- 1 - Le programme « FERMAPYR - L’industrie du fer dans le massif des Pyrénées (du Canigou au Couserans (...)
- 2 - Il s’agit des fonds 15 J et 180 J conservés par les archives départementales des Pyrénées-Orienta (...)
- 3 - Signalons les archives de la DREAL et celles de la préfecture des Pyrénées-Orientales (sous-série (...)
- 4 - Syndicat intercommunal pour la protection et l’aménagement rationnel du Canigou.
- 5 - Syndicat Mixte Canigó Grand Site - Fonds SIPARC route du fer ; voir également le fonds Renée Gend (...)
1L’ancien carreau minier d’Arles-sur-Tech est un marqueur visuel fort à l’entrée de la ville catalane. Il fait partie d’une série de vestiges industriels conservés sur le territoire communal, dont l’étude est actuellement menée par le service Connaissance et Inventaire des Patrimoines de la Région Occitanie. Une visite virtuelle a été créée en 2021 pour donner à voir certains sites emblématiques du passé industriel de la cité, parmi lesquels le carreau minier et la villa Las Indis, ancienne demeure du directeur des mines de Batère. Les mines de fer du Canigou suscitent, depuis plusieurs années, l’intérêt des habitants attachés à une activité qui a pris fin récemment, et des scientifiques, en particulier géologues, historiens et archéologues, qui ont entrepris d’en retracer l’histoire pluriséculaire1. L’étude présentée ici a pour but d’identifier les structures encore en élévation sur le carreau minier, de les dater et de caractériser les techniques mises en œuvre pour le traitement du minerai de fer. Pour y parvenir, la démarche a été celle de l’Inventaire général consistant à croiser analyse des sources écrites, des espaces aménagés et du bâti. Une partie des archives contemporaines liées à l’exploitation des mines de fer a été fort heureusement sauvegardée et conservée par les archives départementales des Pyrénées-Orientales. Plusieurs fonds ont ainsi été constitués à partir des dépôts successifs, depuis la liquidation des mines de Batère en 1988, jusqu’à 2011, date du dépôt réalisé par la commune d’Arles-sur-Tech, actuel propriétaire du terrain et des installations du carreau minier2. À ces fonds d’origine privée s’ajoutent les archives des administrations compétentes en matière de gestion des mines et de l’après-mine et des installations classées3. Signalons enfin la richesse iconographique du fonds SIPARC4-Route du fer, actuellement conservé par le Syndicat mixte Canigó Grand Site5. La consultation de la documentation disponible, en particulier des procès-verbaux de visites, des courriers de la compagnie minière adressés à leurs fournisseurs et des plans dressés lors des travaux de modernisation des équipements, a permis de retracer l’histoire du carreau minier d’Arles-sur-Tech. Il s’agit ici d’en restituer les principales phases et de proposer une datation des équipements encore en place, derniers témoignages matériels du passé minier présents en vallée.
- 6 - Archives DREAL. Joseph Monin, Mines de Batère et Las Indis, concession de Las Indis, Note sur l’é (...)
- 7 - Archives DREAL. Statuts de la Société Civile de Batère, le 24 novembre 1908.
- 8 - Archives DREAL. Société Anonyme de Batère, mémoire ampliatif à l’appui de la pétition du 11 mai 1 (...)
- 9 - Archives DREAL. Société Anonyme de Batère, mémoire ampliatif à l’appui de la pétition du 11 mai 1 (...)
