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Essais

Yan Greub et Olivier Collet, La variation régionale de l’ancien français. Manuel pratique

Strasbourg, Éditions de linguistique et de philologie, 2024
Claude Buridant
Référence(s) :

Yan Greub et Olivier Collet, La variation régionale de l’ancien français. Manuel pratique, Strasbourg, Éditions de linguistique et de philologie, « Travaux de Linguistique Romane, Linguistique historique » 2, 2024, 328 p.

Texte intégral

  • 1 Martin Glessgen et Lene Schøsler, « Repenser les axes diasystématiques : nature et statut ontologiq (...)

1Depuis quelques années, la variation linguistique a été l’objet de mises au point approfondies qui en ont défini les principes et les axes majeurs, dans le cadre du diasystème de toute langue. Dans un article fondamental, Martin Glessgen et Lene Schøsler (2018), soulignant ainsi que « la variation doit être intégrée dans toute théorisation dédiée au changement linguistique1 », distinguent les trois axes systématiques qui la composent : l’axe de la variation diatopique du dialecte, l’axe de la variation diastratique du sociolecte, et l’axe de la variation diaphasique du registre ou du style, étant entendu que :

  1. « tout énoncé comporte en même temps une dimension diatopique, diastratique et diaphasique, et s’inscrit dans la continuité entre immédiat et distance, qu’il y a donc coprésence des dimensions diasystématiques » (p. 17).

    • 2 Glessgen, Martin : « Les lieux d’écriture dans les chartes lorraines du XIIIe siècle », Revue de li (...)
    • 3 Laura Minervini, « Le français dans l’Orient latin (XIIIe-XIVe siècles), Revue de linguistique roma (...)

    « le choix entre des formes (grapho-phonétiques, morphologiques et lexicales) à faible portée dans l’espace et des formes à large portée diatopique se pose pour l’auteur ou le scribe de chaque texte et pour toute forme de ce texte. Le continuum diatopique est alors exploité par les protagonistes de l’écrit pour des buts communicatifs et identitaires. Dans le cas très particulier de la chancellerie royale, qui préfigure la variété standard, cette institution fonde son emprise sur l’intégralité́ du territoire oïlique de la couronne justement sur l’absence de formes régionales marquées dans ses choix scripturaux » (p. 18). Est repris ici le paramètre supra-régional distingué par Martin Glessgen à propos des lieux d’écriture dans les chartes lorraines, pour les cinq lieux étudiés, des formes graphiques et morphologiques « s’inscrivant toutes dans une tendance supra-régionale et latinisante forte2 ». Laura Minervini est revenue sur l’importance de ce paramètre supra-régional / local à propos des textes rédigés dans les chancelleries et scriptoria d’Outremer, en référence à un dossier envoyé au pape Clément V, pape français, à Avignon au sujet de la prise de pouvoir d’Amaury de Lusignan (Nicosie 1306) : « La tendance à la supra-régionalisation (Glessgen 2008, 522) – c’est-à-dire la perte de caractère provincial du dialecte (sic) – est plus forte dans le cas de textes destinés à l’entourage du pape que dans le cas de textes circulant seulement sur le plan local3 ».

  • 4 Gerhard Ernst, « La diachronie dans la linguistique variationnelle du français », in Polzin-Haumann (...)

2La contribution de Gerhard Ernst a dégagé plus précisément les traits saillants de « La diachronie dans la linguistique variationnelle du français », en particulier dans le chapitre 3, Esquisse de l’histoire de quelques variétés du français4. On peut y relever les points suivants :

  • « Les idiomes vernaculaires du Moyen Âge issus du latin parlé en Gaule constituent des entités linguistiques indépendantes. Le terme ‘dialectes français’ serait commode, mais impropre, parce qu’il ne s’agit pas de variétés ‘déviantes’ d’une langue standardisée ; il faut plutôt y voir des idiomes indépendants, même s’ils partagent beaucoup de traits linguistiques qui rendent possible la compréhension réciproque et une conscience linguistique commune. » (p. 77) On ne peut donc parler de dialecte qu’à partir du xvie siècle, où se fait jour la notion de « langue-toit » tendant vers une standardisation relative. Ce qui n’empêche pas l’emploi de « dialecte » pour « variété régionale » avant cette époque, comme on le verra ci-dessous, le mot étant alors compris en un sens large.

