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Dossier

Les ornements épiscopaux du XVIIIe siècle des cathédrales de Metz et de Carcassonne et l’atelier parisien de la famille Rocher

The 18th century Episcopal ornaments of the cathedrals of Metz and Carcassonne and the Parisian workshop of the Rocher family
Danièle Véron-Denise

Résumés

Cet article traite des ornements liturgiques réversibles de la plus belle qualité d’exécution, conservés aujourd’hui dans les cathédrales de Metz et de Carcassonne, à la basilique de Saint-Denis, ainsi qu’au Musée des Antiquités de Rouen. Les grandes similitudes constatées entre toutes ces pièces commandées par des membres de l’épiscopat français ont amené à la conclusion qu’elles avaient été exécutées vers le milieu du XVIIIe siècle dans un même atelier parisien, celui de la famille Rocher, spécialisé durant deux siècles (XVIIe siècle et XVIIIe) dans la confection d’ornements liturgiques à destination du haut clergé.

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Texte intégral

J’adresse mes plus vifs remerciements à toutes les personnes qui m’ont aidée dans cette étude. M. l’abbé Normand, conservateur des Antiquités et objets d’art de la Moselle ; Christian Baulez, conservateur général honoraire du Château de Versailles ; Isabelle Bédat, restauratrice de textiles ; Lise Auber, conservatrice des antiquités et objets d’art de Seine-Maritime ; Caroline Dorion-Peyronnet, conservatrice du Musée départemental des antiquités de Rouen, et Laurence Lyncee, documentaliste régisseuse de ce même musée ; le sacristain de la cathédrale de Carcassonne ; Marie-Chantal Ferriol, conservatrice déléguée des antiquités et objets d’art de l’Aude ; Agnès Vatican, directrice des archives départementales de la gironde, et Pierre Massé, agent de recherche aux archives départementales de la gironde ; Hervé Passot, attaché territorial principal, responsable du service accueil et recherche des archives départementales du nord, et Areski Hadjloum, adjoint du patrimoine aux archives départementales du nord ; Thierry Zimmer, conservateur général du patrimoine, Monuments historiques, chargé des départements de la Seine-et-Marne et de la Seine-Saint-Denis.

  • 1 Cf. PAGNON, Josiane. Les ornements liturgiques réversibles : premières approches d’un bilan. Patrim (...)

1La cathédrale de Metz conserve en son trésor de nombreuses pièces remarquables : orfèvrerie, ivoires, crosses d’évêques, reliquaires, la chape dite du manteau de Charlemagne, l’anneau de saint Arnould… et plusieurs ornements liturgiques dignes d’intérêt. L’un d’entre eux se distingue tout particulièrement des autres par sa richesse, son état de conservation relativement bon et surtout la très belle qualité de son exécution. Ayant appartenu au cardinal de Montmorency-Laval (1724‑1808), il est parvenu à la cathédrale après la Révolution, par des voies un peu détournées. Il fait partie de ces ornements appelés « réversibles », qui permettaient notamment aux évêques d’effectuer leurs tournées pastorales avec un bagage allégé1. La confrontation de l’ornement de Mgr de Montmorency-Laval avec des ornements semblables, voire identiques, conservés dans d’autres lieux de culte de France et dans un musée de Rouen, incite à y voir l’œuvre d’un atelier unique, et la découverte de plusieurs documents d’archives permet d’en proposer l’identification.

Un ornement de grande qualité

Fig. 1.

Fig. 1.

Metz (Moselle), cathédrale Saint-Étienne ; chape de l’ornement de Mgr de Montmorency-Laval, face rouge

© Gabriel Normand

2L’ornement de Montmorency-Laval comporte six pièces réversibles en soie rouge et blanche brodées de filés or : une chape (fig. 1 et 2), une chasuble (fig. 3), une étole, un manipule, un voile de calice (fig. 4) et une bourse de corporal (fig. 5). L’étoffe rouge est un gros de tours moiré et l’étoffe blanche un drap d’argent, plus précisément une soierie blanche lamée d’argent. Toutes les broderies sont exécutées au passé plat et traversent les deux étoffes ainsi qu’une triplure (doublure intermédiaire) destinée à assurer une bonne tenue à chacune des pièces. Les galons sinueux qui délimitent les orfrois et suivent les contours de la chape et de la chasuble sont eux-mêmes brodés, signes d’une fabrication particulièrement soignée. La composition du décor est équilibrée et harmonieuse, et le tracé des motifs d’une remarquable sûreté d’exécution. Le décor de l’ensemble des éléments est essentiellement ornemental et sans caractère religieux, si l’on excepte les vases de fleurs de la chape et de la chasuble qui relèvent sans doute d’une intention symbolique, ainsi que les grappes de raisin et les épis de blé dans les angles supérieurs du chaperon, et les pampres qui forment une ronde autour de la croix centrale du voile de calice. Le décor des orfrois de la chape et de la chasuble comme celui du chaperon est particulièrement riche et dense ; des cartouches chantournés s’y succèdent, parfois entrelacés, environnés de fleurs, feuillages, draperies, fleurons et perles…

Fig. 2.

Fig. 2.

Metz (Moselle), cathédrale Saint-Étienne ; chaperon de la chape de l’ornement de Mgr de Montmorency-Laval, face rouge

© Gabriel Normand

3Sur le reste du champ, les motifs sont plus aérés : de fines tiges dessinent des courbes et des contre-courbes qui s’accolent et se séparent, et sur lesquelles viennent se balancer des festons, des chaînettes, des fleurettes et de légers feuillages en palmettes ou en éventail. La richesse des matériaux, la qualité du dessin et la perfection de l’exécution générale trahissent l’intervention d’un atelier de haut niveau.

Fig. 3.

Fig. 3.

Metz (Moselle), cathédrale Saint-Étienne ; chasuble de l’ornement de Mgr de Montmorency-Laval, face rouge

© Gabriel Normand

Fig. 4.

Fig. 4.

Metz (Moselle), cathédrale Saint-Étienne ; bourse de corporal de l’ornement de Mgr de Montmorency-Laval, face rouge

© Gabriel Normand

Fig. 5.

Fig. 5.

