Sommes-nous grecs antiques ou latins médiévaux ?
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Index des médiévaux et anciens :
Pétrarque, Isidore de Séville, Pline l’Ancien, Cicéron, Marie de France, Chrétien de Troyes, OvideŒuvres, personnages et lieux littéraires :
Art d’aimer, Brutus, Chanson de Roland, Cligès, Game of Thrones, Harry Potter, Kaamelott, Trône de ferIndex des modernes :
Gustave Flaubert, Pierre Hadot, Nicolas Boileau, Étienne Gilson, Ernst Robert Curtius, Jean Frappier, Richard Wagner, Joseph Bédier, T.S. Eliot, Ezra Pound, Le Corbusier, Michel Onfray, Amin Maalouf, Jean Seznec, Rémi BragueTexte intégral
- 1 L’histoire de nos visions du Moyen Âge, esquissée dans cette contribution, est développée dans un l (...)
1La question de notre rapport au Moyen Âge est un problème politique au sens le plus large du terme ; elle met en jeu notre sentiment d’appartenance à un certain type de communauté humaine en interrogeant notre lien au passé, notre sentiment du présent et nos perspectives sur l’avenir1.
2De fait, aucune autre époque de l’histoire n’a provoqué, ces cinq derniers siècles, en Occident, de réactions plus passionnées que le Moyen Âge : souvent négatives, même chez ceux qui ont fait profession de le défendre, elles ont laissé des traces sur les consciences et les mentalités et alimentent aujourd’hui encore un nœud de discussions majeur de la réflexion historique.
3Certes, le degré d’« humanité » et d’« évolution » relatives des Néanderthaliens et des Cromagnons focalise un débat nourri, et la question de la construction des savoirs et des rapports entre civilisations dans l’Antiquité n’est pas près d’être résolue, mais dans l’ensemble on s’accorde sur l’axiologie à donner aux premiers millénaires de l’histoire occidentale : de l’aube des temps à l’Empire romain, aucune stagnation embarrassante, aucune régression significative, aussi avérées qu’elles puissent être, ne vient provoquer chez nous le sentiment d’un danger et d’une perte irréparable pour le monde d’aujourd’hui. Il y a bien des empires qui se sont étiolés (l’Egypte pharaonique), se sont écroulés (l’Assyrie) ou ont même disparu en ne laissant à peu près aucune trace (le Mitanni), il y a certes eu des contrées qui ont connu des trous noirs (la Grèce archaïque succédant à l’époque mycénienne), mais aucun de ces « ratés » de l’histoire ne parvient à provoquer en nous plus que d’assez fugitifs regrets : nous en savons trop peu sur la civilisation minoenne pour que le sort de la Grèce du Xe siècle avant notre ère nous attriste durablement. Surtout au regard de la civilisation dont cette dernière a accouché cinq siècles plus tard !
- 2 Gustave Flaubert, lettre du 8 septembre 1871 à George Sand.
4Avec l’Athènes de Sophocle et de Socrate, toutefois, tout change. Il serait sans doute sage de nous en tenir au jugement pondéré de Flaubert qui voyait simplement dans les « temps de Périclès ou de Shakespeare, [des] époques atroces où on a fait de belles choses2 ». Mais beaucoup, aujourd’hui encore, ne l’entendent pas de cette oreille. Avant de s’interroger sur le statut du Moyen Âge dans les discours d’aujourd’hui, il conviendrait, en effet, peut-être d’évoquer l’image qu’une grande partie des intellectuels et des politiques continue de se faire du siècle de Périclès : négligeant l’esclavage, le racisme satisfait, la xénophobie triomphante, la relégation des femmes, les ravages de la démagogie, les excès totalitaires de l’ostracisme et (pourquoi pas ?) le spectre de la peste, nombre de voix autorisées continuent de perpétuer le mythe de l’idéal civilisationnel du siècle de Périclès. On ne niera pas plus que Flaubert les « belles choses » qui ont ponctué l’apogée de la culture grecque antique, tant du point de vue de l’art que de la pensée politique et philosophique, et l’on admettra même que contribuer à les sauver de l’oubli est l’une des plus nobles missions que puisse se donner un intellectuel moderne. On sait pourtant que le savoir antique ne s’est lui-même pas longtemps maintenu à de telles hauteurs ; et ceux qui opposent comme le jour et la nuit Antiquité et Moyen Âge ont beau jeu de ne retenir, en réalité, de la première que ses meilleurs moments, tout en faisant du second un seul long bloc indistinct. Dans la mesure où les clichés nourrissent toujours des préjugés qui continuent de biaiser le débat public, il ne me paraît donc pas inutile de procéder ici à une petite archéologie de ces préjugés.
- 3 Voir Jacques Chomarat, « Erasme et le Moyen Âge », Dire le Moyen Âge hier et aujourd’hui, actes du (...)
- 4 Voir Jean-Daniel Morerod, « Le court moyen âge, instrument de datation et de critique littéraire (x (...)
- 5 Jacques Le Goff remarque judicieusement que le xixe siècle, en fixant la périodisation du Moyen Âge (...)
