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Miracles d’un autre genre. Récritures médiévales en dehors de l’hagiographie

Madrid, Casa de Velásquez, 2012
Stéphane Marcotte
Notizia bibliografica:

Miracles d’un autre genre. Récritures médiévales en dehors de l’hagiographie, études réunies par Olivier Biaggini et Bénédicte Milland-Bove, Madrid, Casa de Velásquez, vol. 132, 2012, 345 p.

Termini di indicizzazione

Mots clés :

miracle, genre littéraire

Parole chiave:

miracolo, genere letterario
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Testo integrale

1Les dix-sept contributions de ce beau volume portent, comme l’indique explicitement son titre, sur la récriture du récit de miracle en dehors de ses genres propres (Écriture sainte ou hagiographie), depuis l’époque carolingienne jusqu’au xve siècle. Et comme l’aura aussitôt fait penser la mention du lieu d’édition, il comporte une bonne part d’articles (dix) consacrés au domaine médiéval espagnol.

2Une riche introduction, signée des deux éditeurs (p. 1-22), fait le point sur la question du miracle et des genres littéraires au Moyen Âge. Est en particulier abordé le problème, ici crucial, de la définition du miracle, qu’il n’est pas si simple d’opposer à la merveille, surtout lorsque celle-ci comporte une évidente portée spirituelle et religieuse (et l’on sait que la matière de Bretagne ou la Chanson de Geste n’en sont pas avares). Les critères principaux sont à l’évidence le rôle de la divinité dans l’événement (à ce sujet il y aurait beaucoup à dire sur les prodiges vétéro-testamentaires auxquels d’aucuns refusent le nom de miracle comme cela est rappelé p. 127, n. 29) et la modification induite, voire le bouleversement, de l’ordre naturel. Beaucoup d’autres points sont évoqués, la question des genres littéraires, bien sûr, mais aussi le rôle et l’importance du miracle dans l’Église et la société médiévale, le rôle de l’idéologie dans l’implantation du miracle en dehors de son terreau naturel, la forme du récit de miracle, etc.

3L’ouvrage comporte trois parties, chacune régissant deux sous-parties : (I) Le miracle au sein du tissu historiographique : de l’évidence au questionnement ; (a) Miracles légitimants ; (b) La mise à distance du miracle pour de nouvelles conceptions de l’histoire ; (II) Le miracle comme condensation du sacré ; (a) Condensation de l’histoire du sacré : le transfert du miracle biblique : (b) Condensation formelle du miracle : (III) Vers le miracle fictionnel et métaphorique ; (a) Extension et limites de l’adaptation du miracle à d’autres genres ; (b) Le miracle d’amour : un miracle profane. Une très riche bibliographie clôt le volume (p. 315-344), mais, et c’est vraiment fort dommage, l’ouvrage ne comporte pas d’index.

