- 1 - Paréage : contrat unissant deux parties, généralement deux seigneurs d’inégale puissance, pour la (...)
1La bastide de Cologne est située à l’est du département du Gers. Elle a été fondée à la suite d’un contrat de paréage1 passé en 1284 entre Odon de Terride et le sénéchal Eustache de Beaumarchais, représentant le roi de France. Ce dernier contribue à plusieurs fondations de bastides en Gascogne à la fin du XIIIe siècle dont Mirande, Pavie ou encore Beaumarchés. Plusieurs documents médiévaux permettent d’éclairer l’histoire de la bastide entre 1284 et la fin du Moyen Âge, comme les coutumes octroyées en 1287 ou divers actes royaux des décennies suivantes. Le patrimoine médiéval de la bastide de Cologne est aussi particulièrement riche et livre des informations sur les différents types d’édifices qui constituent la bastide, des maisons à l’église, en passant par la halle et la fortification collective (fig. 1). Le tracé de la bastide est bien conservé et permet de s’interroger sur l’évolution de la morphologie générale de l’agglomération à la fin du Moyen Âge. L’étude conjointe des sources écrites et du bâti questionne aussi les transformations architecturales à l’œuvre au cours des derniers siècles du Moyen Âge et du début de l’époque moderne, notamment sur l’architecture civile.
Fig. 1
Cologne (Gers), vue d’ensemble de la place de la bastide.
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
2Une bastide est une ville neuve à vocation marchande, fondée au XIIIe siècle ou au XIVe siècle dans le sud-ouest de la France, selon un plan régulier dont la place de marché est l’élément central, et dans laquelle les habitants jouissent de certaines libertés régies par une charte de coutumes2. Entre 1255 et 1322, une trentaine de bastides est créée dans les limites de l’actuel département du Gers. Huit de ces fondations interviennent au cours du troisième quart du XIIIe siècle, mais c’est surtout au cours du quatrième quart que le nombre croit considérablement avec 17 fondations réparties sur tout le territoire. Les quatre créations postérieures à 1300 sont plus anecdotiques.
- 3 - MOUSNIER, 1997, p. 394-395.
- 4 - MOUSNIER, 1997, p. 372.
3La bastide de Cologne, fondée en 1284, s’inscrit dans la période la plus intense de créations de ce nouveau type d’agglomération marchande Le territoire sur lequel elle est créée, celui de la paroisse Sainte-Marie de Saubolée, relève alors de la seigneurie d’Odon de Terride qui se développe autour du castrum de Thil et de la ville de Bretx3. Le choix du site d’implantation de Cologne peut paraître audacieux, à l’écart des trois principaux axes que constituent les vallées de la Garonne puis de la Gimone et la voie de Toulouse à Auch4. Pourtant le lieu est situé au carrefour de routes anciennes menant de Toulouse vers le Fezensac et de l’Isle-Jourdain vers le Lectourois.
- 5 - Pal : pieu planté au centre de la future bastide et servant de point de départ au tracé du plan d (...)
- 6 - MOUSNIER, 1997, p. 407.
4À cette période, Odon de Terride rencontre des difficultés à asseoir son autorité sur l’ensemble de sa seigneurie. Il tombe rapidement sous l’influence de Jourdain IV de l’Isle, à la suite du conflit lié à l’héritage de Raimond Jourdain de l’Isle. Il entreprend alors une politique active de reconquête et c’est certainement dans ce contexte qu’il s’allie avec le roi de France pour fonder la bastide de Cologne. C’est donc sur une terre dépendant de Jourdain IV que le sénéchal du roi de France plante le pal5 de la future bastide, mais les protestations de la famille de l’Isle demeurent vaines et Cologne est placée sous l’autorité royale6.
- 7 - CABIÉ, 1884, p. 147-158.
- 8 - « medietatem totius territorii de Sabolena, quod territorium est in parrochia beate Marie de Sabo (...)
- 9 - « quod si dictam bastidam omino depopulari contingeret, ita quod dicta bastida cum tenemento sine (...)
