- 1 - Caves coopératives en Languedoc-Roussillon, Inventaire général du Patrimoine culturel, Lieux-Dits (...)
1En 2010, le service de l’Inventaire général du Patrimoine culturel de la Région Languedoc-Roussillon publiait le résultat de son étude exhaustive sur les caves et distilleries coopératives de son territoire1. En 2011, le service poursuivit ses recherches en s’intéressant au phénomène des « châteaux viticoles » de la grande prospérité du dernier tiers du XIXe siècle.
- 2 Le titre de cet article est un clin d’œil à l’ouvrage d’Urbain Vitry, Le Propriétaire architecte, P (...)
2Plus de 900 ensembles architecturaux furent recensés dans le département de l’Hérault. Face à l’ampleur du phénomène, le corpus dut être réduit par la définition de critères dont le plus discriminant du point de vue architectural fut le critère symbolique. Il permet de comprendre comment le vocabulaire architectural et décoratif traduit la prétention sociale et identitaire des propriétaires2, car leur désir d’ostentation, leur souci d’agrément et de confort prévalent dans la composition architecturale de leurs domaines.
- 3 RODRIGUEZ, Lionel, Cahier des Clauses Scientifiques et Techniques « Inventaire de l’architecture de (...)
- 4 Idem
3Une des questions importantes posée par cette étude était celle de l’identité des maîtres d’œuvres, des entrepreneurs et des artistes ayant travaillé à l’édification de ces châteaux. En effet, la formation très académique des architectes à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris a généré une forme de standardisation « accentuée par la polyvalence des professionnels rendant compliquée l’attribution sur critères stylistiques ou selon le parti adopté3 ». C’est pourquoi, la confrontation des données issues des fonds conservés, notamment celui de l’agence Garros, déposé par la famille aux archives municipales de Bordeaux, avec « la localisation des œuvres attribuées permettrait de cerner les aires de rayonnement des architectes, évaluer leur notoriété, leur capacité à satisfaire la clientèle et à la capter »4.
4En cela, le château viticole de Saint-Pierre de Serjac, situé sur la commune de Puissalicon, dans l’Hérault, est un maillon important de cette étude. Les chercheurs en charge de cette enquête visitèrent le domaine le 17 août 2011 alors que celui-ci était toujours propriété des descendants de la famille du commanditaire. Celle-ci s’y rendait en villégiature l’été et le domaine, très préservé, présentait encore une activité viticole (fig. 1).
Fig. 1
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, vue générale du château et de ses dépendances en 2014 avant transformation
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
5Quelques mois plus tard, le domaine fut vendu et converti en un établissement touristique de luxe. Le nouveau propriétaire y découvrit des archives dont il accepta de confier l’étude aux chercheurs de l’Inventaire. Ce fonds contient notamment les plans, les devis, les factures, les correspondances et les registres de comptes de la période de construction du nouveau château. Croisé avec l’étude du bâti et les documents du fonds Garros à Bordeaux, ce fonds privé a permis de retracer l’histoire du chantier et d’en appréhender tous les acteurs à l’œuvre.
- 5 - FERRAS, 1987.
- 6 - BERGASSE, 1994.
- 7 - ABRIAT, 2013.
6Le chantier se déroule durant l’incroyable période de prospérité économique que connut l’Agathois, le Narbonnais et surtout le Biterrois grâce à la monoculture de la vigne. Elle fut à l’origine, principalement à partir des années 1880, d’une vague de castellisation des domaines viticoles sans précédent. Catherine Ferras5, Jean-Denis Bergasse6 et plus récemment un ouvrage sur Gustave Fayet7 ont expliqué et mis en lumière les mécanismes de ce phénomène.
7Le chantier de Saint-Pierre, l’illustre particulièrement bien car il rassemble les trois modes d’intervention architecturale rencontrés dans l’étude des châteaux viticoles de cette période et leurs problématiques :
-
La restauration
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La reconstruction
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La construction ex-nihilo
- 8 La physionomie de l’ensemble architectural reste peu modifiée depuis certains abords. Seule la vue (...)
8En outre, les archives conservées, notamment les lettres envoyées par l’architecte et celles envoyées par le propriétaire, nous permettent d’étudier et d’humaniser le processus créatif tout en faisant la part entre le projet du maître d’œuvre et celui du commanditaire. Plus encore, ce sont tous les acteurs du chantier, avec leurs contraintes ou leurs atermoiements, qui prennent vie à la lecture des mots de ceux qui ont bâti ce château viticole et lui ont donné la forme qu’il conserve toujours aujourd’hui malgré son changement d’affectation8.
9Le domaine relève de l’ancien fief de Cazilhac possédé par les évêques de Béziers du XIIIe au XVIe siècle. Il passe ensuite à la famille Paschal de Saint-Juéry puis, au XIXe siècle, au baron de Fontenay (fig. 2).
Fig. 2
Détails d’un extrait du plan cadastral de la commune de Puissalicon, sections A et B dites « de St Peyre et de Canet ». Échelle de 1 à 2500 « Certifié conforme au plan minute Montpellier le 19 février 1914 » (archives privées)
M. Kérignard (reproduction) © Inventaire général Région Occitanie
- 9 - AD34. P2211. Les parcelles de Jules d’Héméric (411 à 427 bis) sont situées sur la commune de Puis (...)
- 10 - AD34 3P2212 Matrice des propriétés foncières 1834-1913, folio 169.
10D’après le tableau indicatif des matrices cadastrales de 1833, les parcelles du domaine de Saint Pierre appartiennent à Jules d’Héméric, propriétaire à Béziers et à Pierre Mas, propriétaire au château de Cazilhac9. La maison et le bâtiment rural sont situés sur les parcelles de Jules d’Héméric. Il est fait mention d’une construction en 1874 sur la parcelle du bâtiment rural et d’une augmentation en 1880. Le domaine passe ensuite aux frères Bourguès, négociants à Cette10 avant d’être acheté par Cyprien de Crozals père lors d’une vente par expropriation forcée au tribunal civil de Béziers le lundi 8 février 1886. Une annonce parue dans le Petit Méridional du 20 janvier 1886 nous en offre une description :
- 11 - Le cépage Jacquez est issu de vignes américaines résistantes au mildiou, oïdium et phylloxéra.
- 12 - Le Petit Méridional précisait que le cahier des charges de la vente était déposé à l’étude de Me (...)
Situé au terrain de la commune de Puissalicon près Béziers, à 2 kilomètres de la gare de Magalas (ligne de Béziers à Rodez), d’une contenance de soixante-six hectares 92 ares 70 centiares dont 30 hectares environ sont complantés en vignes américaines, jaquez11 et riparia, en partie greffées, comprenant maison de maître, jardin et parc, logement pour le régisseur, écuries, caves, distillerie, futailles vinaires et autres immeubles par destination. Le domaine a produit en 1885 par les vignes nouvelles, 225 hectolitres vin rouge, sa production moyenne était autrefois de 5,000 hectolitres environ. Mise à prix 100.000 fr.12.
- 13 - BERGASSE, 1994, p. 68-69.
- 14 - Visite guidée du Palais Consulaire de Béziers, Béziers, Chambre de Commerce et d’Industrie de Béz (...)
11Cyprien de Crozals (1827-1906) père est une personnalité importante de Béziers. Issu d’une famille de notables d’Alignan-du-Vent13, il est négociant en vin, juge au tribunal de commerce et président du syndicat des négociants en vins et spiritueux de Béziers. Il est à l’origine de la création d’une Chambre du Commerce et de l’Industrie à Béziers où l’on pouvait admirer son buste, sculpté par Injalbert, en 191114.
12De nombreux diplômes conservés dans les archives privées (fig. 3) témoignent des récompenses reçues par Cyprien père, notamment pour ses vins, qu’il récolte dans ses domaines : La Françèze à Coursan, Le Bousquet à Montady, le Puget à Massals, dans le Tarn, et enfin Saint-Pierre de Serjac à Puissalicon.
Fig. 3
a) Diplôme décerné par la Société philomathique de Bordeaux lors de la XIIIe Exposition de Bordeaux de 1895 à Cyprien de Crozals (archives privées) ; b) Diplôme décerné à Cyprien de Crozals « pour son eau-de-vie » au concours-exposition de 1902 de la Société départementale d’encouragement de l’Agriculture de l’Hérault ;
M. Kérignard (reproduction) © Inventaire général Région Occitanie
- 15 - Philippe Secondy consacre un chapitre à cette famille sous le titre « Les de Crozals une dynastie (...)
13Cyprien de Crozals père a trois fils et trois filles. L’aîné, Auguste (1857-1941) fait l’acquisition du domaine de Roquebasse à Villeneuve-lès-Béziers, le deuxième, Alban (1860-1937) héritera du domaine du Puget tandis que le troisième, Cyprien (1861-1938), obtient Saint-Pierre : c’est lui qui commandera à Alexandre Garros le château viticole tel que nous avons pu le visiter en 2011. Cyprien de Crozals père et fils appartiennent à une famille catholique et royaliste, tout comme les architectes auxquels ils font appel15.
- 16 - Louis Dusfour est né à Montpellier en 1837 mais installe son cabinet d’architecture à Béziers en (...)
14Deux avant-projets conservés dans les archives privées nous montrent que, dès son acquisition, Cyprien de Crozals père envisage de grandes transformations. Le premier document est le croquis d’un avant-projet d’alimentation et distribution d’eau daté du 11 août 1886 (fig. 4), le second est un plan côté des bâtiments et de leurs abords daté et signé par l’architecte Louis Dusfour16 le 19 décembre 1889 (fig. 5).
Fig. 4
Puissalicon (Hérault), Domaine de Saint-Pierre, croquis avant-projet d’alimentation et distribution d’eau daté « Béziers le 11 août 1886 » (archives privées)
M. Kérignard (reproduction) © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 5
Puissalicon (Hérault), Domaine de Saint-Pierre, plan coté des bâtiments et de leurs abords, échelle de 0,002ème /m, signé et daté Louis Dusfour « Béziers le 9 décembre 1889 », détail (archives privées)
M. Kérignard (reproduction) © Inventaire général Région Occitanie
- 17 - On arrive désormais au domaine par le chemin de Magalas, au nord-est. On notera que sur le plan c (...)
- 18 - Le dénivelé du terrain au sud et à l’est nécessitera la construction de terrasses et d’escaliers.
- 19 - Pour l’importance et le rôle de la tour d’escalier dans les châteaux et métairies du biterrois, v (...)
15Bien que n’ayant pas été réalisés, ces projets nous informent sur les intentions de Cyprien de Crozals : il souhaite créer un grand domaine viticole digne de ce nom. Les deux plans montrent l’emprise des bâtiments organisés autour d’une cour dont l’entrée se fait par le nord-ouest17 : au sud les communs dont on peut voir les contreforts figurés sur le plan de 188618 (et au nord-est la maison d’habitation, accolée au lieu de production (cave, distillerie). Les étages de la maison sont desservis par un escalier situé dans une tour19carrée. Le premier projet vise à moderniser et organiser la production de manière rationnelle en construisant notamment de grands magasins destinés à stocker la production de vin. Le plan de gestion des eaux conditionne le projet tant du point de vue de la production viticole que de la conception d’un grand parc avec des jardins et un bassin d’agrément. Il est prévu également de séparer le lieu d’habitation du lieu de production : une « maison de maître » est projetée ex-nihilo au nord-est des anciens bâtiments, dans un véritable écrin formé par les jardins. Le plan de cette nouvelle construction nous montre qu’il était prévu une tour ronde, très symbolique, et de nombreuses terrasses, autre élément caractéristique du château de la fin du XIXe siècle où « la vue » à toute son importance. Le projet de Louis Dusfour de 1889 semble plus modeste même s’il conserve la volonté d’agrandir les magasins destinés à stocker la récolte et d’éloigner la maison d’habitation.
16Nous savons que ces projets ne furent pas réalisés puisque c’est finalement à l’architecte bordelais Louis-Michel Garros que Cyprien de Crozals père s’adresse en 1889 pour les travaux d’aménagement du domaine.
- 20 - AUDURIER-CROS, 2021, p. 15-17.
17En 1890, Louis-Michel Garros est déjà présent en Languedoc pour la construction de châteaux viticoles depuis une dizaines d’années. Il est le fondateur de cette agence dans laquelle se succèderont son fils Alexandre, puis ses petit-fils, Louis et Marcel20.
- 21 - AM Bordeaux. 208 S 620, p. 92.
- 22 - AM Bordeaux. 208 S 612, p. 115, 245-247.
18Les transformations du domaine de Saint-Pierre de Serjac (dit aussi « Saint-Pierre-sur-Sac) réalisés sous la direction de Louis-Michel Garros sont connues grâce aux comptes et aux honoraires de l’agence, en l’absence de la correspondance conservée à partir de 1898 seulement. Le règlement du compte de Francis Raisin, marchand de bois, permet de se faire une idée des travaux réalisés entre 1890 et 1892. En effet, pour une somme d’environ 11 000 francs, réglée le 1er février 189221 : il livre du bois destiné à de nombreux bâtiments : la volière, la petite écurie, les ramonetages [logements de chefs d’attelage], la grande écurie, la remise des charrettes, la tour, le pavillon carré [le pigeonnier], les magasins et le cintre de la terrasse. On peut ainsi constater que les travaux de construction et d’agrandissement se concentrent sur les bâtiments nécessaires à l’exploitation viticole et que l’habitation n’est pas déplacée. Les comptes mentionnent la nature des travaux : « relevé général des Comptes des travaux exécutés pour la Construction d’une Cave et divers travaux22 » pour une somme totale d’environ 142 000 frs (maison du concierge et honoraires de l’architecte inclus).
