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Essais

Samuel Molin, Le Printemps des métaphores. Étude sur l’écriture métaphorique au xiie siècle

Paris, Classiques Garnier, 2022
Anna Gęsicka
Référence(s) :

Samuel Molin, Le Printemps des métaphores. Étude sur l’écriture métaphorique au xiie siècle, Paris, Classiques Garnier, 2022, 364 p.

Texte intégral

1Le livre de Samuel Molin sur l’essor de la métaphore dans les lettres du xiie siècle, occupe une position importante dans la bibliographie récente. Le beau titre, lui-même, préfigure la perspective dans laquelle Samuel Molin veut appréhender l’épanouissement dynamique de l’écriture de la métaphore dans la littérature en langue française du xiie siècle. En constatant que le recours à la métaphore devient un choix de plus en plus fréquent dans les poétiques de l’époque et joue un rôle sémantique de premier plan, l’auteur s’interroge sur les raisons de ce phénomène et ses réalisations stylistiques.

2Je ferai deux remarques critiques avant me concentrer exclusivement sur les aspects positifs. La première est d’ordre formel : l’auteur utilise systématiquement le terme de Genette « hypertexte » au lieu d’« hypotexte », texte source  (p. 237, 239, 298). La seconde est d’ordre éditorial : on relève de petites fautes grammaticales, par exemple le pronom « celui » en référence à la distance, p. 17, « moment dans lesquels », p. 216, ou encore « la référentiel », p. 219.

3L’organisation du livre est bien pensée, logique et claire. Une introduction concise (p. 7-19) brosse un tableau rapide des conceptions contemporaines de la métaphore. Elle aborde l’ambiguïté terminologique qui en découle et formule des définitions de la métaphore selon des approches théoriques sémantique, pragmatique et cognitiviste. En s’appuyant sur l’état des recherches, l’auteur justifie pertinemment la problématique de son travail, annonce la structure du livre, et énonce ses hypothèses fondamentales. Son projet consiste à 1. « caractériser l’ascendance des métaphores dans les textes du xiie siècle » (p. 14) et 2. préciser « la nature des [différents] facteurs invoqués dans le développement des métaphores » (p. 15). Le corpus de textes littéraires du xiie siècle s’étend de la Chanson de Roland à Aucassin et Nicolette, les deux ouvrages marquant les limites de la période envisagée. Près de soixante-cinq ouvrages examinés représentent les différents genres de l’époque : la chanson de geste, la poésie lyrique courtoise, la poésie didactique, le roman, le théâtre, le conte, les textes parodiques, religieux et moraux.

4Le livre se divise en deux grandes parties analytiques, chacune subdivisée en chapitres. La première partie, « L’éclosion métaphorique au xiie siècle » (p. 25-146), s’interroge sur ce que pouvait être une métaphore pour les gens du xiie siècle. Elle cherche à démontrer les directions de la réflexion sur cette figure de style, ainsi que ses manifestations dans différentes catégories de textes. Dans un premier temps, l’auteur explore l’état de la réflexion théorique médiévale, héritière de la pensée antique, en examinant les traités poétiques du point de vue des subtilités terminologiques, de la nature et des fonctions de la métaphore. Il se penche ensuite sur les textes littéraires en langue vernaculaire, utilisant les relevés quantitatifs de l’emploi de la métaphore, pour illustrer leur datation et les catégories telles que le type de vers, la structure grammaticale et la thématique. Dans cette dernière catégorie, très riche, la passion amoureuse et la sexualité se révèlent les domaines les plus propices à cette tournure stylistique. Enfin, l’auteur examine l’éclosion métaphorique dans la langue du xiie siècle, en mettant particulièrement l’accent sur la problématique de la lexicalisation métaphorique.

5La deuxième partie, « Pourquoi la métaphore : les facteurs de l’éclosion métaphorique » (p. 151-298), explore les origines de la métaphore dans la littérature médiévale. Les facteurs d’influence de nature générique, stylistique, intertextuelle, littéraire et philosophique y sont minutieusement examinés. Le premier facteur, intratextuel, est lié au sujet même des œuvres (leur « matiere »). L’auteur examine à la fois les thèmes et le mode d’écriture. Parmi de nombreuses occurrences, c’est la métaphore liée à la passion, voire à l’érotisme et à la sexualité, qui se révèle dominante. L’auteur analyse les raisons de cette prédominance et les différents types de métaphores utilisés pour décrire la passion amoureuse. Il réfléchit également à la fonction de la métaphore en tant que procédé stylistique lié à l’esthétique de l’oralisation.