2Les installations minières d’Arles-sur-Tech ont été aménagées dans la vallée du Tech pour servir au stockage et au traitement du minerai de fer extrait des mines dites de Batère. Situées sur les contreforts sud-est du massif du Canigou (communes de Corsavy et Labastide) entre 1 200 et 1 600 mètres d’altitude, les concessions minières de ce secteur sont réunies, au tournant des XIXe et XXe siècles, sous l’égide de l’ingénieur Joseph Monin. Son entreprise débute le 17 mars 1897 avec le rachat, au marquis de Vogüé, de la concession de Las Indis-Roques Nègres. Le 30 août de la même année, il acquiert les concessions de Saint-Pierre-de-las-Grillades, de Dalt et de la Tour de Batère. En février 1900, il s’adresse à la Société Métallurgique du Périgord pour le rachat des concessions de Bigarrats et de Boca-Nègres, de Las Coudeilles, de Las Canals, d’El Pou, d’Aygues-Blanques, du Boulet et de Villafranca. Quelques mois plus tard, l’emprise de son exploitation s’agrandit avec les concessions de La Bonnade, de la Droguère et de Bernado. L’ingénieur souhaite, dans un premier temps, concentrer l’extraction sur « les colonnes de Las Indis et Rompadis et de Roques-Nègres ainsi que les minéralisations que nous trouverons sur le chemin de notre galerie inférieure », avant de se déplacer vers les concessions d’El Pou, d’Aygues-Blanques et de la Tour de Batère6. Pour mener à bien ses projets, il fonde, en 1908, la Société Civile de Batère (devenue Société Anonyme de Batère) en s’associant avec la Société Anonyme de Commentry-Fourchambault et Decazeville7. La zone d’extraction détenue par la Société Civile de Batère trouve une unité avec la réunion des multiples concessions autorisée en 1899, 1916, puis 19188. À cette date, ne demeure plus qu’une seule concession, celle de Las Indis, communément appelée « mines de fer de Batère ». L’expansion se poursuit au début des années 1930 : en 1931, la Société Anonyme de Batère obtient la concession des mines de fer de la Pinouse et Serrat-Magre, située sur le versant nord du massif du Canigou (commune de Valmanya)9. Deux ans plus tard, elle renonce à la concession de Velmanya, faute d’activité dans ce secteur.
Fig. 1
Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, plan d’ensemble des concessions de la Société civile de Batère et des extensions projetées en 1912
L. Caliste (reproduction) © archives DREAL
3Joseph Monin décide de compléter les installations de Batère – trémies et four situés sur le versant sud du Pic de l’Estelle – en implantant, en vallée, une station de réception, de traitement et de stockage. Il compte profiter de l’arrivée du chemin de fer à Arles-sur-Tech, avec la création d’une nouvelle gare au terminus de la ligne Elne-Arles, dont la section Céret-Arles est ouverte le 26 juin 1898. L’expédition du minerai par voie ferrée ne concerne toutefois qu’une courte période car la crue du Tech en octobre 1940 entraîne des dégâts tels que la ligne de chemin de fer est définitivement interrompue à Céret. À partir de cette date, le minerai de Batère est déplacé par camions depuis les installations d’Arles jusqu’à la gare de Céret. Le projet d’exploitation des mines de Batère, qui voit le jour en 1898, comporte également une modernisation du transport du minerai depuis les galeries jusqu’à la vallée, transport assuré par un câble aérien devant remplacer le cheminement initial qui empruntait la route départementale.
- 10 - Conseil général du département des Pyrénées-Orientales. Rapport du préfet et procès-verbaux des d (...)
- 11 - AD Pyrénées-Orientales. 180J101, plans, non datés ; Archives DREAL. PV visite des mines de fer de (...)
- 12 - L’Alliance, 30 juin 1907, p. 2 ; Pawlowski, 1919, p. 63.
- 13 - Archives DREAL. PV visite des mines de fer de Las Indis, 13 décembre 1943.
4Le transporteur aérien est installé entre 1898 et 190010, sur un parcours d’environ 9,2 km séparant les mines de Batère du carreau minier d’Arles-sur-Tech. Sa station de départ était équipée de trémies d’une contenance de plusieurs tonnes utilisées pour alimenter en minerai les bennes du transporteur11. Dans le sens inverse, certains matériaux étaient également acheminés jusqu’aux mines grâce à ce système. Il fait partie des nombreux équipements aménagés sur les pentes du massif du Canigou – câbles, câbles avec chemin de fer, plans inclinés – qui permettaient de relier sites d’extraction et vallées12. Si l’implantation de la station de départ de Batère s’abaisse au cours du XXe siècle (niveau 1525, puis 1470 avec un roulage intérieur sur voie suspendue, puis 1392, puis 1255), son point d’arrivée est fixé, dès le départ, à proximité immédiate de la nouvelle gare d’Arles-sur-Tech. La station d’arrivée du câble est donc établie à l’altitude 273, ce qui représente un dénivelé total de près de 1 200 m. Le trajet du transporteur aérien était divisé en plusieurs tronçons avec des angles très faibles aux stations intermédiaires, initialement au nombre de trois : une première, celle de Vilalte (cote 1160) est implantée à 1,2 km de la station de départ, la seconde, dite de Bigorrats (cote 885) à 1,8 km en aval, la troisième, celle de Jacouty (cote 624) à 3,3 km de Bigorrats et 2,9 km d’Arles13.
Fig. 2
Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, plan de situation du transporteur aérien depuis les mines de Batère jusqu’au carreau minier
V. Marill © Inventaire général Région Occitanie
- 14 - AD Pyrénées-Orientales. 180J25, inventaires des immeubles industriels de la Société civile de Bat (...)