    • 5 Hans Goebl, Die romanischen Urkundensprache. Ein Beitrag zur Kenntnis der nordfranzösischen Urkunde (...)
    • 6 Yan Greub et Jean-Pierre Chambon, « Histoire des dialectes dans la Romania : Galloromania », in Ger (...)

    « Les lieux d’écriture des chancelleries des cours féodales et scriptoria des monastères avaient chacun ses propres habitudes graphiques, morphologiques, ses particularités lexicales et éventuellement syntaxiques où l’on observe, certes, un ‘substrat’ local/ régional, mais leurs textes (les chartes comme les textes littéraires) ne présentent presque jamais une surface linguistique homogène, expression d’une variété diatopique homogène de l’écrit » (p. 78). Il souligne le rôle de la scripta francienne, la variété du centre (Goebl 19705 entre autres) en mentionnant que Greub / Chambon (2008)6 considèrent comme décisive la position géographique centrale de l’Île-de-France, position qui fait « qu’un dialecte situé au centre d’un domaine linguistique est moins divergent des autres […] que ceux-ci ne le sont entre eux. » Et Greub et Chambon soulignent :

  • « le fait que la langue de communication de l’espace linguistique d’oïl tend structurellement à ressembler au dialecte (sic) du centre parisien » ;

  • « l’influence du dialecte (sic) francien ».

  • 7 Paul Videsott, « Les débuts du français à la Chancellerie royale : analyse scriptologique des chart (...)
  • 8 Serge Lusignan, « Langue et société dans le Nord de la France : le picard comme langue des administ (...)

3Et de rappeler la conclusion de P. Videsott sur la scripta parisienne « apparaissant dès le début sous une forme plus ‘supralocale’ que d’autres scriptae, tout en restant identifiable à l’intérieur des scriptae oïliques’ jusque dans la 2nde moitié du xiiie siècle » (cf. Videsott 2013)7. La variation diatopique des scriptae se perd au bas Moyen Âge sous la pression de la variété utilisée dans les chartes de la chancellerie royale de Paris (ibid.), soit « le français du roi », à propos duquel S. Lusignan parle de « français commun » au regard de la scripta picarde des cartulaires urbains largement répandue dans un territoire bien plus vaste que le picard actuel, restant d’un usage intensif dans le temps et l’espace8.

4Se dessinent ainsi, dans cette large promotion de la linguistique variationnelle et de sa dimension diatopique en ancien français, des notions-clés tels que traits diatopiquement marqués / non marqués de la scripta, entre lesquels il y a le plus souvent un continuum, et émergence d’une scripta ‘supralocale’ aux traits généraux.

  • 9 Olivier Collet est associé à Yan Greub dans le Comité scientifique de la collection des Classiques (...)
  • 10 Pierre Nobel, « Écrire dans le Royaume franc : la scripta de deux manuscrits copiés à Acre au XIIIe (...)
  • 11 Claude Buridant, Grammaire du français médiéval (XIe – XVIIe siècles), Strasbourg, ÉliPhi, BiLiRo, (...)