Metz (Moselle), cathédrale Saint-Étienne ; voile de calice de l’ornement de Mgr de Montmorency-Laval, face rouge

© Gabriel Normand

Une histoire complexe

  • 2 PELT, Jean-Baptiste. Études sur la cathédrale de Metz. Documents et notes relatifs aux années 1790 (...)

4Louis-Joseph de Montmorency-Laval a été évêque de Metz de 1760 à 1801. Bien qu’il n’ait pas démissionné de son siège lors de la Révolution, les circonstances l’ont contraint à émigrer, d’abord à Trèves en 1791 auprès de sa nièce, la duchesse de Laval. Puis, après avoir vécu quelque temps une vie de nomade allant d’une ville à l’autre en Allemagne, il passa les quatre dernières années de sa vie à Altona, près de Hambourg, où il décéda en 1808. Dans ses pérégrinations multiples, il avait emporté sa chapelle épiscopale en vermeil, comportant calice et patène, aiguière et plateau, sonnette et bougeoir, ainsi que son ornement blanc et rouge brodé d’or. Son suffragant à Metz depuis 1781, henry de Chambre d’Urgons, évêque auxiliaire et évêque titulaire d’Orope, l’avait accompagné dans son exil, et c’est à ce fidèle compagnon qu’il légua ces pièces précieuses. Revenu en France au moment du Concordat, Mgr d’Urgons se retira à Tartas dans les Landes, sa région natale, où il mourut en 1819. A son tour, il légua ces œuvres ainsi que quelques autres à la fabrique de la cathédrale de Metz où elles sont toujours visibles. Les circonstances et le détail de ce legs sont relatés dans le compte-rendu d’une séance du chapitre tenue le 16 novembre 1819, où il est expressément fait mention d’une chappe brodée des deux côtés, ainsi que la chasuble : ces 2 objets en moire blanche d’un côté et en moire rouge de l’autre2 (voir annexe 1). Le sort de cet ensemble fut donc quelque peu mouvementé : de Lorraine, les pièces suivirent le cardinal dans son exil en Allemagne ; puis elles furent emportées dans les Landes avec leur nouveau propriétaire, pour retourner finalement en Lorraine, où elles voisinent maintenant à la cathédrale de Metz avec d’autres œuvres prestigieuses.

La question des origines

  • 3 La chape est reproduite dans le catalogue d’exposition Le Soleil et l’Étoile du Nord. La France et (...)

5Mais quel fut le lieu de naissance de ce splendide ornement ? a quelle date ou à quelle occasion l’évêque de Metz l’a-t-il commandé ? Avant d’être nommé au siège épiscopal de Metz en 1760, Louis-Joseph de Montmorency-Laval, issu d’une des plus illustres familles de la noblesse française, avait été nommé évêque d’Orléans en 1753 et avait fait son entrée solennelle dans la ville en 1754. Les poinçons insculpés sur sa chapelle d’orfèvrerie situent précisément sa fabrication en cette année 1754. Il est permis de supposer que l’ornement liturgique qui accompagna toute sa vie ecclésiastique fut commandé dans les mêmes circonstances. A l’appui de cette hypothèse, on peut faire le rapprochement entre la chape de Metz et une chape fort semblable, conservée à Stockholm, commandée en 1751 à l’occasion du couronnement du roi de suède, Adolphe-Frédéric, et confectionnée en France. Pour cet événement, quatorze chapes avaient été commandées à Paris : treize d’entre elles, taillées dans de superbes brocarts au riche décor floral, étaient destinées aux treize évêques officiants, tandis que la chape de l’archevêque, la plus exceptionnelle, était en soie blanche recouverte de somptueuses broderies d’or3. Si l’on compare cette dernière avec la chape de Montmorency-Laval on constate que, certes le détail de leur motifs respectifs n’est pas strictement identique, mais leur disposition sur chaque pièce, la succession des cartouches chantournés des orfrois, la présence des vases de fleurs sur les chaperons, la légèreté des tiges en accolades et des éléments végétaux en éventail sur les robes des chapes, en un mot leur style extrêmement voisin, confirment une période d’exécution très proche l’une de l’autre, en plein milieu du XVIIIe siècle. Quant au centre de fabrication sur lequel nous reviendrons, seuls les ateliers parisiens de l’époque étaient à même de fournir une qualité semblable.

Une famille d’ornements

Cathédrale de Carcassonne

6Après avoir comparé la chape de Metz avec celle de Stockholm, ce qui a permis de proposer une datation logique correspondant au premier poste épiscopal de Louis-Joseph de Montmorency-Laval en 1754, nous avons découvert d’autres pièces fort semblables à celles de l’ornement de Metz ; à tel point que, dans un premier temps, nous doutions des clichés que nous avions sous les yeux, et que seul l’examen de visu des pièces en question nous a convaincu de leur identité et de l’existence d’un ornement « jumeau » de celui de Metz. Conservé de nos jours à la cathédrale de Carcassonne, cet autre ornement compte également six éléments réversibles (chape (fig. 6), chasuble (fig. 7), voile de calice, bourse, étole et manipule (fig. 8)) brodés de filés or sur moire rouge d’un côté et gros de tours moiré blanc de l’autre.

Fig. 6.

Fig. 6.

Carcassonne (Aude), cathédrale Saint-Michel ; chape de l’ornement de Mgr Bertrand de Langle, face rouge

M. Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général, 2012

7En dehors de quelques détails assez minimes portant sur les motifs centraux des voiles de calice et des bourses, et sur les vases des chaperons des chapes, représentés « en miroir » l’un par rapport à l’autre (ce qui signifie que le poncif d’origine a été inversé), les deux ornements sont strictement identiques, ce qui n’est assurément pas une situation fréquente pour les textiles de ce genre conservés en France.

Fig. 7.

Fig. 7.

Carcassonne (Aude), cathédrale Saint-Michel ; chasuble de l’ornement de Mgr Bertrand de Langle, face rouge

M. Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général, 2012

Fig. 8.

Fig. 8.

Carcassonne (Aude), cathédrale Saint-Michel ; étole, manipule, voile de calice et bourse de corporal de l’ornement de Mgr Bertrand de Langle, face rouge

M. Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général, 2012

  • 4 FARCY, Louis de. La broderie du XIe siècle jusqu’à nos jours d’après des spécimens authentiques et (...)
  • 5 AD Aude, série E, 3 E 10144. Registre notarié d’Antoine Bauzit, notaire à Castelnaudary, au 25 juin (...)