- 15 - Archives DREAL. PV visite des mines de fer de Las Indis, 11 octobre 1943.
- 16 - Archives DREAL. PV visite des mines de fer de Las Indis, 10 et 11 mars 1949.
- 17 - La substitution des pylônes en bois par des pylônes en métal se poursuit au cours de la seconde m (...)
- 18 - Archives DREAL. PV visite des mines de fer de Las Indis, 13 décembre 1943.
- 19 - Elles étaient au nombre de 300 en 1920 (AD Pyrénées-Orientales. 180J25, inventaire des immeubles (...)
- 20 - Archives DREAL. PV visite des mines de fer de Las Indis, 13 décembre 1943. Dans les années 1970, (...)
5À l’origine, les câbles aériens du transporteur reposaient sur 98 pylônes, dont 52 en fer et 46 en bois (44 en bois en 1934)14. Alors que le transporteur aérien est décrit comme vétuste en 194315, la station de Bigorrats, édifiée en bois, est incendiée le 24 janvier 1949 par suite d’une imprudence des deux ouvriers qui y étaient affectés16. Cette station est alors reconstruite avec des éléments métalliques17. Des améliorations sont également apportées aux dispositifs de tension des câbles et deux pylônes supplémentaires sont ajoutés à l’aval de la station intermédiaire. Au milieu du XXe siècle, le câble porteur plein avance à 28 m/m, vide à 24 m/m et le câble tracteur à 18 m/m18. Le câble porteur supporte 290 bennes19 de 175 litres (350 kg environ). À cette époque, le débit est de 400 bennes de 350 kg par poste de 8 heures20. Pour le bon fonctionnement du transporteur, quinze personnes sont nécessaires : 3 ouvriers travaillent aux stations intermédiaires et 12 au roulage et manutentions du fond.
Fig. 3
Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, transporteur aérien entre les mines de Batère et le carreau minier, première moitié du XXe siècle
Fonds SIPARC route du fer, A0240 © Canigó Grand Site
- 21 - AD Pyrénées-Orientales. 5S104.
- 22 - Archives DREAL. PV visite des mines de fer de Las Indis, 13 décembre 1943.
6En lien avec l’arrivée du transporteur aérien à Arles-sur-Tech, plusieurs installations de stockage et de traitement du minerai voient le jour au nord et à l’est de la gare. Les premiers aménagements sont entrepris entre 1898 et 1900. Joseph Monin se tourne vers le constructeur Mourraille de Toulon pour la conception de la station de déchargement21. Cette station, entièrement en bois, comprenait une estacade d’arrivée des bennes remplies de minerai desservant un groupe de trémies également en bois, affectées à la réception du minerai venant de Batère (hématite et carbonaté cru) ainsi qu’au stockage du minerai carbonaté grillé. Ces trémies surmontaient les voies ferrées afin d’assurer le chargement des wagons en direction des bassins sidérurgiques. En 1943, la zone de stockage comportait 10 trémies de 10 t chacune (hématite), une trémie de 80 t (carbonaté cru) et une trémie de 25 t (minerai grillé)22.
Fig. 4
Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, plan établi pour la construction de la station de déchargement du minerai de fer de Batère par le constructeur Mouraille (Toulon)
L. Caliste (reproduction) © Archives départementales des Pyrénées-Orientales, 5S104
Fig. 5
Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, arrivée du transporteur aérien à Arles-sur-Tech, première moitié du XXe siècle
Fonds SIPARC route du fer, A0197 © Canigó Grand Site
Fig. 6
Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, station de déchargement du minerai de fer de Batère, première moitié du XXe siècle
Fonds SIPARC route du fer, A0202 © Canigó Grand Site
- 23 - 16 fours ont été recensés par les Amis de la route du fer, Le Fil du fer, année 2014, n° 16.
- 24 - AD Pyrénées-Orientales. 2462W9, dossier de demande de M. Monin, directeur des mines de Batère, po (...)
- 25 - Dans un courrier en date du 6 août 1903, Joseph Monin signale que la construction du four est en (...)
- 26 - AD Pyrénées-Orientales. Matrices cadastrales.
- 27 - AD Pyrénées-Orientales. 180J25, inventaires des immeubles industriels de la Société civile de Bat (...)
- 28 - AD Pyrénées-Orientales. 180J25, inventaires des immeubles industriels de la Société civile de Bat (...)
- 29 - Archives DREAL. PV visite des mines de fer de Las Indis, 13 décembre 1943.