5On ne jugera certes pas trop sévèrement la Renaissance pour avoir renié les siècles qui l’ont immédiatement précédée : le meurtre des pères n’est pas toujours une réaction malsaine à l’immobilisme que l’on aime reprocher à nos prédécesseurs immédiats. L’histoire même du terme « Moyen Âge » montre d’ailleurs que le xve et le xvie siècle n’ont pas totalement méconnu le mérite des xiie, xiiie et xive siècles. Pétrarque, au xive siècle, utilisait déjà l’expression medium aevum pour désigner non tant les siècles qui l’avaient précédé, mais proprement son propre temps, qu’il jugeait étouffé (et depuis peu !) par la scolastique3. Cette expression sporadique de « Moyen Âge » ne fut reprise qu’au xvie siècle, dans un sens différent, que l’on attestera encore au xviie siècle, pour désigner la période allant du règne de Charlemagne, considéré comme ayant fait briller les derniers feux de l’Antiquité, à ce que nous appelons aujourd’hui la « Renaissance du xiie siècle », c’est à dire aux trois siècles que nous pouvons objectivement considérer comme les plus sombres du millénaire médiéval4. En fin de compte, l’extension définitive de l’appellation « Moyen Âge » pour désigner la période allant (refrain bien connu) « de la chute de Rome à celle de Constantinople » n’est pas antérieure au début du xixe siècle5, c’est à dire au moment où l’engouement du Romantisme pour la culture médiévale n’a plus pu se comprendre que sous les espèces d’une sorte de folklore inoffensif, objet, au mieux, de nostalgies, mais en aucun cas d’inspiration directe pour notre présent. Les Temps Modernes (au sens strict de la période allant de la Renaissance à la Révolution française) ont ainsi progressivement creusé un fossé infranchissable entre le Moyen Âge et nous, en projetant avec de plus en plus d’insistance sur l’Antiquité un certain nombre de leurs propres idéaux, dont ils se sont acharnés à dire le Moyen Âge complètement dépourvu, et en étouffant soigneusement les aspects plus positifs de la période médiévale.
- 6 Gaston Bachelard a bien montré dans La Formation de l’esprit scientifique, Paris : Vrin, 1938, que (...)
- 7 Voir Pierre Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique ?, Paris : Gallimard, « Folio Essais », 199 (...)
- 8 Voir Jean-Pierre Changeux, L’Homme neuronal, Paris : Fayard, 1983.
6Prenons l’exemple de la méthode expérimentale : en en faisant (progressivement d’ailleurs !6) l’un des fondements de la recherche scientifique, les Modernes ont poussé la modestie jusqu’à dire qu’ils ne faisaient en cela que suivre les savants antiques. Doit-on pourtant rappeler qu’une telle attitude, dans l’Antiquité, était bien davantage l’exception que la règle ? Le grand historien de la philosophie Pierre Hadot a bien souligné à quel point la quête aristotélicienne de savoir jurait avec l’idéal de sagesse qui domina toute la « recherche philosophique » jusqu’à la fin de l’Antiquité7. Globalement plus critique que le Moyen Âge, du point de vue philologique, comme en font foi les querelles des grammairiens d’Alexandrie ou les scrupules des historiens de l’Empire, l’Antiquité n’a par ailleurs que rarement su faire le tri entre les plus anciens auteurs dans les matières que l’on appellerait aujourd’hui « scientifiques ». C’est même – suprême ironie ! – l’acribie de leur esprit philologique qui poussera les successeurs d’Aristote, peu impressionnés par l’aspect expérimental de son travail, à ne considérer ses écrits sur la nature que comme une opinion parmi d’autres. L’histoire naturelle d’Isidore de Séville est certes misérable du point de vue de la science, mais celle de Pline, au ier siècle de notre ère, donc au soi-disant apogée de la civilisation antique, était déjà loin d’être aussi probante que celle d’Aristote. Même chez ce dernier, d’ailleurs, l’expérience rencontrait vite ses limites : sa physiologie est obnubilée par ses préjugés philosophiques et l’idée du cœur comme siège des sentiments est l’une des idées les plus néfastes au développement de la science que nous ait livrées le Stagirite8.
- 9 Voir Peter Brown, Genèse de l’Antiquité tardive, Paris : Gallimard, 1983.
- 10 En dépit de nombreux aspects vieillis ou trop unilatéraux, le fameux ouvrage d’Henri Pirenne, Mahom (...)
7En définitive, ce que l’opposition Antiquité-Moyen Âge recouvre presque toujours, c’est moins le contraste, purement chronologique, entre deux époques que celui, tout empirique, qui distingue deux conceptions du monde. Les spécialistes les plus avisés de l’Antiquité sont d’ailleurs aujourd’hui d’accord pour attribuer à une grande partie de la période antique, et en particulier à l’« Antiquité tardive » (dont les prodromes sont observables dès les origines du Christianisme9 et qui peut s’étendre jusqu’au règne de Charlemagne10) des grilles d’analyse que l’on croyait jusqu’ici réservées au « sombre » Moyen Âge. Qu’il soit donc entendu que cette appellation ne recouvrira dans les lignes qui suivront que la période de plein épanouissement (xie-xive siècle) de ce que recouvre généralement cette appellation dans l’histoire de l’Occident.
8Que l’époque moderne ait par ailleurs exalté les modèles d’écriture antique constitue un encore plus beau tour de passe-passe que l’escamotage de la part irrationnelle de la science antique : la querelle des Anciens et des Modernes n’éclate en effet en France qu’au moment où s’est constituée une littérature nouvelle prestigieuse et suffisamment éloignée de celle des premiers temps de la littérature vernaculaire ; de sorte que, même si, sur le moment, l’issue de la bataille a pu paraître indécise (un des plus illustres rejetons des Modernes, Boileau, ayant très paradoxalement pris parti pour les Anciens !), le xviiie siècle entérinera, de fait, le triomphe de la littérature la plus récente, héritière bien plus directe, mais renégate, des formes du Moyen Âge et de la Renaissance que de celles de l’Antiquité. Ces dernières ont en effet souvent été invoquées à contresens (et toujours avec cette curieuse modestie qui est elle-même un héritage direct de l’esprit médiéval !) pour justifier les créations les plus originales de la Modernité, telles la tragédie ou – cas encore plus frappant – l’opéra, inventé de toute pièce à Florence vers 1600 en invoquant une plus que nébuleuse filiation orphique.
