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Ouvrages collectifs

Arthur, la mer et la guerre, Paris, Classiques Garnier, 2017

Justine Breton
Édité par Alban Gautier, Marc Rolland et Michelle Szkilnik
Référence(s) :

Arthur, la mer et la guerre, dir. Alban Gautier, Marc Rolland et Michelle Szkilnik, Paris, Classiques Garnier, 2017, 346 p.

Texte intégral

1L’ouvrage dirigé par Alban Gautier, Marc Rolland et Michelle Szkilnik est la publication des actes du colloque international « Arthur, la mer et la guerre », organisé du 22 au 24 mai 2014 à Boulogne-sur-Mer. À travers quinze articles de littérature et d’histoire, complétés par une introduction des organisateurs du colloque et par une riche conclusion de Martin Aurell, cet ouvrage étudie le motif discret mais récurrent du combat naval et des liens entre guerre et mer dans la légende arthurienne, depuis le ive siècle jusqu’aux réécritures contemporaines en roman et bande dessinée. La publication est dotée d’un cahier central de dix illustrations en noir et blanc et d’un cahier final de huit illustrations couleur, incluant une carte et une photographie des châteaux gallois d’Édouard Ier et des reproductions soignées de différentes enluminures. Cinq articles sont proposés en anglais et dix en français. Tous sont accompagnés, en fin d’ouvrage, d’un résumé dans les deux langues. Le paratexte, idéal pour une étude approfondie de ces actes de colloque, inclut une bibliographie particulièrement fournie (p. 291-317), un index des noms de personnes, un index des noms de lieux, mers et peuples, et un index des matières, thèmes et œuvres anonymes. Une table des illustrations complète également la table des matières finale.

2Les articles sont regroupés selon un classement chronologique en trois parties, non précisées dans la table des matières ni dans le corps de l’ouvrage : l’âge d’un possible Arthur historique, à la charnière entre Antiquité et Moyen Âge (iie-viie siècles) ; le Moyen Âge où la littérature arthurienne connaît un essor majeur (xie-xve siècles) ; et les réécritures contemporaines (xixe-xxie siècles). L’ensemble est centré sur la Manche et la mer du Nord, mais souligne également le rôle joué par la mer d’Irlande et la mer Celtique.

3L’introduction à six mains d’Alban Gautier, Marc Rolland et Michelle Szkilnik, sobrement intitulée « Arthur entre mer et guerre », met en évidence le « défi » que constitue le regroupement des thématiques maritime et guerrière autour de la figure centrale du roi Arthur, dans ses acceptions à la fois historiques et littéraires. Les auteurs rappellent que les premiers textes faisant apparaître le nom d’Arthur ne prêtent au personnage aucune activité maritime, mais lui confèrent des ennemis – notamment saxons – venus par la mer. Guerre et mer sont donc liées, même indirectement, dès les origines littéraires de la légende. C’est principalement à partir de l’Historia Regum Britanniae (c. 1136) qu’Arthur prend part à des campagnes maritimes, avant de disparaître dans une nef vers l’Autre Monde. La lutte contre le souverain romain Lucius, contre Mordred, puis contre Lancelot dans les textes postérieurs, vient développer ce thème des trajets maritimes effectués dans un but martial. C’est à partir du xive siècle que se multiplient les descriptions et les illustrations de batailles navales. Les auteurs montrent que cet essor dans la littérature s’accompagne aussi, durant toute cette période médiévale, d’enjeux politiques et militaires, et rappellent notamment l’échange par Richard Cœur de Lion de l’épée Excalibur contre la flotte du roi Tancrède de Sicile afin de mener sa croisade. L’association des thèmes guerrier et maritime continue de croître à l’époque contemporaine, notamment via les réécritures de Bernard Cornwell, Frederick Lees, Marion Zimmer Bradley et Michel Rio, ainsi qu’à travers des media illustrés tels que la bande dessinée Prince Valiant d’Hal Foster. L’introduction s’achève par le rappel de trois communications n’ayant pas pu être intégrées à l’ouvrage, mais évoquées dans la conclusion de Martin Aurell : « When did Vortigern’s sailors mutiny ? Early medieval chronologies for the Saxon revolt », par Edwin Pace ; « The Angevin kings and their sea captains, 1154-1216 » par Hugh Doherty; et « La mer comme horizon de la légende [dans les Warlord Chronicles de Bernard Cornwell] », par Claire Jardiller.