8Dans l’ouvrage de Louis de Farcy sur la broderie4 où nous l’avions repérée, la légende indiquait : A un évêque de Saint-Papoul, à l’évêché de Carcassonne. Situé dans l’actuel département de l’Aude, le diocèse de Saint-Papoul fut l’un des plus petits évêchés de France. Érigé en 1317, il fut supprimé en 1801. Compte-tenu de l’époque de confection de l’ornement, l’évêque de Saint-Papoul susceptible de l’avoir commandé était Mgr Daniel Bertrand de Langle (1701‑1774), originaire de Bretagne, nommé à Saint-Papoul en 1739, siège qu’il occupa jusqu’à son décès en 1774. Cette hypothèse fut confirmée par Josiane Pagnon, au vu des documents qu’elle a consultés aux archives départementales de l’Aude. Dans son testament, rédigé le 25 mars 1772 et déposé le 25 juin 1774 chez Maître Bauzit, notaire à Castelnaudary, Mgr de Langle indiquait, entre autres articles, qu’il faisait don à ses successeurs de sa chapelle avec toutes les pièces qui la composaient, en spécifiant que rien n’en devait être distrait ou vendu pour acquitter d’éventuelles dettes des bénéficiaires. Il demandait aussi que soit dressé un inventaire des biens qu’il léguait5. Cette demande fut exécutée et l’on peut y lire la mention suivante qui correspond bien à l’ornement de la cathédrale de Carcassonne :

  • 6 AD Aude, série B, B 2021 : Cours et juridictions. Sénéchaussée du Lauragais. Insinuations (1553-

Plus l’ornement complet blanc et rouge, grande broderie en or estimé y compris la chappe de même 1600 livres6.

Basilique de Saint-Denis

  • 7 Je remercie Isabelle Bédat, qui a restauré cette chasuble, de me l’avoir fait remarquer.

9Mais nous n’étions pas au bout de nos surprises... en comparant la chasuble Montmorency-Laval avec une autre très belle chasuble réversible rouge et blanche (fig. 9), de l’ornement dit « de Louise de France » conservé à la Basilique de Saint-Denis, près de Paris, nous constations la similitude entre les orfrois brodés de l’une et de l’autre. Tous les motifs s’y retrouvent à une exception près, l’entrelacs situé juste au-dessous du cartouche central de la croix dorsale, supprimé sur la chasuble de Saint-Denis du fait de sa hauteur inférieure (elle mesure 20 cm de moins que celle de Metz). Par ailleurs, le fond de la chasuble de Saint-Denis offre un décor différent de ceux de Metz et de Carcassonne, étant à la fois plus dense et plus riche que ces derniers, avec notamment la présence de sortes de gros fleurons charnus accompagnés de cornes d’abondance, de souples rinceaux, de tiges de blé et de sarments de vigne. Sa technique est aussi plus virtuose que celle des autres ornements, car elle fait appel, pour certains motifs, au procédé de l’application7 ; de plus, ces motifs ne sont pas exécutés exclusivement avec du filé or, mais comportent aussi des lames, des cannetilles et des paillons. Toutefois l’origine commune de toutes ces pièces ne fait pas de doute. La chasuble de Saint-Denis fait partie d’un ensemble incomplet et composite, qui ne comporte plus aujourd’hui que quatre pièces. La chasuble et la bourse de corporal (fig. 10) ont clairement la même origine, mais l’étole et le manipule, au décor différent, sont postérieurs, semble-t-il, de plusieurs années. Cet ensemble passe pour provenir de Louise de France, fille de Louis XV, entrée au carmel de Saint-Denis en 1770. S’il est pratiquement certain que Louis XV ait pu offrir un bel ornement au carmel où entrait sa fille, on ne peut affirmer qu’il s’agisse de celui-ci (chasuble et bourse).

Fig. 9.

Fig. 9.

Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), basilique Saint-Denis ; chasuble de l’ornement dit « de Louise de France », face blanche

© Isabelle Bédat

Fig. 10.

Fig. 10.

Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), basilique Saint-Denis ; bourse de corporal, face rouge

© Isabelle Bédat

Musée des antiquités de Rouen

  • 8 N° inv. 1892 A.

10Enfin dernière découverte à partir de cette mine inépuisable qu’est le gros ouvrage de Louis de Farcy cité précédemment, Josiane Pagnon a repéré une nouvelle chape (pl. 254, Chape nº 2) présentant « un air de famille » avec les ornements décrits ci-dessus. En effet, après l’examen de cette pièce conservée au Musée départemental des antiquités de Rouen8 (fig. 11 et 12), il est apparu qu’elle avait sans aucun doute la même origine que la chasuble de saint Denis, avec laquelle elle partage non seulement le même décor disposé sur la robe, et notamment ces gros fleurons charnus si caractéristiques de la chasuble, mais aussi la même technique incluant la présence de lames, cannetilles et paillons pour certains motifs. Par ailleurs, le décor de ses orfrois et de son chaperon est exactement le même que ceux de Metz. Il est donc tentant de penser que la chape de Rouen appartenait au même ensemble que la chasuble et la bourse de corporal de saint Denis.

Fig. 11.

Fig. 11.

Rouen (Seine-Maritime), musée départemental des Antiquités ; chape réversible, n° inv. 1892 (A), face rouge

Yohann Deslandes © cg76 - Musée départemental des Antiquités de Rouen

11Le rapprochement de ces pièces si semblables en totalité ou en détail, voire identiques dans certains cas, amène à la conclusion qu’elles ont été confectionnées dans un même atelier.

Fig. 12.

Fig. 12.

Rouen (Seine-Maritime), musée départemental des Antiquités ; chape réversible, n° inv. 1892 (A), détail de la face blanche

Yohann Deslandes © cg76 - Musée départemental des Antiquités de Rouen

Un atelier de haut vol : l’irrésistible ascension de la famille Rocher

  • 9 Environ 200.

12La richesse des matériaux de ces divers ornements brodés d’or et, plus encore, la qualité de leur décor et la maîtrise de leur exécution, dénotent la production d’un atelier de haut niveau, tel qu’il en existait un certain nombre à Paris à cette époque. Or, parmi les dizaines d’ateliers9 en fonction dans la capitale au milieu du XVIIIe siècle, l’un d’entre eux avait émergé et s’était tout particulièrement spécialisé dans la confection d’ornements liturgiques destinés, non pas tant au clergé ordinaire qu’au clergé "haut de gamme", tels qu’évêques, archevêques, abbés et curés de paroisses de quelque importance. Cet atelier était celui de la famille Rocher, sis rue Férou, dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, derrière l’église Saint-Sulpice.

