Wilfrid Fauquet, L’Échiquier de Nature
Wilfrid Fauquet, L’Échiquier de Nature, Paris, Classiques Garnier, 2016, 142 p.
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Index des médiévaux et anciens :
Evrart de Conty, François d’Angoulême, Guillaume de Lorris, Jean de Meun, Louise de Savoie, Robinet TestartŒuvres, personnages et lieux littéraires :
Adonis, Déduit, Junon, Pallas, Pâris, Art d’aimer, Échecs en prose, Eschés amoureux, Livre des echez amoureux moralisés, Roman de la RoseTexte intégral
1Le petit livre de Wilfrid Fauquet (142 pages dont 115 de commentaire, suivies de deux annexes sur des questions de technique échiquéenne) revient sur des textes longtemps négligés par la critique mais qui sont depuis une dizaine d’années l’objet de l’attention des chercheurs : Les Eschés amoureux, anonyme, fin xive siècle et Le Livre des echez amoureux moralisés d’Evrart de Conty, début XVe siècle.
2L’étude se centre, comme son titre l’indique, sur la partie d’échecs qui oppose le narrateur et une jeune femme, le premier – un jeune homme – tombant amoureux de sa partenaire au cours de la partie tandis que celle-ci quitte les lieux après l’avoir vaincu. Le deuxième texte se donne comme une réécriture et une amplification encyclopédique du premier (aspect non travaillé par la présente étude).
3L’auteur se livre à un minutieux travail de description de la partie, de l’échiquier, de ses pièces et de leurs déplacements respectifs par les deux joueurs. Le diagramme représentant l’échiquier est donné dans la version en prose. Les pièces sont ornées d’emblèmes divers de type allégorique empruntés en grande partie aux allégories du Roman de la Rose du xiiie, dont le texte en vers est clairement un épigone. Aussi l’échiquier, pour le critique, serait la fontaine de Narcisse du roman du xiiie siècle, et il établit un parallèle précis entre la partie qui se déroule et l’épisode des flèches d’Amour chez Guillaume de Lorris. Malgré le sens érotique dans plusieurs textes poétiques médiévaux de l’expression « mater en l’angle », la conclusion sur « l’union charnelle » et la « défloration de la rose » qu’imagerait la partie d’échecs est séduisante mais contestable. La joueuse disparaît et le texte en vers se poursuit par de longs discours du narrateur avec Pallas. Une telle proposition de lecture exige, comme on nous en fait la démonstration, des références croisées entre tous les textes des Echecs, de Guillaume de Lorris, de Jean de Meun, d’un Art d’aimer. Dans le dernier chapitre, Wilfrid Fauquet revient par ailleurs sur les différences de ton, de forme et peut-être d’enjeu, du récit en vers et du récit en prose.
4Plus convaincante me semble la proposition de retrouver sur l’échiquier et les pièces emblématisées les déesses du Jugement de Pâris qui forme, effectivement, la clé de voûte de ces textes didactiques (terme absent de l’étude). Dans la même ligne de commentaire, l’auteur passe à une description et une lecture très attentives de deux miniatures importantes du manuscrit des Echecs en prose attribuées à Robinet Testart – celle du « verger de Nature » et celle, liminaire, représentant l’auteur et deux personnages jouant aux échecs.
5Pour la première, la proposition d’assimiler Déduit et Adonis à cause du chien qui semble appartenir à un personnage élégant accompagnant le narrateur devant l’entrée du verger selon l’idée que « Adonis est devenu l’amant de Vénus comme le poète est lui aussi devenu l’amant de Vénus » (p.79) demanderait à être davantage explicitée. De même, le rapport entre le verger de Nature en lieu et place de celui de Déduit (rejeté donc à l’extérieur d’après la lecture de la miniature) avec le « monde » (citation du texte) demanderait des commentaires plus fournis. En particulier peut-être faut-il mentionner que pour Evrart de Conty, les échecs sont une métaphore générale qui s’adapte à différents secteurs de l’activité et de la connaissance humaine parmi lesquels l’amour.
6Par ailleurs la lecture en clé historique du texte et des miniatures – Louise de Savoie, commanditaire du manuscrit des Echecs en prose sous les traits de Pallas (p. 85) et d’elle à nouveau jouant avec le jeune François d’Angoulême (et donc dans une partie d’échecs qui renvoie au politique et non à l’érotique) en arrière-plan du portrait d’Evrart de Conty – se tient tout à fait.
7Enfin Wilfrid Fauquet reprend la question irrésolue de l’auteur du texte en vers – identique ou non à celui du texte en prose – et penche plutôt vers la négative dans la mesure où Evrart infléchit sa reprise du poème en vers dans le sens d’une élimination de Junon – ce qui est son but vu la nature didactique et savante de son propos. Aussi la partie d’échecs de l’œuvre en vers serait-elle plus captivante car elle n’explicite pas son sens. Contrairement à la prose en charge de tout expliquer, le poème exige un lecteur curieux et questionnant c’est-à-dire herméneute. Il aurait fallu rappeler, pour étayer ce jugement, que cet écart correspond à l’écriture allégorique (dont au premier chef celle de Guillaume de Lorris) qui ne donne jamais toutes les équivalences possibles. Cette position se lit clairement dans le prologue de l’œuvre qui fait appel à la « subtilité » de ses lecteurs.
8Un ouvrage donc qui ouvre des pistes diverses, plus ou moins étayées et convaincantes mais toujours dynamiques, qui, cependant, ne prend pas en compte toutes les travaux récents faits sur ces textes (dont celle liminaire de Pierre-Yves Badel, la thèse d’Amandine Mussou et ma propre étude), ce qui aurait permis de mieux articuler les nouveautés de son propos et ses apports. Quelques phrases de tonalité familières étonnent, desservant par endroits quelque peu la rigueur de la démonstration : « Bien sûr c’est une métaphore mais c’est parfaitement plausible sur l’échiquier » (sens ?) ; « On comprend tout de suite qu’Evrart est en train de mener son lecteur en bateau » ; « L’amant ne voit pas la menace et fait une bourde »…
9Passionné sans doute par les échecs et aimant les manuscrits, l’auteur ne s’est peut-être pas donné tous les outils littéraires nécessaires à la lecture d’une œuvre comme Les Eschés amoureux, qui se joue de tous les codes sans pouvoir, in fine, choisir et proposer une solution claire. Mais il semble avoir pris du plaisir à composer son commentaire et son petit livre peut engager d’autres amateurs d’échecs et/ou de discours amoureux à suivre ses traces.
Pour citer cet article
Référence électronique
Michèle Gally, « Wilfrid Fauquet, L’Échiquier de Nature », Perspectives médiévales [En ligne], 38 | 2017, mis en ligne le 01 janvier 2017, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/peme/12506
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