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Élisabeth Schulze-Busacker, La Didactique profane au Moyen Âge

Paris, Classiques Garnier, 2012
Florence Bouchet
Référence(s) :

Élisabeth Schulze-Busacker, La Didactique profane au Moyen Âge, Paris, Classiques Garnier, « Recherches littéraires médiévales » n° 11, 2012, 282 p.

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Texte intégral

1Il convient tout d’abord de circonscrire le champ étudié par cet ouvrage, dont le titre pourrait induire en erreur si l’on ne consulte pas la 4e de couverture : la synthèse ici proposée concerne les proverbes et sentences, excluant d’autres catégories de textes médiévaux qui pourraient être qualifiés de « didactiques ». On ne s’en étonnera pas, l’auteur, Élisabeth Schulze-Busacker, étant une spécialiste reconnue de la tradition gnomique et parémiologique du Moyen Âge, à laquelle elle consacre ses recherches depuis plus de trente ans. Le domaine d’enquête couvert par l’ouvrage est très ambitieux puisqu’il s’étend de la fin de l’Antiquité au début du xvie siècle et s’efforce de démêler une tradition profuse et complexe, même s’il choisit de se concentrer sur la tradition française et occitane médiévale.

  • 1 La consultation du Trésor de la Langue française confirme la difficulté.
  • 2 De même pour la citation d’Othlon de Saint Emmeram, au chapitre suivant (p. 53), qui ne fait pas mo (...)

2Le premier problème auquel s’affronte l’auteur est celui de la typologie des énoncés dans le chapitre « Délimitation des genres » (p. 13-36). Constatant « les difficultés, voire l’impossibilité de définir et de distinguer le proverbe et la sentence » (p. 13)1, Élisabeth Schulze-Busacker passe en revue les conceptions rhétoriques antiques (Quintilien, Hermogène de Tarsus, Priscien, Ad Herennium, etc.) et médiévales (arts poétiques des xiie et xiiie siècles), la définition érasmienne de l’adage, ainsi que les théories modernes de la phraséologie (Jolles, Greimas, Meleuc, Milner, Barley, Dundes, Permjakov, Rozhdestvensky, Meschonnic, Kleiber, Williams, S’kreb, Z’olkovskij). Au fil des auteurs, les vocables se démultiplient : sententia, gnômê, proverbe, sentence, dicton, aphorisme, chria, adage, maxime… À quoi s’ajoutent les termes anglais figurant dans des tableaux classificatoires empruntés à des travaux anglophones non traduits insérés aux pages 31 et 33. Le temps des Faral et De Bruyne n’est plus : les citations des rhétoriciens latins et des arts poétiques médiolatins (p. 17-20) seraient plus claires pour bon nombre de lecteurs si elles étaient traduites2. L’ensemble des définitions proposées reste très abstrait car non illustré par des exemples. Il faut néanmoins accepter d’en passer par la technicité de ce chapitre pour apercevoir que ces « formes simples » peuvent être en réalité difficiles à délimiter.

  • 3 Coquille sur ce nom dans le titre et deux lignes plus bas à cette p. 117 ; également à la p. 56, où (...)

3Le chapitre suivant, « Évolution des genres » (p. 37-122), constitue le cœur de l’ouvrage. Il récapitule les bases sur lesquelles s’est édifiée la tradition gnomique et parémiologique médiévale (« Les fondements de la tradition médiévale ») et retrace l’évolution des recueils de formules, d’abord en latin, puis bilingues et enfin vernaculaires (« La transformation des genres transmis »). Il est dommage que la Table des matières ne restitue pas les sections de chacune des deux parties de ce chapitre, car elles aident à saisir les étapes du processus étudié ; il faut donc les mentionner ici. La première partie du chapitre parcourt d’abord l’histoire de l’enseignement, du déclin des écoles antiques vers la fin du ve siècle à la création des universités au début du xiiie (« Le support de l’enseignement scolaire », p. 38-51), pour faire apparaître le rôle des formules tirées du canon des auctores dans l’apprentissage de la langue latine et l’éducation morale. L’enseignement n’étant pas l’unique vecteur de diffusion des « parémies », la section suivante (« La connaissance de la Bible », p. 51-55) évoque l’importance de l’Écriture sainte dans la liturgie, la prédication et la dévotion privée. La première partie se termine avec la présentation de « L’héritage gnomique et parémiologique classique et post-classique » (p. 56-68) recueilli dans les Sententiae de Publilius Syrus (souvent attribuées à Sénèque), les Disticha Catonis, le Dialogus Salomonis et Marcolfi. La seconde partie du chapitre poursuit l’inventaire des recueils de proverbes et sentences, suivant cinq sections dont voici l’essentiel du contenu. « L’apparition de cueillettes gnomiques et parémiologiques » (p. 71-80) : Collectanea d’Heiric d’Auxerre, Delicie clerici d’Arnoul d’Orléans, Proverbia de Wipon, Libellus proverbiorum d’Othlon de Saint Emmeram, Fecunda Ratis d’Egbert de Liège (qui introduit, vers 1022-1024, en plus des proverbes et sentences de la tradition latine, plus de 200 proverbes vernaculaires), Proverbes de Salemon de Sanson de Nantuil. « Les recueils parémiologiques vernaculaires en France » (p. 80-96) : Proverbia magistri Serlonis par Serlon de Wilton (au milieu du xiie siècle, premier recueil bilingue français-latin), Proverbes au vilain (« la collection la plus importante pour la tradition parémiologique française », p. 83), Bonum Spatium. « Les Proverbia Senecae en France » (p. 96-102) sont constitués de phrases mémorables mêlées des deux Sénèque père et fils (le Rhéteur et le Philosophe) dans le Liber de moribus, le De remediis fortuitorum, la Formula honestae vitae de Martin de Braga, le Petit Plet de Chardri. « La tradition gnomique liée aux Disticha Catonis en France » (p. 103-116) s’est déclinée en plusieurs adaptations françaises par Everard le Moine, un anonyme, Élie de Winchester, Adam de Suel, Jehan de Chastelet (ou de Paris) ; s’inscrivent dans son sillage le Doctrinal Sauvage, diverses versions du Facetus, les Enseignements moraux et Proverbes moraux de Christine de Pizan, Lo Libret de bos ensenhamens de Raimon de Cornet. « La tradition gnomique et parémiologique liée au Dialogus Sal[o]monis3 et Marcolfi en France » (p. 117-122) a donné trois dialogues différents ainsi que la Deyputeysun entre Marcolf e Salemon et Li Respit del Curteis et del Vilain. L’ensemble de ce vaste chapitre examine concurremment l’histoire des genres et l’histoire de la recherche sur les genres, d’où un propos hybride relevant tantôt de la réflexion sur la littérature didactique, tantôt de la philologie.

