoriale invite à suivre.
8En dépit de la mise en scène littéraire que Pétrarque fait de son ascension du Mont Ventoux dans la célèbre épître du livre 4 des Familiares, recherchant la proximité avec le modèle augustinien, Karlheinz Stierle démontre qu’il ne s’agit pas ici d’une réelle conversion : à « l’appel de la montagne » répond avec autant de force « l’appel du monde ». L’introspection ainsi tendue entre espoir et résignation devient constitutive de la poétique pétrarquiste, caractéristique aussi d’une œuvre qui reste fragment et comme suspendue – même si cette voix poétique se fait puissamment entendre à son tour, en apostrophant les puissants, le peuple de Rome et Laure.
9Gerhard Regn prolonge les réflexions de son prédécesseur par sa lecture du sonnet 54 du Canzoniere : l’étude des rapports d’intertextualité avec saint Augustin et Dante font apparaître la distance qui sépare Pétrarque de ses modèles : il ne s’agit chez lui que d’un « phantasme de conversion », d’une « conversion échoué, au fond » (cf. p. 100).
10Empruntant le schéma d’un songe allégorique pour narrer la nuit précédant sa découverte des mirabilis scientiae fundamenta, le 11 novembre 1619, René Descartes, lui aussi, emprunte un modèle rhétorique médiéval dans son Olympica latine. L’œuvre perdue aujourd’hui, mais traduite en français en 1691 par son premier biographe Adrien Baillet, cherche ainsi à légitimer par une rhétorique et un masque traditionnels l’ethos du scientifique moderne, qui n’a pas encore acquis ses lettres de noblesses, comme le démontre Michael Schwarz dans sa belle argumentation.
11Franziska Sick s’attache aux constructions de l’identité artistique moderne. La tâche de l’écrivain, revendiquée parfois, comme chez Leiris ou chez Rousseau, comme une occupation, ou un « non-métier » (Unberuf), est désormais exercée sans véritable appel. C’est par sa propre action que se légitime l’auteur ; l’aspect performatif de son exercice, qu’on pourrait rapprocher même de la performance, se substitue au paradigme chrétien. On a ainsi davantage affaire à des « légendes de profession » (Berufslegenden) qu’à des « légendes de la vocation » (Berufungslegenden).
12Par rapport à Stendhal, Jörn Steigerwald décrit une vocation désormais sécularisée. Elle implique une forte subjectivation, qu’elle se révèle dans un écrit autofictionnel (La Vie de Henry Brulard), des textes théoriques (Filosofia nova), donnant ainsi des aperçus de l’auto-image de l’écrivain, ou dans le personnage de Julien Sorel, dont la seule véritable vocation intérieure semble être l’imitatio de Napoléon Bonaparte.
13Pour sa part, Sabine Narr démontre l’importance que possèdent dans l’œuvre flaubertienne l’appel et le destin de Julien l’Hospitalier. Histoire d’une possible « anti-vocation » – ne relate-t-elle pas la prédestination à un parricide ? – la légende médiévale est retravaillée et actualisée sous la plume de Flaubert, qui la détache de son contexte religieux initial et accueille dans le médium de l’écrit son hypotexte visuel, le célèbre vitrail de la cathédrale de Rouen.
14Partant de l’hagiographie que fait de sa vie Jean Genet, relayée par Jean-Paul Sartre dans Saint-Genet – Comédien et martyr, Patricia Oster interroge en profondeur ce récit de vocation moderne en le reconnectant au modèle de Saint Genest. L’acte de langage est consubstantiel au moment de sa conversion dans la légende ancienne : l’acteur et futur martyr des persécutions dioclétiennes reçoit sa vocation sur scène même, situation que ne manquent pas d’explorer avec bonheur Lope de Vega et Rotrou. La vocation légendaire, prisée par le theatrum mundi et inspiratrice de réflexions métathéâtrales, se transforme en credo existentialiste au xxe siècle, lorsque la devise « il faut être libre » se substitue au baroque « il faut être chrétien ».
15La contribution de Wolfgang Asholt s’intéresse aux mises en scène de la vocation par et chez Pierre Michon : alors que les huit appels des Vies Minuscules mènent à des échecs, l’auteur lui-même parvient de façon paradoxale à réanimer la mythe de la vocation du grantécrivain (selon la formule de Dominique Noguez, cf. p. 208) pour son propre ethos, à une époque qui a pourtant congédié l’auteur depuis longtemps en proclamant sa mort.
16La réflexion passionnante que consacre Ursula Bähler aux premiers philologues démontre que dans la mise en récit de l’histoire de notre discipline même, la vocation joue un rôle important : si, selon la tradition, l’Allemand Friedrich Diez est censé avoir trouvé sa voie suite à une rencontre avec Goethe à Iéna en 1818, la réputation de la philologie française obéit à une logique moins spontanée et plus organique : la vocation est ici construite en « affaire de famille » (p. 227), comme le suggèrent les exemples de Paulin Paris et de son fils Gaston. Joseph Bédier encore, relatant sa découverte de la Chanson de Roland sous un manguier de Saint-Denis de la Réunion, tout en prenant ses distances avec ses prédécesseurs, confirme la permanence de l’invitation tolle lege jusque dans le discours scientifique.
17En dehors de ses cinq contributions stricto sensu relatives au Moyen Âge (par M. Zink, S. Wodianka, K. Stierle, G. Regn et U. Bähler), l’ouvrage traduit, on le voit aisément, une réelle volonté de confronter le modèle ancien à son réinvestissement moderne : le texte légendaire médiéval, latin, français ou iconographique, n’a pas ici la fonction d’alibi pour l’analyse des œuvres modernes, mais il est un véritable pré-texte, fondement encore pour les auteurs même les plus récents. Le sujet novateur que proposent ici éditeurs et auteurs dans des articles d’une qualité le plus souvent remarquable épouse par ailleurs une forme très soignée, que seulement l’interligne variable d’un article à l’autre dérange un tantinet. Tolle lege : l’appel augustinien qui est à son origine a en définitive tout à fait vocation à être entendu aussi par les médiévistes qui s’approchent de ce recueil.
Pour citer cet article
Référence électronique
Beate Langenbruch, « Legenden der Berufung », Perspectives médiévales [En ligne], 35 | 2014, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/peme/6693 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/peme.6693
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