- 23 - Le don Garros aux archives municipales de Bordeaux comprenait des plaques photographiques, non ré (...)
19Une photographie conservée dans le fonds Garros23 nous montre l’état réalisé de cette première campagne de travaux (fig. 6) : derrière le hangar attenant au lavoir, on distingue à gauche la tour ronde dite de la « volière », le poulailler (fig. 7) et la fameuse tour carrée de l’habitation, coiffée d’un simple toit en pavillon.
Fig. 6
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, développement d’une plaque photographique conservée dans le fonds Garros par Bernard Rakotomanga, responsable de l’atelier numérique des archives de Bordeaux Métropole
© L. Rodriguez (reproduction)
Fig. 7
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, façade sud des dépendances avec à gauche la tour de la volière et le poulailler. Ce bâtiment abritait notamment les écuries et une distillerie avait été aménagée sous la terrasse à droite. État en 2014 avant transformation
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
20Un autre plan nous montre la façade sud de la nouvelle cave telle qu’elle fut construite (fig. 8). Un plan dressé en 1912 au moment où Cyprien de Crozals souhaite seulement modifier une porte, nous donne un aperçu de la façade nord avec tour carrée et épi de faîtage (fig. 9) tel qu’elle fut érigée en 1891. Enfin, un plan non daté mais que l’on peut situer entre 1894 et 1901 (fig. 10) nous montre l’emprise au sol des constructions.
Fig. 8
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, dessin de la façade de la cave donnant sur le château, échelle 0,01 cm/m, par L.-M. Garros (archives Bordeaux Métropole, 208S704)
© L. Rodriguez (reproduction)
Fig. 9
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, a) dessin à la mine de plomb de la façade nord-ouest de la cave et des ramonétages par A. Garros, 1912 (archives de Bordeaux Métropole, 208S704). Au crayon rouge, la modification de la fenêtre et de la porte demandée par Cyprien de Crozals : « Je vous adresse aujourd’hui en un rouleau séparé le projet d’arrangement de la façade pour l’entrée de cave de St Pierre. Comme vous le verrez sur mon tracé, il me semble très facile de faire une porte pour la cave et une petite fenêtre pour le bureau ; cette combinaison ne produit pas du tout mauvais effet sur la façade » (lettre d’A. Garros datée du 21 décembre 1912). En effet, dans une lettre datée du 6 décembre il expliquait : « il est indispensable pour moi de changer de plan la porte d’entrée de la cave qui se trouve dans la tour du pigeonnier. Cette porte est tout à fait dans l’angle de la cave et nous pensons placer deux rangées de foudres. […] » ; b) Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, la façade nord-ouest de la cave et des ramonétages et la tour du pigeonnier, en 2014 avant transformation.
a) L. Rodriguez (reproduction) ; b) M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 10
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, plan des conduites et appareils d’alimentation, nivellements, etc., non signé, non daté, échelle de 0,002 cm/m (archives privées)
M. Kérignard (reproduction) © Inventaire général Région Occitanie
21Ces premières interventions répondent aux nécessités économiques : pour produire, il faut construire. Louis-Michel Garros satisfait donc la demande programmatique initiale du propriétaire par un ensemble architectural de grande ampleur, dessiné selon un parti rationaliste sans doute inspiré des recueils de modèles d’architecture agricole dans lesquels abondent les références aux villae romaines24. Il n’est donc pas étonnant que cette dilection de l’architecte pour la logique fonctionnelle de ses dépendances agricoles soit également constatée par l’historien Marc Saboya pour la même époque en Bordelais :
- 25 - SABOYA, 1994, pp. 78-79.
de vastes édifices fonctionnels dont le caractère utilitaire est affirmé par la mise en évidence des éléments structurels : arcs de décharge et baies aux arcs segmentaires tendus, en brique rouge, […] linteaux de fer posés sur des coussinets et assurant de larges ouvertures pour le passage des charrettes, contreforts à larmiers, chaines harpées rythmant les façades […]25.
- 26 - En 1898 s’achève le chantier du château de Valmirande, à Montréjeau en Haute-Garonne, construit à (...)
22Cette période est mieux connue car, aux registres de comptes, s’ajoute la correspondance conservée des architectes qui débute en 1898. Celle-ci nous permet de constater que tant du côté du commanditaire que de celui de l’architecte, les fils prennent progressivement le relais : en 1899 Cyprien de Cozals père a 75 ans et Louis-Michel Garros 66 ans. Leurs fils respectifs sont étroitement associés à la gestion des domaines dans le cas de Cyprien fils et aux chantiers de l’agence d’architecture pour Alexandre Garros26. À la fin de l’année 1898, c’est bien Cyprien de Crozals fils qui s’adresse aux Garros pour faire modifier la toiture de la cave. Dans sa lettre datée du 23 janvier 1899 Louis-Michel Garros propose d’envoyer un ouvrier de Bordeaux afin de procéder à la réfection du chéneau des caves :
- 27 - AM Bordeaux. 208 S 527, lettre n° 162, p. 157-158. Lettre de Louis Garros à Cyprien de Crozals, 2 (...)
Mon cher monsieur, mon fils [Alexandre Garros] m’a rendu compte de l’état des charpentes et des toitures de St Pierre. Je ne vois absolument rien à modifier à la disparition des charpentes vous pourriez seulement faire mettre des étriers en fer aux pièces qui sont fendues c’est le moyen que vous avez déjà employé pour un poteau en chêne et c’est certainement ce qu’il y a de mieux à faire. […] Je vois d’après ce que me dit mon fils que la couverture en tuiles est complètement à remanier, ainsi que la grande dalle en zinc, vous devriez en profiter pour refaire cette dalle en cuivre, vous seriez sûr d’arriver ainsi à un bon résultat. Le zinc qu’on nous fournit aujourd’hui provient en grande partie de vieux zinc plusieurs fois refondu par suite il est très cassant et nous cause à chaque instant des déboires que nous n’avons jamais eu avec le cuivre27.
- 28 - AM Bordeaux. 208 S 527, lettre n° 199, p. 197-198. Lettre de Alexandre Garros à Cyprien de Crozal (...)
23Dans la lettre suivante, c’est au tour d’Alexandre Garros de s’adresser à Cyprien de Crozals père pour lui demander son accord pour faire intervenir l’ouvrier de l’entrepreneur de zinguerie de Bordeaux Trijasson, qui s’entendrait ensuite avec le charpentier sur place. Il lui annonce également ne pas « avoir oublié le projet de petit logement du jardinier que m’a demandé monsieur votre fils je pense vous le porter moi-même en allant dans quelques jours à Béziers, probablement vers le 20 courant28 ».
24Louis-Michel et Alexandre Garros livrent les façades (fig. 11) et plans (fig. 12) du projet de loge de jardinier-concierge en févier 1899. Au mois de mai, ils sont à la recherche d’un entrepreneur pour ce travail et demandent à M. de Mirepoix, pour lequel ils réalisent des travaux au château de Grézan à Laurens tout proche, de lui emprunter son conducteur de travaux, M. Triat, et de lui céder de la pierre de taille pour l’encadrement des montants de la maison.
Fig. 11
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, plans aquarellés des façades de la loge du concierge (dite aussi maison du jardinier) par A. Garros, 1899 (archives Bordeaux Métropole, 208S704)
© L. Rodriguez (reproduction)
Fig. 12
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, plans du rez-de-chaussée et du premier étage de la loge de concierge par A. Garros, 1899 (archives Bordeaux Métropole, 208S704)
© L. Rodriguez (reproduction)
25La loge de concierge est construite un peu plus au sud en contrebas, le long du chemin de Puissalicon.
- 29 - AM Bordeaux. 208 S 528, p. 120-121, lettre de Alexandre Garros à Triat, 7 juin 1899.
- 30 - AM Bordeaux. 208 S 528, p. 381-382, lettre de Alexandre Garros à Triat, 14 septembre 1899.
26Le béton est utilisé pour les fondations. Le socle est composé de moellons assisés provenant des carrières locales de Réals ou de Laurens, doublé en maçonnerie. L’architecte envisageait de tailler les angles en pierre dure d’Agde mais finalement, par souci d’économie, ils seront en moellon ordinaire pour lequel Alexandre Garros précise cependant au conducteur de travaux : « le moellon de Laurens doit être simplement piqué à l’aiguille comme celui des écuries de Bassouls sans ciselure29 ». Pour les encadrements des ouvertures, c’est la pierre calcaire de Viargues, qui est utilisée. Les travaux commencent en juin 1899 et l’architecte envoie les croquis de disposition des poutres du plancher en précisant qu’il sera en bois du Jura. La coupe et le tracé de la toiture sont envoyés le 4 août à Triat qui doit s’organiser avec le charpentier. Dans ses lettres, Garros insiste sur les dimensions du toit qui doivent être scrupuleusement respectées afin que rien ne gâte « le coup d’œil de l’extérieur ». De même, il insiste sur le choix de la tuile de Marseille pour la couverture, qui doit être « plate rectangulaire » car « la couverture en tuile à emboitement dite de Marseille ne vaut rien dans le pays nous avons eu des ennuis à plusieurs endroits ». L’architecte commande ensuite un épi en terre cuite « de style normand à une maison qui nous fait des épis charmants »30. Ceci confirme le style qu’il entend donner à cette loge de concierge : les Garros ont en effet l’habitude d’orner leurs constructions d’épis de faîtages commandés à Charles Comptet qui dirige la tuilerie normande du Mesnil de Bavent, dans le Calvados.
- 31 - BERGASSE, 1994, p. 40-41, sur le mode de vie des notables.
27Il faut rappeler que le château viticole aussi appelé « campagne » en Biterrois n’est pas la résidence principale des notables qui le possèdent : il s’agit principalement d’un lieu de travail ou de villégiature automnale31. Les Crozals résidaient en un hôtel particulier au 14 rue Boieldieu à Béziers qu’ils occupaient en hiver et au printemps. Après avoir passé la saison chaude à la montagne ou en bord de mer (les Crozals avaient leurs habitudes à Royat), on s’installait au domaine à la fin de l’été pour les vendanges.
- 32 - AUDURIER-CROS, 1989, p. 29.
- 33 - Lettre de Cyprien de Crozals à Alexandre Garros datée du 31 décembre 1909 (archives privées) : « (...)
28Pour la période 1900-1907 nous n’avons pas d’autres informations si ce n’est la création, d’après Alix Audurier-Cros32, d’un parc paysager, aménagé en 1905. Il se pourrait cependant qu’il s’agisse d’une création antérieure puisque Cyprien de Crozals fils indique dans une lettre datée du 31 décembre 1909 posséder le plan des jardins exécutés par le célèbre paysagiste Bülher en 188633. Le registre du domaine conserve un plan du verger « planté en 1895 » et les lettres mentionnent « un parterre français et un parc anglais ».
29Ce même registre nous informe qu’en janvier 1907 est entreprise la construction de cinq cuves à goudron destinées aux « fumées printanières contre les gelées » mais surtout qu’à l’automne 1907 des orages particulièrement violents produisent beaucoup de dégâts. Cyprien de Crozals fils est alors le propriétaire de Saint-Pierre, son père étant décédé en 1906. Il envisage dans un premier temps une réparation de fortune par les ouvriers du domaine puis s’adresse de nouveau aux Garros pour la « restauration du château et des dépendances » comme l’indiquent les premiers projets envoyés.
- 34 - Louis-Michel Garros s’éteint le 8 mai 1911.
- 35 - « On observe que la qualification de géomètre, qui figurait seule ou accompagnée du titre d’ingén (...)
- 36 - JACQUES, 1986, p. 16.
30Alexandre Garros se charge seul de ce chantier, sous les conseils et avis de son père34. Demeurant à Bordeaux, les Garros ont besoin d’un relais sur place pour conduire leurs chantiers en Languedoc : c’est Adrien Marty qui est chargé du projet de Saint-Pierre. Ce dernier, né en 1866, est le fils d’un cultivateur de Quarante. Au moment de son mariage en 1897 avec la fille d’un propriétaire de Puissalicon, il est qualifié de « dessinateur » et on le trouve dans les annuaires, installé à Béziers comme géomètre35. En 1912, sur son papier à en-tête figure la profession « architecte-géomètre, expert auprès des tribunaux » et l’on peut imaginer qu’il a pu ouvrir un cabinet d’architecte grâce à l’expérience acquise en conduisant de nombreux chantiers pour des architectes dûment diplômés comme les Garros. En effet, il existe alors toujours un vide juridique concernant la défense du titre d’architecte. Les architectes formés à l’École nationale supérieure des beaux-arts sont, surtout en province, concurrencés par les entrepreneurs et les ingénieurs36 puisqu’il il suffisait d’acquitter une patente (comme n’importe quel commerçant) pour porter le titre d’architecte.
31Dans les archives Garros, le projet de restauration du domaine est évoqué pour la première fois le 27 octobre 1908 dans une lettre envoyée par Alexandre Garros à Adrien Marty à qui il réclame des relevés de l’habitation tout en l’informant que Cyprien de Crozals lui a envoyé un « croquis au sujet de sa restauration de Saint Pierre ». Le relevé d’Adrien Marty conservé (fig. 13), montre la disposition intérieure de l’habitation, conforme aux traditionnelles maisons languedociennes avec un long et étroit vestibule d’entrée commandé par la cour, face aux communs. Y figure la jonction des murs de la cave derrière la maison d’habitation mais aussi le perron de l’escalier en pierre qui permet de descendre de la terrasse dans le jardin.