Les débuts de la famille

  • 10 GIRAUDET, Dr E. Les Artistes tourangeaux. Tours : Impr. de Rouillé-Ladevèze, 1885.
  • 11 AN, Minutier des notaires, étude XCVIII, 119. Marché entre Étienne Rocher et Augustin Delaporte, 2  (...)
  • 12 AN, Minutier des notaires, étude XVIII, 144. Inventaire après décès d'Élisabeth Riquier, 10 novembr (...)
  • 13 AN, Minutier des notaires, étude XCVIII, 73. Marché entre M. Olier, Étienne Rocher, François Ladan (...)
  • 14 AD Gironde. Série G : 3198 ; Comptabilité de l’archevêché. 1656‑1668. "1656 : mémoire des ouvrages (...)
  • 15 AN, Minutier des notaires, étude XCVIII, 194. Inventaire après décès d’Étienne Rocher, 19 mai 1657.

13L’histoire de cette famille et de ses activités dans les domaines de la broderie et de la chasublerie s’étend sur deux siècles. Dès la fin du XVIe siècle, un certain Léandre Rocher est référencé comme maître-brodeur à tours puis il s’installe à Paris en 160010. Par la suite, toute une dynastie de ces brodeurs-chasubliers, nommés Rocher et prénommés Étienne de père en fils sur trois générations, puis François Étienne et Étienne Pierre, traverse le XVIIe et le XVIIIe siècles jusqu’à la Révolution. Leurs activités sont d’abord diversifiées, comme c’est le cas général pour tous les ateliers, exécutant des travaux de broderies aussi bien pour des vêtements civils ou religieux que pour des pièces d’ameublement. Mais dès la première moitié du XVIIe siècle, on constate que les commandes qui leur sont faites sont de plus en plus spécialisées. En 1635, Étienne I Rocher, maître brodeur et bourgeois de Paris, est associé à augustin Delaporte, brodeur ordinaire du comte de Soissons, pour la confection et broderie à deux endroits d’une chape violette et blanche et d’une chasuble verte et violette11. En 1642, l’inventaire après décès de la première épouse de ce même Étienne Rocher, Élisabeth Riquier, fait état de plusieurs pièces en cours d’exécution dans l’atelier : une chape en gros de Naples blanc et rouge encommencée à broder d’or, argent et faveurs, ainsi qu’une chasuble et ses accessoires de même nature, dont le voile de calice n’est pas achevé12. Et dans le même document, le veuf déclare qu’il a fourni plusieurs ouvrages de broderie pour Monsieur l’évêque de Saint-Briet [Saint-Brieuc] non terminés d’être payés. En 1650, avec deux autres brodeurs parisiens, François Ladan et Nicolas Boudin, Étienne I Rocher passe un marché avec M. Olier, curé de Saint-Sulpice, pour trois chapes, deux tuniques, une étole, deux manipules, un devant d’autel et une crédence13. En 1656, Étienne Rocher seul fournit à l’archevêque de Bordeaux, henry de Béthune, une chape réversible blanche et violette avec son étole, et deux chasubles réversibles, l’une blanche et rouge et l’autre verte et violette, avec leurs étoles et manipules, voile de calice et bourse14. Le brodeur décède l’année suivante, en 1657, et son inventaire après décès fournit quelques noms de clients encore débiteurs à la date du décès, tels l’évêque de Lavaur, celui de Nîmes et l’archevêque de Bordeaux qui n’avait pas terminé de payer sa commande15.

Brodeurs de Nosseigneurs du Clergé de France - Le rôle des veuves

14Agnès Lenormand, la veuve d’Étienne I Rocher, poursuit pendant trente ans, jusqu’à son propre décès en 1687, l’activité de l’atelier avec l’aide de son fils, Étienne II Rocher, décédé avant 1712.

  • 16 Dans l’acte de baptême de son propre fils François Étienne, né le 22 octobre 1698, baptisé le 26 oc (...)
  • 17 AN, série O1 : 2842. Menus Plaisirs (1712). La Ttrémoille en charge, fol. 49 verso.
  • 18 AN, Minutier des notaires, étude XXVIII, 111. Contrat d’apprentissage auprès de Georges Manouré, ma (...)

15La veuve d’Étienne II, Marguerite Millet, s’occupe alors elle aussi de l’atelier avec l’aide de son fils, Étienne III. Des titres plus précis et plus évocateurs qu’un simple « maître brodeur » commencent à apparaître. En 1698, Étienne III est qualifié de Brodeur de la chapelle du roi16. Lui et sa mère, Marguerite Millet, sont inscrits dans le registre des Menus-Plaisirs de 1712 pour façon et fourniture par eux faite pour les cinq mistres qui ont servi aux cinq évêques qui ont fait la cérémonie de Saint-Denis [obsèques du duc et de la duchesse de Bourgogne, 23 février 1712]17. Un peu plus tard, dans un document du 1er décembre 1712, Marguerite Millet figure sous l’appellation de Veuve d’Étienne Rocher, brodeur du clergé de France18. La spécialisation de la famille est devenue manifeste.

  • 19 AN, Minutier des notaires, étude V, 349. Vente entre Christophe Lefer et Élisabeth Lefer, 26 août 1 (...)
  • 20 AN, Minutier des notaires, étude XCVIII, 456. Convention entre Bernard Rocher, François Étienne Roc (...)
  • 21 AN, Minutier des notaires, étude XCVIII, 461. Mariage entre François Étienne Rocher et Marie Cather (...)
  • 22 AN, Minutier des notaires, étude XCVIII, 461, id.
  • 23 AN, Minutier des notaires, étude LVIII, 370, 25 septembre 1751. Compte et quittance/Bernard Rocher (...)