5Dans cette large promotion de la linguistique variationnelle et de sa dimension diatopique dans la période de l’ancien français, dont on vient de rappeler des éléments majeurs, Yan Greub a joué, comme on l’a vu, une importante partition, associé en l’occurrence à Jean-Pierre Chambon, dans la droite ligne de sa thèse de doctorat en langue romane, inaugurant son parcours universitaire, Les mots régionaux dans les farces françaises. Étude lexicologique sur le Recueil Tissier (1450-1550), Strasbourg, 2003 (Bibliothèque de linguistique romane 2 + CD-Rom). Désormais professeur associé à l’université de Genève, Yan Greub a fait de l’étude des variations de notre ancienne langue l’un de ses axes de prospection, soutenu par un commerce approfondi avec le FEW. Il s’associe en la circonstance, comme dans d’autres publications collectives, à Olivier Collet, philologue spécialiste de l’histoire de la langue française, par ses publications ecdotiques et lexicologiques en particulier9. Ce tandem s’emploie à combler une absence dans les études de linguistique historique du français, par la publication d’un « ouvrage général décrivant les différences entre les variétés linguistiques d’oïl », ouvrage conçu comme un outil aidant à l’identification des formes marquées en les repérant dans la diatopie, à la lecture des textes et à leur localisation, ceci dans la période de l’ancien français, en dehors des textes archaïques, la notion de variante étant elle-même une notion fluctuante dans le temps et dans l’espace, selon sa fréquence, allant de l’attestation parcellaire à la plus large diffusion. Dans une approche différentielle, la variante s’oppose à une ou plusieurs formes générales, les auteurs entendant par forme générale « une forme définie dans son usage médiéval par le fait qu’elle est diffusée généralement ou au moins qu’elle tend à être présente partout (même si ce n’est pas dans tous les textes) » (p. 4), les « formes générales [étant aussi], dans la grande majorité des cas, celles qui s’imposeront en français » ce que les auteurs appellent occasionnellement « le français par destination » (ibid. et note 9). Il s’agit ici, donc, d’une « opposition entre diatopiquement marqué et diatopiquement non marqué, et non d’une opposition langue-dialecte ». Cette approche s’appuie sur une distribution géographique des variétés régionales attestées, étudiées par des monographies ou des éditions de références, répertoriées dans la Bibliographie des sources utilisées pour la description des dialectes anciens (p. 19-20). Soit : Anglo-normand – Ouest sans précision – Nord-Ouest – Sud-Ouest – Vallée de la Loire – Paris – Normandie – Picardie – Wallonie – Est sans précision – Lorraine – Champagne et Franche-Comté – Bourgogne – Franche-Comté – Levant. À propos du Levant, on saura gré aux auteurs d’avoir fait toute sa place au français des États latins d’Orient, étudié en détail dans les excellents articles de L. Minervini, et P. Nobel10, négligé jusqu’ici dans les grammaires de l’ancienne langue, même les plus récentes, dont la nôtre11 ! Ces sources sont très variées et équilibrées, en entendant par là une juste part de recours aux textes littéraires dûment exploités pour la richesse de leur introduction proprement linguistique, à côté du recours aux documents juridiques à visée scriptologique, comme c’est le cas pour la Normandie (cf. p. 15). Sans nier l’utilité de distinguer entre langue des documents et langue littéraire, à l’image des deux Atlas de Dees, en différenciant la diffusion d’un phénomène selon les genres textuels, les auteurs voient dans cette différence, au total non dirimante, des différences de proportions (p. 6). Leur approche est d’ailleurs plutôt « dialectologique » que « scriptologique », visant à atteindre, autant que faire se peut, l’oral sous-jacent aux documents écrits.

6Cette géographie aurait pu donner lieu à une cartographie d’ensemble, sur le modèle de ceux des Atlas précités, mais les auteurs y ont renoncé pour plusieurs raisons : la variabilité de localisation des variantes, soit très précises, soit d’échelle large ; la variabilité dans le temps des données tirées d’originaux et de copies, la variabilité de fréquence des phénomènes (p. 5).