Fig. 13
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, croquis du rez-de-chaussée de la maison de maître avec cotes, par Adrien Marty, 1908 (archives privées). Annotations au crayon par Cyprien de Crozals
M. Kérignard (reproduction) © Inventaire général Région Occitanie
32Les dessins (fig. 14) avec papiers de retouches des façades du château et des dépendances conservés dans les archives, même si on ne peut ni les dater ni les attribuer fermement à Garros, font état d’une proposition qui vise à les « castelliser » : profusion de tours dont les toits aigus en poivrière ou en pavillon portent des lucarnes, girouettes et épis, mâchicoulis, ornements découpés et ajourés mais aussi toits-terrasses et la haute tour coiffée d’un belvédère. L’architecte a usé ici de tous les attributs architecturaux destinés à satisfaire le premier souci du propriétaire : être visible de loin et imposer sa puissance de près.
Fig. 14
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, a) projet de restauration de la façade côté jardins, mine de plomb, 1908, non signé (archives privées) ; b) projet de restauration du château et des dépendances, façade côté jardins, mine de plomb, 1908, avec papiers de retouche ouverts, non signé (archives privées) ; c) idem, avec papiers de retouche fermés.
M. Kérignard (reproduction) © Inventaire général Région Occitanie
- 37 - AM Bordeaux. 208 S 546, p. 224, lettre de Alexandre Garros à Cyprien de Crozals, 26 janvier 1909.
- 38 - AM Bordeaux. 208 S 546, p. 395, lettre de Alexandre Garros à Catterini, 10 mars 1909.
33Le 28 novembre 1908, Alexandre Garros, projette de se rendre à Béziers non sans avoir préalablement envoyé à Cyprien de Crozals un projet « rectifié » conformément aux instructions de ses dernières lettres. La visite de terrain se termine par de nouvelles modifications puisque le 26 janvier 190937, Alexandre Garros annonce avoir terminé un nouveau un projet « très complet » et compte se rendre à Béziers en février pour visiter avec Adrien Marty les chantiers qu’il dirige. Suite à cette visite, le commanditaire et l’architecte semblent s’être entendus puisque ce dernier commande à la maison Dorel Frères les reproductions des calques des façades (fig. 15) pour en envoyer des doubles à Catterini, l’entrepreneur en maçonnerie, afin qu’il en étudie les prix38 : il ne demande d’ailleurs à ce dernier que d’imiter la pierre de taille en revêtement.
Fig. 15
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, projets de restauration des façades du château par Alexandre Garros, 1909, échelle de 0,02 cm/m, de gauche à droite, façade sud-ouest ; façade sud-est sur jardins ; façade nord-est (archives Bordeaux Métropole, 208S704)
© L. Rodriguez (reproduction)
- 39 - AM Bordeaux. 208 S 546, p. 290, lettre d’Alexandre Garros à Cyprien de Crozals, 9 mars 1909.
Le tracé des joints formant appareil de coupe de pierre, qui peut très bien se faire sur le revêtement de vos façades les a tellement transformées à leur avantage que je m’empresse de vous envoyer nos grands dessins eux-mêmes que vous pouvez conserver39,
34se félicite Garros dans une lettre à Cyprien de Crozals. Il est prévu d’ajouter sur la façade sud-est une tour à pans coupés sur un soubassement dans lequel serait installée la cuisine. Le projet est alors très complet puisqu’on conserve également les plans et leurs calques de la distribution intérieure (fig. 16) : la circulation est revue et permet notamment grâce à la création d’un escalier de service de différencier espaces de réception, espaces réservés au service et espaces réservés à la vie familiale. L’installation de WC répond au souci de confort.
Fig. 16
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, projet de restauration du château par Alexandre Garros, 1909, plans du rez-de-chaussée, du premier étage et du deuxième étage (archives Bordeaux Métropole, 208S704). En noir les constructions existantes, en rouge les modifications projetées.
© L. Rodriguez (reproduction)
35Les lettres de Garros conservées dans les archives du château sont griffonnées de notes et de croquis de la main de Cyprien de Crozals, comme ces notes qui montrent à quel point le projet de l’architecte n’est qu’adaptation aux désirs de son client :
Façade cour 1 petite tour sur le contrefort. Façade parc supprimer St Pierre le reporter sur le côté du balcon du 1er. Modifier les 2 petites fenêtres de la façade principale. Supprimer les moulures de la façade du milieu. Supprimer la balustrade de la tour à 5 côtés. Arranger le toit du balcon du premier. Rehausser le toit de la tour. Modifier les fenêtres. Voir si 3 fenêtres sont nécessaires. Étudier les fonctions et le style40.
- 41 - AM Bordeaux. 208 S 546, p. 372-373, lettre d’Alexandre Garros à Marty, 20 avril 1909.
36Ainsi le 10 avril Alexandre écrit à Adrien Marty pour lui annoncer qu’il a été obligé de refaire « en entier les projets de Mr de Cozals ; ces projets étaient complètement étudiés et un rien, comme une nouvelle saillie ou une épaisseur de mur change toute la combinaison ». Le 20, il renvoie des plans, façades et coupes (fig. 17) destinés à établir la fosse d’aisance et les fondations des parties neuves41.
Fig. 17
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, a) bleu du projet de restauration de la façade sud-est, avec élévation géométrale du pan coupé et plan de la terrasse de la tour-belvédère, b) façade nord-est (noter à droite l’amorce de la toiture de la cave) ; c) coupe de la tour à pan coupé avec création d’une cave, par Alexandre Garros, 1909, échelle de 0,02 cm/m (archives privées)
M. Kérignard (reproduction) © Inventaire général Région Occitanie
- 42 - AM Bordeaux. 208 S 547 p. 99, lettre d’Alexandre Garros à Marty, 10 juin 1909.
37Le 10 juin, il envoie à Marty les plans du balcon avec des préconisations sur les matériaux : « pour les 3 pierres du plateau il faudrait de la pierre choisie spécialement. […] Prenez note également qu’il faudra mettre les appuis des croisées en pierre plus ferme que le reste de manière à éviter les infiltrations d’eau42. »
- 43 - « Au XIXe siècle, le dessin géométral, au compas et à l’équerre, qui est une projection mathémati (...)
38En juillet, alors que les travaux ont bien commencé, Cyprien de Crozals remet en question le projet en s’interrogeant sur la différence entre le projet géométral43 (les façades telles que dessinées sur papier) et leur réelle perception par le spectateur in situ. Garros lui répond par un croquis et une lettre qui nous renseigne sur les intentions du maître d’ouvrage :
- 44 - AM Bordeaux. 208 S 547, p. 163-164, lettre d’Alexandre Garros à Cyprien de Crozals, 20 juillet 19 (...)
pour ce qui est de la tour je n’hésite pas à vous conseiller de la raser jusqu’à la hauteur où elle n’est pas nécessaire et à ne pas la rebâtir. Il n’est donc plus question de surcharger de vieux murs, au contraire on les déchargera en procédant ainsi. Ce qui me fait vous donner ce conseil c’est que les toitures que nous avons projetées sont beaucoup plus élevées que celles actuelles et que pour obtenir l’effet indiqué sur notre projet qui est en géométral il nous faudrait élever considérablement cette tour. Le croquis ci-dessous vous montrera la position de l’œil du spectateur en réalité et la position en géométral (fig. 18). Si vous désirez donner un peu de silhouette au couronnement de la tour de la salle à manger, on pourrait y accoler une petite tourelle qui permettrait de loger un escalier pour monter sur la terrasse44.
Fig. 18
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, détail de la lettre envoyée par Alexandre Garros à Cyprine de Crozals et datée du 20 juillet 1909 (archives privées)
N. Abriat (reproduction) © Inventaire général Région Occitanie
- 45 - AM Bordeaux. 208 S 547 p.197-198-199, lettre d’Alexandre Garros à Marty, 24 août 1909.
39Garros s’empresse alors d’écrire à Marty « ne démolissez pas inutilement de la tour, nous verrons cela à ma visite ». Il se rend en effet à Béziers et, à son retour, il indique à son conducteur concernant le chantier de Saint-Pierre « j’écrirai dans quelques jours après réflexion, je ne sais plus où j’en suis avec trois ou quatre projets et ce chantier tout désorienté45 ».
40Parallèlement au projet de restauration de l’habitation, les frères Gouze, maçons à Alignan-du-Vent procèdent à des travaux de démolitions et de reconstruction visant à aménager un garage et un local au-dessus des caves pour loger les ouvriers. Le registre des travaux tenu par Adrien Marty, conservé dans les archives privées, nous apprend le détail très complet de ces travaux ainsi que « les prix des pierres non prévues par la série de prix mais utilisées pour la construction et leur mise en œuvre » : pierre des Estaillades brute et taillée, granit de la Crouzette (utilisé pour les ouvertures de la cave) et moellons assisés en grès de Réals pour la maçonnerie avec rejointements en ciment.
41En page 13 du registre du domaine, sous le titre « projet de restauration du château de St Pierre sur Sac abandonné par suite du mauvais état de la construction que l’on a dû jeter à bas » Marty fait le décompte des travaux et des fournitures déjà payés mais « dont une partie a pu être utilisée pour la reconstruction ». En effet, le 3 novembre 1909, la démolition/reconstruction du château est actée et Alexandre Garros envoie à Cyprien de Crozals « la première étude du projet de St Pierre rectifié comme vous nous l’avez demandé » (fig. 19).
Fig. 19
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, projet de reconstruction du château, élévation de la façade sud-est par Alexandre Garros, 1909 (archives Bordeaux Métropole, 208S704).
© L. Rodriguez (reproduction)
42Le point de départ du nouveau projet est de déplacer l’entrée qui se fait désormais par la façade sud-est, par un hall placé dans l’axe du perron extérieur (fig. 20).
Fig. 20
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, projet de reconstruction du château, plan du rez-de-chaussée du château, par Alexandre Garros, 1909 (archives Bordeaux Métropole, 208S704)
© L. Rodriguez (reproduction)
43Cette liberté d’organiser la distribution intérieure lui permet de d’accorder plus d’importance à la salle à manger et de lui donner les mêmes proportions que le salon, de part et d’autre du hall. Ce nouveau projet semble dans un premier temps recueillir l’approbation de Cyprien de Crozals mais il remet tout en question lors de la visite du chantier par Alexandre Garros à la fin du mois de novembre. Le 27 décembre 1909 Garros envoie donc
un nouveau projet de St Pierre modifié dans le sens des notes prises avec vous à mon dernier voyage. Comme vous le remarquerez nous sommes arrivés à vous proposer une très bonne combinaison qui vous donnerait tout ce que vous désirez, dans des dimensions convenables et nous réduisons ainsi la superficie totale à 266 m. carrés. (fig. 21).
Fig. 21
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, projet de reconstruction du château, plans du rez-de-chaussée et du premier étage du château, par Alexandre Garros, 1909, échelle de 0,01 cm/m (archives privées)
M. Kérignard (reproduction) © Inventaire général Région Occitanie
44Ce projet a l’avantage de simplifier les toitures et d’aller dans le sens des préférences de l’architecte pour la simplicité des volumes. Les marches du perron ont été mises à l’extérieur du hall pour ne pas en diminuer la superficie. La lettre de Garros en dit long sur son agacement :
- 46 - AM Bordeaux. 208 S 548, p. 27-28, lettre d’Alexandre Garros à Cyprien de Crozals, 27 décembre 190 (...)
Je n’ai pas voulu faire faire les plans d’exécution sans vous faire examiner ce nouveau projet. Aussitôt que vous l’aurez adopté vous voudrez bien nous le retourner pour que nous fassions ces plans définitifs que je vous demanderai ensuite de ne plus modifier parce que notre ensemble en souffrirait…[…] J’insiste pour que vous conserviez notre régularité des pièces, c’est-à-dire pas de pans coupés, pas de cheminées d’angle (salle à manger). Si vous avez une belle pièce avec cheminée et portes à leur place, vous pouvez faire une décoration aussi simple que possible, l’ensemble sera toujours réussi46.
- 47 - Registre de correspondance, 28 décembre 1909, p. 198 (archives privées).
45Cyprien de Crozals reçoit la lettre le 28 décembre et lui répond aussitôt47 :
le genre de façade est bien dans la sorte que je désirais et aura un bien joli aspect. Le plan va très bien comme propositions et dispositions des pièces. En un mot tout serait parfait, s’il n’y a que le voisinage des communs auxquels nous nous appuyons qui gâtera et nous fera peut-être regretter d’avoir fait une aussi jolie construction sans avoir cherché à l’isoler ou du moins la séparer des murs de la cave.
46Ce qui suit est une énumération de deux pages de nouvelles idées destinées à détacher l’habitation de la cave. Le 31 décembre Garros envoie un
- 48 - AM Bordeaux. 208 S 548, p. 38, lettre d’Alexandre Garros à Cyprien de Crozals, 31 décembre 1909.
nouveau plan rectifié suivant vos deux dernières lettres. Je crois qu’il répond à tous vos desiderata. Sur le papier de retouche j’ai indiqué un escalier de service qui aurait exactement les mêmes dimensions que celui actuel que vous démolissez actuellement, ce qui nous permettrait d’utiliser tout ce qui sera susceptible de l’être48.
- 49 - Registre des travaux tenu par Adrien Marty et conservé dans les archives privées. La démolition s (...)
47Alors que les projets se succèdent, la démolition de l’ancien château commence le 27 décembre 190949.