16Étienne III Rocher est décédé avant 172819. Une fois encore, la veuve, Élisabeth Lefer, reprend l’atelier en mains avec son fils François Étienne. Les affaires ont l’air de bien marcher. Dans une convention passée en 1735 entre divers membres de la famille, tous héritiers de Marguerite Millet, l’inventaire des biens concernés regorge d’ornements à l’usage de nos Seigneurs archevêques et évêques du Clergé de France20. Lors de son mariage deux ans plus tard, en 1737, François Étienne est clairement identifié Maître brodeur à Paris et de Nosseigneurs du Clergé de France21 ; mais pas de n’importe quel clergé, comme on l’a vu ! Parmi les témoins à son mariage, figurent ainsi, en dehors des membres de sa famille, l’archevêque de sens, Jean-Joseph Languet de Gergy, Jean-Baptiste Joseph Languet de Gergy, frère du précédent et curé de Saint-Sulpice, ou encore Jean Cousturier, supérieur général du séminaire de Saint-Sulpice. Parmi les biens du futur époux lors de son contrat de mariage, on note pour une valeur de 1000 £ en vaisselle d’argent à luy particulière servant aux Sacres des Évêques et autres cérémonies d’Église22. A son décès, assez rapproché puisqu’il a lieu quatorze ans plus tard en 1751, l’inventaire des biens (qui le qualifie de Brodeur du clergé de France) énumère un nombre assez considérable d’ornements, dont beaucoup de réversibles destinés eux aussi à la location pour les cérémonies23. Les objectifs de l’atelier se sont donc élargis ; il ne se contente plus de confectionner des ornements brodés à la demande des prélats, mais il loue également ce type d’ornements ainsi que toute l’orfèvrerie nécessaire au déroulement des cérémonies. Artisanat et commerce sont maintenant étroitement mêlés. L’inventaire de François Étienne donne aussi le nom de plusieurs de ses clients. Sans les énumérer tous, citons-en quelques-uns figurant parmi les débiteurs du brodeur au moment de son décès : le curé de noyon, un chanoine de Notre-Dame, l’évêque de Bazas, l’archevêque de Paris, l’évêque de Condom, l’évêque de Limoges, l’évêque de Toulon, l’évêque de Lodève... Comme on le voit, les commanditaires de l’atelier appartiennent tous à une catégorie bien précise du clergé.

  • 24 AN, série T. 186, carton 14 (Famille Fitz-James). Je remercie Yves Carlier de me l’avoir signalé il (...)
  • 25 PETIT, Auguste ; MATHIEU, Georges. Inventaire sommaire des Archives hospitalières antérieures à 179 (...)
  • 26 AD Nord. Série G. 3 G 1090, archevêques - Léopold-Charles de Choiseul. 1771‑1788. Succession. Mémoi (...)
  • 27 Id.
  • 28 AN, série V3 198, fol. 8 verso.

17Après le décès de François Étienne, l’atelier est tenu de nouveau par sa veuve, Marie-Catherine Marie, pour la quatrième fois dans la famille Rocher !... Malheureusement, hormis des travaux exécutés vers 1760 pour François de Fitz-James, évêque de Soissons24, et sa participation à l’inventaire25 des biens de l’évêque de Tulle en 1762, nous n’avons pas retrouvé de commande la concernant ni même son inventaire après décès (elle est décédée le 21 mai 177726) qui aurait pu nous donner de nombreuses indications. En effet, Étienne Pierre Rocher s’étant trouvé son unique héritier, aucun inventaire n’a été dressé27. C’est évidemment très dommage car il y a de fortes probabilités pour que les commandes de Louis-Joseph de Montmorency-Laval et de Daniel Bertrand de Langle aient été faites auprès de son atelier dans les années 1750. Par ailleurs, Marie-Catherine Marie, veuve de François Étienne Rocher, avait été nommée brodeuse suivant la Cour en 176428.

L’apothéose

  • 29 AN, Minutier des notaires, étude LVIII, 385, 21 septembre 1756. Partage de communauté et compte de (...)
  • 30 Archives de Paris, DC6 13, fol. 272 recto. Lettre de chancellerie du Palais en date du 14 juillet 1 (...)
  • 31 AN, Minutier des notaires, étude LVIII, 385, 21 septembre 1756. Partage de communauté et compte de (...)
  • 32 AN, série O1 882, dossier 126. Ecurie du Roi.

18Étienne Pierre Rocher, fils de François Étienne Rocher et de Marie-Catherine Marie, fut le dernier membre et sans doute le plus illustre de cette brillante dynastie. Né le 30 mai 174229, il a été émancipé le 14 juillet 175630. A cette date, il est déjà qualifié de brodeur du clergé de France et, suivant les Comptes de tutelle, il a été reçu maître chasublier à Paris le 10 février 175231 (il n’a pas dix ans !). Le 13 décembre 1765, il reçoit des lettres de provision du roi pour la charge de Brodeur des écuries du Roi, restée vacante par la démission de Nicolas Mathieu Dutrou32.

  • 33 AD Nord. Série G. 3 G 1090. Archevêques. Léopold-Charles de Choiseul. 1771‑1788 - succession. Mémoi (...)

19Cette charge ne l’empêche pas de continuer des travaux conformes à la vocation de son atelier, comme pour Léopold-Charles de Choiseul-Stainville, archevêque de Cambrai de 1764 à 178133. En 1777, les Tablettes de Renommée de M. Roze de Chantoiseau le signalent ainsi (p. 8) :

Rocher (Madame) et fils, rue Férou, Brodeuse de la Chapelle du Roi et du clergé de France, ont été chargés de la majeure partie des superbes broderies pour le Sacre de Sa Majesté [Sacre de Louis XVI, le 11 juin 1775].

20Mais le point culminant de sa carrière se situe en 1779 lorsqu’il exécute, sur commande royale, un trône spectaculaire (fig. 13) (le fauteuil et son dais) destiné à la réception des chevaliers de l’ordre du Saint-Esprit. Brodé probablement d’après des dessins de Charles-germain de Saint-Aubin (fig. 14), dessinateur du roi, ce trône comportait de nombreux ornements en fils d’or et d’argent et en paillettes représentant des attributs guerriers, surmontés d’un baldaquin où planait dans toute sa gloire la colombe du Saint-Esprit.

Fig. 13.

Fig. 13.

Paris, Louvre, Département des Arts Graphiques ; Gabriel de Saint-Aubin ; trône de l’Ordre du Saint-Esprit (n° inv. RF 52294)

Thierry Le Mage © RMN-Grand Palais

Fig. 14.