9Que les condamnations les plus dures et les plus unilatérales du Moyen Âge datent du xviie et surtout du xviiie siècle (songeons à Voltaire !) n’a donc rien d’étonnant : c’est la proximité même des siècles médiévaux, et la peur de leur retour, qui ont poussé les Classiques à creuser l’écart. Et ce au nom d’une notion qu’ils ont tenté ici encore de rattacher à l’Antiquité : celle du Progrès. Cette captation est peut-être la plus insidieuse de toutes, car à tout prendre, on en trouvera sans doute des préfigurations plus probantes postérieurement plutôt qu’antérieurement au triomphe du Christianisme. Certes, Cicéron, dans le Brutus, brosse une histoire de l’éloquence romaine qui souligne les progrès conjoints de la langue et de la rhétorique au cours de l’histoire romaine, mais cette axiologie est à usage purement personnel : l’adversaire de César se soucie bien plus d’apparaître comme le plus grand orateur de la Rome antique que comme le fruit d’une évolution inéluctable !
- 11 Selon le mot souvent glosé de Bernard de Chartres : voir Jean de Salisbury (Ioannis Sarasberiensis) (...)
- 12 Marie de France, Prologue des Lais, v. 20.
- 13 Chrétien de Troyes, Erec et Enide, v. 23-26.
10En revanche, tous les grands prologues de la littérature du xiie siècle insistent sur le progrès des connaissances humaines et même sur le progrès moral qui peut en résulter. La critique moderne nous ressasse certes la formule des « nains sur les épaules des géants11 », mais cette protestation de modestie a au moins l’avantage d’éviter toute confusion entre éloge du progrès et apologie personnelle. D’ailleurs, outre qu’elle est contrebalancée par l’idée que nous pouvons voir « plus loin qu’eux [les géants] », soulignons que cette modalisation n’est explicite dans aucun prologue vernaculaire : Marie de France dit au contraire que les anciens « philosophes » savaient que leur successeurs seraient « plus subtils de sens12 », et Chrétien de Troyes prédira carrément à son premier récit (son propre nom prédestiné aidant) une durée égale à celle… du christianisme !13
11Enfin, décidément provocateur, le romancier champenois a osé, dans son deuxième roman, une remarque ironique qui a réussi à choquer un grand critique du xxe siècle. On se souvient en effet du magnifique tableau dressé par Chrétien de Troyes de la translatio (sous son double aspect studii et imperii) dans le prologue de son deuxième roman, Cligès ; après avoir montré que la culture et la gloire militaire avaient passé de Grèce à Rome, puis de là en France, il souhaite qu’elles « y restent désormais », geste classique de l’apôtre du progrès qui, tel Hegel, espère en incarner la dernière étape. Et il veut pour preuve de ses dire que :
- 14 Chrétien de Troyes, Cligès, v. 39-42.
[…] des Grezois ne des Romains
Ne dit an mes ne plus ne mains,
D’ax est la parole remese
Et estainte la vive brese14.
- 15 Étienne Gilson, Les Idées et les Lettres, Paris : Vrin, 1932, p. 184.
- 16 Ernst Robert Curtius, ; La Littérature européenne et le Moyen Âge latin [Europäische Literatur und (...)
12À Étienne Gilson, qui faisait du prologue de Cligès une expression de « l’humanisme médiéval15 », Ernst Robert Curtius répondait dans La Littérature européenne et le Moyen Âge latin, que cette appréciation ne tenait pas compte des derniers vers, qui représentaient pour lui « l’inverse d’une profession de foi humaniste16 ». Ainsi, après sept siècles, s’est-il encore trouvé des exégètes pour estimer subversive l’attitude du grand romancier champenois ! Qui croire dans ce débat ? Jean Frappier, dans son compte rendu de La Littérature européenne et le Moyen Âge latin, a, à son tour, stigmatisé l’attitude de Curtius, y décelant les partis pris foncièrement hellénisants et antiquisants de l’érudit allemand :
- 17 Jean Frappier, « E. R. Curtius et la littérature européenne », Revue de Paris (septembre 1957), p. (...)
Si prédominante soit-elle, la tradition gréco-latine ne suffit à expliquer ni la genèse ni tous les aspects des littératures médiévales. Le Moyen Âge a créé beaucoup plus qu’on ne pourrait le croire après avoir lu Curtius. Il n’a pas servi seulement de trait d’union entre l’Antiquité et les littératures modernes de l’Europe. Pour ne prendre qu’un exemple illustre entre tous, l’amour courtois dans son essence, ne saurait être assimilé aux préceptes d’Ovide et [de] son Art d’aimer, malgré des emprunts au texte latin. Au vrai, le Moyen Âge littéraire ne s’est jamais montré plus original que dans des œuvres écrites en vulgaire, dans les langues nationales. Curtius oublie trop le rôle fécond joué dans la formation de la littérature européenne par le lyrisme provençal, la chanson de geste et le roman français.
Est-ce parti-pris ? Excès, durcissement dans la défense de la thèse ? Avec une intime satisfaction Curtius se représente un humanisme non seulement continu, mais à peu près immobile durant des siècles17.
13Et Frappier de conclure son compte rendu par une formule qui ne manque pas de sel de la part de l’homme qui occupait la chaire de la littérature médiévale à la Sorbonne en Mai 68 :
- 18 Ibid., p. 115.
Il n’existe pas de culture sans tradition. Mais il arrive que les civilisations périssent par leurs mandarins18.