48Le 2e projet de reconstruction est celui de déplacer l’habitation pour la séparer des caves. Les plans (fig. 22) envoyés par Garros le 31 décembre font l’objet de nouvelles modifications demandées par Cyprien de Crozals : ils sont annotés au crayon.
Fig. 22
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, projet de reconstruction du château, plans du rez-de-chaussée et du premier étage du château, par Alexandre Garros, 31 décembre 1909 (archives Bordeaux Métropole, 208S704).
© L. Rodriguez (reproduction)
49Les explications sont contenues dans une lettre datée du 3 janvier 1910 heureusement conservée dans les archives du château et reproduite ici car assez emblématique du degré d’implication du propriétaire dans la construction de son château :
J’ai reçu hier au soir les plans, je vous les retourne tous aujourd’hui. Je pense que vous approchez du point final, je trouve en effet qu’ils pourraient être définitifs avec les quelques menus détails que je vous indique ci-dessous.
Escalier de service. Je le recule dans l’office de 0,30 si c’est nécessaire pour avoir un couloir de 1,30 au 1er étage, c’est donc de 1 marche que je recule. Le passage pour aller à l’office doit avoir au moins 1 mètre et les marches de l’escalier devront avoir 1 m de longueur, les cloisons dessous voulues pour bien soutenir l’escalier. Pour obtenir ce résultat je vous ai indiqué que vous pourriez empiéter de 10 centimètres sur la cuisine, il vous serait possible peut-être de l’éviter en réduisant la distance entre la main courante à 0,30 au lieu de 0,50 que je vois porté sur les plans. Une baie vitrée tout le long du panneau sur l’office éclairerait cet escalier.
Office. Si le dessous de l’escalier de service n’a pas été pris par vous pour descendre aux caves, nous l’utiliserons comme placard. Dans le cas contraire nous ferons un placard de 0,45 de profondeur (en bois) le long du panneau de l’escalier de service, nous reporterons la porte allant à la cuisine vers ce panneau et mettrons l’évier en X. En Y la table à découper.
Cabinet. Je supprime la porte en P pour la reporter en P’ pour le laboratoire. Nous n’aurons qu’une seule marche à cause de la pente du terrain. Le cabinet aura ainsi moins de chaleur en été et moins de marches. Cette porte n’étant destinée qu’à mon service avec le régisseur ou sortir pour aller aux caves. Le caviste peut avoir également à m’apporter du vin au laboratoire etc. etc.
Lavabo. Je supprime les WC ne laissant que le lavabo, je mettrais des WC au second soit au-dessus de ceux du 1er, soit au-dessus du cabinet de toilette D.
1er étage. Le couloir allant à la chambre à la lingerie et aux WC aura donc 1,30 sur toute la longueur et l’escalier de service sera moins près de la baie sur le grand escalier.
Dégagement A. Nous porterons l’ouverture d’entrée sur ce dégagement à 1m30 environ comme de l’autre côté autant que possible.
Couloir B. Changé en empiétant sur la chambre C et sur la rampe que l’on verrait se combiner en la cintrant. Les ouvertures allant de ce couloir B au dégagement seront portées si vous le jugez utile à 1m20.
Chambre E. Une porte de communication avec la chambre C.
Fermetures. Les fenêtres. Je tiens à pouvoir fermer très commodément autrement qu’avec des volets à la parisienne. Si les volets extérieurs ne sont pas possibles nous pensons mettre des jalousies à tamies à l’extérieur (pour protéger les chambres des intempéries) […]
Façade. Côté des caves. Je suppose que le penchant en toiture va tomber sur ce couloir entre les caves, et dans ce cas quelques légères ouvertures ou semblant d’ouverture (la partie du milieu de cette façade étant déjà bien décorée par la baie de l’escalier et les portes de la laverie) suffiront à rompre la monotonie que cela causerait sans cela.
Terrasse. Vous seriez bien aimable de faire étudier si vous le jugez nécessaire la disposition de cette terrasse. Je compte en effet commencer par-là aussitôt que possible. Nous avons en effet à changer l’escalier de pierre et au lieu de le mettre de côté nous aurions je crois tout intérêt à la placer de suite. Le terrain sera mis à nu de l’ancienne construction dans 8 à 10 jours, il sera facile de placer comme l’on voudra et la nouvelle construction et l’axe de l’escalier.
50Le 11 janvier 1910 Garros approuve :
Je vois en effet très bien des tourelles avec toit permettant l’emploi de cette brique de toiture à l’angle de la cuisine et, à l’angle opposé, servant de balcon d’angle à la chambre au-dessus du bureau un autre motif composé uniquement avec le socle de cette tourelle, un simple balcon peut être en rond ou à pans coupés, c’est à vous de juger de l’effet. Ces motifs nous feraient ressortir notre couloir peut être même l’expliqueraient.
51Le 13 janvier il envoie les nouveaux plans rectifiés où apparaît la fameuse tourelle d’angle. La porte du cabinet a été déplacée sur la façade arrière. La construction est aussi déplacée de manière à s’aligner avec les constructions conservées (caves) (fig. 23).
Fig. 23
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, plan du château projeté et déplacement du perron, par Adrien Marty, 1910, échelle de 0,01 cm/m (archives privées)
M. Kérignard (reproduction) © Inventaire général Région Occitanie
52Cependant, une lettre du 15 janvier 1910 de Cyprien de Crozals montre qu’il n’est toujours pas satisfait :
Tourelle angle cuisine, je crois en effet que le tout en pierre simplifiera et sera mieux. Tourelle en balcon angle opposé. Je ne comptais pas que vous feriez pour aller sur cette tourelle ou balcon une ouverture dans l’angle du mur. Ce serait plutôt un décor que en réalité un balcon utilisable. Il est évident que si cet angle avait regardé autre chose que les communs on aurait pu y loger une sorte de niche pour St Pierre. Comme vous je pense que cet angle deviendrait bien compliqué si l’on faisait un balcon accessible de l’intérieur. Notre solution était de faire grimper des plantes. […] Plan. Plus vous remonterez la construction vers le jardin français mieux ira l’emplacement du perron. Vous me le tracez environ 2 m à droite (vers le jardin français) cela ira aussi loin que possible.
53En janvier, alors que l’ancien château est démoli et les fouilles destinées aux nouvelles fondations sont mises en train Cyprien de Crozals change de nouveau de projet. En février Garros écrit à Marty :
- 50 - AM Bordeaux. 208 S 548, p. 133-134, lettre d’Alexandre Garros à Marty, 19 février 1910.
Au moment où nous allions terminer les tracés nécessaires pour l’établissement du mur de soutènement de la terrasse de St Pierre je reçois une lettre de Mr de Crozals qui me dit qu’il a décidé de déplacer la position du château de 9 m du côté du jardin français. Je vous adresse un calque avec cette nouvelle position pour que vous nous indiquiez comment va se faire le raccord avec les allées du parc car l’angle côté jardin français va se trouver au niveau des allées et le mur n’existera plus à cet angle-là50.
54À ce stade de la réalisation du projet et alors que de nouveaux plans vont être envoyés, Cyprien de Crozals se plaint du retard pris et en tient responsable l’éloignement de l’architecte et les compétences du conducteur de travaux. La réponse d’Alexandre Garros à ce sujet est édifiante et mérite d’être retranscrite ici :
- 51 - AM Bordeaux. 208 S 548 p. 215-216, lettre d’Alexandre Garros à Cyprien de Crozals, 5 avril 1910.
Bordeaux, le 5 avril 1910. Mon cher Monsieur, je reçois à l’instant votre lettre et m’empresse de vous tranquilliser. Notre éloignement n’est pas un empêchement à la bonne exécution des travaux qu’on veut bien nous confier dans votre région ; les nombreux travaux que nous y avons exécuté à l’entière satisfaction de notre clientèle et cela, en une série de 30 années ininterrompues, parlent mieux que toutes les raisons que je pourrais vous donner. Relativement aux retards qui se produisent pour vous, ils ne viennent que des projets successifs que nous avons dû étudier et qui comme je vous l’ai déjà dit prennent beaucoup de temps. J’espère que les quelques petits détails dont vous parlez pour les façades ne nous empêcheront pas de les arrêter de manière à faire terminer ces plans pour mon prochain voyage dans une quinzaine à Béziers. […] Relativement à Marty, je ne dis pas qu’il soit parfait, mais il est honnête et consciencieux et a conduit des travaux analogues aux vôtres. Pour ce qui est de faire marcher les ouvriers, le tour de force du cuvier de Pinet prouve qu’il est tout aussi capable qu’un autre d’y arriver. Je suis étonné que vous ayez des doutes à son sujet, car ce qu’il a fait à St Pierre comme relevé, nivellement etc. a toujours été très bien fait. Au point de vue comptabilité il est très ordonné. Ne manquez pas de me dire les quelques détails dont vous parlez pour les façades pour que nous puissions les terminer, il me faut bien les 8 ou 10 jours pour finir et faire les calques sur toile. Veuillez agréer, Mon cher Monsieur, la nouvelle assurance de mon entier dévouement. Alexandre Garros51.
55En avril 1910, alors que les séries de prix ont été demandées aux entrepreneurs en maçonnerie, Cyprien de Crozals opère de nouvelles modifications : suppression de la tourelle d’angle de la cuisine, déplacement du sens de l’escalier de service, modification du rez-de-chaussée au niveau du bureau dont la porte d’accès depuis l’extérieur est de nouveau déplacée entrainant la modification de la façade sud-ouest (fig. 24).
Fig. 24
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, projet de reconstruction du château, élévation de la façade sud-ouest avec papier de retouche, par Alexandre Garros, 1910 (archives Bordeaux Métropole, 208S704).
© L. Rodriguez (reproduction)
- 52 - Archives privées, « Béziers 24 avril » 235/365, p. 356-357.
- 53 - AM Bordeaux. 208 S 548, p. 269, lettre d’Alexandre Garros à Cyprien de Crozals, 25 avril 1910.
56Concernant les matériaux, Cyprien de Crozals propose d’utiliser pour les angles de la pierre de Colombiers « calcaire coquillé, grossier, qui ferait bon effet et que l’on pourrait exécuter en bossage à l’aide d’une ciselure très facile à faire. C’est avec cette pierre que la Cie du Midi a construit le tunnel du Malpas qui passe sous le Canal du Midi à 6 kms de Béziers. On pourrait utiliser cette pierre également dans les montants des fenêtres et clés si vous le jugez à propos »52. Garros lui répond qu’il connait très bien la pierre de Colombiers « qui peut en effet se marier avec votre moellon de la campagne, surtout si vous en aviez découvert d’autre pour compléter les parements53 » et lui adresse le 28 avril trois tracés de façades avec différentes combinaisons de pierres. Il ajoute un tracé de façade aquarellé afin qu’il puisse mieux se rendre compte de l’effet produit (fig. 25).
Fig. 25
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, projet de reconstruction du château sud-est, par Alexandre Garros, 28 avril 1910 (archives Bordeaux Métropole, 208S704).
© L. Rodriguez (reproduction)
57Sur le projet n° 1, les angles et les montants des croisées sont réalisés en pierre de taille (fig. 26). Garros a ajouté un papier de retouche destiné à montrer l’effet produit si l’on voulait faire des économies de pierre en réduisant la surface du projet.
Fig. 26
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, projet de reconstruction du château, a) proposition n° 1 pour la façade sud-est avec papier de retouche ; b) proposition n° 2 pour la façade sud-est, par Alexandre Garros, 28 avril 1910 (archives Bordeaux Métropole, 208S704).
© L. Rodriguez (reproduction)
58Toujours afin de réduire l’utilisation de la pierre de taille, comme demandé par le propriétaire, la façade n° 2 propose des angles et montants laissés bruts mais avec cet avertissement de l’architecte :
- 54 - Merlet est un des conducteurs de travaux qui travaillent pour les Garros.
- 55 - AM Bordeaux. 208 S 548, p. 278-279-280-281, lettre d’Alexandre Garros à Cyprien de Crozals, 28 av (...)
Comme vous le remarquez l’ensemble de cette façade est triste et maussade. Je vous la déconseillerai entièrement en Reals, cette teinte de pierre n’étant pas encadrée par de la pierre blanche ne peut produire aucun effet. Vous pourrez vous en rendre compte par la construction que fait Merlet54 pour lui c’est très laid. Peut-être pourrait-on avoir des angles et des montants en pierre grossière, vous auriez alors exactement le type de votre maison du jardinier, cela ne me semble pas suffisant à moins que vous ne vouliez entièrement couvrir les murs de pierre55.
59On voit bien dans la lettre que le souci esthétique passe après le souci économique et que du choix de la pierre et de son coût dépend l’aspect final de la façade. Garros propose une façade n° 3 avec deux papiers de retouche pour la toiture du pignon (fig. 27) :
Enfin je vous ai fait un troisième projet où j’ai cherché à diminuer le cube de pierre tout en laissant celle nécessaire pour détacher les encadrements de moellons. Cette façade est lavée et j’en ai fait une photographie réduite où l’on peut très bien se rendre compte de l’effet. Je crois que c’est celle qui vous conviendra le mieux et c’est en employant la pierre de Beaucaire et la pierre des Estaillades comme je vous l’ai proposé que vous la réaliserez dans les meilleures conditions. […] Le premier grand projet n’aurait donc coûté que 40 000 frs de maçonneries, mais comme notre nouveau projet n’a que 251 m au lieu de 283 notre nouveau projet ne coûterait que 35 140 frs de maçonneries. Il faut encore en déduire toute la pierre qu’économise notre nouveau projet notamment dans les pignons soit 4 000 frs. » Cette dernière façade entrainerait également la réduction des coûts des toitures et des charpentes, l’emploi d’ardoise au lieu de brique, la réduction des fers et de leur portée réduirait le coût de la ferronnerie.
