- 1 - Principes, méthode, 2007, p. 9.
1Une enquête d’Inventaire, qu’elle soit topographique ou thématique, revêt une dimension exhaustive qui autorise à aller « au-delà du connu »1 et, par là même, à appréhender des édifices qui, à priori, ne sont pas encore identifiés comme appartenant au champ du patrimoine. Les moulins hydrauliques présentés dans cet article sont de cette espèce, de ce patrimoine modeste et souvent invisible. Loin des sites monumentaux que représentent les moulins fortifiés médiévaux implantés sur les rives des fleuves Aude, Orb ou Hérault, ces installations hydrauliques discrètes n’en sont pour autant pas moins parlantes. Nichées dans des paysages spectaculaires et fragiles, en partie classés par décret du 14 janvier 2016 et engagés dans une démarche Grand Site de France, elles évoquent la nécessaire adaptation des hommes au milieu naturel dans un contexte présentant de fortes contraintes topographiques et hydrographiques. Elles nous rappellent également que, pendant près d’un millénaire et avant l’avènement de la viticulture au XIXe siècle, la culture céréalière fut omniprésente dans le secteur du Minervois.
- 2 - Le numéro 8 dresse notamment un inventaire par commune, entreprise minutieuse et colossale menée (...)
- 3 - LOMBARDI-PEISSEL, 1985 ; PHALIP, 1992 ; DURAND, 2002.
- 4 - CALISTE, 2019. L’article publie une partie des recherches menées par l’autrice dans le cadre d’un (...)
- 5 - LANGLOYS, 1989.
- 6 - CAILLE, 1998 ; CAPERA, 2019.
- 7 - CAZALS, 1985.
- 8 - CAZALS, 1985.
- 9 - Les actes de ce colloque ont été publiés : CAUCANAS, 2005.
2L’étude des moulins du département de l’Hérault suscite, dès les années 1980, un engouement du tissu associatif. Ainsi, entre 1986 et 2006, les Cahiers des Arts et Traditions Rurales publient 25 numéros entièrement consacrés à cette thématique2. La communauté scientifique emboîte le pas par l’intermédiaire des travaux de Françoise Lombardi sur douze moulins médiévaux fortifiés installés sur l’Aude et l’Hérault - dont le mémoire de recherche est malheureusement resté inédit - de Bruno Phalip sur les moulins médiévaux des XIe et XIIe siècles et d’Aline Durand sur les moulins carolingiens du Languedoc3. Plus récemment, Lisa Caliste s’est intéressée aux moulins du Lodévois et du Clermontais à la fin du Moyen Âge, par le biais de l’étude des registres de notaires4. Le secteur audois, géographiquement proche des communes étudiées dans le cadre de cet article, a également fait l’objet de travaux historiques ou ethnologiques émanant des milieux universitaire5, associatif6 et archivistique7. En 1985, les archives départementales de l’Aude publient, sous la direction de Rémy Cazals, un ouvrage intitulé Cours d’eau, moulins et usines, valorisant la richesse des documents graphiques conservés en série S8. Près de vingt ans plus tard, ce thème était approfondi à l’occasion du colloque « Du moulin à l’usine » avec la participation d’historiens et d’archéologues spécialistes des périodes médiévales, modernes et contemporaines9.
- 10 - SERNA, 2019. Cette thématique a notamment été choisie dans les Régions Auvergne Rhône-Alpes, Bret (...)
- 11 - Le patrimoine hydraulique a notamment été pris en compte dans le cadre du repérage du patrimoine (...)
3Le sujet de l’hydraulique occupe depuis plusieurs années une place prépondérante dans les opérations d’inventaire thématiques menées au sein des services régionaux en charge de l’Inventaire10. Il faut dire qu’il s’agit d’un domaine de recherche aussi vaste que transversal, situé au cœur des politiques publiques et des préoccupations contemporaines. En Région Occitanie, la thématique a notamment été abordée au cours d’enquêtes thématiques et topo-thématiques portant sur le patrimoine industriel11, le canal du Midi et le thermalisme (massif Pyrénéen, Lamalou-Les-Bains). Deux enquêtes sont également en cours sur la vallée du Lot (Lot) et sur le patrimoine hydraulique de la communauté de communes du Conflent-Canigou (Pyrénées-Orientales).
4L’opération menée sur le Pays Haut Languedoc et Vignobles (Hérault), labellisé Pays d’art et d’histoire depuis 2016, a débuté en mars 2020. La mission se compose d’un volet topographique et d’une enquête thématique dédiée au patrimoine molinologique hydraulique. Cette dernière a été menée en priorité sur les sept communes du Minervois héraultais engagées dans l’Opération Grand Site (OGS) « Cité de Minerve, gorges de la Cesse et du Brian ». L’article qui suit présente la méthodologie et les résultats de cette opération, grandement enrichie par la participation de Sylvain Durand, archéologue topographe, investi depuis plusieurs années aux côtés de l’historien local Robert Marty dans l’étude des moulins de ce secteur.
- 12 - BINISTI, Avril. Plan de valorisation du patrimoine hydraulique des gorges de la Cesse et du Brian (...)
5Un premier recensement des moulins hydrauliques a été mené en 2013 durant la phase de préfiguration de l’OGS « Cité de Minerve, gorges de la Cesse et du Brian ». Cette étude, conduite par Avril Binisti dans le cadre d’un stage de deux semaines, avait pour objectif de nourrir un futur plan de mise en valeur du patrimoine du Grand Site, au sein duquel la thématique de l’eau a été reconnue comme axe prioritaire12. Il s’agissait à la fois d’identifier les moulins et leurs ouvrages hydrauliques le long de la Cesse et du Brian et de dresser des pistes de valorisation de ce patrimoine. Le recensement a été effectué à l’aide des cartes IGN, puis complété par le biais d’entretiens oraux conduits auprès de quelques élus des communes concernées. Les sites identifiés ont été visités et les données consignées dans des fiches type Inventaire.
- 13 - Ces sept communes, situées à l’ouest du département de l’Hérault, sont Azillanet, La Caunette, Ce (...)
6S’il a été envisagé, au commencement de l’opération d’inventaire thématique du Pays Haut Languedoc et Vignobles, de verser ces données en l’état dans les bases régionales, la nécessité de reprendre ce recensement s’est rapidement imposée. En effet, l’absence de recherches documentaires – liée à la durée très limitée de ce stage – ne permettait pas d’assurer la fiabilité des données collectées. Par souci de cohérence, notamment historique, l’aire d’étude a, de plus, été élargie à la totalité des territoires des sept communes13, dépassant ainsi le seul périmètre du Grand Site (fig. 1). Ce choix se justifiait par la nécessité de mieux appréhender le volume et la répartition topographique des moulins, à l’échelle de l’aire d’étude comme à l’échelle communale.
Fig. 1
Carte des sept communes concernées par l’OGS et périmètre du site classé
© Pays Haut Languedoc et Vignobles
7L’enquête a concerné l’ensemble des édifices et édicules liés au fonctionnement, à l’accès et à la mise en jeu des moulins hydrauliques, du Moyen Âge à nos jours. L’objectif était d’appréhender l’édifice-moulin non pas comme un élément hors-sol mais comme l’un des composants d’un environnement global. Les aménagements hydrauliques (chaussée, bief, réservoir, cuve de charge, aqueducs…), les ouvrages d’art (ponts…), les voies d’accès, le réseau d’irrigation connecté au moulin ainsi que les carrières de meules ont été pris en compte.
8La captation et la maîtrise de l’eau constituent des enjeux forts sur les communes du Grand Site. Le territoire, soumis à un climat méditerranéen, connaît des périodes de sécheresse prolongées entraînant un débit intermittent et parfois insuffisant des cours d’eau. À cette première difficulté s’ajoute celle, paradoxale, de la menace saisonnière de crues engendrées par des pluies parfois torrentielles. L’étude devait donc s’attacher à montrer comment les hommes se sont adaptés à ces contraintes géographiques et climatiques, en s’intéressant aux différentes techniques de captage et de maîtrise de l’eau.
9Dès les premiers mois de l’étude, un contact a été pris avec Sylvain Durand, archéologue-topographe, et Robert Marty, historien local, qui étudient tous deux bénévolement et conjointement, depuis plusieurs années, les moulins hydrauliques du Minervois. Ces derniers avaient d’ores et déjà rassemblé une documentation historique importante, et Sylvain Durand avait entrepris un travail de prospection lui permettant d’identifier sur le terrain plusieurs sites mentionnés dans les sources médiévales.
- 14 - Un alleu est une « propriété acquise par héritage et libre de toute obligation ou redevance, dans (...)
10Ces échanges, portant à la fois sur les méthodologies respectives, les recherches en archives et l’observation des œuvres in situ, ont nourri l’étude et lui ont donné des développements inattendus. Ce travail collaboratif a permis d’esquisser des premières observations et de soulever de nouvelles problématiques, comme la question de la permanence des sites à travers les siècles ou encore l’origine alleutière14 ou seigneuriale des édifices étudiés.
11Sur les sept communes concernées, dix moulins, un pont et trois carrières de meules ont fait l’objet de dossiers documentaires réalisés selon les normes de l’Inventaire général. Ce petit corpus a permis de poser les bases méthodologiques d’une enquête thématique sur le patrimoine molinologique hydraulique, qui va être progressivement élargie aux 102 communes du Pays Haut Languedoc et Vignobles.
- 15 - MARTY, 2008 ; MARTY, 2012 ; MARTY, 2012 ; DURAND, 2016 ; MARTY, 1996, avec mise à jour en septemb (...)
- 16 - MARTY, 2008 ; MARTY, 2012 ; MARTY, 2012 ; DURAND, 2016 ; MARTY, 1996, avec mise à jour en septemb (...)
12Sur le secteur du Minervois héraultais, les études historiques menées par Robert Marty et Sylvain Durand constituent la principale ressource documentaire disponible15. Leur travail, fruit de nombreuses années de recherches dans les fonds d’archives communales ainsi qu’aux archives départementales de l’Aude et de l’Hérault, a été partiellement publié dans une série d’articles parus dans la presse locale entre 2008 et 201616. En dehors des archives municipales et départementales détaillées ci-dessous, ces derniers avaient principalement exploité le fonds des archives du chapitre Saint-Just de Narbonne (AD Aude) ainsi que plusieurs sources imprimées ou manuscrites (Histoire Générale de Languedoc / inventaire Ducarouge – AC Narbonne).
- 17 - Les matrices et usuels de compoix sont conservés aux archives départementales de l’Hérault, dans (...)
- 18 - Tous les dossiers d’inventaire [IA…] ont été consultés sur la plateforme POP le 13 juillet 2022.
- 19 - L’apport des registres de notaires à l’étude des moulins a d’ailleurs été démontrée par Lisa CALI (...)
