Milena Mikhaïlova-Makarius, Amour au miroir. Les fables du fantasme ou la voie lyrique du roman médiéval
Milena Mikhaïlova-Makarius, Amour au miroir. Les fables du fantasme ou la voie lyrique du roman médiéval, « Publications romanes et françaises » 266, Genève, Droz, 2016, 280 p.
Entrées d’index
Index des médiévaux et anciens :
Guillaume de Lorris, Guillaume de Machaut, Jean de Meun, Jean FroissartŒuvres, personnages et lieux littéraires :
Narcisse, Pygmalion, Espinette amoureuse, Floris et Lyriopé, Fresne, Galeran de Bretagne, Gradiva, Joli Buisson de Jonece Lai de l’ombre, Lai de Narcisse, Pyrame et Thisbé, Roman de la rose, Voir ditTexte intégral
1Le propos avoué de Miléna Mikhaïlova-Makarius est d’étudier « ce que la fable romanesque peut apporter au fantasme amoureux » élaboré par les troubadours ; inversement, cela signifie qu’elle entreprend d’offrir une lecture résolument lyrique d’un certain nombre de textes narratifs, du xiie et xive siècle, en se focalisant sur les outils rhétoriques que déploie l’écriture du fantasme pour prendre pied dans la durée du récit.
2Par certains côtés, l’auteure triche, dans la mesure où la plupart des textes qu’elle choisit n’excèdent pas le format du dit, c’est-à-dire demeurent maîtrisables dans la longueur et ne s’éloignent pas radicalement de la « posture lyrique » (l’exception étant bien sûr le Roman de la rose de Jean de Meun, mais en le présentant comme une “réponse” en miroir au texte de Guillaume de Lorris, elle parvient à neutraliser, en quelque sorte, l’inflation rhétorique qui marque l’œuvre de seconde génération). De manière analogue, l’auteur se focalise sur la thématique du miroir, liée par essence à la question du narcissisme, au sens originel du terme : plusieurs des œuvres sélectionnées sont des variations sur le motif des amours fatales de la figure de Narcisse héritée de la mythologie gréco-latine, et sur celui, complémentaire et inversé, de Pygmalion, que l’on peut précisément lire comme l’emblème du passage du monologue lyrique à la première personne au discours indirect de troisième personne caractéristique du roman. En d’autres termes, ce que retrace la critique, c’est la manière dont ses récits reflètent l’extériorisation du regard, et du désir, amoureux : du « je au je » (l’image de la dame dans le cœur de l’amant étant plus réelle et important que la dame elle-même), on passe au « elle et lui » (le « je » amoureux se risquant à la communication avec un autre qui lui est extérieur).
3Chaque chapitre est consacré à l’un des textes du corpus, ce qui s’explique par le fait que plusieurs d’entre eux ont eu une existence indépendante comme articles ou communications lors d’un colloque. En dépit de l’effort que reflète l’introduction pour fonder en théorie les analyses qui suivent, on conserve l’impression d’une série de vignettes juxtaposées sans véritable progression, et trop souvent on perçoit redites et répétitions, soit d’un chapitre à l’autre, soit à l’intérieur d’un même chapitre (en particulier dans celui qui est consacré à Floris et Lyriopé, où certains éléments de résumé sont répétés quasiment verbatim. La démonstration est plus ou moins convaincante, selon qu’on s’éloigne plus ou moins de la simplicitas lyrique au profit d’une fable riche en éléments d’intrigue allogènes.
4Les deux premiers chapitres, consacrés au Lai de Narcisse et au conte de Pyrame et Thisbé, c’est-à-dire à des textes tout entiers focalisés sur la question amoureuse, fonctionnent particulièrement bien, ainsi que le chapitre cinq, sur le Lai de l’ombre. Le diptyque qui porte sur le Roman de la Rose est plus inégal : le chapitre 3 sur Guillaume de Lorris n’est pas vraiment original, et le chapitre 4, qui a la lourde charge de prendre en compte Jean de Meun, s’en tire au prix d’un raccourci nettement réducteur. Le chapitre 6, intitulé de manière intrigante « La vue oblique », traite à la fois de Floris et Lyriopé et de Galeran de Bretagne : cette dualité s’avère en fait problématique, dans la mesure où le premier texte s’insère sans difficulté dans la perspective de l’étude, alors que le second ne s’y raccroche qu’artificiellement, par le biais, en quelque sorte, de son statut de texte-miroir vis-à-vis du lai de Fresne. Les analyses portant sur Floris et Lyriopé sont ingénieuses et souvent éclairantes, même si elles paraissent parfois un peu forcées ; les quelques pages entièrement consacrées à Galeran sont brillantes, mais largement en porte-à-faux par rapport à l’angle d’analyse global. On pourrait reprocher aux deux chapitres de la troisième partie, respectivement consacrés au Voir dit de Machaut et à deux textes de Froissart, l’Espinette amoureuse et le Joli Buisson de Jonece, de ne pas marquer suffisamment la différence avec les œuvres de la période précédente.
5Le choix de terminer ce volume par l’analyse d’un texte totalement hétérogène, à savoir la nouvelle Gradiva de Jensen, longuement étudiée par Freud dans Le Délire et les Rêves de la Gradiva de Jensen, est un peu déconcertant : il repose en partie, semble-t-il, sur le désir de manifester une continuité entre le matériau médiéval et un espace littéraire plus moderne, afin de souligner la pertinence du Moyen Âge là où on la lui dénie encore trop souvent. Cependant, le but recherché n’est pas entièrement atteint, dans la mesure où la distance entre les derniers textes médiévaux abordés et l’œuvre de Jansen reste considérable, et où le mode d’analyse n’est pas le même non plus, en dépit qu’en ait l’auteure.
6L’étude est complétée par une bibliographie sélective et un index des œuvres et des auteurs et personnages, qui malheureusement exclut les concepts. Dans l’ensemble Miléna Mikhaïlova-Makarius fait preuve d’une maîtrise impressionnante de la langue française qui n’est pas sa langue maternelle, même si l’on peut relever quelques maladresses ou impropriétés qui auraient dû être effacées au cours du processus éditorial. Il s’agit au total d’un volume qui satisfait largement aux catégories du prodesse et delectare.
Pour citer cet article
Référence électronique
Anne Berthelot, « Milena Mikhaïlova-Makarius, Amour au miroir. Les fables du fantasme ou la voie lyrique du roman médiéval », Perspectives médiévales [En ligne], 38 | 2017, mis en ligne le 01 janvier 2017, consulté le 08 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/peme/13318 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/peme.13318
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page