Fig. 27
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, projet de reconstruction du château, a) proposition n° 3 pour la façade sud-est avec papier de retouche ; b) idem ; c) idem, signé et daté Alexandre Garros, Bordeaux, le 28 avril 1910 (archives Bordeaux Métropole, 208S704).
© L. Rodriguez (reproduction)
60Cyprien de Crozals, dans sa lettre du 1er mai 1910, fait évoluer le projet en trouvant qu’il y a un déséquilibre esthétique entre le pignon et la tour. Il suggère d’ajouter « un peu de brique dans les couronnements des pignons en bien petite quantité dans tous les cas » car sinon
- 56 - Archives privées, Béziers « 1er mai », p. 365-367.
l’on dirait que la tour a été construite à un autre moment. Je trouve cependant les fenêtres en briques de la tour dans votre projet n° 3 bien intéressantes mais je ne la vois pas dans les pignons du salon en mansardes. Il y a peut-être quelque chose à chercher dans cette idée56.
61Concernant les projets 2 et 3 il ajoute :
le genre de toiture des pignons salon et autres me parait d’une note un peu inférieure à côté de la tour de la salle à manger. Le bois qui soutient les auvents tombe un peu trop le caractère d’ensemble. Peut-être si l’on pouvait remplacer le bois par des corbeaux en pierre, cette idée de toiture pourrait être essayée au pignon de la lingerie façade nord, dans ce cas le corps de la cheminée de la cuisine, peuvent être simulés mi-incrustés dans le mur et conçu avec soubassement en pierre et briques au-dessus dessinant le corps de la cheminée avec des cordons de pierre de temps en temps, mais le tout faisant très peu de saillie hors les murs.
62Il est intéressant de voir que l’architecte a répondu à la demande de Cyprien de Crozals comme le montre les plans rectificatifs de la façade nord-ouest (fig. 28).
Fig. 28
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, projet de reconstruction du château, a) élévation rectifiée de la façade nord-ouest par Alexandre Garros, 1910 (archives Bordeaux Métropole, 208S704) ; b) croquis de la façade nord-ouest avec ajout de la souche de cheminée par Alexandre Garros, 1910 (archives privées)
a) © L. Rodriguez (reproduction) ; b) M. Kérignard (reproduction) © Inventaire général Région Occitanie
63Le cas des cheminées est traité à cette occasion. Au XVIIIe siècle, lorsque la cheminée se généralise, les souches de cheminées sont cachées car elles ne sont plus un marqueur de richesse. Au XIXe siècle, elle devient un élément symbolique emblématique et décoratif et l’architecte orne les toits de grandes souches de cheminées, parfois doubles, imitant les styles Tudor. Elles sont monumentales ici et même « simulée » en guise de décor sur la façade arrière.
- 57 - AM Bordeaux. 208 S 548, lettre d’Alexandre Garros à Marty, 3 juin 1910.
64Alexandre Garros renouvelle ses propositions et enfin, le 3 juin 1910, les « bleus » des quatre façades, quatre plans (sous-sols, rez-de-chaussée, premier étage, deuxième étage) et deux coupes sont expédiés à Adrien Marty57 (fig. 29 à 31).
Fig. 29
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, a) plans du rez-de-chaussée et du premier étage du château ; b) plans du deuxième étage et du sous-sol du château, par Alexandre Garros, 1910 (archives Bordeaux Métropole, 208S704).
© L. Rodriguez (reproduction)
Fig. 30
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, a) coupe longitudinale du château ; b) coupe transversale du château, par Alexandre Garros, 1910, échelle de 0,02 cm/m (archives privées)
M. Kérignard (reproduction) © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 31
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, a) façade sud-est rectifiée ; b) façade nord-est rectifiée, par Alexandre Garros, 1910 (archives Bordeaux Métropole, 208S704).
© L. Rodriguez (reproduction)
- 58 - AM Bordeaux. 208 S 548, p. 34, lettre d’Alexandre Garros à Marty, 15 juin 1910.
- 59 - Ces plans sont conservés dans les archives du château.
- 60 - AM Bordeaux. 208 S 549, p. 83-84, lettre d’Alexandre Garros à Marty, 6 octobre 1910.
65Toujours en juin, l’architecte prépare les plans des planchers des charpentes et on cherche les entrepreneurs et un menuisier pour les ouvertures. Le plan du plancher du premier étage est en fer58 mais Cyprien de Crozals attend d’en connaître le coût avant de se décider à faire le plancher du deuxième étage en fer. En août, sont envoyés les plans grandeur d’exécution des ouvertures du rez-de-chaussée (piédroits avec meneaux et indication des volets en fer qui constitueront la fermeture de toutes les fenêtres), du contrefort avec la niche destinée à la statue de saint Pierre ainsi que la porte d’entrée et ses deux fenêtres latérales. En octobre Garros expédie à Marty les détails grandeur d’exécution de la corniche de couronnement des façades et le profil du corbeau du départ des pignons, les moulures des rampants, le profil des appuis du premier étage, les détails du dais sur le contrefort et le profil du départ des corps de cheminée en saillie sur la façade Nord-Ouest59 ainsi que des instructions de mise en œuvre notamment « pour les platebandes des grandes croisées, mettre des crochets galvanisés comme ceux de Pinet. Posez avec le plus grand soin au ciment60 ». Le 8 novembre Garros envoie les plans du nouveau perron qui se fera en pierre de la Crouzette. Le mur sous le limon sera en moellon apparent rejointé comme celui des trumeaux des façades (fig. 32).
Fig. 32
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, a) plan des soubassements des quatre façades ; b) élévation, coupe et plan du perron par Alexandre Garros, 1910 (archives privées)
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- 61 - AM Bordeaux. 208 S 549, p. 158-159, lettre d’Alexandre Garros à Cyprien de Crozals, 13 octobre 19 (...)
66En octobre Alexandre Garros propose à Cyprien de Crozals d’étudier un devis de charpente en l’incitant à préférer le bois du Nord à celui du Jura et, si tel était le cas, il pourrait s’adresser à un charpentier de Bordeaux qui livrerait « la charpente recouverte de son lattis prête à recevoir l’ardoise61. […] J’ai renoncé à la charpente en fer qui dans le cas actuel serait trop coûteuse ».
67À mesure que monte la construction, Garros reçoit des demandes de modification de la part de Cyprien de Crozals, notamment pour les formes des fenêtres ou la hauteur de la charpente. Ce n’est qu’en novembre qu’il valide l’utilisation du fer pour le plancher du deuxième étage.
- 62 - J. Gaston Renaud, Maison fondée en 1830, entreprise de travaux du bâtiment, bureaux 5, rue du Mar (...)
68Fin décembre, la charpente est montée dans l’atelier de Renaud62 à Bordeaux en sapin du Nord (avec seulement quelques compléments de pitchpin) et Alexandre Garros envoie à Cyprien de Crozals une photo de la charpente du pavillon avec l’amorce du grand comble. La charpente sera ensuite démontée, les assemblages peints et elle est expédiée à Magalas afin d’être remontée sur place en mars 1911.
- 63 A. Molinier, entrepreneur, « menuiserie d’Art et de Bâtiment, escaliers simples et décoratifs, spéc (...)
- 64 - Louis-Michel Garros avait épousé en 1860 Marie-Jeanne Victorine Augustine Jaquemet, fille du manu (...)
- 65 - AM Bordeaux. 208 S 549, p. 318-319, lettre d’Alexandre Garros à Charles Jacquemet, 4 janvier 1911
69L’architecte s’attache alors à dessiner toutes les menuiseries de fenêtres que se partagent deux entrepreneurs en menuiserie de Béziers : Escande et Molinier63. La réalisation de volets pour les fenêtres à meneaux crée une difficulté c’est pourquoi Alexandre Garros s’adresse à son oncle, Charles Jaquemet64. Il lui précise la commande tout en demandant que les impostes soient fermées par des persiennes qui ne seraient manœuvrées qu’au cas où l’on voudrait les nettoyer ou les repeindre « le jour qui passerait à travers serait suffisant pour ne pas enlever de gaieté aux appartements65. » Cyprien de Crozals a voulu des volets en bois plein plaqués d’une feuille de tôle à l’extérieur afin de les sécuriser.
70En mars 1911, alors que la charpente est en route, Garros aimerait que l’épannelage des fleurons des pignons et des lucarnes (fig. 33) soit terminé afin d’envoyer Courbatère, le sculpteur de Bordeaux.
Fig. 33
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, plan d’épanelage des fleurons des lucarnes, grandeur d’exécution, mine de plomb, par Alexandre Garros, envoyé à A. Marty le 24 février 1911 (archives privées)
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- 66 - AM Bordeaux. 208 S 550, lettre d’Alexandre Garros à Marty, 3 mars 1911.
71Il espère également pouvoir faire intervenir au château de Grézan sur les sculptures de la cheminée du hall66.
- 67 - Voir Association pour l’Étude de l’Urbanisme et de l’Architecture et Académie d’Architecture Bord (...)
- 68 - COUSTET, 2012
72Eugène Courbatère67, professeur de sculpture à l’école des beaux-arts de Bordeaux, était à la tête d’un important atelier situé rue Tastet, dans lequel travaillaient les meilleurs sculpteurs ornemanistes de la ville. Il a réalisé notamment les sculptures de l’Hôtel Frugès à Bordeaux68. Comme le montre son mémoire de travaux, le sculpteur intervient également sur les intérieurs.
73Une lettre envoyée à Pavie, un maçon de Bordeaux, nous est précieuse pour faire la part de ce qui revient au sculpteur et ce qui revient au maçon dans les décors sculptés :
- 69 - AM Bordeaux. 208 S 550, p. 178, lettre d’Alexandre Garros à Pavie, 16 juin 1911.
bien entendu que pour la niche qui est sur un contrefort du château de St Pierre le sculpteur ne doit faire que les feuilles sculptées et que tout le reste, moulures, arcades fronton doit être fait par vous69.
74Garros redoute par ailleurs que l’installation des paratonnerres sur les fleurons ne provoque la dégradation de ces derniers à cause de la rouille et cherche une autre combinaison possible. Les épis de faîtage sont commandés à la maison Bonfils à Paris (successeur de Périn-Grados) à qui les Garros ont l’habitude de commander les modèles « anglais » destinés à leurs constructions de châteaux. C’est Cyprien de Crozals qui insiste pour que soit ajoutée une crête sur la toiture du grand comble, requête à laquelle accède Garros :
- 70 - AM Bordeaux. 208 S 550, p. 50-51, lettre d’Alexandre Garros à Cyprien de Crozals, 20 mars 1911.
j’ai regardé en rentrant la pente que vous avez donnée au comble du grand pavillon. J’ai vu qu’elle était bien conforme à ce que mon ouvrier a d’habitude ; surtout quand elle sera couronnée par la crête en zinc entre les deux épis, cette toiture ne sera pas trop écrasée comme le craignait Renaud. Je ne pouvais pas tout d’abord mettre cette crête, mais après ma visite de samedi et étant donné que le terrain tout autour du château est très en contrebas je crois que cette crête ferait très bien70 (fig. 34).
Fig. 34
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac en 2014, détail de la crête en zinc couronnant la toiture en pavillon avec insertion du paratonnerre
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75Le ravalement prend du retard en raison de mouvements de grève en mai 1911 mais aussi en raison de mésentente entre les couvreurs et les maçons au moment de la pose de la charpente :
- 71 - AM Bordeaux. 208 S 550, p. 109-113, lettre d’Alexandre Garros à Cyprien de Crozals, 5 mai 1911.
ces petits conflits entre divers corps de métier arrivent tous les jours et il n’y a pas à en exagérer l’importance. Je vais en écrire un mot à Cahuzac [l’entrepreneur de maçonnerie] ; je ne vois d’ailleurs que la grève qui ait pu l’empêcher de faire faire le ravalement des derrières de lucarnes et de frontons, car il sait bien qu’on ne peut terminer la toiture sans que ces ravalements soient faits71.
- 72 - Le zingueur a adapté les ornements en zinc choisis sur catalogue aux mesures exactes de la courbe (...)
76Une lettre à Renoux, le couvreur, (fig. 35) nous apprend que la couverture en ardoise n’est pas encore posée en mai 1912 alors que les ornements en zinc ont déjà été commandés72. Le gros œuvre est terminé à l’été 1912 (fig. 36 à 38).
Fig. 35
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, Lettre du couvreur J. Renoux de Béziers adressée à Cyprien de Crozals le 24 août 1912 (archives privées)
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Fig. 36
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, Façade sud-est en 2014. La pergola en bois d’acacia dont Alexandre Garros donne les plans en juin 1913 est toujours conservée en 2014.
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Fig. 37
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, à gauche la façade des caves avec le local de la machine, le puits et les façades nord-ouest et sud-ouest. La statue de saint Pierre est visible sur le contrefort de l’angle ouest du château, 2014.
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Fig. 38
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, Façade nord-est en 2014.
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- 73 - Cyprien de Crozals fera une réclamation en 1913, trouvant que la réalisation n’était pas conforme (...)
77La statue de saint Pierre qui orne la niche du contrefort est commandée en novembre 1912 à la maison toulousaine Veuve E. Puccini spécialisée dans les autels, chaire à prêcher, chemins de croix et statues religieuses : d’une hauteur de 1,25 m et sculptée en pierre calcaire de Tercé, elle est livrée en décembre 1912 pour le prix de 325 frs73 (fig. 39).