13Afin de compléter cette documentation et de l’uniformiser à l’échelle des sept communes, plusieurs fonds d’archives ont été identifiés. Concernant les archives anciennes, les registres de compoix ont été dépouillés de manière systématique17. Ils contiennent la description, la délimitation et l’estimation des possessions de chaque propriétaire sur une communauté donnée. Il s’agit d’une source documentaire majeure pour cette thématique - qui plus est particulièrement abondante pour le secteur étudié - mais elle présente cependant quelques limites : elle est inégalement conservée selon les communes, la description est souvent sommaire (elle n’indique que rarement le nombre de meules, elle ne décrit pas les aménagements hydrauliques comme la chaussée, le bief, le réservoir ou le canal de fuite) et les biens nobles n’y figurent généralement pas, parce qu’ils sont exemptés d’impôts. Les mentions de moulins ont été systématiquement relevées et reportées dans un tableau général, qui a servi de base à la création d’une carte sur l’évolution du nombre de moulins du Moyen Âge à nos jours. Les registres paroissiaux ont été dépouillés pour les communes n’ayant pas conservé leur compoix (deux communes sur sept). Dans le cas de la commune de Vélieux, l’existence du moulin de Trédos [IA34009847] a ainsi pu être attestée dès le XVIIe siècle18. Ce fonds constitue une source complémentaire des compoix, par les renseignements qu’il contient sur les familles de meuniers et leurs alliances. Afin de ne pas trop allonger la durée de l’étude, il a été choisi de ne pas exploiter les délibérations des conseils consulaires. Pour la même raison, les registres de notaires n’ont été consultés qu’occasionnellement. Les prix-fait, actes de vente et arrentements apportent cependant des informations essentielles sur la datation des moulins, leurs propriétaires ou leur mode d’exploitation19.
14Concernant les archives modernes, les séries 3S et 7S ont également été dépouillées. Elles réunissent les dossiers produits par le service hydraulique de l’administration des Ponts et Chaussées et contiennent des informations intéressantes sur l’exploitation des moulins, les aménagements hydrauliques et les conflits liés à l’usage de l’eau. Elles comportent également quelques plans, parfois très détaillés, des aménagements hydrauliques et des connections entre canaux du moulin et canaux d’irrigation (fig. 2).
Fig. 2
La Livinière (Hérault), moulin Rigaud [IA34009857] ; AD Hérault. 7S145. La Livinière, Plan géométrique et figuratif, moulin Rigaut ([non daté], 2e moitié du XIXe siècle)
Karyn Orengo © Pays Haut Languedoc et Vignobles
15Le dépouillement des archives de l’Enregistrement (série 3Q) avait au préalable été effectué par Sylvain Durand. Accessible grâce à des tables chronologiques consultables en ligne, ce fonds répertorie tous les actes passés devant notaire ou sous seing privé, dont les baux à ferme (XIXe-XXe siècles) et facilite ainsi l’exploitation des registres de notaires (série E). Ces archives constituent une source particulièrement riche sur la question des conditions de mise en exploitation des moulins au XIXe siècle.
16Une recherche systématique sur les cartes de Cassini, les plans cadastraux napoléoniens et les cartes IGN a permis de dresser une première estimation du corpus des moulins du territoire. La carte de Cassini représente une source incontournable, bien que limitée et incomplète - limitée parce que les emplacements sont imprécis et que ni les bâtiments ni les aménagements hydrauliques ne sont figurés, incomplète parce que certains des moulins repérés n’y sont pas représentés alors que leur existence est bien antérieure au XVIIIe siècle. Le cadastre napoléonien, établi entre 1809 et 1838 sur le territoire, constitue en revanche une documentation précise ; en figurant les biefs et les réservoirs, il permet de reconstituer les aménagements hydrauliques liés aux moulins, dont la plupart ont aujourd’hui disparu. Cependant, certains aménagements n’y sont pas figurés, à l’exemple des chaussées et des cuves de charge (fig. 3).
Fig. 3
Cesseras (Hérault), moulin de Monsieur [IA34009856] ; AD Hérault. 3P3503. Plan cadastral napoléonien, section F2 de Fausan, 1816
© AD Hérault
17D’autres documents cartographiques ont également été consultés pour affiner le recensement, comme la collection de cartes topographiques et minéralogiques des communes de l’Hérault dressées par R. Gailhard entre 1850 et 1910 (conservée aux archives départementales de l’Hérault) ou les cartes d’état-major (1820-1866) numérisées et consultables en ligne (www.geoportail.gouv.fr).
18La documentation iconographique est, somme toute, assez maigre sur le corpus étudié. Un dessin à la mine de plomb représentant le pont et le moulin de Minerve est conservé dans la collection des « Vues pittoresques du département de l’Hérault », rassemblant 2477 gouaches, aquarelles, dessins à la mine de plomb ou à la plume et lavis réalisés par Jean-Marie Amelin entre 1820 et 1848 (fig. 4). Quelques photographies prises au début du XXe siècle au moulin de Monsieur à Cesseras ont également été collectées par Robert Marty dans des archives privées. On peut également signaler l’existence de plusieurs cartes postales, figurant le moulin Haut de Minerve [IA34009846] et le pont mitoyen [IA34009862] sur le Brian, éditées entre le début du XXe siècle et nos jours, sur lesquelles apparaît la toiture du moulin avant son effondrement dans les années 1940.
Fig. 4
Minerve (Hérault), moulin Haut [IA34009846] ; Amelin, Jean-Marie. Moulin près Minerve, 1823
© Médiathèque Centrale Émile Zola - Montpellier Méditerranée Métropole
19Le territoire d’étude s’appuie sur le piémont de la Montagne Noire et se développe au sud vers la plaine de l’Aude. Malgré la faible superficie de l’aire d’étude (environ 142 km²), la zone présente de fortes disparités géographiques. Le relief culmine à 600 mètres sur la partie montagneuse, alors que la plaine se développe à une altitude basse avoisinant les 100 mètres (fig. 5).
Fig. 5
Cesseras (Hérault), moulin de la Coquille, dit aussi moulin d’Azam [IA34009845] ; vue d’ensemble du site d’implantation (le moulin est situé en contrebas, au pied du cèdre), 2022
D. Maugendre © Inventaire général Région Occitanie
20Sur la moitié nord, le paysage se caractérise par des causses calcaires, où l’eau est absente, entaillés de profonds canyons au creux desquels sinuent la Cesse et ses affluents. Cette rivière, qui prend sa source à Ferrals-les-Montagnes dans la Montagne Noire, abandonne de juin à octobre son cours aérien sur près de 17 km depuis l’amont de Minerve jusqu’à Agel, où elle réapparaît à la résurgence appelée Le Boulidou (fig. 6). Son principal affluent, le Brian, présente un débit d’eau plus pérenne bien qu’également variable. Il coule sur 15 km entre les communes de Rieussec et de Minerve, traversant des paysages karstiques façonnés par l’eau, et se jette dans la Cesse au pied de la cité de Minerve (fig. 7). Sur la partie sud du territoire, la plaine est principalement irriguée par la rivière L’Ognon, au débit faible et intermittent.
Fig. 6
Profil en long de la Cesse
S. Durand © Géoptère archéologie
Fig. 7
Profil en long du Brian
S. Durand © Géoptère archéologie
21Si le réseau hydrographique est développé, l’eau est donc rare et temporaire. Cette particularité est liée au climat méditerranéen qui se caractérise par une pluviométrie faible et inégalement répartie dans l’année, le caractère orageux des précipitations et une forte évaporation estivale. Dans le secteur des causses, elle est également induite par la lithologie des roches. En effet, le calcaire absorbe une partie des eaux de surface qui s’infiltrent dans le sous-sol et rejoignent les cavités, les galeries souterraines, ou encore la nappe phréatique.
22L’enquête de terrain a débuté à l’automne 2020. Le repérage des édifices a, dans un premier temps, été effectué uniquement par la chargée de mission Inventaire. La majorité des moulins représentés sur le cadastre napoléonien se sont révélés être encore observables. Cependant, l’observation in situ s’est heurtée à plusieurs difficultés. Tout d’abord, tous les moulins étudiés ont perdu leur fonction originelle. Ils ont soit connu un changement de destination (beaucoup ont été convertis en résidence secondaire), soit été abandonnés et sont aujourd’hui ruinés. Ensuite, peu d’aménagements hydrauliques ont été conservés. Dans la majorité des cas, ils n’existent plus qu’à l’état de vestiges ou ne peuvent être appréhendés que par les plans cadastraux napoléoniens ou ceux issus de la série S des archives départementales. Enfin, les mécanismes ont également disparu, compliquant fortement l’analyse des installations techniques de ces édifices.
- 20 - Le moulin de Fabas à La Livinière, également mentionné dans les sources médiévales, n’a pu être v (...)
23Une seconde phase de terrain a été réalisée au printemps 2021 avec Sylvain Durand. Elle a concerné les moulins mentionnés dès l’époque médiévale (moulins de Monsieur et de la Coquille à Cesseras, moulins de Minerve, moulins de la Barthe et de Locamus à Siran)20. Le travail de prospection, réalisé par Sylvain Durand antérieurement à l’opération, a permis d’ajouter à cette liste les vestiges d’un moulin médiéval situé au nord de la commune de Siran, dans le cours de la Cesse, absent de la documentation cartographique moderne et contemporaine. Les observations in situ ont notamment permis de conforter ou d’infirmer la datation médiévale de certains édifices, de repérer les différentes phases de construction et de relever des premières variations typologiques.
- 21 - Nous remercions également Géraud Buffa, conservateur en chef du patrimoine au sein de la mission (...)
24Le formulaire d’enquête utilisé lors de la phase de terrain a été conçu en collaboration avec Lisa Caliste, chercheur à l’Inventaire spécialiste du patrimoine industriel pour la Région Occitanie21. Il comprend des informations techniques portant sur l’édifice du moulin (type de roue, nombre de roues, nombre de paires de meules, type de plan…) et sur les aménagements hydrauliques (hauteur de chute, dimensions du bief, superficie du réservoir, présence d’une cuve de charge…). Ces données ont été reportées dans un formulaire de données complémentaires, créé pour cette opération thématique, lié aux dossiers documentaires numériques. Les meules présentes sur site ont été systématiquement mesurées et photographiées ; la nature de la roche a également été identifiée (fig. 8).
Fig. 8
Cesseras (Hérault), meule en pierre de Saint-Julien ; vue générale, 2022
D. Maugendre © Inventaire général Région Occitanie
- 22 - BELMONT, 2011.
- 23 - Plusieurs types de roches ont été utilisées à travers les siècles pour la fabrication des meules (...)
- 24 - Les recherches sur les carrières de Saint-Julien/La Livinière ont été dirigées par Alain Belmont (...)
