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Essais

Huguette Legros, Silvia Fabrizio-Costa, La sainteté au féminin. Du Moyen Âge à l’Âge baroque, Cabourg, Cahiers du temps, 2015

Marie-Geneviève Grossel
Référence(s) :

Huguette Legros, Silvia Fabrizio-Costa, La sainteté au féminin. Du Moyen Âge à l’Âge baroque, Cabourg, Cahiers du temps, 2015, un volume de 160 p. et un CD-ROM.

Entrées d’index

Mots clés :

femme, sainteté

Keywords:

sanctity, woman

Parole chiave:

donna, santità

Index des modernes :

Artemisia Gentileschi
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Texte intégral

1D’emblée, ce livre se présente comme un OLNI (« objet à lire non identifié »), qui se veut « vulgarisateur » – offert au grand nombre des honnêtes gens – sans le céder en rien pour la rigueur scientifique. Mais, comme objet-livre, cet OLNI a déjà subi l’épreuve du public, puisqu’il appartient à un cycle de conférences, articulées autour de l’exploration de thématiques précises et prononcées devant les membres de la Société des Amis des Beaux-Arts de Caen. Le cadre particulier où ce sujet avait été, tout d’abord, traité, explique que le texte s’accompagne d’un CD-ROM, offrant à regarder les images qui illustrèrent le discours. Si une telle entreprise relevait un peu de la gageure, disons tout de suite que le résultat est convaincant.

2Pour incarner ici la sainteté, une femme particulière, très typique de la spiritualité médiévale, a été retenue, Marie-Madeleine, dont nous est proposée une analyse en triptyque : Huguette Legros a écrit le premier chapitre « Marie-Madeleine au Moyen Âge, lecture d’un mythe (ixe-xivsiècles) ». Silvia Fabrizio-Costa prend la suite chronologique pour le second chapitre, « Marie-Madeleine, naissance d’un personnage (xive-xviisiècles) ». Enfin, la troisième étude, traitée par Huguette Legros, remet en contexte la sainteté féminine que Marie-Madeleine illustre (ve-xvsiècles). Un index et un glossaire closent l’ouvrage. Chacune des parties dispose d’un diaporama pour appuyer le texte par l’illustration avec son commentaire.

3Marie-Madeleine peut être dite personnage mythique dans la mesure où elle est une figure créée à partir de plusieurs personnages qu’évoquent les Évangiles : on rencontre d’abord la femme dont Jésus a chassé sept démons (Luc 8. 1-3). Cette Magdaléenne et quelques autres femmes accompagnent le Christ au Calvaire, Marie de Magdala enfin est l’une de celles qui viennent au tombeau pour les soins du corps après le repos du sabbat, et celle à qui le Christ-se révèle, le même matin, sous les traits du jardinier.

4Marie de Béthanie, sœur de Lazare et de Marthe, apparaît en Jean 12 (1-8) pour répandre un nard très coûteux sur les pieds ou sur la tête du Christ. Dans les Évangiles de Marc 14 (3-9) et Matthieu 26 (6-13), cette myrophore est anonyme et la maison de Simon le Lépreux où s’accomplit l’onction n’est pas localisée. Chez Jean, la myrophore est ainsi identique à celle « qui a choisi la meilleure part » – image de la perfection monastique pour tout le Moyen Âge – et à celle qui fut présente lors de la résurrection de Lazare. Les hommes du Moyen Âge, volontiers syncrétiques, ont opéré une fusion de ces trois (ou quatre) figures féminines que les Évangiles présentaient d’une façon assez confuse ; la critique religieuse depuis les temps modernes a choisi à l’inverse de les dissocier ; l’étude menée dans La sainteté au féminin, une fois énoncé cet état des faits, ne s’attarde pas inutilement sur notre époque, mais cherche quel sens la spiritualité du Moyen Âge donna à cette figure très représentative.

5Grégoire le Grand fut le premier à soutenir que la Magdaléenne et la maîtresse de maison de Béthanie étaient une seule sainte. La figure de Marie-Madeleine apparaît dès lors polymorphe, elle peut être interprétée comme symbole de l’Église, l’onction devenant celle de l’Esprit, chacun de ses gestes est l’objet d’une explication allégorique. Augustin offre une lecture plus morale : pécheresse qu’a sauvée son repentir, Madeleine va glisser de la peccatrix à la meretrix, le personnage n’en symbolisera que mieux la conversion toujours offerte et l’obtention du salut dans la pénitence. Par sa « personnalité magdaléenne », elle gagnera le rang d’apôtre, premier témoin de la Résurrection et son annonciatrice auprès des disciples. On voit qu’en cette femme multiple pouvait s’incarner une image très riche de la sainteté au féminin.