  • 4 Plusieurs œuvres du xve siècle se prêteraient à d’intéressantes analyses, dans le prolongement de c (...)

4Le troisième chapitre, « La nouvelle tradition parémiologique et gnomique française. Les nouveaux genres » (p. 123-180), ne constitue pas la suite chronologique du précédent mais considère de plus près plusieurs titres qui y ont été présentés voire simplement mentionnés. Il est question d’approfondir l’étude de l’écriture de ces divers recueils mais certaines redites ne sont pas évitées. L’intitulé « Les proverbes en rimes » (p. 123-142) ramène aux Proverbes au vilain, prolongés par les Proverbes au Conte de Bretagne et le Respit del Curteis et del Vilain, alors que les Proverbes en rimes et les Proverbes illustrés constituent une résurgence tardive (xve siècle) du genre. « Les Ditz et proverbes des sages » (p. 142-148) permettent de considérer, outre ce titre précisément, les Moralium Dogma Philosophorum, adaptés par Alard de Cambrai dans le Livre de Philosophie et de Moralité, les Dits des philosophes de Guillaume de Tignonville, le fragment désigné sous l’incipit Ce sont proverbe dont Tules dit, les Enseignements de Robert de Ho dits Enseignements Trebor. « Les folies » (p. 149-151) désignent divers recueils regroupant des formules identifiées au moule syntaxique « qui place au début de chaque vers systématiquement un qui suivi d’une phrase incomplète ou abrégée et, à l’occasion, même d’une phrase complète » (p. 149). Enfin, la partie intitulée « Proverbes et sentences dans la littérature française médiévale » (p. 152-180) permet d’étudier l’interaction des formules contenues dans les recueils inventoriés avec le reste de la production littéraire. La prédication, la poésie et la chanson de geste sont assez rapidement évoquées puis, de façon plus détaillée, les textes narratifs du milieu du xiie à la fin du xiiie siècle (l’accent est mis sur Wace, le Roman de Thèbes, Eneas, les romans de Tristan, Marie de France, Chrétien de Troyes, Gautier d’Arras ; les titres postérieurs sont juste mentionnés). « La fin du Moyen Âge marquera un tournant dans la tradition gnomique et parémiologique […]. De nouvelles formes littéraires se développent ; de nouvelles pratiques rhétoriques se profilent » (p. 180) : malheureusement cette remarque n’est suivie d’aucune analyse, le chapitre se concluant sur cette phrase4.

5Quant au quatrième chapitre, « Le rôle des registres gnomiques et parémiologiques au Moyen Âge » (p. 181-191), force est de constater qu’il résume des informations en bonne partie données dans les deux précédents chapitres, au lieu de spécifier la signification socioculturelle des deux genres comme annoncé en introduction (p. 11).

  • 5 Des formules tirées de tel ou tel recueil sont certes citées aux pages 63-64, 79, 84-86, 98-101, 11 (...)
  • 6 Ce qu’a tenté Marie-Thérèse Lorcin dans Les recueils de proverbes français (1160-1490). Sagesse des (...)