7C’est en tout cas cette topologie qui sert de cadre aux 158 articles relevant les variantes sous forme de tableau assorti de commentaires critiques aux multiples fonctions possibles (organisation d’ensemble du tableau ou exposé illustrant ses éléments saillants, précisions de détails, répartition d’un phénomène oral et celle d’une graphie) et d’une bibliographie divisée en deux séries de renvois (éditions et études), selon un plan classique : Phonétique (Phénomènes grapho-phonétiques : vocalisme et consonantisme) – Morphologie (Article ; Pronom Personnel ; Possessifs ; Démonstratifs ; Conjonction, adverbe, préposition ; Verbe) – Syntaxe constituant les 7 derniers articles, sans tableau, soit au total 165 articles. Le tableau, voulant donner une vision synthétique de la répartition des variantes dans l’espace, est en effet organisé par régions ou ensemble de régions, dont la liste est le plus souvent identique : de gauche à droite elle commence par l’anglo-normand, puis les parlers occidentaux, et finit à droite par les parler orientaux, du nord vers le sud (p. 10). Le tableau est évidemment modulable en fonction de la variante sélectionnée, par le nombre de colonnes et/ou leur identité, et peut donc présenter des cases vides indiquant que la région concernée connaît plutôt la forme générale de référence, sans préjuger de sa présence possible (p. 12). Dans le tableau 1.36, l’aboutissement de lat. /’o/ en syllabe ouverte est ainsi représenté dans 8 colonnes allant de l’Angleterre à la Bourgogne et Franche-Comté, et est l’objet d’un commentaire détaillé décrivant ces aboutissements, leur concurrence en un même lieu et leur répartition géographique (p. 86-89). On ne comprend pas pourquoi, cependant, la case Picard reste vide, alors que la Picardie est caractérisée comme « centre d’irradiation de l’innovation » en <eu>, comme le rappellent les auteurs, se référant à GossenScripta 95-98. Au regard de cette large palette d’aboutissements, dans le tableau 1.43, l’aboutissement de [‘o] + [ɲ] n’est relevé qu’en Angleterre dans bosuinz, luing, puing, luing, par contraste avec la forme générale loing, le groupe, noté <ui>, assonant en [u] dans Roland, les autres colonnes restant, cette fois-ci, vides (p. 99). On retrouve cette forme à l’article 2.30b dans le traitement de [ɲ] final exemplifié dans loig, poig, puig, soig dans plusieurs régions (Angleterre, Ouest, Normandie, Lorraine, Champagne), où <-ig> peut être utilisé pour noter [-ɲ]. Cependant, dans sa fine étude de la langue picardisante du ms. A du Roman de Thèbes (ThebesAD), Luca di Sabatino voit dans la forme puig, sous la rubrique [ọ] + yod > ui, un trait typiquement picard (v. 5457 etc.), en alternance ave poing.

8L’intérêt majeur de l’étude est d’avoir rassemblé une documentation d’une richesse exceptionnelle, soumise dans chaque article à une synthèse critique, et affiné considérablement la description de phénomènes déjà bien identifiés ou marginalement. Exemplaire à cet égard est encore l’article 1.36, constituant une véritable somme traitant de 1. La description des aboutissements 2. La concurrence de divers aboutissements en un même lieu, 3. La répartition géographique. Tout aussi exemplaire est l’article 8.6 : Marques morphologiques de l’imparfait et du conditionnel, traitant en 8.6f de la variante -iemes de la désinence -iens, remarquable par son panorama : région – gestation – répartition (p. 217) :

- en picard, elle a donné naissance, probablement par croisement avec -omes (FouchéVerbe 242, cf. aussi MeyerLübke 1917, 92-96), à une forme -iemes (8.6f) qui vit en concurrence avec -iens (pour la répartition, cf. GossenGramm 136-140, MantouFlandr 317) ; la forme se trouve aussi, minoritairement, en wallon (DeesAtlas n230) et dans les États latins d’Orient (Nobel 2003, 44). L’anglo-normand -eimes est tardif et limité à la langue diplomatique et politique (Tanquery 1915, 164-165) ;

9Comparer à Buridant (20222) § 243.2 :

Le picard présente non uniformément une désinence -iemes par suite d’un croisement avec la terminaison -mes de so(m)mes, etc. prise comme modèle : aviemes, braiemes (braire), estiemes, cuidiemes, deviemes, voliemes.

10La lecture attentive de l’ouvrage confirme, pour les textes littéraires et documentaires, une différence quantitative des variantes selon la typologie des textes, et plus particulièrement leur ancrage local fort ou non. À titre d’exemple, pour le picard, des œuvres d’Adam de la Halle comme le Jeu de la Feuillée, et les Chansons et dits artésiens, sont destinés à un public local :

    • 12 Anne Ibos-Augé, « Adam de la Halle et les ‘jeux’ : les premiers exemples de théâtre profane chanté (...)

    la première, qui est à tout le moins une « revue comico-satirique » où interviennent « les protagonistes du quotidien », noyau scénique ayant donné lieu à toutes sortes d’interprétations résumées par Anne Ibos-Augé12, est transmise par trois manuscrits, dont le manuscrit de base BN fr. 25566, contenant Li jeus de le feullie du fol. 49 au fol. 59v.