4L’article de Simon Esmonde-Cleary, intitulé « ’Lyonesse’, the sea in the world of the ‘historical Arthur’ » met en avant l’omniprésence de la mer dans les contextes guerriers à l’époque d’un éventuel « Arthur historique », soit aux alentours de l’an 500. L’auteur apporte une attention toute particulière aux côtes occidentales de la Bretagne et aux éléments qui permettent de mieux connaître la forme et les fonctions des navires de cette période. Cependant, l’auteur rappelle régulièrement le manque de sources archéologiques et établit de fait principalement des suppositions et des hypothèses. Comparant les caractéristiques des navires Nydam et Sutton Hoo, l’auteur rappelle que ces éléments épars ne suffisent pas à tracer une image précise des moyens de transport maritimes des Saxons ni de la Bretagne romaine suite à la chute de l’Empire. L’article met en avant de nombreuses possibilités de contacts maritimes occidentaux, pour la majeure partie belliqueux. Les indications rassemblées semblent ainsi pointer vers l’importance des raids, principalement destinés à acquérir des esclaves, et des processus d’immigration et de colonisation des terres britanniques, « probablement » accompagnés de violences – des déplacements suggérant donc l’usage massif de navires. L’article s’achève sur une évocation de rituels d’offrandes au Danemark et en Suède, où le fait de déposer des armes dans les lacs pourrait apparaître comme une préfiguration du retour d’Excalibur à l’eau suite à la disparition d’Arthur.

5Dans son article « La Bretagne aux abois : Pictes, Scots et Saxons dans les mers de l’Ouest (ive-vie siècle) », Stéphane Lebecq laisse de côté le souverain légendaire pour s’intéresser aux entreprises maritimes et côtières des peuples dits barbares aux époques romaine tardive et post-romaine, retracées grâce aux sources littéraires les plus proches de cette période. Cette étude s’articule en trois temps : qui, comment, quoi/pourquoi. La première approche montre que les bandes issues d’horizons variés ayant envahi les côtes bretonnes n’étaient probablement pas organisées, et que leurs raids découlaient sûrement d’attaques indépendantes. L’auteur détaille les quelques éléments physiques, comportementaux et sociaux livrés sur les Pictes, les Scots et les Saxons, cette dernière appellation regroupant certainement divers peuples. Dans un deuxième temps, l’article s’interroge sur les moyens employés par ces peuples, à savoir bateaux et techniques de navigation : navires, barques, et coracles (bateaux de bois et de peau propulsés de façon complémentaire de rames et de voiles). Cet article fait écho au précédent dans sa réflexion sur les navires de Nydam et de Sutton Hoo. Enfin, l’auteur évoque la violence des envahisseurs pratiquant pillages et rafles. Certains de ces raids auraient ensuite mené à des mouvements de colonisation. Remettant en question l’intervention romaine dans les mers du Nord, l’auteur rappelle toutefois les quelques démarches menées avant l’abandon de l’île par Rome, lequel semble avoir précipité l’installation durable de peuples venus d’Irlande et de Germanie continentale.

6L’article « Tres Cyulae : portrait des Saxons en navigateurs » d’Alban Gautier étudie les sources littéraires et historiques (histoires, annales et chroniques) de l’arrivée des Saxons (aduentus Saxonum) en Bretagne, de Gildas à Geoffroy de Monmouth. En annexe est proposé un tableau synthétique reprenant les détails de cet événement dans les différentes sources, classées de façon chronologique : nom désignant les Saxons, nombre de voyages vers la Bretagne, nombre de navires et mot désignant la flotte. La description de l’arrivée des Saxons, marquée pour tous les auteurs par plusieurs vagues, correspond à un topos littéraire qui prend de l’ampleur au fil des réécritures. L’auteur souligne la richesse lexicale désignant les flottes et les navires saxons, tout en déplorant que celle-ci corresponde plus à une volonté pour les auteurs de varier les termes que de refléter une réalité historique. Le nombre très variable de navires mentionnés – même si la première arrivée est généralement associée au chiffre 3 – pourrait avoir un rôle symbolique : les cinq débarquements décrits par la Chronique anglo-saxonne renverraient par exemple aux récits d’origine de cinq royaumes. Dans cet article particulièrement riche et suivant une structure claire, l’auteur propose un modèle de transmission de ces mythes des origines, qui ont progressivement formé le cœur de cette tradition de l’aduentus Saxonum, depuis l’intervention de Vortigern jusqu’à la fondation de royaumes sur l’île.