- 10 - « unus bajulus tam pro dicto domino rege quam pro ipso Odone », CABIÉ, 1884, p. 149. Traduction : (...)
- 11 - « Item instituentur consules in dicta bastida et tenemento ejusdem [...] et messegerii », CABIÉ, (...)
- 12 - « Retinuit tamen dictus Odo sibi pro se et suis heredibus locum liberum et sufficientem ad opus d (...)
5Le contrat de paréage, du 26 mars 1284, et la charte de coutumes ont été publiés par Edmond Cabié à la fin du XIXe siècle7, d’après un manuscrit alors conservé à Cologne. Le contrat a été passé entre Odon de Terride et Eustache de Beaumarchais, sénéchal de Toulouse et de l’Albigeois, pour Philippe III le Hardi, roi de France. Par ce paréage, Odon de Terride remet au roi la moitié du territoire de Sabolène, où se trouve la paroisse Sainte-Marie, afin d’y établir une bastide8. Le contrat prévoit un partage égal des droits sur la nouvelle bastide et sur les revenus générés. Il est tout de même prévu qu’en cas de dépopulation complète, le territoire revienne à Odon de Terride en intégralité9. Le contrat de paréage instaure l’installation d’un bayle commun pour les deux coseigneurs10, ainsi que celle de consuls et de garde-champêtres sans que leur nombre soit précisé11. Chacun des seigneurs se réserve une place dans la bastide afin d’y établir une maison, symbole de son autorité12.
- 13 - CABIÉ, 1884, p. 154.
- 14 - CABIÉ, 1884, p. 156.
- 15 - « in reparationem pontium, itinerum et viarum », CABIÉ, 1884, p. 153. Traduction : « pour réparer (...)
- 16 - « Item in villa predicta consules creabuntur annuatim in crastinum nativitatis domini », CABIÉ, 1 (...)
- 17 - « Item quicumque in dicta villa venire voluerit seu habitare et mansionem facere sit liber sicut (...)
- 18 - « Preterea in domo qualibet seu ariali dicte ville, longa de quindecim stadiis et ampla de quinqu (...)
- 19 - « Item furni dicte ville erunt nostri et dicti Othonis et quicumque ibi panem dequoqui fecerit vi (...)
6La première charte de coutumes est octroyée aux habitants en janvier 1287, par Philippe IV le Bel, roi de France, et par Odon de Terride. Elle fixe les droits et devoirs de chacun. Il y est notamment question des différentes taxes dues par les habitants ou lors de la vente de marchandises sur le marché du jeudi, sur la place (« ad placiam13 »), ou lors de la foire annuelle, au foirail (« in foro14 »). Les principales amendes et punitions sont détaillées pour plusieurs types de crimes et délits, portant atteinte aux personnes, mais aussi à leurs biens ou aux mesures des denrées vendues. Les amendes récupérées à la suite d’intrusions dans des parcelles de jardins ou autres sont notamment affectées aux consuls pour la réparation des voies et des chemins15. Quelques articles concernent particulièrement les missions du bayle et des consuls. Ces derniers sont nommés à Noël16, mais leur nombre n’est pas précisé dans le document. Deux articles concernent la libre installation de nouveaux arrivants dans la bastide17 et la dimension des parcelles (quinze stades sur cinq)18. Les habitants doivent utiliser exclusivement les fours de la communauté19.
- 20 - HIGOUNET, 1986, p. 325-333.
7Eustache de Beaumarchais, en tant que sénéchal du roi de France en Toulousain et en Albigeois, est à l’origine de la fondation d’une vingtaine de bastides entre 1272 et 129120. La grande majorité se trouve en Gascogne et seulement deux sont implantées en Albigeois. Toutes ces fondations sont réalisées en paréage avec les seigneurs du sol, qu’ils soient laïcs ou ecclésiastiques, voire les deux comme pour Mirande et Pavie fondées en paréage avec le comte Bernard IV d’Astarac et l’abbaye de Berdoues. Toutes ces bastides n’ont pas connu un développement identique. Certaines, comme celles de Grenade-sur-Garonne ou de Mirande, sont particulièrement étendues. D’autres sont restées à un état plus embryonnaire ou ont connu une rétraction importante de leur surface au cours de leur histoire, comme à Miélan ou à Boulogne-sur-Gesse.