    • 13 Roger Berger, Littérature et société arrageoise au XIIIe siècle. Les chansons et dits artésiens, Ar (...)

    la seconde, les Chansons et dits artésiens (ChansArtB) n’est pas moins imbriquée dans la vie arrageoise du 13e siècle, admirablement retracée par son éditeur, Roger Berger, qui en dégage le principal intérêt, d’ordre historique : « Composés dans un espace de temps assez ramassé et mettant en cause quelque 200 personnes, ils nous fournissent sur la vie arrageoise dans le second tiers du 13e siècle – pour cette époque le fait est unique – des informations qu’aucun texte officiel ne saurait nous donner13 ». Même si, « limité à quelques événements locaux et le plus souvent passé par le prisme déformant de la satire, leur témoignage ne peut être que partiel ou partial », requérant, pour le compléter le recours à des documents contemporains de toute espèce... (p. 25).

11Transmis par des copies fidèles, destinées au public local, les deux œuvres offrent pour le picard, en plus du lexique, une concentration de variantes remarquables dont rend compte plus particulièrement Roger Berger dans son étude de la langue des Chansons et dits, parmi lesquelles les formes en -iemes de l’imparfait 4 dans mangiemes (21, 74) et faisiemes (21, 75, 80, 82), citées ci-dessus.

12Très marqués en picardismes sont aussi les documents légaux précisément localisés, répertoriés par GossenGramm, auxquels on peut toujours ajouter des attestations intéressantes, telle celle-ci, extrait du Recueil de documents inédits relatifs aux relations du Hainaut et de la France de 1280 à 1297, publié par Étienne Delcambre dans le Bulletin de la commission royale d’Histoire de l’Académie royale de Belgique, tome 92, 1928, où la commune de Valenciennes notifie qu’elle a prêté foi et hommage au comte de Flandre, 29 mars 1296 :

Aprés ches choses, no mesage devant dit disent au roy en cheste fourme ke puisqu’il estoit ensi ke li roys ne nous voloit plus tenir en se main ne warder, nous vouliemes bien ke li rois et tout sewissent ke nous ne lairiemes mie destruire, ains nous aideriemes et warderiemes a no pooir, et queriemes ki nous aideroit a warder et a deffendre le plus tost comme nous poriemmes. (p. 133-134)

13Plus modérée est la picardisation dans le manuscrit A du Roman de Thèbes, cité supra, dans lequel « une scripta picarde, mais sans trop de traits régionaux, a été superposée à un texte déjà largement remanié », traits que Luca di Sabatino a minutieusement relevés « en en soulignant les éléments attribuables à l’aire nord-orientale » (p. 14). On pourrait y ajouter depiçames, à interpréter comme variante de depieçames (v. 264). On consultera ici l’article 1.11. Aboutissements de /έ/ en syllabe ouverte, traitant en détail de la réduction de la diphtonque [ie] en [i] dans l’Est et rappelant qu’elle est exceptionnelle en picard selon GossenGramm § 10, pour conclure que « l’évolution décrite ici participe d’une évolution plus large ». Exemple encore de l’important éclairage critique que peut apporter l’ouvrage à l’analyse des variantes.

14La Bibliographie, tout à fait considérable, est marquée par un double système de références, exposé p. 18 :

  • les abréviations ou sigles du Dictionnaire étymologique du français (DEAF) à l’œuvre dans l’aperçu critique des principales études traitant, de manière dispersée, les diatopismes, dans le chapitre 1.1. ou dans la Bibliographie des sources citée supra, et plus généralement dans toutes les études citées dans les articles, en dehors de certains sigles proposés par les auteurs ;

  • les renvois par nom d’auteur et date résolus dans la Bibliographie placée en fin de volume.