4Christiane Veyrard-Cosme (p. 25-40) examine la manière dont sont relatés les miracles dans l’Histoire des Lombards de Paul Diacre (720-799), œuvre pour laquelle la frontière entre genres se pose tout particulièrement, compte tenu de la difficulté que l’on peut avoir d’isoler, dans le Haut Moyen Âge, l’hagiographie et l’historiographie. L’Histoire des Lombards, qui narre, dans la filiation revendiquée de l’Histoire des Francs de Grégoire de Tours, l’histoire de ce peuple germanique depuis leur origine nordique jusqu’à la mort du roi Liutprand (744), comporte dix-sept récits de miracles dont l’auteur donne les résumés et suggère qu’ils « servent un propos moins éthique que politique », tout en étant « des ferments de rapprochement avec le domaine culturel franc » (p. 32) auquel le peuple lombard fut soumis par la victoire de Charlemagne. Chez Paul Diacre, le récit de miracle est moins fait pour édifier le lecteur que pour bâtir, par l’insertion calculée de manifestations divines qui touchent à la fois les figures royales franques et lombardes, la réconciliation entre les deux royautés naguères antagonistes. Charles Garcia (p. 41-54) aborde la question à partir des Crónicas anónimas de Sahagún qui concernent l’histoire de la Castille au xiie siècle. Ce texte, qui émane de l’abbaye des Domnos Sanctos, Facond et Primitif, comporte « des historiettes extraites de la littérature hagiographique qui se retrouvent ensuite intégrées dans un récit qui appartient au genre de la chronique » (p. 42). L’auteur présente ce texte, dont la structure littéraire est complexe, et souligne que les miracles ici racontés – deux récits dont l’un met en scène l’un des saints titulaires de l’abbaye, saint Facond – sont destinés à légitimer l’action de l’abbé de Sahagún, Domingo, face aux pouvoirs du roi et de la bourgeoisie municipale, particulièrement hostiles et violents à l’égard de sa communauté monastique et de ses alleutiers. Jean-Pierre Jardin (p. 55-69) évoque cinq récits de miracles survenus au profit des royaumes asturien, léonais et castillan entre le viiie et le xiiie siècle, dont celui qui relate l’apparition de l’apôtre saint Jacques ‘Matamore’ sur un cheval blanc lors de la bataille de Clavijo en 844, et qui ne fut rapporté pour la première fois qu’en 1236 par le moine Luc de Tuy. L’auteur met en lumière les véritables enjeux de ces textes, dont les premiers bénéficiaires sont bien sûr l’Église et les monarchies concernées. Quant à ce dernier aspect, l’auteur démêle les discours dynastiques, voire généalogiques que ces récits accréditent (p. 65 et s.). Il s’agit en particulier de souligner la continuité dynastique, par delà la rupture créée par l’invasion musulmane, et notamment l’enracinement dans l’origine sainte de la monarchie wisigothique ; il s’agit aussi (dans le cas du miracle de la croix survenu à Las Navas de Tolosa en 1212 lors d’une bataille menée par Alphonse VIII contre les musulmans) de rappeler la primauté de Tolède dans l’espace castillano-léonais. Stéphanie Aubert (p. 71-84) s’intéresse à trente-six miracles relatés dans une partie des Cronice ab origine mundi – chroniques universelles composées entre 1313 et 1327 par l’évêque de Burgos, Gonzalo de Hinojosa qui s’étend « de l’avènement d’Othon 1er en 962 à la veille de celui de Lothaire IV en 1133. » Ces récits, qui offrent une grande variété dont l’auteur dresse une rapide typologie, ont d’abord pour fonction de témoigner de l’action de la Providence dans l’Histoire ; ils ont aussi une fonction morale qui en fait des marqueurs idéologiques. L’auteur constate que les personnes d’Église y jouent rarement le premier rôle, ce qui la conduit à suggérer que le miracle hagiographique diffère du miracle historiographique, lequel doit sanctifier rois et dynasties, tout particulièrement dans le cadre de la Reconquête (p. 79-80). Bénédicte Milland-Bove (p. 85-103) mène l’enquête chez les historiographes français de la quatrième croisade, Geoffroy de Villehardouin et Robert de Clari. La comparaison de ces deux auteurs (cinq occurrences du mot miracle chez le premier, six chez le second), témoins des mêmes faits, permet à l’auteur de montrer la part de subjectivité (sociale autant que psychologique) que comporte l’appréciation du miracle. Comme on peut s’y attendre, le modeste chevalier Clari offre une vision plus ‘populaire’ du miracle (partant plus ambiguë, en raison de ses accointances avec la merveille, mais aussi plus narrative), notamment les prodiges liés aux reliques, lesquels comportent une nette part de surnaturel absent chez Villehardouin. L’analyse montre qu’ils ne présentent qu’un seul miracle commun (sans que le mot soit employé chez le sénéchal), savoir l’intervention divine lors du deuxième siège de Constantinople. Ainsi, tous deux hommes de leur temps, appréhendant de façon similaire l’Histoire, ils usent de manière différenciée de ces épisodes exceptionnels que sont les manifestations du divin. Sophie Hirel-Wouts (p. 105-120) s’intéresse aux « miracles de saint Votus et de saint Félix dans le discours historiographique de la couronne d’Aragon (xive-xvie siècles) ». Après avoir rappelé que la vingtaine de chroniques aragonaises rédigées entre le xiie et le xvie siècle comporte plusieurs centaines de motifs miraculeux ou hagiographiques, concentrés pour la plupart dans deux chroniques du xve siècle, l’auteur consacre son étude à la tradition hagiographique liée aux saints mentionnés précédemment (il s’agit précisément du motif d’une chasse au cerf qui provoque la conversion du chevalier Votus et de son frère Félix), s’efforçant d’en « comprendre le sens et la fonction […] dans le récit sur les origines du royaume d’Aragon » (p. 107). On suit ici la genèse complexe de la légende, qui met en scène deux saints plutôt ‘secondaires’ d’abord, et de son utilisation à des fins multiples.