7Dans « There and Back Again : Otherworld voyages across the Irish Sea », Krista R.L. Kapphahn analyse les motifs développés dans le poème gallois Le Butin d’Annwn (Preiddeu Annwn), qui retrace un voyage d’Arthur et du poète Taliesin vers une île merveilleuse d’où le souverain doit rapporter un otage, un chaudron et un bœuf. L’auteur rappelle que ce motif du voyage vers un Autre monde insulaire – parfois assimilé à l’Irlande – est courant dans la littérature galloise. L’otage à délivrer, nommé Gwair, permet notamment de tracer des liens narratifs entre le poème et Culhwch ac Olwen. Ce personnage apparaît comme un avatar de Perséphone, faisant de son sauvetage par Arthur un véritable défi lancé à la nature. Le chaudron renvoie quant à lui aux Treize Trésors de l’île de Bretagne, et appartient à une double tradition galloise et irlandaise, notamment perceptible dans la Seconde Branche du Mabinogi. Bien qu’il ne soit pas listé de façon explicite, le bœuf est évoqué indirectement et reprend à son tour un motif bien connu, en particulier via Culhwch ac Olwen. Cet épisode fait écho à la pratique courante de raids de vol de bétail dans l’intronisation des rois irlandais (creach rígh), et souligne une nouvelle fois les liens entre les traditions irlandaise et galloise. L’auteur conclut cet article en rappelant que ce sujet nécessite encore des recherches approfondies.

8Charlotte A.T. Wulf, dans son article « Arthur’s Channel Crossing : In Geoffrey of Monmouth’s Historia and in Related Chronicles », analyse l’épisode de la traversée de la Manche par le roi Arthur dans l’Historia Regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth, le Roman de Brut – et ses différents manuscrits – de Wace et le Brut de Layamon, afin de mettre en évidence l’objectif de chaque auteur. Dans l’Historia, la traversée d’Arthur est précédée de plusieurs autres, notamment celle de Jules César et de Hoel, neveu d’Arthur. Wace, qui a lui-même effectué cette traversée, semble disposer de grandes connaissances navales, tandis que Layamon montre moins d’intérêt pour cet espace d’entre-deux. À la suite du texte de Geoffroy, les auteurs ajoutent de nombreux détails concernant ces trajets maritimes, en particulier en ce qui concerne les ports de départ et d’arrivée qui varient parfois d’un manuscrit à l’autre : revenant de Gaule pour affronter Mordred, Arthur accosterait alors à Richborough, Sandwich, Romney ou encore Totnes, port fréquemment cité dans l’Historia. Après une étude de différents passages issus de ces trois textes, l’auteur conclut sur l’idée que Geoffroy privilégie l’éducation du peuple breton par la dénonciation de l’absurdité des affrontements fratricides ; Wace conçoit un texte vif et divertissant ; et Layamon semble rechercher un équilibre entre ces deux perspectives en instruisant par le divertissement.