Fig. 39
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, a) Lette à Cyprien de Crozals datée du 21 octobre 1912 de la Maison toulousaine Veuve E. Puccini concernant la commande de la statue de saint Pierre ; b) Photographie de la statue de saint Pierre en plâtre ayant servi de modèle à la statue en pierre (archives privées) ; c) Statue de saint Pierre sur le contrefort de l’angle ouest sous le dais sculpté par Courbatère d’après les dessins d’Alexandre Garros, état en 2014
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78Un autre élément emblématique de la distinction du château est le hall et son grand escalier qui n’auraient pas été possibles sans une reconstruction complète.
79En mai 1911, Garros envoie un nouveau tracé pour le grand escalier du hall (fig. 40, 41) en l’accompagnant de son avis, dûment justifié :
- 74 - AM Bordeaux. 208 S 550, p. 109-113, lettre d’Alexandre Garros à Cyprien de Crozals, 5 mai 1911.
Si vous voulez un joli escalier, vite fait, léger et facile à placer, mettez un escalier tout en bois. Rampe bois de chêne clair, avec remplissage en fer forgé ou simples balustres. C’est l’escalier qui vous coutera le meilleur marché […] en dehors de l’escalier tout en bois, on peut faire les marches en carreaux et marbres ou encore le dessus marbre, mais c’est le plus cher parce que pour porter le poids du marbre il faut du fer dans l’escalier, quoiqu’en disent les marbriers… Les autres boiseries de l’escalier c’est-à-dire chambranles et portes, qui sont indiqués dans le dessin que vous avez dû recevoir sont également en chêne et pourraient être faits par un autre menuisier que l’escalier proprement dit, par celui qui ferait vos salons. Ce travail serait indistinctement bien fait à Béziers par Molinier ou par Escande qui ont tous les deux du très joli chêne. Nous les mettrions d’accord avec celui qui ferait l’escalier pour que le bois soit analogue. La corniche du vestibule et du haut de la cage d’escalier en plâtre peint en faux bois74.
Fig. 40
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, Tracé du grand escalier du hall du château par Alexandre Garros, mai 1911, échelle de 0,05 cm/m (archives privées)
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Fig. 41
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, plan du grand escalier du hall du château par Alexandre Garros, mai 1911 (archives privées)
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80Il était prévu à l’origine d’installer dans la baie de la cage d’escalier un grand vitrail, comme les Garros ont pu le faire au château de Libouriac par exemple, mais cette proposition ne sera finalement pas retenue.
- 75 - AM Bordeaux. 208 S 550, p. 18, lettre d’Alexandre Garros à Molinier, 20 juin 1911. Garros ajoute (...)
81C’est l’escalier tout en bois que choisit Cyprien de Crozals le 17 mai 1911. Les plans d’exécution relatifs au grand escalier75sont envoyés à Molinier qui en a fourni le devis le 31 mai. Les marches sont à parquets et c’est le serrurier Germa qui est chargé d’exécuter les enroulements en fer forgés pour lesquels Molinier donne le gabarit des trois types de panneaux destinés à les recevoir (fig. 42).
Fig. 42
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, a) et b) vues du grand escalier en bois de chêne du hall en 2014, réalisé en 1912 d’après les dessins d’Alexandre Garros par Eugène Courbatère, sculpteur, Molinier, menuisier, Germa, serrurier. c) Culot sculpté de godrons et de feuilles par Courbatère.
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- 76 - AM Bordeaux. 208 S 551, p. 45, lettre d’Alexandre Garros à Molinier, 25 novembre 1911.
- 77 - AM Bordeaux. 208 S 551, p. 85, lettre d’Alexandre Garros à Marty, 16 décembre 1911.
82Les dessins du culot situé sous le poteau sont dessinés par l’architecte qui les fait exécuter par Courbatère en novembre 191176. Il propose ensuite plusieurs dessins à Cyprien de Crozals pour le vase en bois sculpté du départ de l’escalier. Comme il n’est pas convaincu de l’effet, il suggère un plat uni pour y placer ensuite un « motif plus intéressant77 ».
- 78 - AM Bordeaux. 208 S 550, p. 109-113, lettre d’Alexandre Garros à Cyprien de Crozals, 5 mai 1911.
- 79 - AM Bordeaux. 208 S 549, p. 375, lettre d’Alexandre Garros à Cyprien de Crozals, 2 février 1911 : (...)
83La longue lettre de Garros à Cyprien datée du 5 mai 191178 détaille, pièce par pièce, le décor imaginé par l’architecte selon les indications données en février par le propriétaire avec le style souhaité pour chaque pièce : le choix du style va déterminer celui du pavement, des cheminées, des menuiseries et des plâtreries intérieures ainsi que les motifs et coloris des tentures et papiers peints. L’architecte montre ici tous ses talents de décorateur. En février 1911, l’hiver est rude79 mais Alexandre Garros espère pouvoir aller à Béziers car il est urgent de
décider complètement la menuiserie dont vous avez les plans, les carrelages dont je vous porte les tracés, la plâtrerie etc. Je vous porte également un tracé de salon et de salle à manger dans le genre dont nous avions parlé.
84Garros donne son avis dès novembre 1910 pour les sols du salon, du hall et de la salle à manger :
- 80 - AM Bordeaux. 208 S 549, p. 204-205, lettre d’Alexandre Garros à Cyprien de Crozals, 2 novembre 19 (...)
si vous voulez faire quelque chose de très solide mettez du carrelage de Maubeuge ou de Paray-le-Monial, mais si vous voulez faire quelque chose de réussi au point de vue décoratif mettez de la mosaïque partout. Un salon Louis XV avec de la mosaïque peut être très simple mais sera absolument dans le style et plaira à tout le monde tandis qu’un salon Louis XV avec un pavé de Paray-le-Monial sera tué. Sur de bons planchers en fer, la mosaïque peut tenir, mais il est très probable qu’elle se fendra un peu80.
85Sur ces conseils, ce sont des carreaux en grès cérame de Paray-le-Monial qui sont commandés à la maison Hippolyte Boulenger & Cie, de Choisy-le-Roi, via son dépôt de Marseille. Cette dernière envoie des catalogues dont il est possible de découper les carreaux pour composer son propre sol81. Les archives privées du château conservent les planches découpées et les essais de composition des pavements (fig. 43 et 44). En avril 1911, Garros adresse à Marty un plan rectifié du carrelage des salons dans lequel il a mêlé des pavés décorés de Paray-le-Monial ornés de grecques avec des pavés uni rouges de Marseille :
- 82 - AM Bordeaux 208 S 550, p. 84-85, lettre d’Alexandre Garros à Marty, 14 avril 1911.
On arrive ainsi à avoir une division absolument régulière et les pointes des unis de l’intérieur correspondent aux pointes des décorés de la bordure. Grâce à cette régularité et aux grands axes on peut arriver ainsi avec un carrelage très simple à faire quelque chose de très bien, mais il est indispensable de s’assurer que les dimensions du pavé uni de Marseille marchent exactement avec celles du pavé de Paray82.
Fig. 43
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, plan du carrelage des salons, du hall et de la cage d’escalier du rez-de-chaussée du château, par Alexandre Garros, échelle de 0,05 cm/m (archives privées)
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Fig. 44
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, a) planche n° 20 du catalogue de carreaux de grès cérame de Paray-le-Monial commercialisé par Hippolyte Boulenger & Cie, découpée ; b) création d’un carrelage avec les motifs de carreaux découpés dans le catalogue ; c) composition du pavement de la chambre n° 4 située dans le pavillon au 1er étage, crayon et collage de motifs découpés [inscription au crayon « Oratoire même pavage »] (archives privées)
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86Le projet de mai 1911 était le suivant :
- 83 - Il s’agit du château de Lasserre à Cambounet-sur-Sor dans le Tarn qu’Alexandre Garros restaure po (...)
- 84 - AM Bordeaux. 208 S 550, p. 109-113, lettre d’Alexandre Garros à Cyprien de Crozals, 5 mai 1911.
pour les murs […] je viens précisément de faire toute une étude pour les salons de Mr de Limairac83 où nous devons faire des peintures murales. L’inconvénient de peindre sur plâtre c’est que le moindre coup fait une tache blanche, aussi nous sommes-nous arrêtés à la solution beaucoup plus sérieuse de peindre des toiles à l’atelier et de les coller à la céruse (maroufler) sur les murs déjà peints à deux couches. On peut arriver à une très belle décoration dans le prix de 13 frs le mètre carré. Ce prix comprenant les deux couches de fond, la toile collée et décorée, en un mot le travail complet. En dehors de la peinture, je ne vois guère qu’un simili de pierre qui pourrait convenir, mais c’est salissant. Il faut compter de 8 à 12 frs le mètre suivant complication des moulures84.
87En décembre 1911, Cyprien de Crozals n’est toujours pas décidé, s’inquiétant du coût d’un décor peint sur toile marouflé. Alexandre Garros tente de le convaincre que cela reste la solution la plus pratique et qu’on peut réduire la dépense en simplifiant le motif peint. Autre inconvénient :
- 85 - AM Bordeaux. 208 S 551, p. 99-100, lettre d’Alexandre Garros à Cyprien de Crozals, 28 décembre 19 (...)
avec de la peinture sur plâtre sans toile il faut tenir compte que la décoration coutera plus cher parce qu’elle sera à faire sur place par les décorateurs au lieu d’être faite à l’atelier. Je vais vous établir les prix de ces diverses combinaisons et vous les enverrai ou vous les porterai vers le 25 janvier à Béziers85.
88Finalement, c’est la solution du papier peint qui sera choisie en 1912. Le chêne des deux baies vitrées aux arcs surbaissés qui donnent du hall dans le grand salon et la salle à manger sera teinté couleur noyer.
89Pour le salon, en mai 1911,
- 86 - AM Bordeaux. 208 S 551, p. 99-100, lettre d’Alexandre Garros à Cyprien de Crozals, 28 décembre 19 (...)
ce que nous avions décidé est très bien et je vous engage à le maintenir. Simple corniche qui est indiquée sur le grand dessin que je vous retourne, mais la moulure du salon présentant des sinuosités Louis XV ! Plinthe double au lieu du lambris ce qui permettrait à la tenture de descendre et de donner plus d’élévation à la pièce. Suppression de la porte allant au vestibule à droite de la cheminée. Portière du côté opposé devant la porte du fumoir [qui fait également office de cabinet ou bureau de Cyprien de Crozals]. Je ne mettrai de décoration qu’au cadre de glace dont je vous adresse le grand dessin et au motif de dessus de porte. Ces cadres et dessus de porte en chêne clair exécutés à Bordeaux, au moins comme sculpture. Cheminée modèle ancien Louis XV simple, sans sculpture, la qualité du marbre (une brèche de préférence) faisant toute la beauté de la cheminée. Intérieur à la Rumford en fonte quadrillée. Toute cette décoration de salon, comme je vous l’ai dit je crois, pourrait se faire beaucoup plus économiquement en bois blanc peint en gris, mais ce n’est pas pratique86 (fig. 45).
Fig. 45
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, le grand salon de style Louis XV dans son état de 2014. Le faisceau de moulure en plâtre de la corniche est orné de rubans, les parties cintrées du plafond sont interrompues par des motifs de palmettes sur culot de fleurs en carton-pierre, Eugène Courbatère, sculpteur, 1912.
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- 87 - AM Bordeaux 208 S 549, p. 375, lettre d’Alexandre Garros à Cyprien de Crozals, 2 février 1911.
- 88 - Intitulé Les marches de marbre rose, cette huile sur toile (97×158 cm) peinte par Henri Zuber en (...)
90En février 1911 Garros adresse un tracé du plafond du salon « traité en Louis XV simple », un tracé du profil grandeur de la corniche de ce même plafond. Les deux moulures ornées doivent être réalisées en staff et mises en place par le plâtrier. Sous la corniche, l’architecte pense toujours à laisser un espace destiné à la pose ou non d’un liteau de tenture87. En mars 1912, c’est le cadre de glace surmontant la cheminée qui fait l’objet de toute l’attention de l’architecte-décorateur : il suggère à Cyprien de Crozals d’y insérer la copie d’un tableau du peintre Henri Zuber (1844-1909) conservé au musée des beaux-arts de Bordeaux88 :
- 89 - Le nom de la copiste n’apparaît pas car le paiement de ce travail se fait sur le mémoire de trava (...)
- 90 - AM Bordeaux. 208 S 552, p. 52, lettre d’Alexandre Garros à Cyprien de Crozals, mars 1912.
le sujet est très décoratif et dans de jolis tons d’automne. J’ai sous la main une copiste89 très adroite qui peut nous faire ce travail pour 150 frs. [….] Je crois que vous en serez très satisfait. Présenté à cette hauteur il faut surtout que le genre et la couleur convienne et que ce soit traité largement. Vous voudrez bien me dire si je dois commander cette copie90 (fig. 46).
Fig. 46
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, détail de la corniche de la salle à manger de style Louis XVI dans son état de 2014. Moulures décorées d’une architrave avec tore de laurier dans la frise, staff, par Eugène Courbatère, sculpteur, 1912
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
91Lors de la visite des chercheurs en 2011, se trouvait sur la cheminée du salon le buste en plâtre d’Augustine de Crozals (1876-?), épouse de Cyprien de Crozals fils.
- 91 - Il s’agit d’une antonomase : en effet, c’est le nom de la firme allemande Tekko-Salubra, créée en (...)
