Fantasmagories du Moyen Âge. Entre médiéval et moyenâgeux
Fantasmagories du Moyen Âge. Entre médiéval et moyenâgeux, Élodie Burle-Errecade et Valérie Naudet (dir.), Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, Senefiance n° 56, 2010, 262 p., 16 p. d’illustrations.
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1L’ouvrage rassemble des communications prononcées lors du colloque « Fantasmagories du Moyen Âge : entre médiéval et moyenâgeux » organisé en juin 2007 par l’université de Provence. Il s’inscrit dans le courant des productions critiques sur les réactivations modernes et contemporaines du Moyen Âge qui connaît en France, depuis ces vingt-cinq dernières années, un renouveau significatif.
2L’ensemble se présente comme un large tour d’horizon des rémanences médiévales, depuis le théâtre de la Restauration jusqu’aux chansons françaises contemporaines, en passant par la peinture préraphaélite, la bande dessinée ou le jardin du musée de Cluny de Paris. Les champs disciplinaires représentés sont nombreux (critique littéraire, histoire, histoire de l’art, histoire de la médecine, muséologie, sociologie), la période d’étude allant de la Révolution jusqu’à l’extrême contemporain. Ce large éventail temporel, cette diversité des champs d’étude et des approches critiques fait la richesse de cet ouvrage-panorama, qui s’intéresse à des domaines ou des perspectives de recherche peu frayées jusqu’ici et permet ainsi plusieurs rapprochements stimulants (la confrontation des mythes du Celte et du Viking dans la constitution de notre rapport imaginaire au Moyen Âge par exemple).
3Toutefois, le parti-pris d’une ouverture maximale de la focale temporelle, thématique et critique comporte aussi des désavantages. Le premier est bien sûr celui du « pêle-mêle », expression significativement employée en introduction par les directrices de publication, que le plan de l’ouvrage (« Le Moyen Âge pour tous les réunir – Fantasy » ; « Artes ludendi – Jeux de rôles » ; « Sur les épaules des géants. Réminiscences littéraires xixe et xxe siècles » ; « Heur et malheur du personnage » ; « Vestiges du Moyen Âge ») ne parvient pas toujours à ordonner. Une réflexion sur la lecture qu’opère la psychiatrie du xixe siècle sur le « cas » Gilles de Rais peine ainsi à trouver sa place dans le chapitre « Heur et malheur du personnage », en compagnie des figures mythiques du Gaulois, du Viking et de la Sorcière.
4 Mais le risque principal d’une telle ouverture est de rendre difficile, sinon impossible, l’émergence d’une cohérence théorique dans l’approche du sujet traité : le lien que les Romantiques ont noué avec le Moyen Âge n’est pas le même que celui qui caractérise la période contemporaine (dont il faudrait encore différencier plusieurs moments fondateurs), il ne met pas en œuvre les mêmes projections imaginaires et s’actualise en des formes différentes. Les réactivations qui s’inspirent des productions fictionnelles du Moyen Âge ne s’envisagent pas non plus avec les mêmes outils méthodologiques que celles qui s’appuient sur des documents historiques, et ce ne sont évidemment pas les mêmes paradigmes interprétatifs qui sont mobilisés pour analyser, mettons, l’œuvre de Pierre Michon et les jeux de rôle « grandeur nature ». À cet égard, les contributions les plus stimulantes (souvent situées, avec justesse, en début de chapitre), sont celles qui problématisent la question du rapport que les auteurs ou les acteurs qu’ils étudient engagent avec leur objet et qui tentent dès lors d’identifier de quel « Moyen Âge » il est question pour eux et en quoi il est, éventuellement, significatif d’un moment culturel. En lisant ces articles en regard les uns des autres, on parvient à une définition mobile du « Moyen Âge » et de ses « fantasmagories ». De telles définitions ne peuvent en effet s’élaborer que dans la tension, jamais résolue, entre une impossible restitution (on ne fera jamais revivre le Moyen Âge « tel qu’en lui-même », on ne percevra jamais ses productions comme les médiévaux ont pu le faire), et le souci d’éviter des contresens ou des stéréotypes qui en viendraient à dissoudre l’inactualité médiévale dans l’actualité contemporaine. Si le « Moyen Âge » stimule aujourd’hui la création et la critique, l’ici et maintenant de l’artiste, de l’acteur ou du chercheur contemporain modèle en retour les interprétations qu’il en fait et les rêves qu’il élabore à son sujet (qu’il en soit conscient ou non, et qu’il intègre ou non cette prise de conscience à son travail). À ce titre, il faut soutenir, comme le fait Mark Burde dans une stimulante contribution conclusive, que le « médiéval » (compris comme l’approche scientifique des productions médiévales) doit nécessairement prendre en compte le « moyenâgeux » (entendu comme l’ensemble des constructions imaginaires qui en ont rendu, au fil du temps, les contours lisibles). Au « médiévaliste » – pour forger un néologisme à partir du « medievalism » anglo-saxon – revient dès lors de tenter de dresser, le plus précisément possible, la carte de ces champs d’interférences qui s’établissent entre le « Moyen Âge » et ses réceptions, selon les époques, les moments et les lieux, et suivant les différents domaines artistiques ou les diverses perspectives critiques adoptées.
Pour citer cet article
Référence électronique
Mireille Séguy, « Fantasmagories du Moyen Âge. Entre médiéval et moyenâgeux », Perspectives médiévales [En ligne], 34 | 2012, mis en ligne le 13 août 2012, consulté le 11 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/peme/2178 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/peme.2178
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