14L’opposition de Curtius et de Frappier nous amène à la formule qui fournit son titre à la présente contribution : malgré l’intitulé de son opus magnum, Curtius est un « Grec antique », je veux dire par là que, même si sa théorie évite la question généalogique, c’est bien à l’Antiquité qu’il fait remonter ses fameux topoï. Pour lui, et comme l’a bien vu Frappier, le Moyen Âge est conservateur plutôt qu’inventeur, d’où sa colère face à ce qu’on pourrait être tenté d’appeler l’« ingratitude » de Chrétien de Troyes. Le latin médiéval n’est pas premier, il est une étape dans la transmission du savoir ancien, une étape certes capitale, car c’est uniquement par lui qu’a pu être transmis l’héritage antique, mais il ne confère au Moyen Âge aucune prééminence ontologique, pire : il ne lui accorde aucune existence pour lui-même. D’où, encore une fois, l’insistance de Frappier sur la richesse de ce que, tout au contraire, selon lui, l’époque médiévale a inventé. On mettra donc le professeur français du côté des « Latins médiévaux », si l’on veut bien comprendre par là non le latin médiéval proprement dit, mais les « langues latines », qui ont servi de terreau à l’émergence des cultures nationales de l’Europe.
15Voilà explicités les termes de notre alternative. Du côté des « Grecs antiques », ceux qui trouvent l’unité de notre civilisation dans les principes censément universels légués par le siècle de Périclès ; du côté des « Latins médiévaux », ceux qui insistent sur les continuités qui relient le Moyen Âge à la civilisation occidentale d’aujourd’hui. De fait, à bien des égards, les alentours de l’an 1000 constituent un mur en-deçà duquel toute tentative de dessiner une généalogie des pratiques et des institutions d’aujourd’hui s’avère impossible : nos noms de familles ne semblent pas, pour les plus anciens, antérieurs au xie siècle, nos écoles restent tributaires de la mise en place au xiiie siècle de l’institution universitaire, le catholicisme que nous connaissons encore date de la réforme grégorienne, et nos délimitations territoriales trouvent leurs premières esquisses dans le démembrement de l’empire carolingien. D’un point de vue littéraire, l’histoire de notre poésie amoureuse et notre roman peut être retracée sans solution de continuité à partir de leurs premiers représentants médiévaux, qui certes ne naissent pas totalement de rien mais ne sont reliés que par des lignes brisées à la littérature qui les a précédés.
- 19 Voir Christian Amalvi, Le Goût du Moyen Âge, Paris : Plon, 1996.
- 20 Voir Alain Corbellari, Joseph Bédier écrivain et philologue, Genève : Droz, 1997, Charles Ridoux, É (...)
- 21 Voir Danielle Buschinger, Le Moyen Âge de Richard Wagner, Amiens : Presses du Centre d’Études médié (...)
- 22 Voir Joseph Bédier, Le Roman de Tristan et Iseut, éd. critique par Alain Corbellari, Genève : Droz, (...)
- 23 Je me permets de renvoyer à mon article « Le médiévisme est-il réactionnaire. ? Du “progrès” de not (...)
- 24 Voir Massimo Bacigalupo, « Pound et Eliot, deux rencontres différentes avec le Moyen Âge », La Trac (...)
16Le désavantage politique de la position « latine médiévale » saute cependant aux yeux : cette axiologie rend parfaitement compte des origines de l’Occident moderne, mais semble, par là même, manquer la vocation universaliste dont se targuent au contraire les partisans de la position « grecque antique » ; pour tout dire, la référence médiévale apparaît nettement « provinciale » et semble exposée à toutes les dérives du nationalisme et du repli identitaire. De fait, l’engouement romantique pour le Moyen Âge19 apparaît, à la lumière de cette constatation, dans toute son ambiguïté : à l’universalisme antiquisant des Lumières et de la Révolution (laquelle n’a pas pour rien fait le sort que l’on sait aux emblèmes de la Rome républicaine) a succédé une ère de rivalité patriotique qui, si elle a mené à l’indépendance de nombreux états, n’en a pas moins directement mené aux conflits nationaux qui ont ensanglanté le xxe siècle. Ainsi peut-on observer que la référence médiévale n’a cessé de se renforcer dans la culture européenne entre la fin du xviiie siècle et le milieu du xxe. Alors que certains observateurs superficiels pouvaient avoir l’impression que le grand élan romantique une fois passé, le goût du Moyen Âge s’affaiblissait dans le grand public, on le voyait en réalité gagner du terrain chez les savants : l’instauration de standards philologiques de plus en plus exigeants, l’entrée de l’ancien français dans les grandes écoles puis à l’Université20 en augmenteront l’aura encore plus sûrement que ne l’avait fait la remise en valeur des grandes figures historiques médiévales. La redécouverte de la Chanson de Roland d’Oxford en 1837 redonne à la France la grande épopée nationale vers laquelle elle soupirait depuis longtemps, mais au moment de la Guerre de 1870 ce sont encore ses vertus guerrières, plus que ses qualités littéraires, que l’on exalte. En Allemagne Wagner met le Moyen Âge au centre de toutes les préoccupations culturelles et politiques21, et avec le Tristan de Bédier, en 190022, la France redécouvre la littérature arthurienne, que l’Entente cordiale va lui permettre de partager pacifiquement avec les Anglais. L’apogée de la vogue du Moyen Âge se situe, finalement, pour toute l’Europe, durant l’entre-deux-guerres23 : les adaptations de textes médiévaux se multiplient, Eliot et Pound lui ouvrent la poésie la plus contemporaine24, mais cet imaginaire se commet en même temps, et sans la moindre retenue, avec les pires conceptions politiques. On aurait cependant tort d’assimiler unilatéralement le Moyen Âge des années 1930 à l’adjuvant des politiques réactionnaires. Le plus grand architecte de l’époque, à contre-courtant de cette image convenue, va ainsi utiliser la référence médiévale pour appuyer, au contraire, sa volonté de table rase :
- 25 Le Corbusier (Charles-Édouard Jeanneret-Gris), Quand les cathédrales étaient blanches, Paris, Plon, (...)