92En mai 1910 Garros imagine ainsi la salle à manger : « simple corniche Louis XVI, cadre et cheminée Louis XVI. Plinthe simple et au-dessus papier, tekko91 ou étoffe. Les boiseries en chêne clair comme l’escalier. Je vous retourne le dessin de la cheminée et du cadre proposé. En juin 1911, il est toujours prévu de décorer cette pièce en « Louis XVI simple » :
- 92 - AM Bordeaux. 208 S 550, p. 193-194, lettre d’Alexandre Garros à Cyprien de Crozals, 20 juin 1911.
j’ai de très jolis documents de corniches de l’époque que j’ai fait estamper sur place à Bordeaux où le Louis XVI est encore très répandu (fig. 47). Le type de ces corniches est l’entablement classique dans le genre du croquis ci-contre. Je crois que si nous en mettons une de ce genre dans votre salle à manger et que nous la peignons en faux chêne, nous ferions très bien. Dans ce cas nous placerions la corniche entièrement en staff et le plâtrier n’aurait qu’à enduire sous plafond. Nous pourrions adopter le même système, plus simple pour votre cabinet de travail. Si cette idée vous plaisait je vous enverrais un morceau de corniche nature pour vous mieux rendre compte92.
Fig. 47
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, détail de la corniche de la salle à manger de style Louis XVI dans son état de 2014. Moulures décorées d’une architrave avec tore de laurier dans la frise, staff, par Eugène Courbatère, sculpteur, 1912
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
93Le décor de la salle à manger ne sera terminé qu’en 1914. Le 15 juin 1914 Alexandre Garros envoie des plans des quatre façades de la salle à manger :
- 93 - AM Bordeaux. 208 S 556, lettre d’Alexandre Garros à Cyprien de Crozals, 15 juin 1914.
elles sont tout à fait conformes à ce que nous avions prévu. En soubassement on marouflerait une toile qu’on peindrait et sur laquelle on appliquerait des moulures format faux lambris. Au-dessus de la cimaise, on placerait des encadrements de teinture qu’on peindrait en faux noyer comme le soubassement. […] enfin sur la cheminée on pourrait y placer une glace inclinée qui reflèterait le jardin, cette glace pourrait être en vieil or93 (fig. 48).
Fig. 48
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, a) rosace de la salle à manger, feuilles tournantes et feuilles d’eau, staff, Courbatère, 1912 ; b) détail du papier peint du trumeau de cheminée ; c) détail du chambranle de la porte de salle à manger dans son état de 2014, Molinier, menuisier, 1911 ; on aperçoit à gauche le trumeau de cheminée
a) M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie ; b) et c) N. Abriat © Inventaire général Région Occitanie
- 94 - « Pour les buffets, Mr Garros est venu les voir à l’atelier. Ils sont comme nous vous l’avons dit (...)
94Deux buffets dessinés par Garros selon les croquis très précis du propriétaire complètent le décor : ils sont commandés à la maison bordelaise Bardié frères94. Le Biterrois Gabriel Gouze fils livre les ouvrages d’ébénisterie et les dessus de marbre en décembre 1915.
95Cyprien de Crozals commande pour la salle à manger en 1913 à la maison Leprince à Bordeaux95 un lustre Louis XVI à six becs ainsi que des chenets modèle « flamand ». Pour le salon, il commande, toujours chez Leprince, des bras de lumière Louis XV. Lors des travaux de 2012, la grande glace surmontant la cheminée fut déplacée, et on retrouva ce qui devait être le papier peint d’origine qui évoque le papier peint imitant les velours gaufrés et les cuirs repoussés dont la manufacture des frères Balin s’était fait une spécialité dès 1870 et qui fut beaucoup copiée96.
96Si le salon était la pièce féminine par excellence, que l’on meublait en Louis XV, le cabinet de travail qui faisait office de fumoir était une pièce masculine. En 2011, la cheminée était toujours ornée du portrait de Cyprien de Crozals et le papier peint d’origine était toujours en place (fig. 49).
97Un courrier à la maison Leprince daté du 5 décembre 1912 est accompagné d’un croquis (fig. 50) qui nous montre comment il souhaitait aménager son bureau.
Fig. 49
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, a) cabinet de travail, état 2014 ; b) détail des moulures de la corniche Louis XVI en staff, Courbatère, 1912
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 50
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac croquis réalisé par Cyprien de Crozals montrant disposition du mobilier de son cabinet de travail ainsi que son idée de système d’éclairage, envoyé à la Maison Leprince dans sa lettre du 5 décembre 1912 (archives privées)
N. Abriat (reproduction) © Inventaire général Région Occitanie
98Il imagine le système d’éclairage :
- 97 - Courrier à Monsieur E. Leprince, St Pierre de Serjac, 5 décembre [1912], p. 78 (archives privées)
je serais disposé à adopter un lustre de milieu […] dans le genre de croquis que je vous envoie, avec certains points semblables. Le bureau se trouve dans la position A du dessin et éloigné des murs. Si à l’aide d’un bras à levier je pouvais transporter mon bec assez près du bureau je supprimerais ainsi toute combinaison d’appliques ou de crosses dont je ne vois pas bien l’effet et qui d’ailleurs ne permettrait pas de me porter la lumière assez près de mon bureau. Votre avis à ce sujet. Il faudrait traiter notre pièce d’une manière élégante et assez enlevée97.
- 98 - Lettre de Leprince à Cyprien de Crozals datée du 11 juin 1913 (archives privées).
99Hélas, Leprince ne réussira pas à trouver la solution : « Nous avons fait des recherches pour votre appareil de bureau, mais à l’aide de serpentins fait avec le tube nous n’obtenons pas de ressort ; une fois tiré le tube ne revient pas à sa place. Nous croyons que cette idée sera abandonnée98 ».
- 99 - Archives privées du château.
100Pour son cabinet de travail, Cyprien de Crozals commande en 1915 une bibliothèque aux Grands magasins du Louvre à Paris. Il est à noter que Cyprien de Crozals passe commande à des maisons parisiennes dont la publicité paraît dans l’Illustration qu’il lit99. Ainsi le mobilier de bureau est commandé à la maison Cosmos à Paris et les poêles chez Musgrave.
- 100 - J. Chiffre, Grand magasin de marbrerie, 15 avenue de l’Abattoir à Béziers (d’après facture conser (...)
- 101 - Marbre provenant de Caunes-Minervois dans l’Aude, dit aussi « marbre du Languedoc ».
- 102 - Il s’agit de Paule de Crozals (1901-1989), fille de Cyprien et Augustine qui hérite du Château en (...)
101La décoration intérieure est complétée par six cheminées livrées par J. Chiffre100 en mai 1911 « telles que vues en magasin mais sans faïences ni rideaux » pour la somme globale de 1 000 francs : une cheminée Louis XIV « rouge de Caunes101 » destinée à la salle à manger, une cheminée Louis XV en Onyx sculptée d’une acanthe sur coquille stylisée destinée au salon, une cheminée Louis XIV Rouge Antique, une cheminée Louis XVI blanche « riche, à sculptures » pour la chambre n° 3 (celle de Mademoiselle Paulette102), une cheminée Fleur de Pêche (pour la chambre n° 2, celle de Madame) et une cheminée Brocatelle Violette destinée au bureau (fig. 51).
Fig. 51
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, a) détail du montant sculpté de la cheminée de marbre gris bleuté de la chambre n° 5 « du pavillon » au 2e étage ; b) cheminée de style Louis XVI en marbre blanc de la chambre n° 3 du 1er étage, J. Chiffre, marbrier, 1911 ; c) détail du motif de palmette sur coquille stylisée de la cheminée Louis XV en marbre onyx du grand salon, J. Chiffre, marbrier, 1911 ; d) détail du montant de la cheminée en marbre fleur de pêche de la chambre n° 2 du 1er étage, J. Chiffre, marbrier, 1911
N. Abriat © Inventaire général Région Occitanie
- 103 - A. Pailhez, Marbrerie, 34 Boulevard de la gare à Narbonne, Gravure-sculpture, travaux d’art, aute (...)
- 104 - Le système pour cheminée « Rumford », d’après le nom de son inventeur anglais à la fin du XVIIIe (...)
- 105 - Notes manuscrites sur les papiers de brouillon conservées dans les archives privées.
102A. Pailhez103, de Narbonne, fournit en novembre 1911 les plaques en fonte des cheminées mais aussi « 2 bandes de revêtements et retours double moulure » pour la cheminée Louis XV onyx du salon, ce raccord étant rendu nécessaire en raison du caisson destiné à recevoir la glace surmontant la cheminée. Outre les plaques (3 unies et 12 quadrillées), il livre trois intérieurs de cheminées en fonte du modèle Rumford104. Les autres pièces reçoivent les cheminées de l’ancien château : dans la chambre de Cyprien de Crozals (n° 1) par exemple on place l’ancienne cheminée du salon en marbre noir Porthor, alors que la chambre n° 5 reçoit l’ancienne cheminée gris bleuté de la chambre de Madame. La chambre des enfants dans le pavillon reçoit l’ancienne cheminée « de la chambre à Monsieur le Père »105.
- 106 - Jean Vallat, Papiers Peints, spécialiste, 13, rue de la Citadelle, Béziers. « Grand choix de papi (...)
- 107 - Dont des notes manuscrites nous informent que le papier choisi était le « n° 16979 B fond mouchet (...)
- 108 - Lettre de Jean Vallat à Cyprien de Crozals, datée du 14 août 1912, archives privées.
103Les murs sont entièrement recouverts de papiers peints dont les rouleaux sont commandés à Jean Vallat106 et posés en septembre et octobre 1912. La facture du vendeur de papiers peints (qui se fournit auprès de manufactures), datée du 13 juin 1913 nous informe sur les pièces qui reçoivent les papiers peints : les chambres des enfants, la chambre de Monsieur, les chambres « à donner », la chambre de Mademoiselle107, le hall (pour lequel 59 rouleaux sont nécessaires), le bureau, la chambre du rez-de-chaussée, le cabinet de travail, les WC et toilette, la salle à manger ainsi que les placards). Pour le salon et la salle à manger, il avait été prévu des papiers peints plus luxueux, provenant de fabricants travaillant « à la planche »108. Les papiers des chambres des enfants et des placards sont « ordinaires ». Les papiers sont également achetés avec des frises, bordures ou galons assortis (fig. 52).
Fig. 52
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, chambre de Madame de Crozals (dite aussi n° 2) au 1er étage, état 2014
N. Abriat © Inventaire général Région Occitanie
- 109 - Joseph Vernhet, siège et tentures, tapissier 11, rue du Quatre-Septembre à Béziers (archives priv (...)
104Le décor ne serait pas complet sans l’intervention d’un tapissier : Joseph Vernhet, tapissier de Béziers109, livre en 1913 les garnitures de fenêtre, portières, fauteuils (Louis XV, cannés, Empire) coussins de canapés, tapis, cretonnes assorties au papier peint pour les dessus de lit. C’est lui qui fournit et installe en mars 1913 la tenture pour les murs du salon. Cyprien de Crozals lui demande de venir poser les stores et les rideaux de la salle à manger en 1914, lui commande des portières dans la même étoffe que celle du petit escalier et choisit de la soie bleu ciel à fleurs pour les prie-Dieu de la chapelle.
105La chapelle est un autre élément caractéristique du château. À Saint-Pierre de Serjac, rien à l’extérieur ne laisse deviner son existence (à la différence du Terral par exemple, château construit entre 1900 et 1905 par Alexandre Garros, dont la chapelle hors œuvre est l’objet de toutes les attentions). Ici c’est à la dévotion privée, familiale, qu’est dédiée cette pièce désignée comme oratoire. Ce dernier est demandé par Cyprien de Crozals qui souhaite le placer dans une pièce située au 2e étage accessible seulement par l’escalier de service (en effet, le grand escalier ne dessert pas le 2e étage). Dans sa lettre du 2 novembre 1910, Garros augmente la hauteur des toitures à la demande de Cyprien de Crozals : « Nous arrivons en ajoutant une assise à vous donner 3m65 au premier et 3m10 au 2e étage. Nous préparons des bleus rectificatifs que nous vous expédierons dès qu’ils seront prêts ». Ainsi, « on pourra très facilement faire un petit oratoire dans la pièce que vous indiquez. L’autel se placerait entre les deux fenêtres. La forme de la charpente permettrait de faire une fausse voûte en plâtre, le tout orné de peintures décoratives. »
106Le plan et la coupe de l’oratoire sont envoyés le 5 mai 1911 (fig. 53) :
- 110 - AM Bordeaux. 208 S 550, p. 109-113, lettre d’Alexandre Garros à Cyprien de Crozals, 5 mai 1911.
à la réflexion je ne suis plus partisan de laisser apparentes les deux croix de St André. Cela nous oblige à laisser le plafond rampant très bas et à laisser à la pièce son aspect de grenier. Si au contraire nous faisons un arc A, nous pouvons vous faire une corniche et un plafond en fausse voûte qui buterait contre cet arc et vous donnerait une jolie hauteur de 3,50 environ. On peut très bien arriver à réaliser ainsi une gentille pièce et très simplement110.
Fig. 53
Puissalicon (Hérault), deux coupes de l’oratoire qui montrent la réflexion d’Alexandre Garros sur la couverture de la pièce : les croix de Saint-André ne seront plus laissées apparentes et la création d’une fausse voûte permettrait de donner une belle hauteur à la pièce, par Alexandre Garros, mai 1911 (archives Bordeaux Métropole, 208S704)
© L. Rodriguez (reproduction)
- 111 - AM Bordeaux. 208 S 552, p. 25-26, lettre d’Alexandre Garros à Cyprien de Crozals, 11 mars 1912.