5La deuxième partie s’ouvre par une contribution de Magali Janet (p. 123-135) sur les miracles liés à la Sainte Lance d’Antioche et plus précisément à leur narration dans la Chanson d’Antioche. L’auteur rappelle d’abord que ce texte, qui relate la geste de la première croisade, contient de nombreux récits de miracles de diverses natures ; ils sont en général brièvement racontés et ne font pas l’objet d’une mise en relief particulière ; leur rôle est d’affermir la foi des auditeurs et de souligner la portée spirituelle des événements qu’ils contribuent à modeler. Selon l’auteur, les miracles de la Chanson d’Antioche ont la particularité de se manifester par l’intermédiaire de personnages secondaires du récit : « ils contribuent à élaborer l’idéologie de la croisade, conçue comme une conquête légitime et sacrée que mènent tous les croisés quelle que soit leur condition » (p. 129). L’auteur fait à ce propos (p. 129 et n. 43) usage des termes ‘démocratique’ et ‘démocratisation’ qui me paraissent fort anachroniques (‘esprit de l’Évangile’ serait infiniment plus approprié). La portée idéologique des miracles est particulièrement patente lorsqu’ils sont liés à la Sainte Lance (découverte par un pèlerin nommé Pierre, inspiré par saint André), « symbole de l’idéologie de souffrance et de vengeance spécifique à la croisade. » (p. 134). La communication suivante, donnée par Amaia Arizaleta (p. 137-156), propose une analyse extrêmement minutieuse (lexicologique, rhétorique, exégétique) de deux passages du Libro de Alexandre (strophes 1131-1163 et 2101-2115), « poème anonyme écrit en castillan probablement vers 1220-1225 », qui récrivent en partie, avec de notables différences, l’Alexandreis de Gautier de Châtillon (c. 1176). Ces deux séquences, dont l’auteur expose la riche typologie biblique et prophétique, mettent en scène Alexandre le Grand dans son rapport au peuple juif et surtout à la foi chrétienne dont il confesse ici la vérité tout en restant païen. Dans le premier récit, Alexandre fait un songe, dans lequel lui apparaît une figure divine, en habits d’évêque, pour lui prophétiser un avenir de conquérant ; il identifiera cette apparition au Grand Prêtre Jaddus venu se présenter devant lui à son entrée dans Jérusalem ; dans le second, le roi parvient, après avoir prié Dieu, à faire se déplacer des montagnes (les Portes caspiennes) pour enfermer définitivement un groupe de Juifs captifs rencontré par lui dans sa marche vers l’Orient. Sous la plume du clerc espagnol se dessine, par ces miracles, un chemin de perfection pour une figure idéale de roi obéissant aux clercs, porte-parole de Dieu. Lydie Lansard (p. 157-169) s’intéresse à la figure de sainte Véronique. L’article fait très utilement le point (p. 157-161) sur cette figure légendaire, non inscrite au martyrologe, qui associe, au Moyen Âge, le personnage de la femme hémoroïsse (Mt 9, 20-22 et al.) et celui d’une sainte femme qui essuie le visage du Christ sur son chemin de supplices, ainsi que sur la tradition