Fig. 14.

Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts ; Charles-Germain de Saint-Aubin ; projet pour le dais du Saint-Esprit (n° inv. ENSBA O 1137)

© Danièle Véron-Denise

  • 34 Tablettes de Renommée, 1791. Cf. annexe 3. Sur ce trône, qui m’a été signalé au départ par Christia (...)

21Les publications de l’époque se sont fait l’écho de l’émerveillement des contemporains devant ce superbe trône [...] que l’on regarde comme un chef-d’œuvre de l’art, tant par le dessin que par l’exécution34. Puis survint la Révolution, qui engloutit nombre d’institutions et de professions ; la Maison Rocher ne lui a pas survécu...

Conclusion

22Tout a commencé avec l’ornement du cardinal de Montmorency-Laval à la cathédrale de Metz ! Superbe en soi, cet ornement méritait que l’on se penche avec intérêt sur sa technique de fabrication, ses origines, son histoire... Ce type de recherches reste souvent à l’état de vœux pieux, jusqu’au jour où un événement particulier vient secouer le quotidien et inciter à prendre vraiment les choses en main. Cet événement fut la découverte de l’ornement de la cathédrale de Carcassonne et la constatation de sa parenté absolue avec celui de Metz. Dès lors, les questions se succédèrent à un rythme assez soutenu : existait-il en France des ornements semblables ? Quelle catégorie de personnes les commandait et pour quelles circonstances ? Enfin et surtout, qui les avait confectionnés ? L’étude ci-dessus a tenté de répondre à certaines de ces questions. Et nous avons été amenée à constater la lente et sûre ascension d’un atelier parisien, celui de la famille Rocher, qui s’est arrogé progressivement le monopole de la fourniture des ornements épiscopaux, sans doute à toute la classe religieuse concernée, allant même jusqu’à déborder de ses fonctions initiales, en proposant la location de l’ensemble du matériel nécessaire à certaines cérémonies fastueuses. Nous n’avons pu prouver en toute certitude que les ornements étudiés proviennent effectivement de cette famille, mais nous reconnaissons que la probabilité en est très forte.

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Annexe

Annexe 1

PELT, Jean-Baptiste. Études sur la cathédrale de Metz. Documents et notes relatifs aux années 1790 à 1930‑1932. Metz, 1932, nº 364, p. 166 :

"1819, 16 novembre – Legs faits à la cathédrale par Mgr d’Urgons, évêque d’Orope :

Le chapitre étant assemblé… Mr du Cherray a annoncé avoir reçu une lettre de M. [Louis] de Chambre, grand chantre et chanoine de l’église, présentement de service à Paris en qualité d’aumônier ordinaire du Roi, par laquelle ce confrère fait part de la mort de Mr son frère Henry d’Urgons de Chambre, évêque d’Orope, anciennement suffragant et vicaire général de Mgr le cardinal de Montmorency, évêque de Metz, chanoine et chancellier de cette église, décédé au château de sa famille à Tartas, département des Landes, muni des derniers sacremens de l’église, qu’il avait reçus avec beaucoup de piété et à la très grande édification de toute la paroisse où il avait quelquefois officié pontificalement. Mr du Cherray a ajouté que cette lettre porte que feu Mgr l’évêque d’Orope avait légué par testament à la fabrique de notre église sa chapelle épiscopale consistant en un plateau avec son aiguière, un calice avec patène, une sonnette et un bougeoir (le tout en vermeil) ; de plus en une chappe brodée des deux côtés, ainsi que la chasuble : ces 2 objets en moire blanche d’un côté et en moire rouge de l’autre ; en un très beau rochet de dentelle, 2 paires de bas brodés, une ceinture de soie blanche avec franche [sic] en or, une crosse et 2 mitres.
[en note] : La chapelle épiscopale léguée par Mgr d’Urgons provenait de Mgr de Montmorency.

Annexe 2

Testament de Daniel Bertrand Delangle (25 mars 1772). Registre notarié d’Antoine Bauzit, notaire à Castelnaudary, au 25 juin 1774 (jour du décès de Bertrand Delangle). Archives départementales de l’Aude, 3 E 10144.

[…]. Septimo. Nous donnons à tous les évêques nos successeurs dans le siège épiscopal de Saint-Papoul notre chapelle avec tous les effets qui la composent, comme argenterie tant simple que d’orée, tous nos ornements de quelque espèce qu’ils soient, nos mithres, bas et souliers de cérémonie, nos missels et pontificaux, nos anneaux et croix pectorales avec tout le linge, dantelles d’église, nos tapis, carreaux, dossiers et fauteuils du trône. NOUS VOULONS qu’en cas de translation de quelqu’un de nos successeurs à un autre siège, il ne puisse rien emporter des effets de notre ditte chapelle mais qu’ils demeurent réservés en entier à son successeur dans le siège de Saint-Papoul. Comme aussi que les effets de notre ditte chapelle ne puissent jamais être saisis ny vendus pour acquitter les dettes des évêques de quelque nature qu’elles puissent être et afin que notre volonté sur ce point soit fidellement exécutée, nous voulons qu’après notre décès il soit fait par notre héritier et notre exécuteur testamentaire, un de mes vicaires généraux et M. le procureur du roy au siège présidial de Castelnaudary y appellés et présents, fait un inventaire exact de notre ditte chapelle au pied duquel inventaire sera faite par gens connoisseurs et experts, l’estimation desdits effets ; et que notre présente substitution soit publiée à l’audiance de notre sénéchal de Castelnaudarry et enregistrée avec l’inventaire au greffe de la juridiction, que du tout il soit fait trois copies, en forme probante dont l’une sera remise aux archives de l’évêché, l’autre entre les mains de notre héritier, et la dernière à notre exécuteur testamentaire, notre héritier, et notre exécuteur testamentaire. [sic]