7Sur place, le carbonaté cru (sidérite) était grillé, l’opération consistant à soumettre le minerai à l’action de la chaleur afin de transformer le carbonate en oxyde par l’élimination de CO2. Ce grillage, pratiqué dans les différentes exploitations du massif du Canigou, se faisait au moyen de fours à cuve, dont demeurent plusieurs exemplaires datés des XIXe et XXe siècles23. Le 6 août 1903, Joseph Monin sollicite l’autorisation d’établir un four de grillage à Arles-sur-Tech, autorisation qui lui est accordée le 31 août 1904, par le préfet des Pyrénées-Orientales24. Ce premier four de grillage, construit en 1903, est mis en service l’année suivante25, suivi d’un second au cours des années 191026. Ces fours de section circulaire étaient bâtis en briques réfractaires (cuves), en acier (sommiers) et en fonte (colonnes, marâtre, plaques de garde, goulottes de défournement, trappes). La ventilation, utile à la calcination dans la zone supérieure des fours ainsi qu’au refroidissement dans la zone inférieure, était assurée par une soufflerie latérale qui insufflait l’air par un tuyau raccordé à un cône de ventilation aménagés au sein de la cuve. Les premiers ventilateurs mécaniques sont fournis par le constructeur Farcot27. Par la suite, leur motorisation est renouvelée en 1940 (moteur Oerlikon de 22 CV), époque à laquelle est implanté un poste de transformation (de 35 kV à 15 000/220 volts) sur le carreau minier28. Les deux fours étaient reliés au transporteur aérien par une passerelle, raccordée à l’est de l’estacade de la station de déchargement du minerai, permettant la réception du minerai carbonaté cru au sommet des fours. Le combustible (anthracite) y était introduit manuellement par couches, toutes les 5 à 6 t de minerai chargé. Le défournement se faisait par des portes de déchargement aménagées à la base des fours. Fonctionnant en continu, ils pouvaient produire 60 t de minerai grillé par 24 heures29.
Fig. 7
Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, plan établi pour la construction des « four de calcination et passerelle d’accès » en vue du traitement du minerai de fer de Batère à Arles-sur-Tech (détail)
L. Caliste (reproduction) © Archives départementales des Pyrénées-Orientales, 5S104
Fig. 8
Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, coupe de la passerelle d’accès, du monte-charge et du four de grillage (détail)
L. Caliste (reproduction) © Archives départementales des Pyrénées-Orientales, fonds des mines de Batère, 180J91
Fig. 9
Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, la gare et la station recette-stockage-grillage, années 1900. Un seul four est en service
Fonds SIPARC route du fer, A0220 © Canigó Grand Site
Fig. 10
Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, coupe du sommet des fours de grillage en vue de la construction du second four (détail)
L. Caliste (reproduction) © Archives départementales des Pyrénées-Orientales, fonds des mines de Batère, 180J91
Fig. 11
Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, la station recette-stockage-grillage, années 1910. Deux fours sont en service
Fonds SIPARC route du fer, A0218 © Canigó Grand Site
- 30 - Archives DREAL. Courrier en date du 6 mars 1948.
- 31 - Archives DREAL. Courrier en date du 6 mars 1948.
8Le carbonaté traité et défourné était ensuite déversé dans des wagonnets élevés par un monte-charge au niveau de la plate-forme supérieure dominant les trémies de stockage. Le minerai grillé encore chaud était déversé dans ces trémies où il subissait un arrosage à la lance pour assurer son refroidissement, opération généralement effectuée par le chef de la station. Alors que la station recette-stockage-grillage est qualifiée, en 1943, de vétuste, elle est en grande partie détruite par un incendie dans la nuit du 5 au 6 mars 194830. Le départ du feu est imputé au minerai défourné en fin de poste qui, malgré l’arrosage, a communiqué le feu au plancher d’une trémie. Les dégâts concernent les installations de réception et de stockage du minerai comportant le dispositif de cheminement des wagonnets sur rails suspendus. La superstructure des fours est également touchée « mais leur machinerie et les bâtiments qui les abritent »31 demeurent intacts. En raison de ce sinistre, la configuration initiale de la station d’Arles-sur-Tech n’est plus visible de nos jours : l’estacade faisant face à la gare et surmontant les magasins et les trémies a disparu de même que la passerelle primitive d’accès aux fours ainsi que les voies ferrées qui ont depuis été déposées.
- 32 - AD Pyrénées-Orientales. 180J25, inventaires des immeubles industriels de la Société civile de Bat (...)