6Le deuxième facteur, linguistique ou conceptuel, concerne l’évolution de la langue littéraire sous deux aspects : la forme d’écriture et le style. L’auteur examine les contraintes lexicales imposées par la forme versifiée caractéristique de la production de l’époque, comme la place de la figure dans le vers ou ses fonctions. Du point de vue stylistique, il compare la métaphore à une figure apparentée, largement présente dans les textes, qui est un mode de penser et d’interprétation : l’allégorie. Il juxtapose les définitions théoriques antiques et médiévales de l’allégorie, en soulignant les points de convergence entre ces deux figures de style, puis il effectue une analyse comparative de leur utilisation pratique dans les textes.

7Le troisième facteur, intertextuel, s’intéresse aux relations entre les textes, ainsi qu’aux influences thématiques, stylistiques et symboliques possibles. Dans un premier temps, l’auteur explore les influences latines sur la littérature médiévale, en adoptant une perspective de translatio studii riche en exemples. Il compare les caractéristiques de l’utilisation de la métaphore dans les lettres antiques et médiévales. Ensuite, il examine l’influence de la lyrique d’oc sur les métaphores en langue d’oïl, procédant au même travail comparatif, illustré d’exemples. En troisième lieu, l’influence des textes religieux est prise en considération. De la même manière, les métaphores des paraboles bibliques sont comparées avec leurs actualisations médiévales.

8Le dernier facteur, contextuel, se réfère au contexte historique et socioculturel de l’époque de l’essor de l’écriture métaphorique, mettant l’accent sur l’évolution des mentalités désireuses de nouvelles formes d’expression. La dimension symbolique des œuvres littéraire médiévales et les procédés exégétiques nécessitent l’utilisation de l’écriture métaphorique. L’auteur examine ces nuances sur le plan linguistique, sémantique et stylistique.

9Les deux parties se concluent par des observations qui récapitulent les résultats de l’examen. Quant à la « Conclusion » (p. 298- 302), elle formule ces observations finales à un niveau plus général et abstrait. Le livre s’achève sur un dernier paragraphe qui illustre son esprit discipliné et logique, ainsi qu’un style simple et élégant : « la métaphore est un palimpseste dans lequel sont gravés, si l’on se donne la peine de le gratter, les tendances littéraires et culturelles du moment, les ambitions poétiques de l’auteur et le fonctionnement linguistique de la langue. Dans une métaphore se mire l’âme de son créateur ».

10Le livre est couronné par une « Annexe », outil très précieux, contenant un « relevé des métaphores en langue vernaculaire du xiie siècle » (p. 303-330).

11La méthode adoptée par l’auteur ne manque pas d’originalité : les preuves de l’usage métaphorique sont présentées sous forme de fragments cités, regroupés dans de nombreux relevés graphiques multidimensionnels et transparents, avec des données chiffrées et des pourcentages. Ces éléments sont enrichis de vastes et très intéressants commentaires qui rendent compte des proportions, de la richesse et de la diversité du phénomène. Les résultats sont convaincants et ont une valeur représentative, malgré les limites inévitables du choix des textes à analyser. Les notes fournissent de nombreuses références bibliographiques et des informations supplémentaires, mettant en évidence l’érudition de l’auteur. La bibliographie est riche et différenciée, potentiellement très utile pour tous ceux qui souhaitent étudier la métaphore, non seulement du point de vue médiéviste mais également plus largement.

12Il s’agit d’une étude approfondie et enrichissante. Dans ses analyses interprétatives des métaphores, l’auteur s’efforce d’extraire autant de nuances que possible de ses sources. Son livre deviendra certainement une source d’inspiration pour ceux qui cherchent une solide base théorique et souhaitent s’initier à l’étude pratique et consciente de la métaphore.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Anna Gęsicka, « Samuel Molin, Le Printemps des métaphores. Étude sur l’écriture métaphorique au xiie siècle »Perspectives médiévales [En ligne], 45-46 | 2024, mis en ligne le 15 janvier 2024, consulté le 18 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/peme/53633 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/131u5

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Auteur

Anna Gęsicka

Université Nicolas Copernic, Toruń, Pologne

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