- 21 - Voir notamment : LAVEDAN, 1974 ; LAURET, 1988 ; ABBÉ, 2006.
- 22 - COMET, 2017, p. 143-145.
8Les plans des bastides sont sans doute les plus aboutis des plans d’agglomérations de la fin du Moyen Âge. Pour cette raison, ils sont étudiés par les historiens, et surtout par les architectes et les urbanistes, depuis la fin du XIXe siècle21. Plusieurs essais de typologies ont été tentés, allant jusqu’à poser la question de la diffusion de modèles, mais aucun ne s’est avéré concluant. Des traits communs ont pu être relevés entre des bastides créées par un même fondateur, mais il existe toujours des exceptions qui ne répondent pas à la règle et des bastides créées par d’autres fondateurs qui possèdent les mêmes caractéristiques morphologiques22.
9La bastide de Cologne présente un plan orthogonal se développant autour d’une place carrée d’environ 73 m de côté. Quatre rues principales forment huit îlots auxquels s’ajoutent la place de la halle, au centre, et les îlots autour de l’église, repoussée en limite orientale de l’agglomération. Les îlots au nord et au sud de la place présentent le même module carré que celle-ci. Les îlots à l’ouest et à l’est de la place sont rectangulaires. Les autres îlots ont une forme moins régulière à la suite de l’amputation des angles extérieurs du plan lors de la rétraction de la surface enclose de la bastide au XIVe siècle (cf. infra).
10En comparant le plan des principales bastides fondées par Eustache de Beaumarchais en Gascogne (fig. 2), on se rend compte qu’elles possèdent toutes une place carrée, dont la dimension est comprise entre 65 et 75 m de côté. La trame des îlots est donc carrée au moins dans un des axes de la place. C’est le cas à Cologne pour l’axe nord-sud et à Grenade-sur-Garonne pour l’axe est-ouest. Ailleurs la trame carrée est plus importante et se développe aussi sur les autres côtés de la place, jusqu’à couvrir l’ensemble de l’agglomération à Mirande notamment. Les autres îlots s’organisent selon une trame rectangulaire. L’église est le plus souvent située à un îlot d’écart de la place, comme à Cologne, mais elle peut aussi être implantée dans l’angle de la place, comme à Fleurance. La dimension des bastides fondées par Eustache de Beaumarchais est très variable en raison d’un développement très différent au cours des premiers siècles de leur histoire. La bastide de Cologne ne compte ainsi que neuf îlots, alors qu’il y en a une quarantaine à Grenade-sur-Garonne ou à Mirande.
Fig. 2
Schémas des principales bastides fondées par Eustache de Beaumarchais
A. Comet © Inventaire général Région Occitanie
- 23 - COMET, 2017, p. 185-186.
11En Gascogne gersoise, la plupart des bastides, comme les autres types de villages et de bourg, semblent avoir été fortifiées avant le début du XIVe siècle23. Contrairement à d’autres régions où la part des bastides fortifiées est moins importante, presque toutes les bastides gersoises ont été dotées de fortifications à la fin du Moyen Âge. Pour certaines, la mise en défense est prévue dès la fondation, ailleurs l’enceinte est bâtie rapidement à la suite de la fondation ou quelques décennies plus tard, lors de la guerre de Cent Ans notamment.
- 24 - SAMARAN, 1966, p. 5 : Confirmation de l’adjudication à Me Jean de Alberia, légiste, de plusieurs (...)
12Dans la charte de fondation de la bastide de Cologne, en 1284, et trois ans plus tard dans la charte de coutumes, il n’est jamais question de fortification. Plusieurs documents indiquent qu’une première fortification a été aménagée avant le début de la guerre de Cent Ans autour de la bastide. En effet, en 1312, un acte mentionne un bien situé dans la bastide qui confronte d’un côté le fossé (« vallato »)24. Cela signifie qu’à cette date il y avait au moins un fossé creusé autour de la bastide. L’autre élément intéressant de cet acte est que le bien en question n’est pas une maison mais une ferme (« borda »). Cela laisse penser qu’une partie au moins de la bastide est demeurée très rurale une trentaine d’années après sa fondation et que l’ensemble de l’espace prévu pour être urbanisé ne l’est pas encore totalement.