- 33 - Archives DREAL. PV visite des mines de fer de Las Indis, 13 décembre 1943.
- 34 - Archives DREAL. PV visite des mines de fer de Las Indis, 25 juin 1946.
9La station recette-stockage-grillage est au cœur du carreau minier et ses alentours sont peu à peu colonisés par des bâtiments utiles au bon fonctionnement de l’entreprise. Parmi ces édifices, celui des bureaux (contenant quelques logements) est construit en 1905 ou 1906, suivi d’un atelier de mécanique avec forge construit vers 1927, un poste électrique implanté en 1940 (à cette époque, le matériel transformant le 15 000 V en 220 V est loué à la société Écoiffier), un magasin de pièces mécaniques vers 1944, puis un bâtiment à usage de douches (puis laboratoire et bureau des plans) vers 194832. Un soin a été porté au bâtiment des bureaux, dont la maçonnerie présente un appareil à assises régulières, jointé par un mortier creusé pour redessiner la forme des moellons. La brique est utilisée pour les encadrements des ouvertures et pour le décor des corniches denticulées. L’atelier construit à proximité immédiate des bureaux en reprend certains codes architecturaux comme les arcs surbaissés des ouvertures, les encadrements en briques et les appuis saillants cimentés. Le carreau minier, qui concentre les opérations minières dites « au jour », est le lieu d’une intense activité. En 1943, six personnes travaillent aux fours, douze aux ateliers, à l’entretien du câble et diverses autres tâches, deux aux bureaux et cinq à la gare de Céret33. En 1946, ils sont neuf à la station d’arrivée, quatre aux fours de grillage, trois aux stocks, quatre aux ateliers, six aux bureaux et neuf au chargement et transport des minerais d’Arles à Céret34.
Fig. 12
Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), vue du carreau minier depuis le chemin du pin parasol
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 13
a) Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, bâtiment des bureaux, pignon ouest ; b) Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, bâtiment des ateliers, façade ouest
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
- 35 - PIERROT et al., 2017, p. 112-113.
10À la suite du sinistre de mars 1948, la station recette-stockage-grillage d’Arles-sur-Tech est remise en service en mars de l’année suivante. Pour mener à bien le chantier de reconstruction, la Société Anonyme de Batère fait appel à la PIC (Préparation Industrielle des Combustibles), entreprise spécialisée dans le secteur du matériel d’extraction minière35, pour dresser les plans des nouvelles installations. En un an, la station est modernisée et reconstruite
- 36 - Archives DREAL. PV visite des mines de fer de Las Indis, 10 et 11 mars 1949.
avec des modifications heureuses apportées aux dispositions antérieures par exemple le dispositif d’ensemble de tension du câble tracteur a été amélioré par la position verticale de la poulie, ce qui diminue les risques pour le personnel en cas de rupture, et il y a une possibilité de recul du dispositif de décrochage des bennes jusqu’à proximité des trémies de stockage36.
11Les avantages sur les installations antérieures sont ainsi résumés par les ingénieurs de l’époque :
- 37 - Archives DREAL. PV visite des mines de fer de Las Indis, 10 et 11 mars 1949.
capacité de stockage triplée, augmentation des possibilités de livraison de minerais triés aux aciéries, amélioration des circuits de roulage et de manutention pouvant se traduire par une économie annuelle d’au moins 1 000 journées d’ouvriers, enfin installation incombustible37.
- 38 - AD Pyrénées-Orientales. 180J97.
- 39 - AD Pyrénées-Orientales. 180J89, courrier en date du 17 novembre 1972.
- 40 - AD Pyrénées-Orientales. 180J97.
12Tandis que la charpente de l’estacade est entièrement métallique, les nouvelles trémies de stockage, au nombre de 9, sont construites en béton armé (dimensions : 5,50 m de large sur 6 m de hauteur)38. L’entreprise de travaux publics Allard, associée à l’entreprise Jorda, façonne les éléments en béton de la station et les livre au début de l’été 1948. Elle se charge de l’installation de la structure porteuse des trémies comportant 16 poteaux, des voiles de soutènement et des consoles en béton permettant la pose de la charpente métallique pour la couverture de la station, y compris celle des fours de grillage. Implantées au milieu de la station, les trois trémies de carbonaté cru de 120 t de capacité unitaire sont à vidange centrale par trappe à casque. Le chargement des fours se fait alors par reprise du minerai cru depuis ces trémies, au moyen de wagonnets Decauville chargés au niveau inférieur et remontés en tête des fours par un monte-charge (acheté d’occasion au garage CEMA d’Ivry). Une fois grillé, le minerai défourné est manutentionné, dans des wagonnets de 500 l roulés et encagés manuellement dans le monte-charge39, pour être mis en stock dans six autres trémies, aménagées entre le stockage du carbonaté cru et les fours de grillage. Réparties sur trois travées, ces six trémies de 60 t de capacité unitaire assurent un chargement rapide des camions en vue de l’expédition du minerai marchand. La manœuvre de leurs six trappes à volets (fournies par les établissements Delattre et Frouard) se fait individuellement et mécaniquement, au niveau supérieur des trémies, au moyen de jeux de tringles et de manivelles40.