Annexe 3

1779, 26 mars – Journal de Paris, nº 85, p. 340‑341

Aux Auteurs du Journal,
Messieurs,
En passant par la rue Férou, près S. Sulpice, je vis une porte ouverte & beaucoup de monde dans une cour, occupé à regarder attentivement un objet renfermé sous un grand hangard. Cela piqua ma curiosité, je m’approchai, je fus autant ébloui de ce que je vis, qu’enchanté du bon goût avec lequel cet Ouvrage est traité. C’est un trône destiné pour le Roi lors de la réception des Chevaliers du Saint-Esprit ; il m’a paru ajusté & composé avec autant de noblesse que de magnificence. Tous les ornemens en sont exécutés en broderie. C’est la premier fois, dit-on, que l’on a renouvellé ce trône, depuis la fondation de l’Ordre par Henri III.
Sur deux marches couvertes d’un tapis de velours verd, brodé en or & argent, on voit le fauteuil du Roi. Deux coqs servent de pieds de devant, & le dossier est un bouclier orné d’une tête de soleil. Le fond de ce bouclier, travaillé en paillettes pressées les unes contre les autres, rend un éclat à peu-près semblable à celui du métal poli ; le baldaquin, qui est suspendu au-dessus du fauteuil, a la forme d’une tente ouverte. Dans le jour, on voit un Saint-Esprit en argent, qui jette de grands rayons interrompus par quelques légers nuages. Pour donner un effet plus pittoresque, les rayons qui partent du Saint-Esprit sont à leur naissance travaillés en argent, & se terminent en or. Cette espece de tableau a pour bordure deux faisceaux de piques élevés sur des socles, & auxquels sont attachés des peaux de lion & des armes groupées en trophée. Le baldaquin, qui comme je l’ai dit, a la forme d’une tente, dont les rideaux retroussés aux faisceaux, retombent majestueusement jusqu’en bas, est orné de carquois attachés à chaque pan, & sur lesquels on a posé des casques tous variés de forme. Le haut est couronné par un corselet de guerrier, accompagné d’armes & d’étendards, d’où sort une massue, qui soutient un casque plus grand que les autres, à fond d’azur, orné de trois fleurs de lys. Tous ces casques chargés de leurs plumes, amenent naturellement & motivent les panaches dont on décore toujours ces sortes de dais. Les colliers de l’Ordre font la bordure des grands rideaux de la tente. Le tout ensemble a beaucoup de majesté, & a bien le caractere d’un Ordre militaire.

Le plaisir que m’a fait cet Ouvrage, m’a engagé à vous en faire part, pour en donner avis à vos Souscripteurs, qui peut-être seront charmés de le voir. On m’a dit que l’on montrait ce morceau le matin depuis 9 heures jusqu’à midi, & le soir depuis 3 jusqu’à cinq.
J’ai l’honneur d’être, &c.
Un Abonné.
On voit ce trône chez M. Rocher, Brodeur, rue Férou

Liste des abréviations

AN : Archives Nationales
AD : Archives Départementales

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Notes

1 Cf. PAGNON, Josiane. Les ornements liturgiques réversibles : premières approches d’un bilan. Patrimoines du sud [en ligne], 1 / 2015, mis en ligne le 23 février 2015, URL : https://inventaire-patrimoine-culturel.cr-languedocroussillon.frhttp://0-edt--journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/905

2 PELT, Jean-Baptiste. Études sur la cathédrale de Metz. Documents et notes relatifs aux années 1790 à 1930‑1932. Metz, 1932, p. 166, nº 354.

3 La chape est reproduite dans le catalogue d’exposition Le Soleil et l’Étoile du Nord. La France et la Suède au XVIIIe siècle. Paris : Grand Palais, 1994, nº 143, p. 116.

4 FARCY, Louis de. La broderie du XIe siècle jusqu’à nos jours d’après des spécimens authentiques et les inventaires. Angers : Belhomme, libraire éditeur, 1890, 1900, puis 1919. 1919, pl. 254.

5 AD Aude, série E, 3 E 10144. Registre notarié d’Antoine Bauzit, notaire à Castelnaudary, au 25 juin 1774, jour du décès de Daniel Bertrand Delangle. Testament. Voir annexe 2.

6 AD Aude, série B, B 2021 : Cours et juridictions. Sénéchaussée du Lauragais. Insinuations (1553-

7 Je remercie Isabelle Bédat, qui a restauré cette chasuble, de me l’avoir fait remarquer.

8 N° inv. 1892 A.

9 Environ 200.

10 GIRAUDET, Dr E. Les Artistes tourangeaux. Tours : Impr. de Rouillé-Ladevèze, 1885.

11 AN, Minutier des notaires, étude XCVIII, 119. Marché entre Étienne Rocher et Augustin Delaporte, 2 juillet 1635.

12 AN, Minutier des notaires, étude XVIII, 144. Inventaire après décès d'Élisabeth Riquier, 10 novembre 1642.

13 AN, Minutier des notaires, étude XCVIII, 73. Marché entre M. Olier, Étienne Rocher, François Ladan et Nicolas Boudin, 6 octobre 1650.

14 AD Gironde. Série G : 3198 ; Comptabilité de l’archevêché. 1656‑1668. "1656 : mémoire des ouvrages de broderie faits par Étienne Rocher maître brodeur à Paris ; quittances".

15 AN, Minutier des notaires, étude XCVIII, 194. Inventaire après décès d’Étienne Rocher, 19 mai 1657.

16 Dans l’acte de baptême de son propre fils François Étienne, né le 22 octobre 1698, baptisé le 26 octobre suivant, comme il est écrit dans l’Extrait des Registres des Baptêmes de l’église paroissiale de Saint-Sulpice à Paris, annexé à un acte de notoriété du 11 décembre 1775. AN, Minutier des notaires, étude LVIII.

17 AN, série O1 : 2842. Menus Plaisirs (1712). La Ttrémoille en charge, fol. 49 verso.

18 AN, Minutier des notaires, étude XXVIII, 111. Contrat d’apprentissage auprès de Georges Manouré, maître-peintre, 1er décembre 1712.

19 AN, Minutier des notaires, étude V, 349. Vente entre Christophe Lefer et Élisabeth Lefer, 26 août 1728. Dans cet acte, son épouse, Élisabeth Lefer, est qualifiée de veuve.

20 AN, Minutier des notaires, étude XCVIII, 456. Convention entre Bernard Rocher, François Étienne Rocher et Marie Élisabeth Rocher, 26 octobre 1735.

21 AN, Minutier des notaires, étude XCVIII, 461. Mariage entre François Étienne Rocher et Marie Catherine Marie, 7 février 1737.