15Dans le chapitre 1.1., il était cependant souhaitable de résoudre les abréviations des « études à visée diasystématique » recensées, grammaires et autres, évaluées comme basiques. Soit :

. LRL II/2 : Lexikon der romanistischen Linguistik, p. p. G. Holtus, M. Metzeltin, C. Schmitt, Tübingen, Niemeyer, 1988-2005 (auteurs multiples).
. GossenGramm : C.T. Gossen, Grammaire de l’ancien picard, Paris, Klincksieck, 1970. Bibliothèque française et romane, A 19.
. ShortMan2 : I. Short, Manual of Anglo-Norman, A. N. Text Soc. / Birbeck Coll., 2013.. Remacle 1992 : L. Remacle, La différenciation dialectale en Belgique romane avant 1600 (Fac. Phil. Distr.), Droz, Genève, 1992. À éliminer p. 257. Existe dans DEAFBibl sous le sigle RemacleBelg.
. Pope : M. K. Pope, From Latin to Modern French with especial consideration of Anglo-Norman, Manchester University Press, 19341,, 19522.. GoeblNorm : H. Goebl, Die romanischen Urkundensprache. Ein Beitrag zur Kenntnis der nordfranzösischen Urkunde Sprache des Mittelalters, Wien, Böhlau, 1970.
. Buridant2 : Grammaire du français médiéval (xiexviiË siècles), Strasbourg, ÉliPhi, BiLiRo, 2022.

16Dans le chapitre 5, Bibliographie des sources utilisées pour la description des dialectes anciens, p. 20, rectifier le sigle FloovantA en FloovA.

17Plusieurs Index terminent l’ouvrage et en facilitent la consultation :

  1. Index géographique énumérant, par ordre alphabétique, les différentes localisations, régionales ou plus locales, mentionnées dans les articles ou les tableaux, comme la Picardie, où sont distinguées la Picardie nord-orientale / orientale / occidentale / méridionale / septentrionale, ou plus précisément l’Artois et le Hainaut (p. 271-272).

  2. Index des objets traités et des graphies, les « objets linguistiques » regroupant toutes les informations sur l’évolution de sons latins, romans ou français ; des morphèmes grammaticaux ; des préfixes et des suffixes ; des graphies ; des fonctions ou catégories fonctionnelles ; des phénomènes linguistiques (p. 273-297).

  3. Index des étymons mentionnés dans les tableaux et commentaires (299-302)

  4. Index lexical (formes mentionnées dans les tableaux et commentaires).

18On peut ainsi faire des recherches selon le point de vue, à l’exemple des formes de poing, mentionné ci-dessus : à partir de l’étymon PUGNU (Index 3), des formes poi, poig, poiz, pug, puig, pung (Index 4), du traitement de la finale [ɲ] (Index 2), les trois requêtes renvoyant à l’article 2.30 b. Dépalatalisation de [ɲ]. Cependant, le dérivé poigaour, renvoyant au même article 2.30a [ɲ] intérieur, en est absent. La forme poigaour se trouve dans FloovB, 596 (DEAF, s. v. poigneor).

19Au total, par sa mise au point théorique, par sa méthodologie rigoureuse et scrupuleuse, par l’ampleur de sa documentation critique, La variation régionale du français est appelé à devenir l’ouvrage de base auquel pourront se référer les futures éditions de textes médiévaux dans leur étude linguistique ainsi que les essais et les grammaires de l’ancienne langue traitant peu ou prou de la variation consubstantielle qui la caractérise.

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Notes

1 Martin Glessgen et Lene Schøsler, « Repenser les axes diasystématiques : nature et statut ontologique », in Glessgen, M., Kabatek, J., Völker, H. (éd.), Repenser la variation linguistique. Actes du colloque DIA IV, Zürich, 12-14 sept. 2016, Strasbourg, ÉliPhi, 2018, p. 11-52, part. p. 16.

2 Glessgen, Martin : « Les lieux d’écriture dans les chartes lorraines du XIIIe siècle », Revue de linguistique romane, 72, 2008, p. 413-540, part. p. 531.