6On perçoit finalement qu’Élisabeth Schulze-Busacker a voulu condenser en un volume le fruit de ses recherches érudites sur le sujet mais que sa synthèse présente des problèmes de composition susceptibles d’égarer le lecteur néophyte. On conseillera à qui veut se renseigner sur un auteur ou un titre particuliers de repérer dans l’index les différentes sections qui en traitent dans le livre. On eût aussi aimé entrer de façon plus conséquente dans le texte même des recueils5, afin de mieux comprendre, dans une perspective d’histoire des mentalités, la « sagesse » que ces proverbes et sentences donnent à entendre6. L’auteur insiste pourtant (p. 9, 12, 37) sur l’idée, importante, que l’évolution des recueils du latin vers la langue vernaculaire fait émerger des spécificités culturelles locales qui se démarquent du fonds culturel européen d’abord unifié par le latin – cette évolution allant de pair avec l’évolution sociologique du public auquel ces recueils étaient destinés.

  • 7 Érasme de Rotterdam, Les Adages, édition complète bilingue sous la dir. de Jean-Christophe Saladin, (...)
  • 8 D. James-Raoul, Chrétien de Troyes, la griffe d’un style, Paris, Champion, 2007.

7L’ouvrage est complété par une volumineuse bibliographie (p. 199-258) précédée d’une présentation des « Publications et recherches en cours » (p. 193-197), donnant à apprécier l’érudition de l’auteur et la richesse d’un secteur de la recherche pas toujours bien connu des médiévistes. La première partie de la bibliographie élargit à toute l’Europe occidentale médiévale l’inventaire des collections, répertoires, éditions et études relevant de la littérature parémiologique et gnomique médiévale. Le classement n’est ni alphabétique ni chronologique ; il procède par grands champs linguistiques (latin, français, occitan, catalan, espagnol, italien, allemand, norrois et néerlandais) et reprend à chaque fois les sections suivies dans le plan de l’ouvrage, au risque d’une fragmentation excessive. La seconde partie est une bibliographie générale listant alphabétiquement éditions de textes et études, partie à laquelle on pourrait ajouter la récente édition des Adages d’Érasme7 et la thèse d’hdr de Danièle James-Raoul8, dont l’index comporte deux entrées « proverbe » et « sentence » assez fournies.

  • 9 Quelques incorrections linguistiques appellent rectification : curieuse inversion du complément d’o (...)

8Quoique d’une lecture un peu austère9, le bilan dressé par Élisabeth Schulze-Busacker est nécessaire et utile ; il laisse espérer de nouvelles recherches, de la part de l’auteur ou d’autres, qui viendront le compléter.

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Notes

1 La consultation du Trésor de la Langue française confirme la difficulté.

2 De même pour la citation d’Othlon de Saint Emmeram, au chapitre suivant (p. 53), qui ne fait pas moins de treize lignes.

3 Coquille sur ce nom dans le titre et deux lignes plus bas à cette p. 117 ; également à la p. 56, où le nom est écrit Salonomis. Ces coquilles entraînent des lacunes dans l’index.

4 Plusieurs œuvres du xve siècle se prêteraient à d’intéressantes analyses, dans le prolongement de celles qu’a proposées Jean-Claude Mühlethaler à propos de Villon et Michault Taillevent dans Poétiques du xve siècle, Paris, Nizet, 1983.

5 Des formules tirées de tel ou tel recueil sont certes citées aux pages 63-64, 79, 84-86, 98-101, 113, 118-122, 127-133, 145-146, 147-148, 150-151, mais la moisson reste trop dispersée et n’est pratiquement pas interrogée sous l’angle éthique.

6 Ce qu’a tenté Marie-Thérèse Lorcin dans Les recueils de proverbes français (1160-1490). Sagesse des nations et langue de bois, Paris, Champion, 2011, essai préfacé par Élisabeth Schulze-Busacker. Voir le compte rendu d’A. Vélissariou dans Perspectives médiévales [En ligne], n° 34, 2012.

7 Érasme de Rotterdam, Les Adages, édition complète bilingue sous la dir. de Jean-Christophe Saladin, Paris, Les Belles Lettres, 2011, 5 vol.

8 D. James-Raoul, Chrétien de Troyes, la griffe d’un style, Paris, Champion, 2007.

9 Quelques incorrections linguistiques appellent rectification : curieuse inversion du complément d’objet et du sujet (F. Zufferey) dans la deuxième phrase de la n. 2 p. 167 ; « épiphénomène » à remplacer par « épiphonème » à la ligne 5 de la p. 168 ; « se dénote » à remplacer par « se distingue » à la ligne 10 de la p. 187. La graphie « sizain » s’est fixée dans l’usage moderne (au lieu de « sixain », passim).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Florence Bouchet, « Élisabeth Schulze-Busacker, La Didactique profane au Moyen Âge »Perspectives médiévales [En ligne], 35 | 2014, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 18 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/peme/6251 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/peme.6251

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Auteur

Florence Bouchet

Professeur de littérature du Moyen Âge - Université de Toulouse (UTM) - PLH : Patrimoine, Littérature, Histoire (EA 4601)

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