25Les données recueillies sont consignées dans un tableau récapitulatif, qui sera joint au dossier d’aire d’étude du Pays Haut Languedoc et Vignobles à la fin de l’opération. La collecte de ces données a pour premier objectif d’apporter des éléments de datation sur les périodes d’exploitation des sites de meunerie, les recherches menées sur les meules dans le sillage de l’historien Alain Belmont ayant établi une chronologie relative en fonction des évolutions morphologiques des pierres de mouture22. Le second objectif était de mieux connaître le périmètre de diffusion des meules des carrières de Saint-Julien à La Livinière, exploitées depuis le Moyen Âge. Aux mains de la noblesse sous l’Ancien Régime, le site atteint son expansion maximale aux XVIIe et XVIIIe siècles et constitue alors de l’une des plus grandes carrières de meules du Midi de la France23. L’exploitation des meules de Saint-Julien, concurrencées par le commerce massif des meules de la Ferté-sous-Jouarre (Seine-et-Marne), est abandonnée en 186624.
26Les moulins sont des édifices tellement ancrés dans le paysage du quotidien qu’on leur prête instinctivement moins d’attention qu’à des bâtiments religieux ou édilitaires anciens placés au sein même des bourgs. Ils ont donc fait l’objet de peu de recherches archéologiques de terrain. Ayant fonctionné jusqu’à une période relativement récente (parfois encore durant l’entre-deux-guerres), ils sont chronologiquement trop proches de nous pour susciter de nombreuses campagnes thématiques et ne paraissent pas, au premier abord, relever du champ d’investigations de l’archéologie. Cette impression de familiarité est pourtant trompeuse car les techniques de broyage du grain ou de transformation des produits employées dans les moulins ont profondément changé dès la fin du XIXe siècle, avec l’apparition des minoteries modernes, équipées de cylindres et non de meules.
- 25 - Une synthèse en a été faite pour l’Occitanie dans : BONHÔTE, 2020.
- 26 - Entre autres : RIVALS 1976 et ARMENGAUD, RIVALS, 1992.
27Durant les années 1970, 1980 et 1990, plusieurs programmes ethnologiques de sauvegarde de la mémoire des derniers temps de la meunerie traditionnelle (entretiens oraux avec d’anciens meuniers ou leur famille) ont été entrepris25. C’est le cas notamment des travaux de Claude Rivals, essentiellement centrés sur les moulins à vent26 mais appréhendant également le métier de meunier dans son ensemble.
- 27 - Bien souvent du XIe siècle, voire de la période carolingienne jusqu’à nos jours.
- 28 - LEVEAU, 2007. Haut du formulaire.
- 29 - MAUNÉ, 2003.
- 30 - MAUNÉ, BOURGAUT, PAILLET et al., 2007.
- 31 - Élian Gomez dans le Bilan Scientifique Régional Languedoc-Roussillon de 2006, p. 122-123.
- 32 - Moulins actionnés par la force animale, ou humaine.
28Les découvertes de vestiges de moulins lors de fouilles archéologiques ont pourtant été assez rares en France, peut-être grâce (ou à cause ?) à la très longue durée d’occupation, en continu, des sites de meunerie27. À l’échelle régionale, l’archéologie a ainsi essentiellement mis au jour et/ou étudié des moulins antiques, comme le magnifique site de Barbegal à Fontvieille (Bouches-du-Rhône)28, le moulin de la villa de Vareilles à Paulhan (Hérault)29, celui de l’Auribelle-Basse à Pézenas (Hérault)30 ou encore des Fangasses à Béziers (Hérault)31. Les mécanismes et la forme de ces usines semblent très proches, quasiment normalisés : adduction d’eau par un aqueduc alimentant par ailleurs une villa, roue verticale alimentée par-dessus, présence d’une fosse d’engrenage (rouet) maçonnée, moulin comme petit édifice ne présentant pas d’autre caractéristique particulière. Ces aménagements sont radicalement différents de la majorité de ceux observés dans les moulins médiévaux, qui possèdent souvent dans nos régions une roue verticale alimentée par-dessous dans le lit même de la rivière « au fil de l’eau », ou bien des roues horizontales placées sous un bief de dérivation et/ou un bassin. La tradition constructive de telles machines a donc très probablement été perdue - tout au moins dans la région - durant l’Antiquité tardive ou le Haut Moyen Âge. Notons par ailleurs que, pour leur grande majorité, les installations meunières antiques mises au jour étaient toutes implantées dans des secteurs géographiquement similaires : sites de plaine agricole propices aux grandes villæ de production. Les moulins hydrauliques semblent n’avoir alors été adoptés que sur ce type d’occupation, hautement « romanisée ». Ils étaient trop onéreux ou boudés par la grande majorité de la population qui a continué d’utiliser des moulins à bras ou à sang32.
- 33 - Le n° 17 de la revue Patrimoines du Sud (mars 2023) consacrera un article sur l’étude archéologiq (...)
- 34 - André Raux dans le Bilan Scientifique Régional Languedoc-Roussillon de 2009, p. 168.
- 35 - Marilyne Bovagne, Mathieu Ott, Yohan Pascal, Hervé Pomaredes, Liliane Tarrou et Yaramila Tcheremi (...)
- 36 - AMIGUES, CAILLE, GUY, 2003.
29Les fouilles archéologiques de moulins médiévaux sont encore plus rares dans la région, ne permettant pas de dresser un état des lieux significatif de la grande variété morphologique et de l’adaptation de ces usines à la topographie et l’hydrographie locale33. Il convient, tout au plus, de noter les découvertes de vestiges de petits moulins médiévaux lors des fouilles de Saint-Aunès (fouilles préventives du chantier de doublement de l’autoroute A9, secteur 6, ruisseau de Salaison, Hérault)34, du Mas de Roux à Castries (Hérault)35, ou des soubassements du moulin de Filou à Narbonne36.
30L’archéologie du bâti semble donc la plus à même de renseigner et de caractériser en détail les moulins médiévaux et modernes de la région, en parallèle des travaux historiques déjà relativement nombreux sur le sujet. Nous avons, qui plus est, la chance qu’un grand nombre d’entre eux soient encore conservés en élévation.
- 37 - LOMBARDI-PEISSEL, 1985.
- 38 - PHALIP, 1992.
- 39 - Notons par exemple l’article récent issu de l’étude du bâti du moulin du Pont Vieux de Millau par (...)
- 40 - Moulin de Canet (Aude) ISMH (inscrit en 1948), Moulin de Bessan (Hérault) ISMH (inscrit en 1954), (...)
31Les moulins ne semblent pas avoir non plus suscité la curiosité de beaucoup de spécialistes du bâti. Un mémoire universitaire de F. Lombardi de 198537, malheureusement resté inédit, avait pourtant jeté les bases d’une normalisation de l’étude architecturale des moulins médiévaux fortifiés installés sur l’Aude et l’Hérault, relevant soigneusement les plans et les détails morphologiques des ouvertures de 12 moulins. Ce travail a ensuite servi de base graphique à l’article de Bruno Phalip38, lequel a, en outre, été enrichi avec les relevés pierre à pierre des moulins des Laures à Paulhan (Hérault) et de Plancameil à Saint-Guilhem-le-Désert (Hérault). En dehors de ces travaux pionniers, seul un nombre très limité d’études du bâti de moulins a été mené en Occitanie39. Le Service régional de l’Archéologie ne prescrit qu’assez peu ce genre d’étude et un nombre très réduit de moulins hydrauliques médiévaux bénéficie d’une protection au titre des monuments historiques (6 moulins à eau inscrits dans l’ancienne région Languedoc-Roussillon et 9 inscrits dans l’ancienne région Midi-Pyrénées, pas de moulin à eau classé en Région Occitanie)40.
- 41 - Par exemple les trous de boulins traversants correspondant à des échafaudages encastrés dans le m (...)
32En pratique, l’archéologie du bâti se base sur le postulat que les phases de construction et de remaniements d’édifices apparaissent nettement lorsqu’on étudie en détail la mise en œuvre de leurs murs. De la même façon qu’en archéologie sédimentaire, différentes « couches » (dénommées ici des Unités Stratigraphiques Construites) constituent un mur, un bâtiment et reflètent tant sa chronologie que les modifications dont il a fait l’objet. Le choix des matériaux, leur agencement (la mise en œuvre), les techniques des différents corps de métiers du chantier de construction (maçons, charpentiers, couvreurs, vitriers…) reflètent également des habitudes, des « modes » pouvant être datées assez précisément41. Le plan de certains types d’édifices tels les églises ou encore les moulins a d’ailleurs évolué au fil du temps, tout comme la typologie et la modénature des ouvertures, la forme des voûtes, à l’image du mobilier archéologique traditionnel (céramique, verre, métal).
33Du fait de leur lien intrinsèque à l’eau, les moulins hydrauliques peuvent conserver par ailleurs des pièces de bois, appartenant soit au mécanisme, aux soubassements de la construction ou bien encore à la chaussée ou au bief d’amenée. Dans cette optique, il serait bon de mener des campagnes de prélèvements et de datations par dendrochronologie qui fourniraient de nouveaux jalons chronologiques.
- 42 - On pensera notamment aux nombreux moulins fortifiés médiévaux sur l’Hérault, le Gardon ou encore (...)
34Les moulins hydrauliques des sept communes du périmètre de l’OGS sont des édifices relativement modestes en regard d’autres complexes de meunerie régionaux médiévaux ou modernes42. Il s’agit bien souvent de petits bâtiments carrés ou rectangulaires, équipés au mieux de deux paires de meules. Ces installations étaient toutefois parfaitement adaptées au contexte hydrologique local, de petites rivières au débit assez faible, intermittentes. Bien souvent, les commanditaires de la construction étaient des alleutiers ou de petits seigneurs, le budget du chantier était donc sans doute relativement restreint. Cette réalité se ressent dans le choix des matériaux de construction : des moellons quasi exclusivement issus du lit de la rivière même et de rares pierres de taille, mais aussi dans la rusticité des couvrements et des ouvertures. Cette grande sobriété dans la mise en œuvre a malheureusement complexifié l’étude du bâti, mais a malgré tout apporté son lot de conclusions inédites, dont la datation probable des substructions des moulins de la Barthe [IA34009858], à Siran, et de Monsieur [IA34009856], à Cesseras, du XIIIe siècle.
35L’approche « stylistique » de l’archéologie du bâti ne pouvant guère être utilisée sur les moulins de notre corpus, nous avons opté pour une analyse focalisée sur deux axes : l’étude comparée des plans (forme, dimensions, épaisseur des murs…) ainsi que la mise en évidence des principales phases de construction de chaque moulin sur orthophotographies.
36La méthodologie mise en place pour l’étude du bâti des moulins du périmètre de l’OGS Minerve/vallées de la Cesse et du Brian est sensiblement la même que celle employée pour l’étude d’autres édifices anciens, protégés au titre des monuments historiques ou non. L’analyse se fait en deux temps : en premier lieu, une observation sur le terrain doublée d’une prise de note relevant les phases et les aménagements observés ; puis la mise au propre et la matérialisation de ces phases et aménagements sur les orthophotographies des élévations.