Fig. 14
a) Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, trémies dévolues au stockage du carbonaté cru (sidérite), détail des trappes à casque ; b) Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, trémies dévolues au stockage du minerai grillé
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
- 41 - AD Pyrénées-Orientales. 180J90. La construction d’un troisième four avait été projetée par la Soc (...)
13Afin de répondre aux commandes, en particulier celles de la Compagnie des forges de Châtillon-Commentry et Neuves-Maisons (CCNM), un troisième four de grillage est construit, à proximité immédiate des deux autres, entre juin et août 1955 pour une mise en service le 3 septembre 195541. Son revêtement réfractaire nécessite 8 à 10 000 briques fournies par les établissements Valuy de Bollène-la-Croisière. Il est maçonné par la Société d’Entreprise et Fumisterie Industrielle (SEFI) de Marseille. Quant aux pièces en fonte et en acier, elles proviennent des Usines Chimiques et Métallurgiques de Decazeville (UCMD). Afin d’augmenter le rendement de la station, les améliorations portent sur la ventilation et la vidange du four, dont la marche s’en trouve modifiée. Ainsi, alors que dans les précédentes installations, la charge s’effectue à la cadence du transporteur aérien en même temps que s’opère la vidange du grillé à la base,
- 42 - AD Pyrénées-Orientales. 180J90.
la conception de notre troisième unité, avec soles et goulottes de défournement à pente très accusée pour rendre la vidange automatique, ne permet pas d’appliquer notre vieille méthode. […] La méthode que nous employons est celle préconisée par Monsieur Dupont, Directeur des Mines de la Ferrière-aux-Étangs [Orne] […]. C’est ce nouveau principe en deux temps ; vidange d’abord, chargement ensuite, que nous nous efforçons d’appliquer42.
Fig. 15
Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, plan pour l’aménagement du stockage, criblage et grillage continu sur lequel figurent les trois fours de grillage, fin des années 1960
L. Caliste (reproduction) © Archives départementales des Pyrénées-Orientales, fonds des mines de Batère, 180J89
- 43 - AD Pyrénées-Orientales. 180J97.
- 44 - AD Pyrénées-Orientales. 180J90.
- 45 - Archives DREAL. PV visites des mines de fer de Las Indis, 25 juin 1946, 10 et 11 mars 1949 ; Arch (...)
14Tandis que la production est passée à 75 t de minerai grillé par jour et par four, un nouveau silo à minerai est édifié en septembre 1958, par l’entreprise de travaux publics Balency et Schuhl43. En 1956, année pour laquelle nous sont parvenus les volumes produits, les installations d’Arles-sur-Tech ont traité 5 200 t de carbonaté et produit 3 950 t mensuelles de minerai marchand pour les hauts-fourneaux, soit 3 750 t de grillé et 200 t de carbonaté pour les aciéries44. Cette production est livrée à Decazeville (Aveyron), Isbergues (Pas-de-Calais) et Dilling (Allemagne). En lien avec le développement des installations du carreau minier, le nombre de mineurs employés augmente entre les années 1940 et 1950 : en 1946, ils sont 20 à y travailler, 32 en 1949, 26 en 1950, puis en 1959, ils sont 45 à la station d’Arles pour un effectif total de 120 personnes45.
Fig. 16
Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, groupe de trémies édifiées en 1958, dévolues au stockage du minerai grillé
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
- 46 - AD Pyrénées-Orientales. 2462W9.
- 47 - AD Pyrénées-Orientales. 180J92, plans ; AD Pyrénées-Orientales. 2462W9.
- 48 - AD Pyrénées-Orientales. 180J89, plans.
- 49 - AD Pyrénées-Orientales. 165J128, Mine de fer de Batère, Arles-sur-Tech, Pyrénées-Orientales, 1982
- 50 - GALVIER, 1998.