Quand les cathédrales étaient blanches, l’Europe avait organisé les métiers à la requête impérative d’une technique toute neuve, prodigieuse, follement téméraire et dont l’emploi conduisait à des systèmes de formes inattendues — en fait à des formes dont l’esprit dédaignait le legs de mille années de tradition, n’hésitant pas à projeter la civilisation vers une aventure inconnue. Une langue internationale régnait partout où était la race blanche, favorisant l’échange des idées et le transport de la culture. Un style international s’était répandu d’Occident en Orient et du Nord au Sud — un style qui entraînait le torrent passionné des délectations spirituelles : amour de l’art, désintéressement, joie de vivre en créant.
Les cathédrales étaient blanches parce qu’elles étaient neuves. Les villes étaient neuves; on en construisait de toutes pièces, en ordre, régulières, géométriques, d’après des plans. […]
Le monde nouveau commençait. Blanc, limpide, joyeux, propre, net et sans retours, le monde nouveau s’ouvrait comme une fleur sur les ruines. On avait tout quitté de ce qu’étaient les usages reconnus; on avait tourné le dos. En cent années, le prodige s’accomplit et l’Europe fut changée25.
- 26 Et on rappellera en passant que, tout artiste révolutionnaire qu’il était, Le Corbusier entretint t (...)
17On est tenté de dire que le Moyen Âge n’est ici pour Le Corbusier qu’un prétexte à dénoncer la frilosité de sa propre époque26. Mais sa vision ne rejoint-elle pas curieusement celle, citée plus haut, de Chrétien de Troyes ?
18Il n’en demeure pas moins que cette exaltation d’un Moyen Âge progressiste reste atypique, et on comprend dès lors que l’issue de la seconde Guerre Mondiale et l’avènement des Trente glorieuses aient provoqué une soudaine éclipse du tropisme médiéval : compromis avec le fascisme et des nationalismes que l’on entendait dépasser, celui-ci se voyait victorieusement opposer sa vieille adversaire, la référence grecque antique, qui, durant ces trente ans de progrès et d’utopie à tout crin redevenait pour ainsi dire la seule référence culturelle acceptable.
- 27 Que l’on me permette ici une anecdote personnelle : interviewé par un journaliste, peu après l’atte (...)
19La chance – ambiguë – du Moyen Âge a été la crise des années 1970, dont il est impossible même d’esquisser ici toutes les conséquences qu’elle a eues sur l’évolution de notre civilisation. Contentons-nous de rappeler, pour simplifier à l’extrême, que, depuis une quarantaine d’années, nous sommes entrés dans l’ère « post-moderne », ère de pluralisme exacerbé qui voit cohabiter des mouvements qui restent farouchement progressistes, mais cherchent difficilement leur voie entre écologie et néo-libéralisme, et d’autres tendances qui, entre anarchisme, nihilisme et hédonisme décomplexé, doutent du progrès sans forcément refuser tous les avantages du modernisme. Dans le melting pot de références dont se constitue une civilisation qui se prétend aujourd’hui « mondialisée », mais où les références occidentales restent – à l’évidence – dominante, le Moyen Âge a très vite récupéré une place enviable, heureusement marginale d’un point de vue idéologique (c’était néanmoins celle du terroriste norvégien Breivik27), mais omniprésente au niveau de l’industrie des loisirs et du divertissement.
20De ce retour de flamme les études universitaires ont pu largement bénéficier : les éditions courantes se sont multipliées, comprenant textes originaux et traductions, marquant ainsi un net progrès sur la pratique de l’entre-deux-guerres qui réservait les éditions savantes aux érudits et n’offrait que des adaptations au grand public. Par la mode des reconstitutions et des jeux de rôles grandeur nature, par le succès d’Harry Potter, du Trône de fer et de Kaamelott, le Moyen Âge et son imaginaire n’ont jamais été aussi proches de nous ; mais tout succès a son prix, et la rançon de cet engouement réside dans l’aplatissement des références culturelles qui en a résulté : nous pouvons lire Chrétien de Troyes aussi facilement que Balzac, mais notre idée du canon littéraire est en train de voler en éclats ; nous pouvons nous déguiser en chevalier du graal l’espace d’un week-end, mais nous avons toute latitude, le week-end suivant, de troquer cette défroque contre celle du gladiateur, du samouraï ou du martien. En fin de compte, on peut se réjouir que l’équation Moyen Âge = fascisme ne vienne (presque) plus à l’esprit de personne, mais on peut en même temps déplorer que le souvenir de ce que le Moyen Âge a pu apporter de positif à la construction européenne soit aujourd’hui dilué dans les usages ludiques des restes de cette période.
21Mais tout n’est peut-être pas aussi (désespérément) rose que cela. Revenons sur l’opposition des Grecs antiques et des Latins médiévaux. Au fond, ce serait tomber dans le piège complaisamment tendu par les premiers que d’acquiescer sans protester à l’équivalence Antiquité = Progrès / Moyen Âge = Régression. Je rappelais rapidement plus haut les quelques éléments qui donnaient raison à Flaubert lorsqu’il estimait que le siècle de Périclès était une « époque atroce ». Certes, la définition de l’homme proposée par l’Antigone de Sophocle, la maïeutique socratique, la beauté des frises du Parthénon, le pacifisme d’Aristophane, le goût athénien du débat public et celui, alexandrin, de la critique figurent incontestablement parmi ce que le passé a pu nous laisser de plus précieux. Mais sur d’autres points, le Moyen Âge peut en remontrer à la Grèce antique :
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- 28 Raymond Queneau est ainsi tout tremblant de faire part, dans un compte rendu des années 30, de cett (...)