37Des relevés topographiques et photogrammétriques, ainsi que l’édition des modélisations 3 dimensions (3D) des moulins et des orthophotographies ont été réalisés. Compte tenu du temps imparti à la rédaction de l’article et des datations de certains moulins (où aucune phase moderne ancienne ou médiévale n’était visible), nous avons toutefois dû faire des choix. Seuls quatre moulins du corpus possédant certainement des élévations médiévales ont été relevés soit en totalité (plans et modélisations 3D des moulins de la Coquille, de Monsieur et du moulin Haut de Minerve) soit partiellement (intérieur de la salle voûtée nord du moulin de la Barthe). Pour l’instant, seules les orthophotographies des murs possédant un bâti médiéval ont été éditées (fig. 19 à 22). Les différentes mises en œuvre des édifices ont été délimitées graphiquement sur les orthophotographies et numérotées. Les numéros ne reflètent pas systématiquement l’enchainement chronologique des phases mais permettent d’appréhender combien les bâtiments ont été remaniés. La prudence doit cependant rester de mise : certaines différences de mise en œuvre traduisent seulement un arrêt de chantier ou des maçons différents tout en étant pourtant contemporaines entre elles. À noter enfin que le délai assez court de restitution des travaux a rendu impossible un débroussaillement optimal des façades et des abords des édifices. Certaines parties des élévations sont donc malheureusement masquées par du lierre sur les orthophotographies.
38L’enquête d’inventaire étant fondée sur l’observation de terrain, seuls les moulins conservés en élévation ou restituables grâce à la documentation graphique ont fait l’objet de dossiers documentaires. En tout dix sites de meunerie ont été étudiés sur sept communes, soit une moyenne d’1,4 moulin par commune. Cette tendance, qui devra être confirmée à l’échelle des 102 communes du Pays d’art et d’histoire Haut Languedoc et Vignobles, est similaire à d’autres secteurs géographiques offrant des caractéristiques géographiques et hydrographiques proches43. Évidemment, cette moyenne pondère des disparités importantes, naturellement liées à la présence ou l’absence de cours d’eau au débit suffisant. Ainsi, trois moulins à eau ont été repérés sur le terrain à La Livinière, alors qu’aucun ne l’a été sur la commune d’Azillanet.
- 44 - Les noms des aménagements architecturaux, des équipements et des mécanismes des moulins font l’ob (...)
- 45 - Il s’agit d’un moulin sur le Brian à Minerve. MARTY, 2008, p. 6.
- 46 - La destination du moulin n’est pas spécifiée dans près d’un tiers des mentions relevées dans les (...)
- 47 - VALLÉE-ROCHE, 2019.
- 48 - VALLÉE-ROCHE, 2019.
39L’écrasante majorité des moulins (molins44) de l’aire d’étude a servi à la mouture des céréales. Parmi les vingt-neuf mentions de moulins relevées dans les sources d’archives, dix-neuf sont explicitement qualifiés de bladier, le type de neuf d’entre eux n’est pas précisé, un est dit drapier au XVIe siècle mais redevient bladier au XVIIe siècle45. Cette tendance est encore confortée par le fait que les moulins dont la fonction n’est pas spécifiée s’avèrent généralement être des moulins à grain46. Cette prévalence de l’activité de meunerie est à mettre en rapport avec l’importance de la culture céréalière dans le Minervois, largement dominante avant l’avènement de la viticulture au XIXe siècle. La présence de bâtiments agricoles autour du moulin témoigne d’une diversification des activités, offrant un complément de revenu non négligeable au meunier, notamment en période d’étiage. Il peut s’agir d’une écurie avec pailler (palhèr), d’une remise agricole, d’un poulailler ou d’une porcherie (sÓtol ou porcatieira). D’autres ressources liées à la présence de l’eau sont parfois mises à profit, comme l’élevage et la conservation des poissons dans des bassins jouxtant le moulin ou encore la culture du cresson, rapportée par des sources orales au moulin de Cantarane à La Caunette. Des fours à pain (forns de pan) ont également été observés à plusieurs reprises. Si leur construction ne semble guère ancienne, leur présence à proximité du moulin est attestée dès le Moyen Âge. Ainsi, une enquête de 1269, menée à La Livinière, fait déjà état de ce couple moulin-four47. Le manuscrit, retrouvé dans des archives privées en 2017 et transcrit par Marie Vallée-Roche, rassemble les dépositions d’habitants de La Livinière pour l’instruction d’un procès opposant les seigneurs de la Livinière à des habitants de la commune au sujet du droit de fournage. Les témoignages recueillis révèlent une organisation bien rodée : les meuniers des moulins de Bégoule (actuellement Fabas) ont en charge de faire fonctionner les fours qui s’y trouvent et d’y cuire le pain des clients. Parfois, c’est le propriétaire lui-même qui s’en occupe48.
- 49 - DURAND, 2002. La thèse de Sylvie CAUCANAS sur les moulins du Roussillon consacre également un cha (...)
- 50 - AD Hérault. 7 S 145. Projet de règlement d’eau pour les arrosages de la rive gauche de la rivière (...)
40L’environnement immédiat du moulin est restituable grâce aux descriptions qu’en offrent les compoix, puis les matrices cadastrales ; il est généralement formé de jardins (orts), champs (camps), prés (prats), vignes (vinhas), parfois quelques arbres fruitiers (vergièr). Le bief (besalou le dérivé francisé béal) est souvent couplé à un, voire plusieurs canaux d’irrigation, alimentés au besoin par le jeu de martellières. Ces prises d’eau sont indifféremment installées au niveau du canal d’amenée ou du canal de fuite. Les travaux d’Aline Durand ont montré que l’association entre moulin hydraulique et irrigation est très ancienne : à l’échelle régionale, environ 30 % des moulins sont équipés de systèmes dédiés à l’irrigation durant le Haut Moyen Âge49. Cette cohabitation ne va pas sans heurts, car les parcelles irriguées n’appartiennent pas toujours à l’exploitant du moulin. Il est alors nécessaire d’édicter des règlements pour l’usage de l’eau, fixés par actes notariés sous l’Ancien Régime. Au XIXe siècle, ces usages sont parfois définis au sein de règlements formulés par les ingénieurs du service des Ponts et Chaussées. L’article 1er du règlement pour la rive gauche de l’Ognon au niveau du moulin Rigaud [IA34009857] précise, par exemple, que « pendant toute la durée des arrosages, commençant au 1er avril et finissant au 1er novembre, et pendant six jours de chaque semaine, du dimanche deux heures de l’après-midi au samedi suivant […] le propriétaire du moulin Rigaud sera tenu de rendre toutes les eaux de son canal d’amenée à la rivière, par l’intermédiaire de son canal de fuite, sans avoir le droit de les rejeter en amont par quelque prise ou épanchoir que ce soit »50. Les périodes auxquelles chaque usager est en droit de disposer de l’eau sont ainsi clairement définies, permettant à chacun d’en jouir pour ses activités sans nuire aux autres bénéficiaires.
- 51 - Le moulin de Brail en compte cinq.
41Les moulins étudiés sont de dimensions modestes – leur superficie au sol varie entre 40 et 90 m². Ils adoptent un plan rectangulaire plus ou moins régulier, parfois carré, et s’élèvent généralement sur trois niveaux51, soit de bas en haut la chambre de la roue, la salle des meules et le logement. La chambre hydraulique est caractérisée par des murs d’une épaisseur importante, par l’absence de baies et la présence d’une voûte en couvrement. Plus étroite que les niveaux supérieurs, elle traverse généralement le bâtiment dans un axe perpendiculaire au plan de l’édifice. La chambre des meules, qui accueille les mécanismes, est voûtée ou planchéiée et possède quelques rares fenêtres, assez étroites, ainsi qu’un large portail permettant le passage des charrettes. De nombreux empochements dans l’épaisseur des murs témoignent d’aménagements disparus qui sont, de fait, difficilement restituables. L’accès à l’espace habitable est indépendant de celui destiné à la mouture afin de limiter l’intrusion de poussières de farine à l’intérieur du logement. Dans le contexte des gorges, la déclivité du terrain est mise à profit pour assurer cette séparation : le premier niveau est généralement en sous-sol ou en étage de soubassement partiel, le deuxième est en étage de soubassement, le dernier est en rez-de-chaussée surélevé. Aux moulins de la Coquille et de Monsieur à Cesseras, on note la présence de petites trappes rectangulaires aménagées entre l’espace habitable et la salle de mouture qui ont pu servir à la manutention des sacs de grain. La relative modicité de ces édifices peut, dans le secteur des gorges de la Cesse et du Brian, avoir été induite par la difficulté d’accès à ces sites de meunerie (voir infra) (fig. 9).
Fig. 9
Cesseras (Hérault), moulin de la Coquille, dit aussi moulin d’Azam [IA34009845], vue d’ensemble, 2021
K. Orengo © Pays Haut Languedoc et Vignobles
- 52 - Pièce en fer ayant généralement une forme de croix de Saint-André ou de papillon, placée entre l’ (...)
42Lorsque l’état de conservation des moulins a permis de déterminer le type de mécanisme utilisé, la roue horizontale (rÓdet) apparaît systématiquement, en contexte de plaine comme en contexte montagneux. Le schéma technique est simple et semble avoir peu évolué du Moyen Âge à nos jours : le mouvement de rotation est transmis directement aux meules (molas), situées au droit de la roue par le moyen d’un axe vertical (palfer), généralement la seule pièce en métal des moulins anciens avec l’anille (nadilha)52. Plus de la moitié des moulins du corpus ont, au moins temporairement, fonctionné avec deux roues hydrauliques. Quatre présentent des salles hydrauliques accolées (moulin de Fabas [IA34009838] et de Brail [IA34009837] à La Livinière, moulin de Cantarane à La Caunette [IA34009848], moulin de la Barthe à Siran [IA34009858]). Les deux roues pouvaient également être installées dans une seule et même salle, à l’exemple du moulin de Trédos [IA34009847], où elles sont disposées en enfilade. Ce système, parfaitement adapté au faible débit d’eau caractéristique du secteur, est aussi plus économique à construire et à entretenir car il ne comporte pas d’engrenage. Ce dernier avantage constitue un argument non négligeable pour des moulins dont le faible rendement est confirmé par la modique somme auxquels ils étaient arrentés.
43Tous les sites mentionnés du Moyen Âge à nos jours ont été reportés sur une carte, afin de mieux appréhender leur répartition géographique (fig. 10). Sur les vingt-neuf moulins identifiés, trois n’ont pas pu être précisément localisés (deux sur la rivière L’Ognon à Siran, un sur le Brian à Minerve). On relève une fois encore d’importantes disparités entre les communes : Azillanet, La Caunette, Cesseras et Vélieux sont relativement pauvres en installations hydrauliques (1 à 3 moulins), alors que Minerve, Siran et La Livinière sont particulièrement bien pourvues (6 à 8 moulins). La carte révèle que tous les types de cours d’eau ont été exploités, y compris des ruisseaux secondaires comme le Tary, la Cessière ou le ruisseau de Saint-Michel. On note cependant une prédilection pour la rivière Cesse au nord, dans son faciès montagneux, et pour l’Ognon au sud, en contexte de plaine. Les moulins sont majoritairement implantés dans les zones où l’altitude est la plus élevée : dix-sept sont situés en contexte montagneux, douze en plaine.