- 25 - Archives diocésaines d’Auch. Fonds Loubès, Carton Cologne.
13La présence d’un premier système fossoyé est confirmée par un document plus tardif, un registre de reconnaissances de 1528 connu grâce aux notes prises par l’abbé Loubès25. Deux fossés sont cités à de nombreuses reprises dans ce registre, le fossé vieux (« valatos antiquos » ou « fossatos antiquos ») et le fossé de la ville (« valatos dicta villa »). Il est aussi question dans ce document des murs de la ville (« muris dicta villa »), mais jamais de murs vieux ou anciens. Il semble donc qu’il y ait eu un double système défensif, un premier constitué d’un simple fossé, puis un second, plus complet, comprenant au moins un fossé et un mur.
14Le tracé du premier fossé n’a pu être établi avec certitude. Cependant, l’étude du plan cadastral du début du XIXe siècle26 (fig. 3), permet de proposer quelques hypothèses. Le parcellaire régulier se poursuit au-delà de l’enceinte de la bastide sur l’équivalent de deux îlots supplémentaires dans chacune des quatre directions. Le nombre d’îlots est donc porté de neuf à quarante-neuf. Ce nombre se rapproche et dépasse même celui des bastides les plus vastes fondées par Eustache de Beaumarchais, ou du moins celles qui ont le mieux réussi et conservent un grand nombre d’îlots. Rien sur le plan cadastral du début du XIXe siècle ne permet d’identifier la présence d’un fossé en limite de ce parcellaire étendu. Les rares mares représentées, même lorsqu’elles se trouvent proches de ce tracé hypothétique, ne permettent pas de conclure qu’il pourrait s’agir d’un vestige du fossé. D’autant que rien, dans la documentation médiévale, n’atteste que ce fossé ait pu être en eau. Il faudrait compléter l’enquête sur le terrain et tenter de déceler des anomalies dans le paysage qui pourraient correspondre à l’emplacement de ce fossé.
Fig. 3
Cologne (Gers), analyse morphologique du plan
A. Comet © Inventaire général Région Occitanie
- 27 - CABIÉ, 1899, p. 273-279.
- 28 - « consulibus, habitatoribus et aliis burgensibus et juratis ac etiam operariis fabrice murorum vi (...)
- 29 - « Item quod dicti consules possint recipere donationes et cessiones a quibuscumque eis dare volen (...)
15Le système défensif toujours actuellement visible à Cologne a été édifié au milieu du XIVe siècle, dans le contexte de la guerre de Cent Ans. En 1352, la charte de coutumes est renouvelée et à cette occasion de nouvelles dispositions sont ajoutées. Ce texte est connu par une édition partielle réalisée par Edmond Cabié en 189927. Ces privilèges sont octroyés par le roi « aux consuls, aux habitants et aux autres bourgeois et jurés de Cologne, ainsi qu’aux administrateurs de l’œuvre des remparts de cette ville28 » Parmi les différents privilèges accordés, un article concerne plus particulièrement la fortification. Les consuls sont autorisés à recevoir des donations de la part des habitants afin d’aménager la fortification de la bastide29. Il n’y a malheureusement pas plus de détail sur le système défensif en lui-même, ni sur les travaux effectués ou à réaliser.
- 30 - LACROIX, 2016, p. 129-130.
16L’octroi de ces privilèges s’inscrit dans un mouvement plus large de mise en défense des communautés pas ou peu fortifiées dans les premières décennies de la guerre de Cent Ans30. Des injonctions royales peuvent être à l’origine de ces chantiers. Cela passe d’abord, comme ici, par des privilèges accordés à certaines communautés favorisant la réalisation de travaux défensifs. Cela passe ensuite, à la fin des années 1350, par des ordonnances plus contraignantes concernant certains sites, en Toulousain notamment. Il faut attendre 1358 pour que l’effort de mise en défense soit véritablement exigé auprès de l’ensemble des communautés des sénéchaussées de Toulouse, de Beaucaire et du Rouergue, par le roi de France.