6Huguette Legros note, à cette étape de l’analyse, que, pour autant, la sainte ne connaissait pas encore la ferveur populaire. L’annonçaient déjà sa présence dans les premiers Ludi (le fameux Quem quaeritis ?) et l’attestation, du viie jusqu’au xisiècle, de sanctuaires qui possédaient ses reliques. Mais la gloire médiévale de Marie-Madeleine s’attache à deux noms : Vézelay et la Sainte Baume. L’étude offre une énumération fort intéressante de la floraison des Vitae où peu à peu la sainte acquiert sa stature définitive. Le culte de Madeleine s’inscrit exactement dans les grands mouvements du temps : elle est liée à l’appel érémitique, à la nostalgie des « temps premiers » du christianisme, elle convertit les terres provençales où elle finit sa vie. Ces détails qui la rapprochent de bien d’autres vitae s’ajoutent à sa propre conversion, à son rôle apostolique, à la place éminente qu’elle acquiert désormais au plus près du Christ

7L’étude nous rappelle enfin que, des deux « lieux » qui se disputèrent longuement les reliques, la Bourgogne sortit vaincue ; Madeleine appartint dès lors toute à la Provence.

8Il est intéressant de suivre l’évolution du culte de la sainte à la lumière de son iconographie : parfois ascète nue à la chevelure immense, Madeleine est avant tout sainte de l’effusion qui enlace le bas de la croix ; ses mains, souvent posées sur les pieds du mourant, rappellent l’autre représentation retenue, le Noli me tangere du matin de Pâques. Madeleine y est l’orante aux yeux extasiés levés vers le Christ mort, vers le Christ vivant ; elle est au Jardin la fiancée du Cantique, elle substitue à la figure de la femme maudite, cause de l’exil, celle du pardon et du salut recouvré.

9Silvia Fabrizio-Costa part du best-seller que fut la Légende dorée, et souligne que la cohésion de la figure médiévale se rompt dès le xvisiècle. Avec les mêmes motifs consacrés, larmes, vase de parfum, luxuriante chevelure, la sainte devient autre, ce qu’illustre particulièrement le domaine figuratif. Le refus du merveilleux et une foi désormais plus austère n’empêchent nullement une vision beaucoup plus humaine de Madeleine dont la féminité s’affirme et parfois s’étale dans sa beauté martyrisée, représentation qui nourrit secrètement une complaisance quelque peu luxurieuse. L’étude évoque ici la vie et l’œuvre d’Artemisia Gentileschi, artiste peintre à une époque dure et violente de la suprématie masculine ; les héroïnes mythologiques ou bibliques qu’Artemisia peint assument ainsi dans leur beauté charnelle leur « affirmation d’un droit à l’existence ». Les femmes fortes et rayonnantes qui sont représentées deviennent une mise en forme d’un langage des émotions féminines. Madeleine, penchée rêveuse sur son miroir, y représenterait la féminité déchirée entre la pureté impossible et la sensualité acceptée, et peut-être la nostalgie de la « meilleure part ».

10La dernière partie de cette étude sur la sainteté féminine brosse un vaste panorama de son histoire du ve au xvsiècle où se pose la question : « Peut-on, en étant femme, devenir sainte ? » Pas moins que les hommes les femmes furent martyres, même si on leur réservait des supplices très particuliers, du viol au lupanar, avec un attrait sadique pour la mise à mal de leur corps. Néanmoins elles sont force dans la faiblesse et d’autant plus admirables. Mais leur résistance et leur maîtrise de la parole sont de fait a-normales.

11La nature de la femme, enfermée dans le rôle d’épouse et de mère, nécessite l’activité sexuelle, objet de grande méfiance. Les reines, qui convertissent leurs époux païens, outre leur fonction charitable spécifique, accomplissent leur sainteté par le retrait du monde dès que cela leur est possible. Mais au xiisiècle, la théologie du mariage revalorise le rôle des laïcs, partant celle des femmes. Certes, c’est l’état religieux qui reste le plus souvent le lieu où les femmes mènent jusqu’à la sainteté leur ferveur religieuse. Certaines toutefois furent d’abord mariées avant de parfaire leur dévotion dans le veuvage, sans renier l’amour pour l’époux disparu (Élisabeth de Hongrie) ; d’autres passèrent au mariage blanc et vécurent en couple leur spiritualité (Marie d’Oignies) ; d’autres furent visionnaires ; enfin elles se rassemblèrent dans des béguinages, une forme de vie religieuse tout-à-fait insolite. Elles comptent surtout d’admirable mystiques, telle Catherine de Sienne : les femmes accèdent alors à un langage nouveau où se déroulait en tous ses fastes la parole féminine, volontiers lyrique : « filles d’Ève et de Marie, disciples et amantes », mais toujours « cœurs d’amour épris ».

12La promenade au milieu des illustrations éclaire avec bonheur ces diverses images de femmes au fil desquelles le livre a déployé ses analyses. On saura gré pour finir aux deux écrivaines d’avoir réussi cette synthèse claire et aisée qui ne peut que plaire aux lecteurs visés – et aux autres : ils souhaiteront sûrement d’autres OLNI.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marie-Geneviève Grossel, « Huguette Legros, Silvia Fabrizio-Costa, La sainteté au féminin. Du Moyen Âge à l’Âge baroque, Cabourg, Cahiers du temps, 2015 »Perspectives médiévales [En ligne], 40 | 2019, mis en ligne le 01 janvier 2019, consulté le 15 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/peme/18305 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/peme.18305

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Auteur

Marie-Geneviève Grossel

Université de Valencienne

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