Fig. 10
Carte des moulins identifiés grâce aux sources archivistiques (les moulins dont le nom est indiqué sont ceux qui ont fait l’objet d’un dossier documentaire type Mérimée)
V. Marill © Région Occitanie
- 53 - Le moulin de Brail se situe à 8 km du bourg de La Livinière (mais à 1,5 km du hameau des Molières (...)
44Cette préférence doit, de toute évidence, être imputée à l’absolue nécessité de capter l’eau où elle se trouve. Or celle-ci est absente du causse et intermittente en plaine. Ces contraintes justifient dès lors d’implanter les moulins au fond des gorges, au pied de falaises, en dépit de la difficulté d’accès et de l’éloignement du bourg, parfois distant de plusieurs kilomètres (fig. 11)53.
Fig. 11
Cesseras (Hérault), moulin de Monsieur [IA34009856] ; chemin d’accès au moulin (vue de drone)
S. Durand © Géoptère archéologie
45Dans ce contexte, la proportion non négligeable de moulins de plaine paraîtrait presque surprenante. Il est possible que pour ces derniers, la facilité d’accès ait alors primé sur la qualité hydrologique du site54. Constatons par ailleurs que les communes de Siran et de La Livinière, traversées au nord par la Cesse et au sud par l’Ognon, possèdent à la fois des moulins de plaine et des moulins de gorges ; ce sont aussi les communes, comme évoqué précédemment, qui présentent la densité de moulins la plus importante.
46Les moulins étudiés fonctionnaient par éclusées et non au fil de l’eau : l’eau était captée grâce à une chaussée submersible (palsiera et ses dérivés francisés païssière, palsière, païchère …) aménagée en travers de la rivière (fig. 12), puis conduite par l’intermédiaire d’un bief (besal) jusqu’à un réservoir (resclauza) accolé au moulin.
Fig. 12
Cesseras (Hérault), vestiges de la chaussée du moulin de Monsieur, 2022
D. Maugendre © Inventaire général Région Occitanie
47Un canon (canela, pièce en pierre monolithe, maçonnée ou en bois) permettait ensuite d’amener l’eau depuis la base du réservoir jusqu’à la roue, et surtout de concentrer le flux d’eau vers les cuillères ou les pales de cette dernière. Il était doté d’une vanne pour démarrer ou stopper le mécanisme du moulin. L’eau était ensuite rejetée à la rivière via un canal de fuite, après avoir animé la roue. Ce système gravitaire nécessitait la maîtrise de notions d’hydraulique assez poussées, notamment pour le calcul des pentes sur des distances parfois longues. Il avait cependant pour double avantage d’assurer une quantité d’eau suffisante à la mise en jeu du moulin, notamment en période de faible débit, et de ne pas implanter les moulins au fil de l’eau, les préservant des courants parfois torrentiels en période de crue. Pour cette dernière raison, des déversoirs étaient généralement aménagés en amont du réservoir – fonction parfois assurée par les canaux d’irrigation connectés au bief amont. Au moulin Haut de Minerve [IA34009846], le bief traverse un épais mur bâti en amont du réservoir, dont le positionnement oblique par rapport au lit de la rivière suggère une fonction de protection contre les crues du Brian. Cet aménagement a pu être rendu nécessaire par la proximité du lit de ce cours d’eau, l’encaissement des gorges à cet endroit n’ayant pas permis d’éloigner davantage le bâtiment.
48L’organisation précédemment décrite, généralisée à l’échelle des sept communes, présente cependant de nombreuses variantes liées au contexte topographique dans lequel est implanté le site de meunerie. Les chaussées tout d’abord sont d’une hauteur variable, parfois relativement importante (jusqu’à atteindre plusieurs mètres) afin d’assurer une quantité d’eau et une pente suffisante entre la prise d’eau et le réservoir. Les biefs, ensuite, peuvent être de simples sillons creusés dans le sol, parfois renforcés par de la maçonnerie ou des structures en pierre sèche. Ils sont également, quand leur parcours l’impose, taillés dans la roche. À Minerve, certains indices suggèrent l’utilisation d’un bief aérien en bois pour le moulin vieux, sur la rive droite du Brian (encoches sous le pont [IA34009862], trace de fixation dans la roche) (fig. 13).
Fig. 13
Minerve (Hérault), pont du Moulin [IA34009862], vue de drone depuis l’est, 2022
D. Maugendre © Inventaire général Région Occitanie
49Leur longueur est fluctuante ; elle peut atteindre plusieurs centaines de mètres (700 mètres au moulin de Brail à La Livinière, 900 mètres au moulin de Cantarane à La Caunette) comme être quasiment nulle, à l’exemple du moulin de Trédos implanté contre un saut naturel offrant la hauteur de chute nécessaire [IA34009847]. Le réservoir, enfin, présente également des formes et des dimensions très différentes. Il peut soit être un petit élargissement du bief, soit être beaucoup plus vaste. La superficie ne semble pas dépendre du nombre de roues à faire tourner mais plutôt du débit du cours d’eau : plus ce dernier est abondant, moins le réservoir est grand. À cette retenue d’eau est parfois associée une cuve de charge, sorte de colonne d’eau verticale maçonnée de section circulaire ou ovoïde, haute de quelques mètres. Ce type d’installation, destiné à augmenter la pression du jet projeté sur les pales de la roue horizontale, a été relevé au moulin de Trédos à Vélieux et au moulin Haut de Minerve (fig. 14 et 15) – celle-ci présente une forme atypique, hybride, relevant à la fois du réservoir et de la cuve de charge [IA34009846].
Fig. 14
Minerve (Hérault), moulin Haut [IA34009846] ; réservoir et cuve de charge, 2021
K. Orengo © Pays Haut Languedoc et Vignobles
Fig. 15
Minerve (Hérault), moulin Haut [IA34009846] ; réservoir, cuve de charge ovoïde et moulin (vue de drone), 2022
D. Maugendre © Inventaire général Région Occitanie
- 55 - BUFFA, 2018.
- 56 - BUFFA, 2018.
50Il s’agit d’un équipement typiquement méditerranéen, caractéristique d’une adaptation à un environnement sec55. Il est probable que d’autres moulins du secteur en aient été pourvus, mais leur diffusion est difficilement perceptible car leur présence n’est pas mentionnée dans les sources. Ces aménagements sont, en outre, difficilement datables. Tout au plus pouvons-nous indiquer que, dans d’autres secteurs géographiques, on en trouve mention dès le XIVe siècle56.
51Les aménagements décrits ci-dessus ont pu évoluer au cours des siècles, dans leur forme ou dans leur dimension, afin d’améliorer le rendement du moulin ou s’adapter aux fluctuations hydrographiques. Au moulin Haut de Minerve [IA34009846], l’aménagement réservoir/cuve de charge paraît relever de deux campagnes de construction différentes : le massif de maçonnerie à l’entrée de la cuve semble avoir été rabaissé à gauche et les enduits présentent un aspect différent dans la partie réservoir et dans la partie cuve (fig. 14). Cette adjonction postérieure d’un petit réservoir, venu compléter le système de la cuve de charge, pourrait être liée à une baisse du régime hydrographique ou à une modernisation des équipements hydrauliques.
52Le choix de l’implantation d’un moulin est dépendant de son contexte immédiat. La plupart d’entre eux sont installés dans une boucle ou un méandre de la rivière, le bief, le moulin et le canal de fuite formant une ligne presque droite à l’intérieur de celle-ci. Dans un bon nombre de cas, le moulin est placé à l’intérieur de la courbe, emplacement où l’eau va moins vite durant une crue, ceci ayant pour effet de limiter les dégâts. Enfin, un espace suffisant est nécessaire, ce qui n’est pas si fréquent en contexte de gorges, au pied de véritables à-pics. L’emplacement de la chaussée présente également son lot de contraintes. Elle est aménagée dans un rétrécissement de la rivière ; un bras secondaire est également parfois exploité. Lorsque c’est possible, les bâtisseurs profitent d’un saut naturel de la rivière. Selon les communes, ces emplacements ne sont pas si nombreux, ce qui a dû être un élément décisif pour la pérennité des sites évoquée plus bas. Ces emplacements devaient probablement être convoités et jalousement gardés. Robert Marty signale ainsi que la commune de Cesseras présente une petite excroissance au nord, qui vient englober une partie de la Cesse en eau toute l’année et sert d’ailleurs à l’alimentation du moulin seigneurial, le moulin de Monsieur [IA34009856]57.
53Bien qu’étant des édifices purement utilitaires, les moulins ont constitué dans quasiment toutes les régions des instruments primordiaux de l’emprise seigneuriale durant le Moyen Âge et ont, plus prosaïquement, pourvu à la nourriture quotidienne des populations locales. À ce titre, leur bâti a bien souvent fait l’objet de plus de soins que celui de simples maisons. La proximité avec l’eau vive des rivières qui les alimentent, aux crues souvent dévastatrices, a également imposé des matériaux et une mise en œuvre plus robustes et plus soignés pour leur édification. Les moulins à eau étaient donc vraisemblablement bâtis par une main d’œuvre qualifiée, de la même façon que les châteaux ou les églises, d’autant plus que leur construction nécessitait la maîtrise de techniques spécifiques liées à l’exploitation de l’énergie hydraulique. Il paraît ainsi envisageable de déterminer des types de plans propres à chaque période. Cette évolution est d’ailleurs assez nettement perceptible dans les grands moulins des fleuves méditerranéens. Ceux-ci ont tout d’abord adopté une forme de pile de pont rectangulaire à avant-bec installée dans le lit même de la rivière durant la période médiévale, aux roues verticales extérieures latérales. Ce plan a ensuite été supplanté par des édifices rectangulaires plus grands, situés sur la rive et dotés d’arches enjambant la rivière, parallèles au flux d’eau, dans lesquelles étaient placées des roues horizontales. Une telle transformation s’explique notamment par le fait que les roues étaient mieux protégées à l’intérieur du bâtiment, l’édifice moins exposé aux crues sur le rivage que s’il était placé en plein lit majeur, mais aussi par le besoin de plus d’espace pour les agrès du moulin, le stockage des grains et de la farine.