9Le riche article « Arthur s’en va-t-en guerre : expéditions navales dans les romans arthuriens en vers des xiie et xiiie siècles » de Michelle Szkilnik est consacré aux rares mentions des traversées maritimes dans les textes arthuriens de cette période, en s’appuyant sur notamment le Roman de Brut, Cligès, Meraugis de Portlesguez et Floriant et Florete. Selon l’auteur, la nature même de l’idéal chevaleresque limite les combats navals, ne serait-ce que par l’importance des affrontements à cheval, et parce que l’honneur du héros défend d’attaquer un adversaire en position d’infériorité – par exemple suite à un éprouvant voyage en mer et lors d’un débarquement. Dans ce corpus, les épisodes maritimes n’apparaissent que de façon fragmentée : préparation de la flotte, départ et débarquement sur le rivage, sans que la traversée elle-même ne soit mentionnée. Les embarcations évoquées ne sont alors que des moyens de transport, dont le nombre peut certes servir à souligner la puissance du roi, mais le plus souvent elles ne constituent pas des lieux d’affrontement pour les personnages héroïques. Enfin, l’étude des termes à la rime souligne l’association attendue entre « terre » et « guerre », tandis que « mer » est rapproché de « amer » (pénible, mais aussi aimer), ouvrant ainsi d’autres perspectives narratives. L’article analyse donc les raisons et les enjeux de cette absence dans la littérature arthurienne en vers, et suggère la possibilité d’étendre cette étude aux romans en prose.

10Dans « Le mythe d’Arthur et la conquête anglaise des côtes galloises (fin du xiiie siècle) : Du roi légendaire au roi colonisateur », Frédérique Laget s’intéresse aux forteresses côtières anglaises bâties au cours des deux guerres de Galles. Après un rappel des grandes étapes du rattachement du Pays de Galles à l’Angleterre, d’abord par des conflits armés puis par des processus d’assimilation, l’auteur s’interroge sur le rôle symbolique et colonial de ces constructions. Les châteaux reprennent des éléments architecturaux issus de Rome ou de Constantinople, et renvoyant à la geste arthurienne. Ces références s’adressent à une élite aristocratique et culturelle. La propagande menée par Édouard Ier sur toute l’île, à l’aide des chroniqueurs, de « découvertes » et de processus semblables à ceux utilisés auparavant par les Plantagenêt, contribue à identifier le souverain à Arthur, et légitime ainsi sa position au Pays de Galles. Les châteaux anglais, empruntant également leurs matériaux aux constructions galloises de la région, impressionnent par leur taille et leur ornementation. Leur emplacement côtier, en plus de servir une fonction stratégique d’approvisionnement, contribue à cette image glorieuse et fait écho aux forteresses évoquées dans la littérature arthurienne. Selon l’auteur, la domination anglaise de l’époque est ainsi traduite d’un point de vue architectural et idéologique par ces constructions établies en Galles sous l’autorité d’Édouard Ier.

11Le long article « La traversée de la Manche et les campagnes militaires d’Arthur sur le continent dans l’iconographie des manuscrits de la Suite Vulgate du Merlin (xiie-xve siècle) » par Irène Fabry-Tehranchi propose d’étudier le « motif outil », fréquemment illustré, du voyage entre la France et la Grande-Bretagne. L’article insiste sur trois épisodes repris par l’iconographie médiévale : le retour des fils du roi Constant en Bretagne, l’alliance entre Arthur et les rois continentaux, et enfin la traversée du prince Sagremor jusqu’à la cour arthurienne. Lors des rares mentions des traversées maritimes, des techniques d’entrelacement sont employées afin de passer dans la narration d’un groupe de personnage – et d’un lieu et d’un temps – à un autre, et créent ainsi un effet de durée. Les illustrations de ces épisodes sont génériques, mais tendent à rappeler la position dominante d’Arthur ainsi que l’importance du rôle politique de Merlin dans la consolidation du pouvoir arthurien. Un point de détail, que l’on aurait souhaité voir développer, porte sur les couleurs et les motifs des voiles. Si l’article, étant donné son approche iconographique, est accompagné en annexe de quatorze reproductions de détails de manuscrits, on regrettera que pour des raisons pratiques seules quatre de ces illustrations soient proposées dans le cahier couleur, alors que des analyses de couleurs et d’éléments héraldiques pertinentes sont menées dans le cœur de l’article.