22 AN, Minutier des notaires, étude XCVIII, 461, id.

23 AN, Minutier des notaires, étude LVIII, 370, 25 septembre 1751. Compte et quittance/Bernard Rocher et les Vves Rocher et Treuffard. Ce document, qui règle des questions de succession au sein de la famille, confirme ses activités de location.

24 AN, série T. 186, carton 14 (Famille Fitz-James). Je remercie Yves Carlier de me l’avoir signalé il y a quelques années.

25 PETIT, Auguste ; MATHIEU, Georges. Inventaire sommaire des Archives hospitalières antérieures à 1790. Tulle : Imprimerie administrative et commerciale Louis Moles, 1911, p. 158.

26 AD Nord. Série G. 3 G 1090, archevêques - Léopold-Charles de Choiseul. 1771‑1788. Succession. Mémoires et comptes de fournisseurs et de créanciers. Acte de notoriété produit au chapitre métropolitain de Cambrai le 16 novembre 1786.

27 Id.

28 AN, série V3 198, fol. 8 verso.

29 AN, Minutier des notaires, étude LVIII, 385, 21 septembre 1756. Partage de communauté et compte de tutelle. Le nº 16 de ce document permet de déduire l’âge d’Étienne Pierre.

30 Archives de Paris, DC6 13, fol. 272 recto. Lettre de chancellerie du Palais en date du 14 juillet 1756, insinuée le 15 juillet 1756.

31 AN, Minutier des notaires, étude LVIII, 385, 21 septembre 1756. Partage de communauté et compte de tutelle, article 8 du chapitre des dépenses. Le coût de la Lettre de maîtrise a été de 278 £.

32 AN, série O1 882, dossier 126. Ecurie du Roi.

33 AD Nord. Série G. 3 G 1090. Archevêques. Léopold-Charles de Choiseul. 1771‑1788 - succession. Mémoires et comptes de fournisseurs et de créanciers.

34 Tablettes de Renommée, 1791. Cf. annexe 3. Sur ce trône, qui m’a été signalé au départ par Christian Baulez que je remercie vivement, voir Journal de Paris, nº 85, p. 340‑341 (26 mars 1779) ; Almanach Pittoresque, Historique et Alphabétique d’Hébert, t. II, 1780. p. 235‑236 ; ROSENBERG, Pierre. Le Livre des Saint-Aubin. Paris, 2002 ; VITTET, Jean. Tapis de la Savonnerie pour la chapelle royale de Versailles, Paris, 2006, p. 12, 13 et 42.

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Table des illustrations

Titre Fig. 1.
Légende Metz (Moselle), cathédrale Saint-Étienne ; chape de l’ornement de Mgr de Montmorency-Laval, face rouge
Crédits © Gabriel Normand
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/944/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 422k
Titre Fig. 2.
Légende Metz (Moselle), cathédrale Saint-Étienne ; chaperon de la chape de l’ornement de Mgr de Montmorency-Laval, face rouge
Crédits © Gabriel Normand
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/944/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 764k
Titre Fig. 3.
Légende Metz (Moselle), cathédrale Saint-Étienne ; chasuble de l’ornement de Mgr de Montmorency-Laval, face rouge
Crédits © Gabriel Normand
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/944/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 531k
Titre Fig. 4.
Légende Metz (Moselle), cathédrale Saint-Étienne ; bourse de corporal de l’ornement de Mgr de Montmorency-Laval, face rouge
Crédits © Gabriel Normand
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/944/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 271k
Titre Fig. 5.
Légende Metz (Moselle), cathédrale Saint-Étienne ; voile de calice de l’ornement de Mgr de Montmorency-Laval, face rouge
Crédits © Gabriel Normand
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/944/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 347k
Titre Fig. 6.
Légende Carcassonne (Aude), cathédrale Saint-Michel ; chape de l’ornement de Mgr Bertrand de Langle, face rouge
Crédits M. Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général, 2012
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/944/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 421k
Titre Fig. 7.
Légende Carcassonne (Aude), cathédrale Saint-Michel ; chasuble de l’ornement de Mgr Bertrand de Langle, face rouge
Crédits M. Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général, 2012
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/944/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 419k
Titre Fig. 8.
Légende Carcassonne (Aude), cathédrale Saint-Michel ; étole, manipule, voile de calice et bourse de corporal de l’ornement de Mgr Bertrand de Langle, face rouge
Crédits M. Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général, 2012
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/944/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 330k
Titre Fig. 9.
Légende Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), basilique Saint-Denis ; chasuble de l’ornement dit « de Louise de France », face blanche
Crédits © Isabelle Bédat
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/944/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 352k
Titre Fig. 10.
Légende Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), basilique Saint-Denis ; bourse de corporal, face rouge
Crédits © Isabelle Bédat
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/944/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 230k
Titre Fig. 11.
Légende Rouen (Seine-Maritime), musée départemental des Antiquités ; chape réversible, n° inv. 1892 (A), face rouge
Crédits Yohann Deslandes © cg76 - Musée départemental des Antiquités de Rouen
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/944/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 487k
Titre Fig. 12.
Légende Rouen (Seine-Maritime), musée départemental des Antiquités ; chape réversible, n° inv. 1892 (A), détail de la face blanche
Crédits Yohann Deslandes © cg76 - Musée départemental des Antiquités de Rouen
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/944/img-12.jpg
Fichier image/jpeg, 581k
Titre Fig. 13.
Légende Paris, Louvre, Département des Arts Graphiques ; Gabriel de Saint-Aubin ; trône de l’Ordre du Saint-Esprit (n° inv. RF 52294)
Crédits Thierry Le Mage © RMN-Grand Palais
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/944/img-13.jpg
Fichier image/jpeg, 474k
Titre Fig. 14.
Légende Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts ; Charles-Germain de Saint-Aubin ; projet pour le dais du Saint-Esprit (n° inv. ENSBA O 1137)
Crédits © Danièle Véron-Denise
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/944/img-14.jpg
Fichier image/jpeg, 281k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Danièle Véron-Denise, « Les ornements épiscopaux du XVIIIe siècle des cathédrales de Metz et de Carcassonne et l’atelier parisien de la famille Rocher »Patrimoines du Sud [En ligne], 1 | 2015, mis en ligne le 01 février 2015, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/944 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/pds.944

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Auteur

Danièle Véron-Denise

Conservateur honoraire du château de Fontainebleau

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Droits d’auteur

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