54Les moulins à eau du corpus de l’inventaire du périmètre de l’OGS sont pour la plupart de dimensions bien plus modestes mais on peut toutefois lire une certaine évolution de leurs plans. Les trois moulins conservant encore vraisemblablement des soubassements médiévaux (moulin de la Barthe à Siran [IA34009858], moulin de Monsieur [IA34009856] et moulin de la Coquille [IA34009845] à Cesseras) possèdent plusieurs caractéristiques communes : ils sont barlongs (c’est-à-dire rectangulaires et perpendiculaires à la rivière) et possèdent des murs très épais (entre 0.70 et 1.15 m au moulin de la Coquille, entre 1.00 et 1.20 m au moulin de Monsieur, 1,20m au moulin de la Barthe). Dans les moulins de Monsieur et de la Coquille, la chambre hydraulique est perpendiculaire à l’axe du toit et beaucoup plus étroite que les niveaux supérieurs (cette salle, entièrement colmatée, n’a pas pu être observée au moulin de la Barthe). Ces moulins sont également les seuls de notre corpus dont la salle des meules est voûtée, systématiquement en plein cintre. Ces couvrements sont des rajouts postérieurs (probablement du début de la période moderne, leurs reins sont constitués par un doublement des murs à la Coquille, les murs presque entièrement rebâtis au moulin de Monsieur) ou bien des reconstructions de possibles voûtes médiévales (la Barthe), mais elles pourraient refléter une tentative de corriger la vulnérabilité de bâtiments placés en travers du courant en cas de crue. Ce plan est également très similaire à celui de deux moulins médiévaux régionaux avec bief et réservoir du XIIIe siècle : celui « des nonnes » à Azille (Aude), sur l’Argent-Double et le moulin de Paziols (Aude) sur le Verdouble58. Ces derniers sont également des édifices bas, avec seulement une chambre hydraulique et la salle des meules (deux niveaux), dont l’unique porte d’entrée est ici aussi placée sur le mur aval et légèrement décentrée (fig. 16).
Fig. 16
Planche des plans relevés au niveau de la salle des meules sur cinq moulins d’origine médiévale (Aude et Hérault)
S. Durand © Géoptère archéologie
55La présence de jours à fort ébrasement sur les trois moulins précités du Minervois (probables à la Barthe mais très colmatés) est à souligner : particulièrement au moulin de Monsieur où quatre jours placés de part et d’autre de la porte devaient permettre une surveillance de l’accès, si ce n’est un tir flanquant. Ces aménagements semblent typiquement médiévaux et constituent visiblement une interprétation très fruste du modèle des archères du moulin de Paziols, daté du XIIIe siècle.
- 59 - 0.95 m de largeur au moulin de la Barthe (Siran) et 1.25 m de largeur à celui de Monsieur (Cesser (...)
- 60 - Seule l’arrière-voussure est observable à La Barthe (Siran), la façade extérieure du mur nord éta (...)
56Les portes de deux moulins – de Monsieur et de la Barthe – peuvent probablement être également datées d’une phase ancienne. Il s’agit de grandes ouvertures59, toutes les deux surmontées d’un arc clavé en plein cintre voire très légèrement brisé. Les claveaux sont étroits, tendance que l’on observe généralement sur les portes du XIIe ou du début du XIIIe siècle, antérieures à l’utilisation de claveaux beaucoup plus larges durant le plein XIIIe siècle. Il convient toutefois de rester prudents sur cette datation car les portes des deux moulins sont très colmatées60 et la quasi-totalité de la superficie des murs les entourant a été reprise à une période postérieure. La présence d’une gaine de barre de fermeture sur les deux portes (au moulin de Monsieur, la gaine traverse même une des fentes de jour latérales) est, quoi qu’il en soit, un argument supplémentaire pour les rattacher au Moyen Âge et on peut donc raisonnablement avancer un terminus post quem des XIIIe-XIVe siècles pour les deux moulins concernés.
57Comme évoqué précédemment, il est très difficile de dater les maçonneries des différents moulins de l’étude dans la mesure où les blocs et galets présents dans le lit de la rivière ont constitué la majorité de l’approvisionnement de ces constructions, et ce à toutes les époques. On parvient ainsi le plus souvent à dater la mise en œuvre d’un bâti quand celle-ci possède un appareil régulier (pierres à une face dressée voire pierre de taille), alors que les murs constitués de tout venant ou opus incertum sont presque indatables. La présence de fragments de tuile canal en quantité non négligeable dans les joints fournit cependant un élément datant, car généralement absents ou presque dans les maçonneries médiévales.
58Les moulins de la Coquille [IA34009845] et de Monsieur [IA34009856] à Cesseras ainsi que le moulin Haut de Minerve [IA34009846] ont fait l’objet d’une étude du bâti tant de l’intérieur de leur salle des meules que des tronçons non occultés de l’extérieur des murs. Leurs maçonneries sont presque intégralement conservées : le moulin de la Coquille possède encore une couverture en fibrociment, celui de Monsieur une couverture en tuiles qui menace de s’effondrer et le toit du moulin Haut de Minerve est effondré mais les murs ne sont que très peu arasés.
59Ces édifices s’inscrivent dans un contexte géologique assez similaire : la Cesse comme le Brian au niveau des trois moulins entament d’épaisses couches de calcaires à alvéolines, constituant le causse au-dessus des moulins, et charrient des blocs et galets de roches dures depuis l’amont.
60D’après la forme de son arc et la mise en œuvre de ses claveaux la porte d’entrée colmatée du moulin de Monsieur serait médiévale (fig. 17, 18 et 19, phase n° 1). Elle se compose de pierres de grès à gros grains, matériau probablement amené de la plaine, vraisemblablement pour sa facilité de taille. Ce grès est également employé comme appui des fentes de jour ou de tir du même mur sud-est, elles aussi certainement médiévales. Un matériau similaire a été utilisé pour l’encadrement de la porte de la salle nord-est du moulin de la Barthe à Siran, mais ce dernier édifice se situe dans la plaine, donc au plus près des gisements de grès.
Fig. 17
Cesseras (Hérault), moulin de Monsieur [IA34009856] ; mur sud-est, vues intérieure et extérieure (arc clavé de la porte et archère) de la porte, 2022, 2021
David Maugendre © Inventaire général Région Occitanie
61La phase la plus ancienne du bâti du moulin de la Coquille (fig. 18, phases n° 1 et 2 et 19, phase n° 11) intègre également une assez forte proportion de pierres de calcaire à alvéolines extraites de gros blocs effondrés dans la rivière ou de falaises proches. Ainsi, le piédroit nord-est de l’actuelle porte du moulin de la Coquille pourrait constituer un reliquat de l’ancien accès puisqu’il comporte encore trois pierres de ce matériau éclatées au marteau.
Fig. 18
Cesseras (Hérault), moulin de la Coquille, dit aussi moulin d’Azam [IA34009845] ; orthophotographie du parement externe du mur sud-est, 2022
S. Durand © Géoptère archéologie
Fig. 19
Cesseras (Hérault), moulin de la Coquille, dit aussi moulin d’Azam [IA34009845] ; orthophotographie du parement externe du mur nord-est, 2022
S. Durand © Géoptère archéologie
62Au moulin de Monsieur, la phase n° 2 (fig. 20), sans doute contemporaine du voûtement de la salle des meules, n’emploie quasiment plus de calcaire à alvéolines, mais une majorité de gros galets de calcaire bleuté dur, ainsi que quelques éléments de calcaire clair à la face éclatée au marteau. Les matériaux au cœur des élévations sont similaires au moulin de la Coquille, mais possèdent un module légèrement plus petit (fig. 18, n° 3). Dans les deux cas, les pierres sont grossièrement disposées en assises et calées par des petits éclats plats de calcaire et quelques cassons de tuile canal. Cette mise en œuvre semble pouvoir être datée de la toute fin du Moyen Âge ou du début de la période moderne.
Fig. 20
Cesseras (Hérault), moulin de Monsieur [IA34009856], orthophotographie du parement externe du mur sud-est, 2022
S. Durand © Géoptère archéologie
63À Minerve, le tronçon central du mur ouest côté rivière présente également une mise en œuvre plus soignée que le reste des élévations sur une surface de 16 m² : disposées en lits horizontaux les pierres de forme régulière parallélépipédique ont vraisemblablement été soigneusement choisies par les maçons dans la rivière. Leur face de parement était donc généralement plane dès l’origine et très peu ont été dressées au marteau (fig. 21, n° 1). Les éléments de calage d’un module plus petit et les dallettes sont plus nombreux qu’au moulin de la Coquille ou à celui de Monsieur, mais on ne remarque ici quasiment aucun casson de tuile. Là encore, l’étude du bâti semble démontrer la présence d’une phase de la fin du Moyen Âge. Un coup de sabre assez net indique probablement l’emplacement de l’angle sud-est du moulin médiéval (fig. 21, séparation n° 1/n° 2).
Fig. 21
Minerve (Hérault), moulin Haut [IA34009846], orthophotographie du parement externe du mur ouest, 2022
S. Durand © Géoptère archéologie
64Dans les trois moulins étudiés, le mortier employé dans les élévations de ces phases probablement les plus anciennes est bien dosé et les joints sont pleins. Ce liant y est resté compact, alors qu’il est très souvent voire systématiquement lessivé au niveau des maçonneries plus récentes.
65Pour le reste, on ne lit pas de phase de reconstruction ou de rehaussement d’envergure des moulins en pleine période moderne. Au moulin de Monsieur, le voûtement de la salle des meules semble contemporain de la reconstruction de la fin du Moyen Âge ou du début de la période moderne (phase 2 de l’élévation extérieure). Sur celui de la Coquille, l’adjonction de la voûte est en revanche postérieure au bâti de cette période observé sur la façade extérieure (fig. 18, n° 4 et fig. 19, n° 13) : un net coup de sabre a, en effet, été observé dans l’épaisseur des murs, indiquant que la voûte s’est accolée contre le parement interne d’un mur préexistant et s’est probablement basée sur une assise débordante à la base de ce dernier. Cette voûte, à la mise en œuvre relativement soignée, serait donc à dater dans le courant de la période moderne, peut-être du XVIIe ou XVIIIe siècle. Au moulin Haut de Minerve, seule une extension du bâtiment vers le sud, au bâti similaire à celui de la phase ancienne mais possédant un mortier peu dosé, pourrait également dater de la période moderne, sans plus de précisions (fig. 21, n° 2).
66Les élévations subsistantes de ces trois édifices, mais également des autres moulins de notre corpus, comportent des maçonneries tout venant de pierres hétérogènes aux calibres très variables. Vraisemblablement prélevées directement dans le lit de la rivière, elles sont liées par un mortier généralement faiblement dosé et aujourd’hui très lessivé. Les cassons de tuiles canal fortement présents sont caractéristiques de la fin de la période moderne ou de la période contemporaine. Au moulin Haut de Minerve, un élément confirme et affine légèrement cette datation : en effet, la porte d’entrée réutilise des blocs de tuf (piédroits) et deux claveaux chanfreinés de calcaire blanc, probables remplois d’une ouverture du château du village (fig. 22). La documentation historique indique que ce dernier a été déserté puis démantelé après le siège qu’il a subi en 1582. L’élévation de l’étage haut du moulin daterait donc au plus tôt du début du XVIIe siècle.