12Anne-Cécile Le Ribeuz-Koenig, dans « Guerre et mer dans Ysaïe le triste, roman arthurien tardif : entre enjeu littéraire et enjeu historique », établit un lien entre les épisodes guerriers et maritimes d’une part, et d’autre part le contexte historique des années 1338-1369. L’article étudie ces épisodes sous trois angles complémentaires : littéraire, iconographique et historique vis-à-vis de la guerre de Cent Ans. Le roman s’inscrit dans la lignée des textes épiques et arthuriens, mais se situe dans un monde de déclin de la chevalerie suite à la disparition d’Arthur. Les traversées y sont variées : quête de secours, croisade sarrasine, aventures amoureuses, etc. Comme dans nombre d’autres manuscrits arthuriens, les illustrations séparent les représentations maritimes des représentations guerrières, ce qui empêche une étude approfondie de ce motif dans les enluminures. L’auteur propose ensuite une analyse topographique et onomastique, et revient notamment sur une étymologie supposée de Boulogne – ville où s’est déroulé le colloque dont sont issus ces actes. Ysaïe le triste semble établir des parallèles avec son cadre spatio-temporel de conception, avec des renvois à des noms de lieux, de personnages historiques et d’épisodes de la guerre de Cent Ans, listés ici. Cette œuvre est ainsi l’occasion de rappeler la dimension navale de ce conflit, passée ici au prisme des codes narratifs du roman.

13L’ouvrage effectue alors un saut dans le temps, avec une analyse d’œuvres médiévalistes qui complète celle de productions et d’événements médiévaux. Dans « Transmarine campaigns by the ‘historical’ Arthur : Trends in modern fiction », Howard M. Wiseman explore vingt-neuf fictions historiques arthuriennes publiées entre 1898 et 2008 – dont sa propre œuvre de « quasihistory ». À travers une approche statistique éclairante quoique complexe – tableaux et graphiques à l’appui –, l’auteur montre que dans ces réécritures contemporaines comme dans les sources médiévales, les épisodes guerriers restent le plus souvent distincts des épisodes maritimes. Bien qu’aucune bataille navale ne soit présentée, les œuvres décrivent toutefois des traversées à visée martiale, dont la fonction varie et dont le nombre augmente tout au long de la seconde moitié du xxe siècle. L’article s’attarde ensuite sur la portée de ces épisodes, montrant un véritable effet de tendance des fictions historiques arthuriennes les unes sur les autres, et soulignant le rôle essentiel de l’influence de travaux d’historiens contemporains tels que Geoffrey Ashe. Les motifs des auteurs dans la représentation croissante de ces épisodes maritimes sont listés – éloigner Arthur de Mordred, intégrer un avatar de Lancelot à l’intrigue, décrire la quête d’un objet mythique – et s’ajoutent aux raisons diégétiques de ces traversées, qui parfois se cumulent : devoir, loyauté, nécessité, gloire et opportunité (politique ou personnelle). L’auteur conclut en s’interrogeant, de façon attendue, sur l’avenir de ce double motif maritime et guerrier dans la fiction historique.

14Véronique Favéro est la seule ici, dans son article « La Bataille d’Avalon : enjeux et modalités d’un combat naval arthurien dans Morgane de Michel Rio », à étudier l’une des rares batailles navales du long corpus arthurien, menée par Morgane contre Claudas – bien que l’analyse de la bataille en elle-même n’occupe en réalité que le dernier tiers de l’article. L’auteur se concentre d’abord sur Avalon en tant que place forte naturelle et espace autarcique, où la mer et la terre semblent déjà s’affronter pour donner naissance à une île à la géographie précise mais adaptée aux besoins des personnages. L’île est ensuite décrite par l’auteur comme un lieu sacré, qui protège mais aussi qu’il convient de défendre contre les attaques extérieures : lorsque Claudas envoie une flotte à la poursuite de la barque de Viviane, qui fuit vers Avalon en emmenant le jeune Lancelot qu’elle tente de protéger, Morgane défend à la fois son île et la nouvelle venue. L’article analyse le déroulement de la bataille en insistant sur la gradation dans le nombre de bateaux ennemis et sur la précision tactique et scientifique de la défense orchestrée par Morgane, lesquels éléments remplacent la dimension merveilleuse traditionnellement associée au personnage. Cette étude s’achève sur le rappel des enjeux diégétiques de cette bataille sur les rivages d’Avalon, largement remportée par Morgane.