15À la fin des années 1960, le carreau minier d’Arles-sur-Tech compte encore trois fours. Toutefois, tous ne fonctionnent plus et plusieurs démolitions interviennent à cette époque. Le 12 mai 1971, la Société Anonyme de Batère formule une demande en vue de la suppression d’un four de grillage de minerai de fer carbonaté et de la modernisation des deux autres pour permettre leur fonctionnement en marche continue46. Les travaux ont, en réalité, débuté quelques mois plus tôt, visant à moderniser le chargement et le défournement des fours47. Les soles tournantes – reliées aux trémies de stockage par des transporteurs à bande – sont adoptées, l’une étant fournie par les établissements Dachs et Rabeu de Prades en octobre 1969, tandis qu’un nouveau dispositif de chargement automatique des fours est à l’étude à la même époque48. Dès le début des années 1970, les manœuvres sont commandées et contrôlées depuis un pupitre installé au centre de la station. La capacité des fours de grillage est alors de 200 à 240 t49. À cette époque, l’essentiel de la production est destiné aux hauts-fourneaux de Decazeville tandis que 20 % de la production est traitée par Usinor, à Fosse-sur-Mer50.
Fig. 17
Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, plan pour l’aménagement du stockage, criblage et grillage continu sur lequel figurent deux fours de grillage, début des années 1970
L. Caliste (reproduction) © Archives départementales des Pyrénées-Orientales, 2462W9
Fig. 18
Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, détail du four « sud », sole tournante et défournement, début des années 1970
Fonds SIPARC route du fer, A0497 © Canigó Grand Site
Fig. 19
Lucien Maurel, directeur de la Société Anonyme de Batère, devant une trappe de défournement du four « sud », années 1970
Fonds SIPARC route du fer, A0442 © Canigó Grand Site
Fig. 20
Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, détail du four « sud », mineur au chargement du four, début des années 1970
Fonds SIPARC route du fer, A0496 © Canigó Grand Site
Fig. 21
Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, transporteur à bande reliant les fours aux trémies dévolues au stockage du minerai grillé (nord du carreau), début des années 1970
Fonds SIPARC route du fer, A0499 © Canigó Grand Site
- 51 - À titre de comparaison, les deux fours de grillage, édifiés par la Société anonyme des mines de f (...)
- 52 - AD Pyrénées-Orientales. 2462W9, courrier du sous-préfet de Céret, 8 septembre 1971.
- 53 - AD Pyrénées-Orientales. 180J89, plans.
16Le démontage du four nord, qui intervient vraisemblablement en 1970, rapporte le nombre de fours à deux, configuration encore visible. Le four « sud » est mis en service dès avril 1970, sur l’emplacement d’un désaffecté. Il se compose d’une sole tournante surmontée d’une cuve cylindrique dont le revêtement réfractaire mesure environ 7 m de hauteur sur une épaisseur d’environ 60 cm (diamètre d’intrados de 4,30 m)51. Sa chemise est renforcée par des cerclages métalliques. Le second four, le four « est », est allumé, quant à lui, le 28 août 197152. Il se compose également d’une sole tournante surmontée d’une cuve cylindrique d’une hauteur de 7 m environ pour un diamètre intérieur de 5,30 m. Son cuvelage métallique est fourni par les établissements Dachs et Rabeu de Prades tandis qu’il est équipé d’un système de ventilation de la société VIM (La Ventilation Industrielle et Minière, Saint-Cloud)53. Sur place, sont encore visibles les deux pavillons, en béton avec toit terrasse, dans lesquels étaient installés les ventilateurs mécaniques des fours.
Fig. 22
Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, construction du four « est », en 1971
Fonds SIPARC route du fer, A0433 © Canigó Grand Site
Fig. 23
a) Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, les deux fours de grillage, années 1970 ; b) Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, les deux fours de grillage, 2021
a) Fonds SIPARC route du fer, A0495 © Canigó Grand Site ; b) A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
- 54 - EURL Les mines de Batère. Mines de fer de Batère (concession de « Las Indis »), commune de Corsav (...)