Fig. 22
Minerve (Hérault), moulin Haut ; élévation est, 2021
S. Durand © Géoptère archéologie
67L’étude du bâti a permis de dater la majorité des moulins répertoriés dans le projet d’inventaire de la période moderne. Il faut toutefois souligner que quatre d’entre eux ont été édifiés au plus tard à la fin du Moyen Âge. Parmi eux, deux possèdent même des portes et des ouvertures à ébrasement attribuables au Moyen Âge central (XIIIe siècle).
68Ces moulins médiévaux se caractérisent par des plans rectangulaires de petites dimensions, aux murs relativement épais (un peu plus d’un mètre d’épaisseur), généralement non voûtés. Ils ne disposaient que de deux niveaux : la salle des rouets en sous-sol et la salle des meules au rez-de-chaussée (fig. 23). Sur trois d’entre eux cette dernière est ensuite couverte d’une voûte en berceau au début de la période moderne. Le rehaussement des bâtiments pour l’adjonction d’une pièce à vivre semble quant à lui datable de la fin de la période moderne, voire du XIXe siècle. Il montrerait qu’auparavant les meuniers devaient certainement loger dans une maison du chef-lieu ou dans une annexe à proximité du moulin.
Fig. 23
Cesseras (Hérault), moulin de la Coquille, dit aussi moulin d’Azam [IA34009845], salle des meules, vue intérieure, 2022
D. Maugendre © Inventaire général Région Occitanie
69Le moulin de Monsieur et, dans une moindre mesure, la salle nord-est du moulin de la Barthe, présentent des plans relativement grands, avec des ouvertures d’une mise en œuvre soignée et de possibles éléments de défense (archères ?). Le premier est d’ailleurs au moins aussi vaste, si ce n’est davantage que des moulins médiévaux plus prestigieux comme le moulin des Nonnes à Azille (Aude) ou le moulin de Paziols (Aude).
70Les réservoirs et canaux d’amenée n’ont malheureusement pas pu faire l’objet d’une étude du bâti, car fortement occultés par de la végétation ou de la calcite (réservoir du moulin Haut de Minerve). On peut tout au plus signaler l’existence de deux phases d’utilisation du réservoir du moulin Haut de Minerve illustrées par la transformation d’une cuve de charge en petit réservoir.
- 61 - LARGUIER, 2005, p. 78-81. L’auteur s’est appuyé sur les Recherches diocésaines (arpentage des ter (...)
- 62 - COMPS, 2021.
71Grâce aux recherches historiques et à la prospection archéologique menées par Robert Marty et Sylvain Durand, de nombreux moulins ont pu être identifiés et localisés, révélant une densité plus forte encore que celle initialement proposée. On dénombre alors, toutes périodes confondues, vingt-neuf moulins sur les sept communes. En découpant les données recueillies par période historique, on obtient une moyenne d’1,7 moulin pour la période médiévale, 3,1 pour la période moderne, 2 pour la période contemporaine. Bien que ces données nécessitent d’être pondérées - d’abord parce que ces découpages historiques recouvrent plusieurs siècles durant lesquels les moulins n’ont pas tous fonctionné simultanément, ensuite parce que la méthode employée repose sur des sources archivistiques présentant des degrés d’exhaustivité différents – elles permettent de dégager de grandes évolutions chronologiques. Ainsi, on observe une bonne couverture du territoire dès le Moyen Âge, à laquelle s’ajoutent de nouvelles fondations sous l’Ancien Régime. Cette accumulation donne le sentiment d’une profusion de sites aux XVIe et XVIIe siècles, comparable en cela au secteur audois à la même période61. À titre d’exemple, six moulins sont mentionnés sur le compoix de Siran au XVIe siècle, cinq au XVIIe siècle. La couverture du territoire semble alors à son apogée, elle ne fait que se clairsemer à partir du XVIIIe siècle. À l’inverse, le XIXe siècle ne paraît pas propice à l’installation de nouveaux moulins, contrairement à d’autres secteurs géographiques comme le Fenouillèdes, au nord des Pyrénées-Orientales, dont les moulins hydrauliques du XVIIIe siècle au début du XIXe siècle ont fait l’objet d’une publication récente62. Ce déclin semble être corrélé sur le territoire étudié à celui de la meunerie, qui perd de son attractivité au XIXe siècle alors que la culture céréalière est progressivement remplacée par celle de la vigne.
- 63 - Cette pérennité des implantations a également été relevée dans le secteur narbonnais : CAUCANAS, (...)
72À ce constat d’une forte densité s’ajoute celui d’une permanence des sites d’exploitation du Moyen Âge au début du XXe siècle63. Au moins quatre des dix moulins encore observables sont mentionnés dans les sources historiques dès l’époque médiévale (moulins de Fabas et de Rigaud à La Livinière, moulins de Monsieur et de la Coquille à Cesseras). Ce chiffre monte à six, soit plus de la moitié du corpus, si l’on prend en compte le moulin Haut de Minerve et le moulin de la Barthe à Siran, qui peuvent probablement être rattachés à des moulins mentionnés à l’époque médiévale. L’étude archéologique du bâti conforte les données documentaires (supra), puisque quatre des moulins présentent des vestiges datables du Moyen Âge (moulins de Monsieur et de la Coquille à Cesseras, moulin de La Barthe à Siran, moulin Haut de Minerve).
- 64 - Seuls les moulins de Minerve, le moulin de Monsieur à Cesseras et celui de Saint-Jean d’Ognon à L (...)
- 65 - MOUYNÈS, 1878.
- 66 - AD Bouches-du-Rhône. 1H76 n° 368. Acte n° 4361, dans GIRAUD, 2010.
- 67 - AM Narbonne. MS 319. Inventaire Ducarouge, 2, f°363v°, 364r° et 365v°.
- 68 - Ainsi dans la plus vieille mention de moulin connue pour le Minervois, où Undesindus cède trois p (...)
- 69 - Le moulin de Corrossiano dans le territoire de Jouarres, commune d’Azille (Aude) sur l’Aude a ain (...)
- 70 - Un des moulins de Caunes-Minervois, le moulin de Miroaudo, a vraisemblablement été construit par (...)
- 71 - CAILLE, 1998.
- 72 - C’est donc le cas des moulins du Minervois cités dans les notes précédentes, mais aussi de bon no (...)
73Les moulins du secteur étudié ne sont pas toujours des créations seigneuriales64. Les trois mentions historiques les plus anciennes à notre disposition, concernant des moulins sur le terroir de Saint-Jean d’Ognon (ancienne communauté, commune de la Livinière, signalé en 99065), de Siran (110666) et de Minerve (1134, 1164 et 125367) indiquent pourtant que deux d’entre eux étaient des propriétés nobles (la vicomtesse de Narbonne pour Saint-Jean d’Ognon, les seigneurs de Minerve puis l’église Saint-Étienne de Minerve pour Minerve), alors que le dernier (un des moulins de Siran sur l’Ognon) appartenait à des alleutiers (Guiraud et Arnaud Guarini). Ainsi, dès le Haut puis le plein Moyen Âge, les commanditaires de la construction des moulins semblent être tantôt des ecclésiastiques68 ou des nobles69, tantôt des alleutiers70. On comprend que l’investissement consenti pour la construction et l’entretien des moulins devait être assez considérable et ne pouvait donc être engagé que par des personnes ou des congrégations particulièrement aisées. L’étude détaillée de ces mentions et du devenir des plus importants moulins du Minervois - mais aussi de Narbonne71 et de l’Aude en général - indique en tout cas que, peu importe le (ou les) commanditaire(s) à l’initiative de leur création, la très grande majorité des grandes installations meunières a fini dans l’escarcelle de seigneurs ecclésiastiques72. Paradoxalement, notre corpus ne semble pas s’inscrire dans cette dynamique, à l’exception des moulins de Minerve (au moins deux d’entre eux dans un premier temps puis l’ensemble au XVIe siècle) qui furent rapidement donnés par les seigneurs du lieu au recteur de l’église Saint-Étienne, avoir ensuite transmis au chapitre Saint-Just de Narbonne. Tout au long de la période moderne, pour laquelle nous est parvenu un grand nombre de mentions, tous les autres moulins sont ainsi possédés par des bourgeois ou des seigneurs laïcs, les uns revendant fréquemment les bâtiments aux autres à l’exemple du moulin de la Coquille à Cesseras tout d’abord alleutier puis racheté par un des coseigneurs de Cesseras, avant d’être racheté par un bourgeois.
- 73 - En 1394 puis 1500-1501, BARTHES, 1911. Un grand merci à Robert MARTY qui nous a aimablement trans (...)
74D’autre part, nous n’avons relevé aucune référence explicite du fait que l’un de ces moulins ait été banal. On peut même souligner la tentative infructueuse du seigneur de Cesseras de faire reconnaître la banalité de son moulin de Monsieur, au moins à deux reprises73. Cette absence d’obligation de l’utilisation du moulin seigneurial devait entrainer une certaine perte de revenus issus des redevances pour ce dernier.
75Cet état de fait semble particulièrement surprenant lorsqu’on connaît l’importance du régime de la banalité durant toute la période médiévale, mais l’étude a très opportunément permis d’apporter une explication pratique à cette réalité, puisque la géographie et l’hydrologie ont semble-t-il fortement conditionné la morphologie et le nombre d’installations meunières en Minervois héraultais (voir supra). Les faibles débits des rivières, souvent intermittents, n’ont, en effet, pas permis l’émergence de grandes exploitations farinières dans le secteur, impliquant plutôt une répartition des quantités de grain à moudre entre un nombre élevé de petits moulins. La distance entre moulin et chef-lieu était, par ailleurs, souvent importante compte tenu de l’implantation en fond de vallée encaissée, laissant penser que la population locale apportait son grain à plusieurs moulins des environs selon la saison et son lieu de résidence (chef-lieu ou écarts). Dans ces conditions, l’obligation de moudre à un moulin banal aurait alors pu créer le mécontentement chez les locaux mais aussi générer une demande de farine dépassant de beaucoup la capacité de mouture de ce dernier. Par extension, cette configuration locale semble expliquer l’absence d’une forte augmentation du nombre de moulins après la Révolution pourtant observée dans beaucoup de microrégions.
76Pour résumer : un régime hydrologique avec des faibles débits et la présence d’une eau pérenne seulement en fond de vallée ont généré un assez grand nombre de moulins dès le Moyen Âge. Le manque d’eau n’a pas permis à certaines de ces infrastructures de s’imposer et a probablement participé à empêcher l’instauration du régime de la banalité sur ce secteur. Ce réseau de moulins petits mais bien répartis sur le territoire, assez homogène au fil des âges, a dû permettre de répondre de façon satisfaisante à la demande locale, raison pour laquelle on ne note que deux créations de moulins à eau (moulin de Brail et moulin Bas de Minerve) après la Révolution dans le territoire d’étude.
- 74 - Système de la directe.
- 75 - Notons qu’à partir du XIVe siècle, le bail à acapte équivaut à un bail emphytéotique, dans le cad (...)