littéraire qui en découle. L’auteur examine ensuite plus particulièrement la transposition de ces deux épisodes dans la Vengeance Nostre Seigneur (version de Japhet), texte en prose du xve siècle étroitement lié à l’Évangile de Gamaliel et à l’Évangile de Nicodème. Il s’agit d’un texte composite qui compile plusieurs textes issus du cycle de Pilate, dont la Cura sanitatis, qui relate la guérison de Vespasien obtenue par l’intervention de Véronique. L’auteur conclut, après examen des différentes représentations du personnage, comparaison entre les textes précités et décryptage de sa fonction de « moteur narratif » (p. 157), qu’il est ici « un élément réflexif, métatextuel, qui interroge les possibilités de la représentation littéraire. » (p. 168). Marta Lacomba (p. 171-189) étudie quatre« éléments de nature merveilleuse » (p. 173 ; le mot miracle n’est pas employé à leur sujet, mais l’auteur attribue cette qualité à trois d’entre eux, le quatrième étant un « motif hagiographique », p. 174-176) liés au légendaire Cid (Rodrigo Díaz, mort en 1099) vainqueur des Almoravides, vassal d’Alphonse VI et lui-même considéré comme un miracle vivant. Ces récits remontent à la fin du xiiie siècle. Les textes étudiés se trouvent, résumés, dans la Crónica abreviada, de l’Infant Don Juan Manuel et c’est en particulier ce procès de condensation que l’auteur étudie. Elle distingue plusieurs niveaux dans la récriture historique des légendes monastiques nées à l’abbaye de San Pedro de Cardeña, elles-mêmes insérées dans la Crónica de Castilla que la chronique manuéline abrège. Abordant la question de l’énonciation dans ces textes, elle fait apparaître que le miracle trouve sa légitimation à l’intérieur de la diégèse, à la construction de laquelle il participe en infléchissant l’ordre narratif et en donnant au récit son autonomie, tout en fondant celle de la figure de l’auteur qui l’assume. L’article suivant, de Sylvie Labarre (p. 191-206), traite de l’écriture du miracle dans la poésie élégiaque de Venance Fortunat, poète trévisan du vie siècle mort à Poitiers. L’auteur se penche sur les onze livres des Carmina composés, essentiellement, dans la forme du distique élégiaque (hexamètre dactylique + pentamètre), pendant toute la vie du poète. La forme miracula n’y apparaît que six fois ; les miracles eux-mêmes concernent des saints, tels Médard de Noyon, Saturnin de Toulouse ou le diacre Laurent. L’auteur s’intéresse à la forme littéraire des miracles relatés, laquelle relève « d’une poétique qui vise à dépasser le schéma narratif de l’hagiographie » (p. 196) et tend vers la poésie hymnique. L’écart entre l’hagiographie traditionnelle et l’art de Venance, étudié ici de très près, est plus sensible encore pour d’autres poèmes du livre 10, qui concernent saint Martin. De son examen littéraire, l’auteur conclut, de manière très intéressante, que « la poésie élégiaque apparaît comme une poésie du présent, alors que l’épopée et l’hagiographie se tournent vers le passé » (p. 206).

