Marc Loison, Les Jeux littéraires de Raoul de Houdenc. Écritures, allégories et réécritures
Marc Loison, Les Jeux littéraires de Raoul de Houdenc. Écritures, allégories et réécritures, Paris, Honoré Champion, 2015, 456 p.
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Œuvres, personnages et lieux littéraires :
Livre d’Artus, Meraugis de Portlesguez, Perlesvaus, Tornoiement Antechrist, Vengeance RaguidelTexte intégral
1Raoul de Houdenc, auteur français méconnu du premier tiers du xiiie siècle, est volontiers classé parmi les épigones, disciples ou continuateurs de Chrétien de Troyes. Son œuvre, a priori disparate – deux romans arthuriens (on note que Marc Loison a fait le choix d’inclure La Vengeance Raguidel dont l’auteur est sujet à caution), un dit, un songe allégorique et un essai didactique – témoigne pourtant de la maîtrise par cet écrivain des différents genres fictionnels, et l’étude qui nous est proposée ici fait la preuve de sa virtuosité à manier la voie romanesque, allégorique, didactique ou encore parodique. L’approche stylistique et poétique de Marc Loison met en avant cette écriture qui prise avant tout le jeu avec les conventions littéraires, cultive les artifices narratifs, rhétoriques et prosodiques ainsi qu’un sens affirmé de la réécriture, de l’allusion et de l’emprunt.
2 Le 1er chapitre, « L’affirmation d’une figure d’auteur », montre comment Raoul de Houdenc parvient à affirmer sa subjectivité d’auteur grâce à l’omniprésence d’un narrateur tout à tour virtuose de l’art littéraire ou amuseur comique et subtil. Cet auteur-narrateur cultive le plaisir du récit dans lequel il crée des effets d’échos, de répétitions, de pastiche et enfin de parodie : « l’auteur entre en résonnance avec la littérature de son temps et la détourne pour en rire mais aussi pour créer un texte nouveau » (p. 120). Dans le chapitre 2, « La Leçon de Raoul de Houdenc », Marc Loison approfondit le corpus de l’auteur par le traitement que celui-ci fait subir à l’allégorie ; avec des écrits cultivant le diver et le croisement des genres, l’omniprésence de l’allégorie se double d’une condamnation constante de l’avarice, de la vaine gloire des chevaliers et du souci de la largesse. Pourtant, le traitement didactique qu’on serait en droit d’attendre est désamorcé par la lecture triviale que lui impose l’auteur, affirmant avec force le comique et le détournement au centre de son œuvre, et ce traitement inattendu de l’allégorie se place sous la recherche de la variation satirique et de la diversité.
3 « Raoul de Houdenc est un parodiste dont la pratique n’est pas accidentelle ou limitée : elle est un art d’écrire. Son ouvrage remet sans cesse sur le métier les textes des autorités qui l’entourent et les façonne à nouveau » (p. 210) : ainsi s’ouvre le 3e chapitre, « Le roman palimpseste », consacré à Meraugis de Portlesguez et La Vengeance Raguidel. Par des emprunts et références constantes, et souvent très fines, des récits de Chrétien de Troyes et de la littérature arthurienne en prose du xiiie siècle, l’œuvre romanesque de Raoul de Houdenc réécrit, imite, renouvelle jusqu’au burlesque. Ses romans sont faits de romans à la tonalité ludique, composés au travers de scènes que l’auteur emprunte à ses prédécesseurs pour créer sa propre poétique. Une poétique suffisamment marquante et originale pour que Raoul de Houdenc soit lui-même « réécrit » par les écrivains qui viendront après lui : le 4e chapitre se consacre à cet héritage et montre comment il a alimenté les récits postérieurs, en particulier Le Tornoiement Antechrist de Huon de Méry. Son personnage de Méraugis a été réutilisé et enrichi, un épisode de La Vengeance Raguidel sert de point de départ dans Perlesvaus et Le Livre d’Artus. Repris et associés à d’autres œuvres, ses récits sont eux-mêmes parodiés, ce qui est une belle preuve du succès des textes d’origine et du prestige littéraire de leur auteur.
4 La clarté et le dynamisme d’écriture de Marc Loison permettent de suivre facilement et avec plaisir son propos ; la pertinence de son argumentation et la finesse de ses analyses vont de pair avec une solide érudition et s’appuient en outre sur une bibliographie conséquente. On soulignera particulièrement le premier chapitre, « La figure de l’auteur », qui propose un dialogue fort convaincant entre ces œuvres de genre et tonalité si différentes qui fondent le corpus houdanesque, et fait peu à peu émerger le portrait d’un Raoul de Houdenc volubile utilisant tour à tour les traits de l’auctor savant, du poète artiste, du narrateur malicieux ou du personnage acteur de son propre récit. Cet ouvrage contribue grandement à enrichir les études récemment entreprises sur cet écrivain du Moyen Âge classique, et on ne peut que remercier Marc Loison de nous en faire bénéficier.
Pour citer cet article
Référence électronique
Carine Giovénal, « Marc Loison, Les Jeux littéraires de Raoul de Houdenc. Écritures, allégories et réécritures », Perspectives médiévales [En ligne], 37 | 2016, mis en ligne le 15 janvier 2016, consulté le 25 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/peme/11869 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/peme.11869
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