77Le mode d’exploitation des moulins est également une thématique primordiale dans l’étude de la meunerie locale. Sur ce point, le fonctionnement en Minervois semble avoir été tout à fait comparable à celui de la majorité des régions méditerranéennes, avec un nombre réduit de propriétaires faisant exploiter les moulins par leur propre main d’œuvre74 et un recours très fréquent au bail à acapte et à l’arrentement : c’est-à-dire à des baux pour une durée variable de quelques mois à 29 ans75 dans les archives régionales dépouillées, ces baux entraînent de la part du locataire (souvent un meunier) un à quatre versements annuels, loyers pour la plupart exigés en nature - une quantité donnée de grain - et parfois en numéraire.
- 76 - AM Narbonne. MS 319, Inventaire Ducarouge, 2, f° 365v°, voir supra.
- 77 - Cens de 8 setiers de froment en 1270, puis de 3 setiers de froment pour un tiers du moulin en 135 (...)
- 78 - Revenu de 159 setiers de méteil pour les 6 premiers mois de l’année en 1334, puis prix d’afferme (...)
- 79 - AD Aude. G 211. Nous remercions vivement Robert MARTY de nous avoir aimablement transmis cette ré (...)
- 80 - AD Aude. 3 E 14935. Minutier Amalry. Notaire de Bize, f° CCXLVIII v° et CCXLIX r°. Merci à Robert (...)
78Pour le Moyen Âge central, les données sont malheureusement très réduites : on peut seulement citer une mention indirecte d’un bail à acapte du moulin de la Roque à Minerve en 1253 et le nom du tenancier d’alors, Fidelis de Minerve, fils de Guillemette Boete, ainsi que le patronyme de son prédécesseur, Pierre d’Estreys76. Les exemples rencontrés ailleurs en Minervois semblent également indiquer une prépondérance du bail à acapte (ainsi au moulin de Sainte-Marie de Lastours à Azille en 1270 (supra) puis en 135877). Sur l’Aude, les moulins d’Homps et de Corrossiano (Homps) devaient probablement être tenus en directe par la commanderie de Saint-Jean-de-Jérusalem, alors que celui de l’archevêque à Canet d’Aude était exploité tantôt en directe (en 1334-1335 et 1346) tantôt en afferme (début 1334)78. Dès la transition entre le Moyen Âge et la période moderne, les propriétaires de moulins paraissent très souvent opter pour l’arrentement : pour notre corpus les premiers connus datent seulement du XVIIe siècle puis deviennent très nombreux pour les XVIIIe et XIXe siècles. À noter toutefois une survivance de la pratique du bail à acapte pour les moulins de Minerve aux XVIe et XVIIe siècles79 et le moulin à eau d’Azillanet en 163080. La durée des baux à ferme est souvent assez courte (généralement 4 ans ou 6 ans) et les propriétaires accordent ceux-ci au plus offrant. Ce fonctionnement ne favorise pas la pérennité de l’implantation d’un meunier ou d’une famille de meuniers locataires sur un même site d’exploitation, ce qui explique à la fois le renouvellement et la mobilité observés dans les baux dépouillés.
- 81 - Source Géneanet.
- 82 - Étienne Cayla preneur du moulin de Conas à Pézenas en 1805 ; Étienne Cayla preneur du moulin de F (...)
79Les archives modernes dépeignent donc une profession très fermée, souvent perpétuée de père en fils ou fille, et sujette à une très forte endogamie : un fils de meunier épouse fréquemment une fille de meunier. Un (ou plusieurs) enfant(s) du meunier vit et fait son apprentissage avec son père au gré des « affectations » de ce dernier puis part lui-même exercer comme garçon meunier dans un moulin plus ou moins proche, avant de prendre son propre moulin en afferme. Ainsi, génération après génération se créent de véritables lignées de meuniers essaimant dans toute une microrégion, voire au-delà. Dans le territoire étudié, l’exemple le plus marquant est celui de la famille Cayla : d’après des données généalogiques81 elle serait originaire de Bize-Minervois ou de Mirepeisset (Aude), où Pierre Cayla, né vers 1686, aurait été le premier à exercer la profession de meunier. Son fils Pierre était également meunier et quelques générations plus tard, les Cayla sont omniprésents dans la meunerie du secteur au XIXe siècle82. Une branche de la famille a même acheté le moulin de Monsieur vers 1808 puis le moulin à vent de Cesseras, avant de faire souche sur place.
- 83 - Le nom a connu plusieurs orthographes au fil du temps et des lieux : Galy, Gally, Gualy, Galli…
- 84 - Source Généanet.
- 85 - Antoine Galy preneur d’un moulin à eau de Fontcouverte (Aude) en 1839 puis de Fabrezan (Aude) en (...)
- 86 - RIVALS, 2000, t. 2.
- 87 - CHARRAS, 1998 ; LOISEAU, 1994.
- 88 - AD Hérault. 1771 W 104.
80Originaire de Citou ou de Caunes-Minervois, une autre famille de meuniers, les Galy83, a également fait vivre les moulins de notre secteur aux XIXe et XXe siècles. Pierre Galy était ainsi propriétaire du moulin à vent d’Azillanet en 1824, 1828 et 1834 et preneur du moulin à eau de Minerve en 1841 ; Jacques Galy prenait en afferme le moulin de Fabas à La Livinière en 1818 et une branche de cette famille a possédé le moulin de Trédos à Vélieux, entre 1839 et le milieu du XXe siècle : tout d’abord Guillaume puis son fils Hyppolite puis son petit-fils, également nommé Hyppolite et enfin Joseph, son arrière-petit-fils, qui a officié à Trédos au moins jusqu’en 1931, avant de devenir cultivateur, une fois que le moulin s’est arrêté de fonctionner. Les sources généalogiques84 nous apprennent ainsi que dès la fin du XVIIe siècle un certain Donat Gally était meunier à Citou et Caunes, puis de père en fils jusqu’à la fin du XIXe siècle85. Plus encore que dans le cas des Cayla, les Gally ont été omniprésents dans le milieu de la meunerie audoise et héraultaise, possédant ou louant énormément de moulins dans tout l’est de l’Aude et l’ouest-Hérault. Des recherches approfondies permettraient de mieux connaître le destin de cette véritable dynastie et le devenir de ses derniers membres après le déclin de la meunerie traditionnelle. Il y aurait là matière à écrire une sorte de saga méridionale avant l’heure ! De façon moins prégnante, les membres de certaines familles de bourgeois ou de cultivateurs ont exercé le métier de meunier en Minervois durant deux à trois générations. Nous citerons ainsi pour le XIXe siècle les Rey aux moulins de La Caunette et Minerve ; Les Lignères aux moulins de Félines et La Livinière ou encore les Marcouïre pour celui de la Coquille à Cesseras. Enfin, des membres des autres lignées de meuniers Caffort (moulin à vent de Cesseras) et Escourrou ont travaillé plus ponctuellement sur le territoire étudié. Le meunier et sa famille jouaient vraisemblablement un rôle important dans la vie des communautés du secteur comme cela a pu être renseigné ailleurs par l’histoire ou l’ethnologie86. Il n’était ni noble ni ecclésiastique, mais son moulin était un lieu d’échange privilégié où les gens attendaient la mouture du grain en discutant ou en mangeant un morceau. Dans le territoire d’étude, l’activité meunière s’est malheureusement arrêtée très tôt et il n’y a quasiment pas eu d’enquête ethnologique pour enregistrer et conserver les mémoires et le patrimoine immatériel liés en particulier aux moulins locaux. On peut seulement citer la courte interview du fils du dernier meunier de Trédos dont des extraits sont parus dans deux numéros de Moulins de l’Hérault87 et dont la bande sonore est conservée aux archives départementales de l’Hérault88.
81La collaboration entre Inventaire et archéologie du bâti sur l’enquête du patrimoine molinologique hydraulique des communes engagées dans l’OGS « Cité de Minerve, gorges de la Cesse et du Brian » a permis d’enrichir considérablement les résultats de l’étude grâce à la mutualisation des approches et des apports des deux spécialités. Cette démarche pluridisciplinaire est, avant tout, le fait d’une rencontre entre des chercheurs locaux ayant déjà parcouru le territoire et réalisé l’étude historique de plusieurs des moulins, et une chercheuse missionnée par une collectivité territoriale menant une recherche thématique selon une méthodologie et des grilles d’enregistrement normalisées.
82L’étude a ainsi pu bénéficier du mode opératoire éprouvé de l’Inventaire et de l’enregistrement systématique des résultats dans des bases de données régionales et nationales. Cela permettra une mise en perspective des conclusions de l’étude et des caractéristiques des moulins du territoire avec d’autres édifices des régions voisines, évitant par la sorte l’accumulation d’études de cas isolées.
83En complément, la participation de chercheurs locaux au projet a permis d’intégrer des données obtenues au terme de plusieurs années de recherche et, partant, d’approfondir certains aspects, notamment historiques. Dans notre cas, le recours à l’archéologie du bâti a permis de découvrir ou de confirmer la datation médiévale de quatre des moulins du corpus. Ce travail collaboratif a, en outre, fait émerger de nouvelles problématiques, qui ont permis d’établir les critères d’une future sélection des édifices à étudier dans le cadre de l’opération d’inventaire thématique en cours, désormais élargie aux 102 communes du Pays d’art et d’histoire Haut Languedoc et Vignobles. Citons, entre autres, le recours aux cuves de charge, la présence de vestiges médiévaux indiquant la pérennité des sites ou encore les indices d’une adaptation des aménagements hydrauliques aux évolutions hydriques, axes jusqu’à présent peu exploités sur le territoire étudié.
- 89 - CALISTE, 2019, § 1.
- 90 - CALISTE, 2019.
84À la croisée de l’histoire, de l’archéologie, de l’étude du bâti, l’ethnologie, la géologie, l’hydrologie, les sciences et les techniques, la thématique des moulins est particulièrement transversale et justifie d’autant plus une approche pluridisciplinaire. L’étude de ces édifices pourrait donc faire appel, de façon opportuniste, à différents spécialistes présents dans les territoires inventoriés en fonction des cas. L’étude historique pourrait ainsi, à titre d’exemple, être grandement enrichie par un dépouillement systématique des fonds notariés concernant les secteurs inventoriés, comme démontré par les travaux de Lisa Caliste sur les moulins du Lodévois et du Clermontais, situés à la frontière est de l’aire d’étude. Ces derniers ont montré que l’abondance des sources notariées pour cette période pouvait permettre de mieux connaître le mode d’exploitation des moulins à la fin du Moyen Âge, tout en mettant en lumière leur rôle décisif dans la reprise économique qui débute dès les premières décennies du XVe siècle et qui se confirme à partir du milieu du siècle89. Quelques-unes des caractéristiques brossées sur cette aire géographique semblent pouvoir être transposées au Pays d’art et d’histoire Haut Languedoc et Vignobles, comme un apparent éparpillement des sites conjugué à la création d’installations d’envergure (à l’exemple du moulin de Réals à Cessenon-sur-Orb), la concurrence entre activités de meunerie et irrigation, ou encore la préférence accordée au système de l’arrentement90.