- 29 Un exemple qui met en lumière la collusion du tropisme « grec antique » et de l’antichristianisme m (...)
l’esclavage y a entièrement disparu et le servage se résorbe presque entièrement au xive siècle. Certes les causes de cette disparition font encore débat. On y longtemps vu l’influence du christianisme, puis on a voulu lui substituer celle de l’amélioration des outils de travail (en particulier l’invention du collier de cheval28). Ici comme sur la plupart des autres points de cette petite liste, on constate d’ailleurs que le rapport au christianisme est essentiel : selon qu’on lui sera ou non favorable, notre vision du Moyen Âge sera changée du tout au tout. De fait, la position très négative et assez unilatérale des Lumières sur le fait religieux, qui résulterait tout simplement du « complot des prêtres », a été réfutée dès le xixe siècle par des esprits aussi considérables que Littré ou Marx que l’on ne peut certes guère soupçonner de sympathie intempestive pour le fait religieux. Cette vision simpliste est pourtant loin d’avoir disparu aujourd’hui : elle reste celle de certains philosophes médiatiques (comme Michel Onfray) et même d’un certain nombre de politiciens, en particulier en France, pays qui – séquelle de la Révolution française et de la Séparation de l’Église et de l’État – n’a jamais réussi à avoir une vision apaisée sur la question religieuse29.
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Le racisme et le mépris grec envers les « barbares » a, du moins théoriquement, disparu au Moyen Âge ; et ici l’influence du Christianisme est difficilement niable : professant dans l’Épitre aux Romains que les différences humaines étaient abolies en Christ, il a poussé l’homme médiéval à rechercher sa patrie ailleurs que sur terre. Si on peut déplorer le mépris du monde qui en a résulté, il faut au moins admettre que cette attitude offre un des fondements les plus solides qui soit au cosmopolitisme moderne. Il est, de fait, remarquable que les chansons de geste ne reprochent aux Sarrasins que leur croyance et en rien leur appartenance ethnique. Certes, cette position reste un idéal et ne saurait nous faire oublier ni les exactions des Croisades ni la montée l’antisémitisme à partir du xive siècle.
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Les femmes jouissaient, surtout durant le Moyen Âge central, d’une certaine liberté d’action, nettement plus grande en tout casque dans la Grèce antique. On peut disserter longuement sur le fait de savoir si la fin’amor a réellement contribué à l’amélioration de la condition féminine. On aime toutefois à penser qu’elle a sans doute tout de même incité les hommes à user de davantage de douceur et d’égards envers elles, même s’il faut rappeler que la période qui a poussé à son plus haut degré l’art de la « galanterie masculine » est le xixe siècle européen qui reste sans doute la période au cours de laquelle les femmes ont connu la plus implacable répression de la part du pouvoir masculin !
- 30 Voir Amin Maalouf, Les Croisades vues par le Arabes, Paris : Jean-Claude Lattès, 1983, p. 279-83 ; (...)
22On se permettra par ailleurs de faire ici un éloge (modéré) du féodalisme en s’appuyant sur un ouvrage d’autant moins suspect de complaisance pro-occidentale qu’il est généralement considéré comme l’une des plus sévères réfutation de l’ethnocentrisme européen. Je veux parler des Croisades vues par les Arabes d’Amin Maalouf qui, presque jusqu’au dernières pages du livre, semble totalement adhérer à l’idée (qui est en fait aussi un cliché) d’une opposition diamétrale de la barbarie des Croisés et de la brillante civilisation arabe. Pourtant, dans son « épilogue », Maalouf renverse partiellement son axiologie ; certes les Croisés étaient moins raffinés que les Arabes, mais ils ont été bien plus curieux de ces derniers que ceux-ci ne l’ont été de leurs envahisseurs : l’ouverture que les Croisés ont montrée envers la culture arabe a incontestablement joué un rôle essentiel dans l’évolution de l’Occident vers plus de raffinement et d’acceptation de l’autre. Enfin, et surtout, Maalouf souligne que le système démocratique des « Francs » était beaucoup plus participatif et ouvert à la discussion que celui des Arabes. Alors que la mort d’un chef arabe assurait presque toujours aux Croisés quelques années de répit, tant le système despotique oriental était vulnérable à la disparition des chefs, le système féodal, avec ses ordres de préséance stricts et le contrepoids de la puissance vassalique, assurait au système politique occidental un fonctionnement dont la violence, sans être totalement bannie, était canalisée par des régulations que l’on aurait tort de croire dénuées de lien avec les formes plus démocratiques qui lui ont succédé30.
- 31 Voir Jean Seznec, La Survivance des dieux antiques, Paris : Flammarion, « Idées et Recherches », 19 (...)
- 32 Voir Rémi Brague, Au moyen du Moyen Âge, Chatou : les éditions de la Transparence, 2006.
- 33 Que l’on songe à la violence des attaques d’Alain de Libera, défenseur de la philosophie arabe, con (...)
23La méthode d’assimilation des anciens par les clercs médiévaux, dans son apparent mépris de l’esprit original, peut finalement apparaître comme plus grosse d’innovations potentielles que celle, trop respectueuse, des humanistes de la Renaissance. C’était la position de Jean Seznec, admiratif devant l’inventivité allégorique et iconographique des médiévaux confrontés à la mythologie antique31 ; c’est également l’opinion de Rémi Brague pour qui le commentaire arabe d’Aristote fut moins fécond que l’assimilation thomiste des thèses du Stagirite32. Nous marchons cependant, ici comme sur la question du régime politique, en terrain miné, tant la confrontation avec la civilisation arabe classique est aujourd’hui sensible et pour ainsi dire tabou33.