6La troisième partie est inaugurée par Carlos Heusch (p. 209-219) dont la contribution porte sur les rares textes castillans du Moyen Âge qui tiennent, sur le miracle, un discours théorique. L’auteur tente de comprendre « les représentations du miracle dont héritent les auteurs […] les conceptions que ceux-ci cherchent à mettre en lumière » (p. 209), en relation avec le discours théologique augustinien ou thomiste. Son attention porte particulièrement sur la première des Partidas, recueil de lois alphonsines du xiiie siècle, dont l’interprétation du phénomène miraculeux repose sur la distinction scolastique entre natura naturans (Dieu) et natura naturata (la nature), ne laissant qu’à la première le pouvoir transgressif d’opérer des miracles (contrairement à la pensée néo-augustinienne qui envisage que le miracle puisse émaner de la nature elle-même). L’auteur souligne néanmoins que la perspective de ce texte est avant tout juridique (il s’agit de lutter contre le charlatanisme et la simonie). D’autres fonctions du miracle sont ici abordées très succinctement (édifiantes, divertissantes), qui dépendent de « stratégies discursives » (p. 219) rapidement évoquées. Alain Corbellari (p. 221-228) nous emmène du côté du fabliau, genre littéraire peu enclin à faire place au miracle, en raison même de sa fonction parodique et satirique. L’auteur, qui s’intéresse précisément à cette incompatibilité, évoque d’abord deux textes où l’on pourrait soupçonner la présence de traits merveilleux, Le Chevalier qui fit parler les cons et Les Quatre souhaits de saint Martin, qui « servent à des fins totalement parodiques, puisque leur seul rôle consiste à mettre en scène des types tout à fait inédits d’obscénité » (p. 222). L’auteur survole également une série de fabliaux (Estula, Le Prêtre teint, Le Prêtre crucifié, Estormi, Les Trois Bossus ménestrels, Le Sacristain, Les Trois Dames de Paris, L’Enfant de neige) ; il en décrypte la fonction littéraire des éléments de surnaturel feint, non exempt, il s’en faut de beaucoup, de cruauté. Sophie Coussemacker (p. 229-256) attire l’attention sur les différentes versions (au moins sept) d’un miracle marial que l’on trouve dans les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X et qui met en scène une religieuse séduite par un clerc (ce conte se trouve également chez Gautier de Coincy et Jacques de Vitry, p. 230) ; elle s’intéresse à la version « spectaculaire » dudit miracle, dans laquelle la nonne est arrêtée dans sa fugue par un crucifix qui lui barre le chemin et, dans l’une des versions, la gifle. L’auteur fait l’histoire de ce motif, dont la source première est le Dialogus miraculorum du moine cistercien Césaire de Heisterbach (c. 1220). Suit une analyse séquentielle détaillée du récit de ce miracle, de ses adaptations et récritures postérieures (Castigos de Sanche IV et Libro de los exemplos de Clemente Sánchez de Vercial) et de ses variantes les plus remarquables. D’intéressantes remarques sont faites in fine autour du thème fantastique des statues animées (et du problème qu’elles posent au théologien). Nous restons en Espagne avec la contribution d’Olivier Biaggini (p. 257-280) consacrée au miracle dans le Conde Lucanor (1335) de Don Juan Manuel, petit fils de Ferdinand III de Castille et León. Œuvre célèbre, El Conde Lucanor est un dialogue qui porte sur des matières touchant à l’exercice du pouvoir, entre le comte Lucanor, qui expose les situations auxquelles il est confronté, et son conseiller Patronio, qui lui répond par des conseils et des histoires moralisantes (exempla) variées, dont quelques-unes relatent des événement miraculeux. L’article se propose d’établir, au sujet des miracles, une typologie des « transferts textuels » opérés par le texte, en s’intéressant à leur source et au traitement parfois complexe qu’elles subissent : récit directement issu de la tradition hagiographique et mettant en scène un saint ; récit composite, partiellement issu de l’hagiographie, dont le héros n’est pas un saint ; récit profane porté vers le miraculeux ; récits chevaleresques qui magnifient la sainteté du chevalier face aux gens d’Église. L’auteur discerne dans