107Ce parti est adopté et le 11 mars 1912 Garros écrit à Cyprien de Crozals qu’il vient de rendre visite au décorateur bordelais à qui il pense s’adresser et que le coût en serait réduit si on collait simplement une toile peinte sur la partie inclinée du bas de la chapelle111.
- 112 - Cette façon de traiter le plafond est conforme aux prescriptions du traité de Boudry et Chauvet p (...)
108Le décor peint de l’oratoire est dédié à Saint François d’Assise qui figure au-dessus de l’autel entouré d’oiseaux et dont le monogramme orne la rosace de la voûte112 (fig. 54).
Fig. 54
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, vues de l’oratoire situé au 2e étage du château, dans son état de 2014, Jean-Baptiste Vettiner, peintre décorateur, juin 1912. Les vitraux ont été déposés.
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
- 113 - J. Henri Bonnet successeur Maison Bonnet et Fils frères, Entreprise générale de peinture fondée e (...)
- 114 - À Mées (Landes), peinture monumentale ; à Saint-Pandelon (Landes), peintures monumentales.
- 115 - VIOLLET-LE-DUC, 1870, p. 6.
109Il est commandé par Alexandre Garros à la maison Bonnet à Bordeaux113 pour la somme de 1 000 frs pose comprise. Jean-Henri Bonnet envoie à Béziers le 17 juin 1912 son « contremaître décorateur » le peintre Jean-Baptiste Vettiner (1871-1935) qui va superviser l’installation des toiles préalablement peintes dans l’atelier de Bordeaux qui seront marouflées sur les murs de l’oratoire. Il est précisé sur la facture que les peintures décoratives de l’oratoire ont été réalisées » suivant le projet remis ». On devine que la part du commanditaire est celle des thèmes des représentations mais que le style est bien celui que Jean-Baptiste Vettiner emploie dans les chantiers de peintures décoratives religieuses qu’il exécute dans le Bordelais114, notamment les peintures monumentales de l’église Notre-Dame-des-Passes à Arcachon, construite par Louis-Michel Garros. Vettiner travaille dans l’atelier de Jean-Henri Bonnet qui l’a formé à l’école des beaux-arts de Bordeaux et, même s’il excelle dans l’art de la gravure à laquelle il se consacre après la première guerre mondiale, il peint beaucoup de décors d’églises dans un style devenu académique à la fin du XIXe siècle. Ce style était pourtant extrêmement novateur lorsqu’Eugène Viollet-le-Duc, en 1851, sur le chantier de restauration de Notre-Dame de Paris, proposa ce type de décors colorés en écrivant : » Il fallait que la chose qui porte, qui sertit, eût une puissance de ton supérieure à la chose entourée et sertie »115. Utilisé dans les décors d’églises mais aussi dans la peinture civile comme en témoignent les nombreuses publications proposant des modèles pour peintres en bâtiment dans le dernier tiers du XIXe siècle, il est encore bien présent en 1912 ! (fig. 55)
Fig. 55
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, a) détail du mur sud-ouest, toiles peintes marouflées, état de 2014, Jean-Baptiste Vettiner, peintre décorateur, juin 1912 ; b) détail de la rosace de la voûte
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- 116 - Sur la maison Dagrant voir MICHAUD, 19.
- 117 - Le choix des saints représentés est familial. Cyprien de Crozals fils (1863-1830) eut trois fils (...)
110Les vitraux furent commandés à la maison Dagrant116 à Bordeaux pour la somme de 455 frs et le tout « d’après croquis » d’Alexandre Garros et les souhaits de Cyprien de Crozals : deux personnages et impostes pour la fenêtre du nord-est (saint Alban et saint Maurice117) et deux personnages pour le sanctuaire, c’est-à-dire les fenêtres situées au nord-ouest de part et d’autre de l’autel (saint Augustin à gauche et saint Cyprien à droite) (fig. 56). Ils sont posés à en octobre 1912.
Fig. 56
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, vitraux de l’oratoire signés Dagrant, Bordeaux, 1912, photographiés in situ en 2011. a) saint Cyprien ; b) saint Alban ; c) saint Maurice et d) saint Augustin ; saint Alban et saint Maurice sont surmontés chacun d’une imposte ornée d’une croix
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- 118 - AM Bordeaux. 208 S 551, p. 99-100, lettre d’Alexandre Garros à Cyprien de Crozals, 28 décembre 19 (...)
- 119 - L’en-tête de la facture du 10 avril 1912 indique : Edmond Lesage, successeur de A. Chertier, 7 ru (...)
111Dès le mois de décembre 1911118, Alexandre Garros donne les plans du petit autel avec retable. Ce dernier sera réalisé en chêne ciré par le menuisier Escande. Les chapiteaux et leurs bases en bronze vernis or, leurs bases et la fausse-porte du tabernacle en cuivre ciselé ornée d’une croix l’orfèvre parisien Edmond Lesage119 qui livre également la garniture de soie blanche pour un total de 174,55 frs.
112Le décor de la chapelle sera complété plus tard par la commande d’appuis de communion dont Alexandre Garros donne le dessin en 1913.
- 120 - AM Bordeaux. 208 S 551, p. 146-147, lettre d’Alexandre Garros à Marty, 2 février 1912.
113Le château ayant été détaché des caves, il était nécessaire d’en dessiner la nouvelle façade. Alexandre Garros s’attèle à ce chantier en février 1912120 (fig. 57). Il demande à Marty de lui dresser un relevé du local de l’ancienne machine et de la façade des caves côté de l’ancienne habitation.
Fig. 57
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, plan de la façade postérieure des caves avec cotes portées par Adrien Marty, 1912 (archives Bordeaux Métropole, 208S704).
© L. Rodriguez (reproduction)
114Il lui écrit également de se renseigner sur ce que souhaite Cyprien de Crozals pour la margelle du puits qui sera installé entre les caves et le château. Un premier projet montre qu’il avait été envisagé de construire une serre (fig. 58).
Fig. 58
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, projet de consolidation des façades postérieures des caves, avec serre adossée et arc-boutant (non réalisés) et puits, par Alexandre Garros, 1912 (archives Bordeaux Métropole, 208S704).
© L. Rodriguez (reproduction)
- 121 - Béziers, le 13 avril 1912, lettre de Marty à Cyprien de Crozals.
115Au même moment, des logements pour les vendangeurs sont aménagés par Adrien Marty121 au-dessus des caves. Il fait installer pour 660 frs par le serrurier biterrois Maurel un escalier en fer destiné au service des vendangeurs (fig. 59).
Fig. 59
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, façade postérieure des ramonetages et caves, état 2014. Des logements pour les vendangeurs sont aménagés au-dessus des caves et accessibles par l’escalier livré par le serrurier biterrois Maurel en 1912
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
- 122 - Clarence est le régisseur du domaine.
- 123 - Lettre de Marty à Cyprien de Crozals datée du 4 mai 1913 (archives privées).
116« Les divisions intérieures du logement doivent s’avancer. J’ai fait expédier hier matin à Moulis un ban de fer à I de 0,140 avec 2 boulons afin qu’il préparât le linteau de la porte à ouvrir entre les deux greniers. J’ai choisi avec Louis et Clarence122 toutes les portes qui étaient nécessaires parmi les vieilles qui se trouvaient dans le grenier, j’ai trouvé des cadres pour toutes ». Après 1913, Adrien Marty donne lui-même les plans pour divers aménagements utilitaires sur le domaine : ainsi en mai 1913, il prépare les plans du bâtiment des vendangeurs ainsi que du hangar construit le long de la distillerie123. En 1917, il est toujours sollicité par Cyprien de Crozals pour des travaux d’installation de cuves et de canalisations et pour la construction d’une cheminée.
117En 1916, Cyprien de Crozals fait moderniser les cuves et entreprend la construction d’une usine électrique dont l’idée était d’alimenter le château et des tracteurs en électricité, produite par la combustion des sarments et pieds de vigne. L’expérience a tourné court car la quantité de bois était insuffisante et il fallut faire un raccordement à la ligne le long de la route Magalas-Pouzolles. La chaudière et les machines seront vendues au prix du métal dans les années 1970 mais l’usine, bien que délabrée, était toujours debout en 2011.
- 124 - MIGNOT, 1983, p. 48.
118Comme le résume Claude Mignot124 « l’éclectisme typologique » ou l’emploi différencié des styles selon le programme deviendra « l’une des idées fondamentales de la culture architecturale du XIXe siècle » : ce château en est lui aussi l’illustration et il est difficile de le classer dans un « style » particulier. L’architecture de ces châteaux qui se veulent ostentatoires (mais confortables !) est une architecture de symboles destinés à afficher la réussite sociale du propriétaire.
- 125 - L’équivalent anglais de la Construction Moderne.
- 126 - VIOLLET-DE-DUC, Eugène. Entretiens sur l’architecture, vol. 2, Paris, Morel, 1863-1872, p. 275, c (...)
- 127 Rendu invisible par la pose d’un enduit lors de la transformation hôtelière. Le château et les dépe (...)
119Les éléments décoratifs du château de Saint-Pierre de Serjac le situent dans la lignée des châteaux de style anglais construits par les Garros : Roueire à Quarante, Libouriac et la Devèze à Béziers, Saint Jean de Grézan à Laurens, Septserous à Badens et Les Roches Noires à Agde. Louis-Michel Garros, dont la bibliothèque montre d’ailleurs qu’il était abonné au Building News125, s’inspire de l’architecte bordelais Duphot qui rapporta d’Angleterre ce style si caractéristique qui permettait avec son asymétrie, son jeu des volumes, d’appliquer les principes rationalistes chers à Viollet-le-Duc qu’il admirait. Alexandre, lui, préférait l’architecture classique, régulière et symétrique, mais nous avons vu qu’il n’eut pas le loisir d’en appliquer ici les principes, ni même ceux de l’architecture rationaliste : le client avait son « idée » à l’instar de celui que décrit par Viollet-le-Duc dans ses Entretiens sur l’architecture126, qui impose ses choix absurdes, aboutissants à « un monstre composé des fragments de modèles historiques ou contemporains ». La construction du château de Saint-Pierre de Serjac montre tous les compromis faits par l’architecte, mais aussi sa fermeté lorsque sa responsabilité pouvait être engagée, ainsi que sa manière de s’adapter pour donner toute satisfaction à son client. Du style anglais, ne restent que le mur pignon et l’appareil de moellon irrégulier127. Les volumes sont moins imbriqués et le château a plus l’allure d’une grande villa que celle d’un château. Cette chronique nous a permis de constater qu’il fallait moins attribuer à l’architecte qu’au commanditaire la physionomie finale de la construction même si l’architecte en a garanti la solidité et la belle ouvrage.
120Cette étude montre aussi combien il est difficile, en l’absence d’archives, de dater précisément un édifice aussi complexe dans une période (1880-1914) où les remaniements sont fréquents, ce que les variations de capitaux liés aux aléas des récoltes et du marché viticole peuvent aussi expliquer. Enfin, entrent en jeu dans la construction les contraintes de coût et d’approvisionnement ainsi que les multiples revirements du propriétaire que nous révèlent ici la combinaison des lettres, plans et des comptes.
- 128 - En 1912 le jeune Cyprien, fils de Cyprien de Crozals fils est pensionnaire collège Saint-Elme Arc (...)
- 129 - « Je ne vous conseille pas une horloge dans le château. Le bruit en est très désagréable et pour (...)
121Ce chantier nous montre aussi ce qui fit le succès des Garros en Languedoc : la fidélité de la clientèle du « Midi Blanc », les liens entretenus avec les propriétaires128, mais aussi leur grande maîtrise de la construction, leur expérience, leur capacité à traduire dans la pierre les desideratas du propriétaire, à les conseiller jusqu’au moindre détail129. L’action des Garros est facilitée par l’ouverture de la ligne de chemin de fer Bordeaux-Béziers et la proximité de la gare de Magalas où sont expédiés les marchandises et éléments fabriqués directement dans des ateliers bordelais sous la direction de l’architecte qui donne jusqu’au plan des buffets de la salle à manger.
122Enfin, les châteaux viticoles sont nombreux sur ce territoire et, plus que jamais, se pose la question de leur reconversion nécessaire si l’on veut éviter leur abandon et leur destruction. Avec la crise viticole que connaît le Languedoc depuis les années 2000, le devenir de ces vastes bâtiments dédiés à la viticulture, caves coopératives ou chais privés, est particulièrement préoccupant. Les familles qui ont hérité de ces domaines, au gré des successions et des divisions, ne sont plus en mesure de les conserver. Éric Mension-Rigau n’a pas manqué de souligner les problématiques de ces châteaux du XIXe siècle qui ne peuvent survivre grâce au seul tourisme culturel130. C’est pourquoi, même si l’historien de l’art conserve la nostalgie du château viticole qui a traversé, intact, le XXe siècle, la raison nous incite à nous féliciter que ces châteaux et leurs vastes dépendances aient trouvé une nouvelle utilité qui, bien que les ayant transformés – mais n’est-ce pas ce que Cyprien de Crozals fit en son temps ? –, n’en gardent pas moins l’essence de leurs origines qu’admirent aujourd’hui les touristes du monde entier qui séjournent à Saint-Pierre de Serjac ou au château des Carrasses131 tout en appréciant les vins produits sur la propriété. Car ce sont justement tous les éléments ostentatoires mais aussi la rationalité dans l’organisation du domaine qui ont séduit l’acheteur et qu’il a voulu conserver et respecter (fig. 60)132.
Fig. 60
Puissalicon (Hérault), Château de Saint-Pierre de Serjac, vue aérienne du château et de ses dépendances en 2020
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