- 31 - SAMARAN, 1966, p. 105 et p. 113 : Révision de feux pour des localités de la jugerie de Verdun, 13 (...)
17L’étude du plan cadastral du début du XIXe siècle montre que le tracé de l’enceinte recoupe le parcellaire initialement prévu pour le développement de la bastide. La fortification vient donc réduire drastiquement la surface enclose, seule la partie la plus urbanisée étant alors protégée. Ce choix s’explique par le coût important de la réalisation de tels travaux, surtout dans une période de crises diverses. À cela s’ajoute peut-être une baisse du nombre d’habitants dans la bastide, qui pourrait être confirmée quelques années plus tard par des révisions de feux fiscaux concernant Cologne, en 1372 et 1391 notamment31.
18Outre le tracé, il subsiste des éléments importants du système défensif mis en place au milieu du XIVe siècle. Il comportait un mur d’enceinte en moyen appareil de calcaire, sans doute extrait sur place ou dans les environs immédiats. Ce mur est partiellement conservé au nord et au sud de la bastide (fig. 4).
Fig. 4
Cologne (Gers), vestige du mur d’enceinte au sud de la bastide
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
19Le mur d’enceinte était doublé de lices, qui correspondent à un espace entre le mur et le fossé et sur lequel il est possible de circuler. Cet élément est relativement rare en Gascogne et n’a pas été clairement identifié dans les sources écrites médiévales gasconnes. Au-delà des lices se trouve un fossé en eau (fig. 5). Les lices et le fossé ne sont plus conservés que du côté nord de la bastide, alors qu’au sud ils existaient encore en partie en 1845.
Fig. 5
Cologne (Gers), vue d’ensemble du mur nord de la bastide, des lices et du fossé en eau
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
- 32 - BOURSE, 1997, p. 579-582.
20L’église participait aussi de la protection de l’agglomération, par sa position à l’entrée orientale de la bastide, du côté de la route venant de Toulouse. Elle a été bâtie au cours de la seconde moitié du XIVe siècle et consacrée en 140732. Elle a subi d’importants dégâts pendant les guerres de religion, entraînant sa reconstruction partielle. L’église était cantonnée de quatre échauguettes, une dans chacun des angles (fig. 6). Hormis son aspect défensif, l’église de Cologne présente de grandes similitudes avec celles de Monfort et de Solomiac, proches et érigées à la même période. Elles sont toutes à nef unique et chapelles latérales intégrées entre les contreforts. Si celles de Monfort et de Solomiac sont terminées par une abside à sept pans coupés, celle de Cologne est à chevet plat puisque ce dernier faisait partie intégrante du mur d’enceinte de la bastide.
Fig. 6
Cologne (Gers), chevet de l’église et vestiges des échauguettes.
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
- 33 - « porta dicta la barbequana » (Archives diocésaines. Fonds Loubès, Carton Cologne). Traduction : (...)
- 34 - AN, N/II/Gers/1. Plan d’un territoire contentieux entre les villes de Cologne et Mauvezin, deuxiè (...)
21Quelques éléments disparus du système défensif sont connus grâce aux archives. Ainsi, dans un livre de reconnaissances de 1528, il est question d’une porte dite de la barbacane33. Celle-ci a certainement existé même s’il n’en reste aucune trace, les portes de la bastide ne figurant déjà plus sur le plan cadastral de 1845. Une représentation de Cologne34 datant de la seconde moitié du XVIe siècle n’est sans doute pas totalement réaliste, mais elle montre une agglomération protégée par une enceinte et des tours (fig. 7). La question peut alors se poser de la présence de tours, hormis les tours-portes, sur le pourtour de l’enceinte. Cependant, rien, sur le terrain, ne permet d’imaginer qu’il ait pu y avoir des tours de flanquement. Les tours représentées sur ce dessin pourraient plutôt faire référence aux tours-portes et peut-être au clocher qui devait contribuer à la défense de la bastide, en servant au moins de poste de guet.