15L’article « Arthur et la mer : La guerre navale (enfin) intégrée dans la stratégie – le cas de l’Arthuriad de Frederick Lees » de Marc Rolland s’intéresse lui aussi à une réécriture « historisante » de la geste arthurienne, qui se présente comme les mémoires du jeune fils d’Arthur, Cadfan-Catumandus. Cette œuvre publiée en 1996 se distingue des autres récits similaires de cette période en délaissant partiellement des thèmes attendus, tels que le merveilleux et les stratégies martiales, et en valorisant au contraire la place du contexte marin. La fortification du littoral et les épisodes navals occupent une place essentielle dans le projet arthurien, bien que le roi n’entretienne pas de lien émotionnel particulier avec cet espace. Plus qu’un simple lieu de passage, la mer est reconnue pour sa valeur stratégique, même si elle conserve son double rôle traditionnel de trait d’union et de barrière. Dans cette réécriture qui innove par des subtilités plus que par une complète altération des thèmes et des personnages de la légende, la mer peut être perçue, selon l’auteur de l’article, comme un élément qui précipite la tragédie arthurienne, avant même la disparition du corps du roi : suite à des mauvais choix de navigation, la flotte d’Arthur fait naufrage et ce sont les rumeurs de la mort du souverain qui poussent – cette fois, comme toujours – son fils Medraut à revendiquer le pouvoir. Entre tradition et réinvention, The Arthuriad offre ainsi un souffle nouveau à l’association entre mer et guerre dans les romans historiques arthuriens.

16Dans « L’amiral, la prêtresse et la mer : La défense de l’île de Bretagne dans Lady of Avalon de Marion Zimmer Bradley », Carine Giovénal souligne de façon poétique le rôle maritime du personnage de Carausius, qui devient dans la réécriture bradléenne un avatar arthurien bien avant l’avènement du souverain. L’auteur de Lady of Avalon reprend l’image traditionnelle de la mer comme espace de seuil, en insistant sur le caractère merveilleux que l’élément aquatique confère aux îles d’Avalon et de Bretagne. Figure historique considérée comme un usurpateur, Carausius apparaît ici comme le héros marin couronné qui doit s’associer à la puissance de la Dame d’Avalon pour pouvoir défendre son royaume – avant de mourir comme il est apparu : en mer. L’article analyse ensuite la construction cyclique de la série The Mists of Avalon et les processus de réincarnation du Défenseur, dont Carausius et Arthur. Chaque fois, l’eau revient pour encadrer et structurer la vie du héros par sa présence à la fois mouvante et atemporelle.

17L’article « Du Dux bellorum à la figure druidique : Arthur, la mer et la guerre (ou pas) dans Excalibur de Claudine Glot et Marc Nagels et Le Roi Arthur de Michael Morpugo » rédigé par Isabelle Olivier revisite la dimension épique d’Arthur ainsi que le motif de son départ pour Avalon, en montrant le rôle occupé par la mer dans la caractérisation du personnage du souverain. L’auteur étudie d’abord le roman Excalibur, premier tome de la trilogie La Légende arthurienne, où la mer est un lieu de dangers qui permet la venue d’envahisseurs barbares. À cette représentation épique de l’élément aquatique s’oppose celle développée par Michael Morpugo, qui privilégie la vision onirique et mythique de la mer. Ici, Arthur vit reclus dans une grotte sous-marine et prend lui-même en charge le récit de son règne auprès d’un garçon qu’il a sauvé de la noyade – lequel est le héros principal et une figure d’identification pour le jeune lecteur. L’article est également complété par un bref rappel du motif traditionnel d’un Arthur vieilli et sage, transmettant les leçons tirées de sa vie à un jeune garçon qui prend alors en charge une partie de sa postérité – peut-être conviendrait-il d’y voir, plus encore qu’un schéma druidique, un renvoi direct aux questions de mémoire et d’héritage telles qu’elles apparaissent bien souvent dans la littérature de jeunesse, et notamment dans une structure similaire chez T.H. White. La confrontation de ces deux exemples de réécritures contemporaines donne à voir la malléabilité du thème maritime dans la représentation d’Arthur et dans les enjeux de son pouvoir, le tout soulignant une fois de plus l’art de la transmission à l’œuvre dans la geste arthurienne.