ces histoires mi-saintes, mi-profanes une tendance à « [dissoudre] la frontière entre les sphères temporelle et spirituelle, posant l’ordre social comme socle du sacré » (p. 280). Virginie Dumanoir (p. 281-295) s’intéresse aux poèmes recueillis dans les chansonniers castillans du xve siècle, entre 1360 et 1520. Elle étudie avec une certaine précision les modalités de l’écriture du miracle, tant sous l’aspect de l’idéologie, lato sensu, que de leur facture. Comme il s’agit de poésie de cour chantée, non destinée en principe à être conservée au-delà des circonstances qui l’ont vue naître, la prise en compte des conditions de la performance est nécessaire. L’analyse porte sur un nombre restreint de textes, et même d’extraits de textes, les miracles n’en occupant pas toujours la totalité ; plus que des récits, ce sont des motifs, souvent allusifs et reconnus par un public averti, bibliques ou hagiographiques, parfois entremêlés de traits profanes ou courtois, qui participent à la rhétorique du poème en lui donnant matière à figures, à jeux verbaux, et donc concourent activement à sa beauté. Dominique Demartini (p. 297-308) enfin clôt cet ensemble par une intéressante réflexion sur la notion de miracle dans le roman, dans un genre résolument profane donc, aux frontières avec la merveille. Elle soumet à l’analyse les multiples versions du corpus tristanien « où la puissance de l’amour concurrence celle de Dieu » (p. 295-298), car, dit-elle, cette matière « travaille les limites de la notion de miracle jusqu’à en brouiller le signe divin » (p. 298). Le Tristan en prose révèle ainsi, à propos de la mort des amants, une transformation en causalité humaine de ce qui relevait encore, chez Thomas, d’une instance certes non divine mais au moins mystérieuse, l’amour. À l’inverse, Marie de France, dans son Eliduc manifeste in fine « une conversion de l’amour terrestre en amour divin » (p. 303). Enfin, dans la version de la légende tristanienne qu’il donne dans son Cligès (épisode de la fausse morte), Chrétien de Troyes joue du miracle, non plus dans une perspective pseudo-hagiographique (qu’il parodie au contraire), mais pour démontrer la puissance de la fiction romanesque dans laquelle Dieu n’intervient que comme un témoin parmi d’autres, un simple garant des pouvoirs de l’écrivain. Ce beau volume s’achève sur une contribution conclusive fort bien venue de Michelle Szkilnik (p. 309-314) qui résume la portée dominante du miracle dans les principaux genres traités dans ce recueil : hagiographique (susciter la foi), épique (susciter l’admiration et émouvoir) et historiographique (légitimer le pouvoir d’un homme ou d’une dynastie). Elle évoque brièvement, à très juste titre, un point peu ou pas traité dans le volume, savoir le rapport entre miracle et merveille dans le cycle du Graal, si fortement imprégné des deux dimensions, sans que l’on puisse toujours décider de ce qui relève de l’un ou de l’autre, bien qu’il faille naturellement souligner que le miracle romanesque, comme la merveille, est toujours une fiction, un miracle qui n’a pas eu lieu et qui ne témoigne de la puissance divine qu’au sein de la narration, laquelle en est finalement le tout puissant auteur. Mais, comme le suggère encore M. S., le romancier, même s’il prend les choses en main et se substitue à la divinité qui n’est plus pour lui qu’une dépouille vide, une vague caution, peut encore être tenté de s’affranchir de l’obligation de faire intervenir ce masque et refuser de faire la moindre place au surnaturel. Le roman médiéval laisse sur ce point voir tout ce que sera le roman moderne.

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Stéphane Marcotte, «Miracles d’un autre genre. Récritures médiévales en dehors de l’hagiographie»Perspectives médiévales [Online], 35 | 2014, online dal 01 janvier 2014, consultato il 04 décembre 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/peme/6122; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/peme.6122

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Autore

Stéphane Marcotte

Maître de conférences à l’université Paris IV – Sorbonne

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