17Dans les années 1980, une partie du minerai est accepté cru (sans grillage) par les usines de Decazeville. Pour ce faire, il devait être calibré entre 0 et 8 mm. La nouvelle unité de préparation (concassage, broyage, stockage avec homogénéisation) est mise en service à partir de novembre 1983, installée dans la partie nord-ouest de la station, à proximité immédiate de l’arrivée du transporteur aérien. Le minerai de fer cru, arrivé via le transporteur, était ensuite déversé sur un convoyeur à bande jusqu’au crible primaire (Chantiers des Ponts Jumeaux, Toulouse) permettant la séparation du 0-8 mm, 8/40 mm et >40 mm, répartis dans trois trémies de 45 m3 chacune. Le 8-40 mm passait ensuite au broyeur giratoire (Blawn Knox) tandis que le >40 mm était envoyé au concasseur à mâchoires. Le minerai était de nouveau criblé pour récupérer le 0-8 mm, puis transféré à la zone de stockage par bande transporteuse jusqu’à une bande d’homogénéisation pivotante (sauterelle mobile), installée au nord de la station. La capacité de stockage de minerai homogénéisé était de 13 000 t. La mise en service de cette unité de préparation du minerai cru marque l’arrêt des fours de grillage54.
Fig. 24
Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), vue aérienne du carreau minier, années 1980
A. Boyer (reproduction) © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 25
Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, arrivée du transporteur aérien, début des années 1980
Fonds SIPARC route du fer, A0494 © Canigó Grand Site
Fig. 26
Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, unité de préparation du minerai cru, installation du concasseur vers 1979
Fonds SIPARC route du fer, A0439 © Canigó Grand Site
Fig. 27
Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, Lucien Maurel, directeur de la Société Anonyme de Batère, devant les fours à l’arrêt, vers 1985
Fonds SIPARC route du fer, A0456 © Canigó Grand Site
Fig. 28
Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), carreau minier, les vestiges de la station recette-stockage-grillage en 2021
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
18En raison de la fin des commandes passées par la Société d’Exploitation de la Sidérurgie de Decazeville en 1987, la Société Anonyme de Batère est mise en liquidation en 1988. La propriété des terrains et des installations est alors transférée au département des Pyrénées-Orientales qui les met à disposition de la SARL de Batère afin de poursuivre l’activité. Les stocks sont alors expédiés vers le bassin minier du Lodévois exploité par la Cogema qui utilisait la sidérite dans le traitement des minerais d’uranium. À la suite de la fermeture des mines de fer de Batère en 1994, un dossier de déclaration d’arrêt définitif des travaux sur la concession de « Las Indis » est déposé le 31 mai 1999. Le carreau minier d’Arles-sur-Tech est vendu par le département à la commune d’Arles en 2002, avec transfert de propriété en 2003. L’EURL des Mines de Batère, qui a succédé à la SARL en 1994 et qui était locataire du site, est mise en liquidation en 2008. À la suite des démantèlements entrepris dès 1988, et poursuivis jusqu’en 2000, les ponts-abris surmontant l’avenue de Las Indis et la RD 115, l’estacade d’arrivée du transporteur aérien, l’unité de préparation du minerai cru, les bandes transporteuses et bandes d’homogénéisation ont aujourd’hui disparu.
Fig. 29
Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), plan du carreau minier, historique des installations (1898-état en 2022)
V. Marill © Inventaire général Région Occitanie
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- 55 - Au projet FERMAPYR déjà signalé, il faut ajouter le projet transfrontalier « Pyrénées du fer » (I (...)
- 56 - Je remercie Julien Galve, ancien mineur de Batère, pour les échanges accordés.
19Les vestiges du carreau minier d’Arles-sur-Tech, bien que partiellement conservés, évoquent sans conteste l’évolution des techniques de traitement du minerai de fer, la Société Anonyme de Batère ayant eu le souci, durant un siècle, de moderniser ses installations et de répondre à un marché de plus en plus restreint. Si le carreau minier d’Arles-sur-Tech participe à la mémoire d’une activité ancienne et fortement identitaire pour la population du Conflent et du Vallespir, il se démarque à plus d’un titre : sa localisation en vallée, son emprise, son patrimoine bâti, dont la construction remonte aux années 1900 pour les édifices les plus anciens, et l’ampleur de ses installations industrielles (estacade, trémies, fours de grillage) en font un site industriel d’une grande valeur patrimoniale. Alors que les initiatives se multiplient autour du patrimoine minier, en particulier dans le cadre de projets européens55, la conservation et la valorisation du carreau d’Arles-sur-Tech ne semblent pas encore acquises. Comme ailleurs, le devenir d’une installation industrielle de cette nature et de cette envergure pose question aux collectivités territoriales qui en ont maintenant la charge. Le présent article n’entend pas apporter de réponse sur le devenir du carreau minier d’Arles-sur-Tech mais quelques éléments de compréhension se rapportant à son histoire, celle des ingénieurs qui l’ont conçu et transformé, comme celle des mineurs56 qui l’ont fait vivre pendant plus d’un siècle.