18Juan Miguel Zarandona, dans « Sea, peace and war in Harold Foster’s early Prince Valiant comic strip (1937-1949), or, the establishment of an iconic symphony of meanings », insiste sur l’importance iconographique conférée au cadre maritime dans les aventures dépeintes par Prince Valiant in the Days of King Arthur (1937), laquelle fait écho à la valorisation générale de la nature dans les œuvres d’Hal Foster. L’auteur de l’article s’intéresse plus particulièrement aux années 1937-1949, au cours desquelles Vaillant parcourt tous les continents. Ses aventures débutent régulièrement par un danger issu de la mer, qu’il s’agisse d’une mer déchaînée, de pirates ou d’envahisseurs dont les navires accostent sur l’île de Bretagne. Ces moments alternent avec des instants de navigation paisible sur mer ou rivière, où les eaux calmes reflètent la mentalité du héros. La mer changeante est chaque fois l’opportunité de nouvelles découvertes, comme le décrit abondamment l’article en résumant les treize premiers volumes de la série. L’auteur souligne ensuite l’harmonie – au sens musical du terme – qui se dégage de l’association esthétique entre la mer et la guerre, qui suit une organisation précise et cyclique telle une symphonie jouant avec ses motifs musicaux. Le caractère extrêmement répétitif des premiers volumes de Prince Valiant est ainsi perçu sous un jour positif. Dans cette étude, c’est surtout la mer qui est l’objet de toutes les attentions, tandis que la guerre devient un simple marqueur temporel – les temps de paix s’opposant simplement aux temps de conflit armé. On regrettera enfin que dans cet article à la perspective esthétique et iconographique aucune illustration extraite de Prince Valiant ne soit proposée en annexe.

19Une brillante conclusion synthétique de Martin Aurell achève l’ouvrage et rappelle l’intérêt essentiel pour la recherche médiévale des liens entre histoire et littérature. La conclusion s’articule en trois parties thématiques et chronologiques – histoire, légende et postérité des réécritures – reprenant les principales approches privilégiées dans ces actes de colloque : « des invasions germaniques à la conquête du Pays de Galles » ; « le roman arthurien en vers et en prose » ; et « roman historique et heroic fantasy ». Ces dernières pages retracent non seulement les parcours proposés dans les articles qui précèdent, mais également l’évolution plus large de la geste arthurienne et du rapport que nous entretenons avec ce riche héritage. Cette « navigation » diachronique au gré des guerres maritimes du roi Arthur se clôt ainsi sur cette malléabilité de la matière de Bretagne, dont un nouvel axe de recherche semble avoir été ici mis au jour.

20Étant donné la précision du sujet et le nombre limité de sources mentionnant des contextes à la fois guerriers et maritimes dans la geste arthurienne, les articles de cette publication ont tendance à se répéter de façon ponctuelle, notamment lors de passages de contextualisation et dans le renvoi aux premiers textes arthuriens. Cette approche ciblée permet toutefois d’étudier la question traitée à travers différentes perspectives qui souvent s’avèrent complémentaires – en particulier vis-à-vis des études linguistiques, iconographiques et historiques, qui s’appuient en grande partie sur les sources littéraires médiévales. Cet ouvrage, clairement conçu comme un outil scientifique aisément manipulable, a enfin le mérite d’aborder un croisement thématique jusqu’ici presqu’entièrement ignoré, et de proposer nombre d’interprétations et de pistes pertinentes. Il atteint ainsi remarquablement son objectif de « sortir de l’ombre la dimension navale du roi Arthur ».

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Pour citer cet article

Référence électronique

Justine Breton, « Arthur, la mer et la guerre, Paris, Classiques Garnier, 2017 »Perspectives médiévales [En ligne], 40 | 2019, mis en ligne le 01 janvier 2019, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/peme/18447 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/peme.18447

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Auteur

Justine Breton

Université de Picardie-Jules Verne

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