24Enfin, en est-on encore à estimer que les cathédrales gothiques témoigneraient d’un art moins accompli que le Parthénon ? Il y aurait par ailleurs beaucoup à dire sur les mérites respectifs des écrivains antiques médiévaux et modernes, mais on ne s’attellera pas ici à la tâche démesurée et souvent vaine d’accorder des prix et des accessits au plus grands auteurs de tous les temps. Encore une fois, le fait qu’il n’y ait peut-être pas au Moyen Âge l’équivalent de Sophocle, d’Aristophane ou de Thucydide est-il un argument pour affirmer l’infériorité de l’époque médiévale par rapport à l’Antiquité ? Y a-t-il un Dante grec ? Un Chrétien de Troyes romain ?
25Est-il nécessaire de préciser que ce rapide passage en revue de quelques éléments civilisationnels par lesquels le Moyen Âge peut entrer en concurrence positive avec l’Antiquité n’a ni vocation d’exhaustivité ni valeur absolue ? Il visait essentiellement à montrer la fragilité d’une argumentation encore dominante aujourd’hui dans le discours politico-culturel, tendant à nous persuader que les valeurs grecques sont plus universelles que les valeurs médiévales et que, donc, si la Grèce de Périclès a été l’école de l’humanité, la France de Philippe Auguste n’a été que celle de l’obscurantisme. Il faut avouer que les usages actuels du Moyen Âge ne nous aident pas beaucoup à renverser cette tendance. Il est incontestable, on l’a rappelé, que la réhabilitation récente de l’imaginaire médiéval s’est faite à la faveur d’une certaine déperdition de sens de l’idée de progrès, suite à la désillusion « post-moderne » causée par la fin assez brutale des Trente glorieuses. Il est donc difficile de réfuter totalement l’idée que le Moyen Âge, même pris positivement, serait aujourd’hui l’un des noms du relativisme culturel ambiant : cette période qui semble avoir notoirement méprisé la notion de progrès (en extraire des déclarations technophobes est un jeu presque trop facile, même si nous avons vu que d’autres citations pouvaient les contrebalancer), dont le christianisme volontiers superstitieux s’accorde si bien avec l’antirationalisme professé par d’aucuns et dont la littérature apparaît si souvent gore avant la lettre, a tout pour plaire aux amateurs d’heroic fantasy, de violence gratuite et de muflerie comportementale. Ajoutons-y (même sans chercher à politiser ce plaisir) la joie de retrouver notre Occident à l’état natif, et l’on obtiendra un cocktail face auquel le cadet des soucis de ses amateurs sera sans doute d’y trouver matière à réflexion pour l’amélioration de notre société.
26Ces effets de surface ne doivent cependant pas nous faire oublier le problème de fond qui est celui de notre positionnement par rapport à notre passé : si, Grecs antiques, nous privilégions les filiations spirituelles, nous tombons dans l’idéalisation du passé ; si au contraire, Latins médiévaux, nous nous référons aux héritages directs, nous risquons de mêler le pire au meilleur. La solution ne serait-elle pas de spiritualiser notre héritage et d’historiciser nos idéaux ? Nous éviterions ainsi à la fois le repli identitaire et l’absolutisation indue d’un moment nécessairement imparfait de notre histoire.
Notes
1 L’histoire de nos visions du Moyen Âge, esquissée dans cette contribution, est développée dans un livre à paraître : Alain Corbellari, Le Moyen Âge à travers les âges, Neuchâtel, Alphil, « Rayons littéraires » 1, 2019.
2 Gustave Flaubert, lettre du 8 septembre 1871 à George Sand.
3 Voir Jacques Chomarat, « Erasme et le Moyen Âge », Dire le Moyen Âge hier et aujourd’hui, actes du colloque de Laon (1987), M. Perrin (éd.), Amiens / Paris : Presses de l’Université de Picardie / PUF, 1990, p. 9-24.
4 Voir Jean-Daniel Morerod, « Le court moyen âge, instrument de datation et de critique littéraire (xive-xviiie siècle) », à paraître dans les actes du colloque Inventer la littérature médiévale (xvie-xviiie siècle), Yann Dahhaoui et Barbara Wahlen (éd,), Paris : Classiques Garnier, « Rencontres ».
5 Jacques Le Goff remarque judicieusement que le xixe siècle, en fixant la périodisation du Moyen Âge pour « répond[re] aux besoins d’un enseignement scolaire et universitaire en expansion , considérait que « la grande affaire [était] alors moins de dater la fin de l’Antiquité que de savoir où arrêter le Moyen Âge et quand faire commencer, avec la Renaissance, le monde moderne » (À la recherche du Moyen Âge, Paris : Audibert, 2003, p. 48).
6 Gaston Bachelard a bien montré dans La Formation de l’esprit scientifique, Paris : Vrin, 1938, que les xviie et xviiie siècles furent bien moins rationnels que n’a voulu nous le faire croire le récit téléologique de l’évolution scientifique mis au point à l’époque contemporaine.
7 Voir Pierre Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique ?, Paris : Gallimard, « Folio Essais », 1995.
8 Voir Jean-Pierre Changeux, L’Homme neuronal, Paris : Fayard, 1983.
9 Voir Peter Brown, Genèse de l’Antiquité tardive, Paris : Gallimard, 1983.
10 En dépit de nombreux aspects vieillis ou trop unilatéraux, le fameux ouvrage d’Henri Pirenne, Mahomet et Charlemagne, Paris : PUF, 1937, reste, de ce point de vue, un jalon essentiel de la réflexion sur le passage de l’Antiquité au Moyen Âge.
11 Selon le mot souvent glosé de Bernard de Chartres : voir Jean de Salisbury (Ioannis Sarasberiensis), Metalogicon, James Baker Hall (éd.), Turnhout, Brepols, « Corpus Christianorum Continuatio Mediaeualis », XCVIII, 1991, p. 116.