3 Laura Minervini, « Le français dans l’Orient latin (XIIIe-XIVe siècles), Revue de linguistique romane, 74, 2010, p. 119-198, part. p. 141.

4 Gerhard Ernst, « La diachronie dans la linguistique variationnelle du français », in Polzin-Haumann C., Schweickard W. (éd.), Manuel de linguistique française, Berlin / Boston, de Gruyter, Volume 8 de la série Manuals of Romance Linguistics, 2015, p. 72-107.

5 Hans Goebl, Die romanischen Urkundensprache. Ein Beitrag zur Kenntnis der nordfranzösischen Urkunde Sprache des Mittelalters, Wien, Böhlau, 1970.

6 Yan Greub et Jean-Pierre Chambon, « Histoire des dialectes dans la Romania : Galloromania », in Gerhard Ernst et alii (éd.), Romanische Sprachgeschichte. Ein internationales Handbuch zur Geschichte der romanischen Sprachen, vol. 3, Berlin/New York, de Gruyter, p. 2499-2520, part. p. 2509.

7 Paul Videsott, « Les débuts du français à la Chancellerie royale : analyse scriptologique des chartes de Philippe III (1270-1285) », Revue de linguistique romane, 77, 2013, p. 3-49, part. p. 35-38.

8 Serge Lusignan, « Langue et société dans le Nord de la France : le picard comme langue des administrations publiques (XIIIe – XIVe siècles) », Compte rendu des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 2007, 151-3, 2007, p. 1275-1295, part. p. 1285-1297, et id., Essai d’histoire sociolinguistique. Le français picard au Moyen Âge, Paris, Garnier, 2012.

9 Olivier Collet est associé à Yan Greub dans le Comité scientifique de la collection des Classiques Garnier. Il est l’auteur, entre autres, d’une édition des Vies médiévales de sainte Madeleine, en collaboration avec Sylviane Messerli, Turnhout, Brepols, 2008, et y fait preuve d’un doigté philologique remarquable en traitant avec finesse de la tradition manuscrite dans la plus ancienne traduction française de la Legenda aurea de Jacques de Voragine ; il évoque ainsi une scripta littéraire franco-picarde conservatrice des copies des deux témoins principaux en concluant que « plusieurs décennies de diffusion massive de copies septentrionales, ou marquée par [cette scripta], ont pu suffire à lui assurer à la fin du 13e siècle une pénétration suffisante pour que les ressortissants d’une aire linguistique où elles ne sont en principe pas usuelles les assimile pleinement (exemples de l’infinitif vesquir, [FEW 14/579b Mf. vesquir, 1571] et du futur merra) », p. 337.

10 Pierre Nobel, « Écrire dans le Royaume franc : la scripta de deux manuscrits copiés à Acre au XIIIe siècle », in Variations linguistiques. Koinés, dialectes, français régionaux, Pierre Nobel (éd.), Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2003, p. 33-52.

11 Claude Buridant, Grammaire du français médiéval (XIe – XVIIe siècles), Strasbourg, ÉliPhi, BiLiRo, 2022.

12 Anne Ibos-Augé, « Adam de la Halle et les ‘jeux’ : les premiers exemples de théâtre profane chanté à Arras à la fin du xiiie siècle », Les villes au Moyen Âge en Europe occidentale (ou comment demain peut apprendre d’hier), éd. Marie-Françoise Alamichel, Collections numériques du LISAA (Mémoire et territoires), 2018 p. 233-267, p. 234, notes 34 et 35 (disponible en ligne).

13 Roger Berger, Littérature et société arrageoise au XIIIe siècle. Les chansons et dits artésiens, Arras, Mémoires de la Commission Départementale des Monuments Historiques du Pas-de-Calais, tome XXI, 1982.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Claude Buridant, « Yan Greub et Olivier Collet, La variation régionale de l’ancien français. Manuel pratique »Perspectives médiévales [En ligne], 45-46 | 2024, mis en ligne le 31 décembre 2024, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/peme/53053 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/131u2

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Auteur

Claude Buridant

Université de Strasbourg

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Droits d’auteur

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