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40 | 2019
Moyen Âge et politique aujourd'hui

Sous la direction de Véronique DOMINGUEZ-GUILLAUME et Sébastien DOUCHET

« On est revenu au Moyen Âge »[1], « ces actes sont médiévaux, moyenâgeux, barbares » ! Douloureusement réactivées par les attentats récents, ces formules ont été largement utilisées par les médias. Or, en qualifiant le « Moyen Âge » de « barbare » et d’« archaïque », le discours public rejette dans la sphère de l’altérité une période qui appartient aussi à une histoire et à un patrimoine hérités. Les notions de « médiéval » et de « moyenâgeux » semblent ainsi servir de substituts à un impensé qui est celui de la violence de notre propre société. Á l’inverse, « revenir au Moyen Âge », entre séries et jeux de rôles, c’est jouer ou rejouer celui-ci, le plus souvent pour l’encenser, dans une démarche où la nostalgie prend toutefois le pas sur la connaissance.

Le présent numéro de Perspectives Médiévales s’est proposé d’analyser les diverses formes que revêt la manipulation de ces expressions, afin de révéler et de mettre à distance l’instrumentalisation sans rigueur dont elles sont le matériau ou le reflet. Car au plan idéologique, ce sont parfois les mêmes discours qui utilisent le terme de Moyen Âge comme référence pour désigner une altérité honnie, et qui par ailleurs l’invoquent pour justifier une identité : les « racines chrétiennes de l’Europe », ou une unité culturelle : l’Occident chrétien, face à une Europe qui serait fragmentée et dangereusement multi-culturelle. De même, au plan économique, le Moyen Âge sert de paradigme à une pensée de l’autarcie, sur la base d’un modèle pré-industriel, pourtant adossé à l’omniprésence de l’ordre et du pouvoir. Le Moyen Âge apparaît donc comme le porte-étendard d’une protestation globale, qui s’élève sans précaution contre la crise actuelle du politique et du modèle européen.

À partir d’un travail épistémologique sur les notions et figures politiques les plus fréquemment associées ou opposées au Moyen Âge par les discours publics, les articles rassemblés dans ce numéro invitent à confronter les usages contemporains du terme et des expressions qui lui sont associées avec les réalités et représentations médiévales dont ces notions sont issues. Le Moyen Âge a-t-il été théocentriste, barbare, universaliste, humaniste ? Comment y sont définis l’État, la souveraineté, la violence ? Mieux comprises et mieux connues, ces notions, ces figures peuvent-elles jouer un autre rôle que celui de fantasme, d’écran ou de prétexte ? Et le Moyen Âge politique peut-il encore fournir des références positives pour penser le présent ?

C’est une définition de la politique mais aussi du politique qui est en jeu, selon leur détermination par le passé médiéval, et leur articulation à la société d’aujourd’hui.

Véronique Dominguez-Guillaume et Sébastien Douchet


[1] Par exemple : « La Grèce est revenue au Moyen Age ! », article de Dominique Alberti, du 16 février 2012 dans Libération (http://www.liberation.fr/futurs/2012/02/16/la-grece-est-revenue-au-moyen-age_796547) ou bien « L’Europe d’aujourd’hui est revenue au Moyen Âge », article du 16 janvier 2016 paru dans sputniknws.com (https://fr.sputniknews.com/international/201601161020991076-europe-retour-moyen-age).

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