12 Marie de France, Prologue des Lais, v. 20.
13 Chrétien de Troyes, Erec et Enide, v. 23-26.
14 Chrétien de Troyes, Cligès, v. 39-42.
15 Étienne Gilson, Les Idées et les Lettres, Paris : Vrin, 1932, p. 184.
16 Ernst Robert Curtius, ; La Littérature européenne et le Moyen Âge latin [Europäische Literatur und lateinisches Mittelalter, Bern : Francke, 1947], trad. de l’allemand par Jean Bréjoux, Paris : PUF, « Agora », 1956, t. II, p. 133.
17 Jean Frappier, « E. R. Curtius et la littérature européenne », Revue de Paris (septembre 1957), p. 148-152, repris in Histoire, Mythes et symboles, Genève : Droz, 1976, p. 111-15, ici p. 114.
18 Ibid., p. 115.
19 Voir Christian Amalvi, Le Goût du Moyen Âge, Paris : Plon, 1996.
20 Voir Alain Corbellari, Joseph Bédier écrivain et philologue, Genève : Droz, 1997, Charles Ridoux, Évolution des études médiévales, en France de 1860 à 1914, Paris : Champion, 2001 et Ursula Bähler, Gaston Paris et la philologie romane, Genève : Droz, 2004.
21 Voir Danielle Buschinger, Le Moyen Âge de Richard Wagner, Amiens : Presses du Centre d’Études médiévales, « Médiévales » 27, 2003.
22 Voir Joseph Bédier, Le Roman de Tristan et Iseut, éd. critique par Alain Corbellari, Genève : Droz, « Textes littéraires français », 619, 2012.
23 Je me permets de renvoyer à mon article « Le médiévisme est-il réactionnaire. ? Du “progrès” de notre vision du Moyen Âge », repris comme chapitre final de mon ouvrage de synthèse, Le Philologue et son double. Études de réception médiévale, Paris : Classiques Garnier, « Recherches littéraires médiévales » 17, 2014, p. 413-39.
24 Voir Massimo Bacigalupo, « Pound et Eliot, deux rencontres différentes avec le Moyen Âge », La Trace médiévale et les écrivains d’aujourd’hui, Michèle Gally (éd.), Paris : PUF, « Perspectives littéraires », 2000, p. 91-100.
25 Le Corbusier (Charles-Édouard Jeanneret-Gris), Quand les cathédrales étaient blanches, Paris, Plon, 1937, p. 3-4.
26 Et on rappellera en passant que, tout artiste révolutionnaire qu’il était, Le Corbusier entretint tout de même des rapports assez troubles avec le fascisme.
27 Que l’on me permette ici une anecdote personnelle : interviewé par un journaliste, peu après l’attentat d’Utøya, sur la référence médiévale revendiquée par Anders Breivik, ce n’est pas sans un certain malaise que je relus quelques jours plus tard dans le journal Le Matin mon affirmation que le Moyen Âge pouvait exercer « une certaine fascination » sur d’aucuns.
28 Raymond Queneau est ainsi tout tremblant de faire part, dans un compte rendu des années 30, de cette hypothèse matérialiste, tant il redoute de voir ses lecteurs se scandaliser de cet abandon de l’argument spiritualiste (voir Raymond Queneau, compte rendu du Cdt Lefebvre des Noëlles, L’Attelage, le cheval de selle à travers les âges. Contribution à l’histoire de l’esclavage, in La Critique sociale 7, janvier 1933, repris in Le Voyage en Grèce, Paris : Gallimard, 1973, p. 33-39).
29 Un exemple qui met en lumière la collusion du tropisme « grec antique » et de l’antichristianisme me vient immédiatement à l’esprit, bien qu’il risque de ne pas beaucoup parler au lecteur français (mais en l’occurrence il s’agit d’un personnage dont le comportement serait plus explicable en France qu’en Suisse) : un fameux humoriste suisse romand, Laurent Flutch, qui se trouve également être un authentique spécialiste universitaire de l’Antiquité (il dirige le Musée romain de Lausanne-Vidy), écrit régulièrement dans le journal satirique romand Vigousse des chroniques où il prend volontiers en exemple les grandes réalisations de l’Antiquité tout en couvrant de sarcasmes le christianisme, avec une violence qui rappelle les beaux jours de l’anticléricalisme de la IIIe République.
30 Voir Amin Maalouf, Les Croisades vues par le Arabes, Paris : Jean-Claude Lattès, 1983, p. 279-83 ; en part. p. 281 : « La notion de citoyen n’existe certes pas encore, mais les féodaux, les chevaliers, le clergé, l’université, les bourgeois et même les paysans ‘infidèles’ ont tous des droits bien établis. Dans l’Orient arabe, la procédure des tribunaux est plus rationnelle ; néanmoins, il n’y a aucune limite au pouvoir arbitraire du prince. »
31 Voir Jean Seznec, La Survivance des dieux antiques, Paris : Flammarion, « Idées et Recherches », 1980.
32 Voir Rémi Brague, Au moyen du Moyen Âge, Chatou : les éditions de la Transparence, 2006.
33 Que l’on songe à la violence des attaques d’Alain de Libera, défenseur de la philosophie arabe, contre l’ouvrage de Sylvain Gouguenheim qui prétendait trouver une filière de transmission de l’aristotélisme purement occidentale et parallèle à la filière arabe dans Aristote au mont Saint-Michel, Paris : Seuil, « L’Univers historique », 2008.
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Référence électronique
Alain Corbellari, « Sommes-nous grecs antiques ou latins médiévaux ? », Perspectives médiévales [En ligne], 40 | 2019, mis en ligne le 01 janvier 2019, consulté le 25 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/peme/14670 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/peme.14670
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