Fig. 7
Représentation de Cologne au XVIe siècle et interprétation schématique.
A. Comet © Inventaire général Région Occitanie
22La bastide de Cologne a connu d’importantes transformations au cours du XIVe siècle avec la réduction de sa surface et l’édification de l’église et du système défensif. Cependant, d’autres constructions ou reconstructions sont à noter, qui ont modifié plus ou moins radicalement sa physionomie au cours des derniers siècles du Moyen Âge. Les transformations permanentes du tissu villageois ont été observées dans la plupart des petites agglomérations de Gascogne gersoise à cette période35.
- 36 - PETROWISTE, 2007, p. 517.
- 37 - « pro construenda aula communi in bastida de Colonia » (MAILLARD, 1953, p. 573, cité par PETROWIS (...)
23Contrairement à l’idée généralement admise que les bastides auraient toutes été dotées de halles et de couverts dès leur fondation, les travaux de Judicaël Petrowiste en Toulousain et en Saintonge ont montré qu’il pouvait exister un décalage de plusieurs décennies entre la fondation et l’édification de la halle36. À Cologne, l’autorisation de construire une halle date de 1299, soit une quinzaine d’années après la fondation. Les consuls obtiennent alors du roi de France la somme de 30 livres pour la construction, en plus des 30 livres octroyées par le second seigneur paréager37. La halle a donc certainement été édifiée au cours du 1er quart du XIVe siècle. Elle a été restaurée à plusieurs reprises au fil des siècles, mais elle conserve tout de même probablement ses dispositions d’origine, avec la maison commune au centre, où se réunissaient les consuls (fig. 8). Ce n’est qu’au XIXe siècle que le dernier étage fut équipé d’une horloge et percé de deux fenêtres.
Fig. 8
Cologne (Gers), vue de la partie centrale de la halle
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
- 38 - Dossiers concernant la halle conservés à la Drac Occitanie, site de Toulouse, CRMH.
24La halle forme un carré de 22 m de côté dont l’espace central est occupé par un bâtiment carré construit en pan de bois. La toiture est soutenue par 24 poteaux en bois reposant sur des bases en pierre, cinq par côté et quatre au centre. Il y avait initialement douze poteaux supplémentaires, vraisemblablement supprimés lors des travaux des années 197038 (fig. 9). Les angles sont occupés par quatre colonnes en pierre calcaire. La charpente est constituée de pièces de bois équarries dont certaines semblent remonter au Moyen Âge, mais la plupart paraissent en remploi. Le bâtiment central est plus haut que la toiture de la halle et comporte un étage dépassant au-dessus. Il est surmonté d’un clocheton pyramidal à couverture en bois qui est le fruit des transformations modernes.
Fig. 9
Plan de la halle dressé en 1943 avec une annotation des années 1980 indiquant les poteaux supprimés (source : dossier documentaire conservé à la Drac Occitanie, CRMH).
A. Comet (reproduction) © Inventaire général Région Occitanie
- 39 - SOULAN, 1985, p. 431-432.
25Sous la halle se trouve aujourd’hui une ancienne mesure à grains qui date probablement du XVe siècle39 (fig. 10). Sa datation reste cependant incertaine et elle pourrait être antérieure et remonter au moment de la fondation de la bastide ou aux décennies suivantes. La mesure a été retrouvée dans un fossé et placée sous la halle en 1968. Elle est constituée d’un élément quadrangulaire, fixé sur un socle cylindrique qui servait initialement au dépiquage des grains. La partie supérieure est creusée d’un cylindre dont la base est inclinée vers une bouche d’écoulement permettant une évacuation totale du grain. Le volume intérieur comprend une quarantaine de litres. Un boisseau supérieur en métal ou en bois pouvait être fixé à la pierre par les encoches encore visibles et accroître ainsi le volume total mesuré en une seule fois. Des crochets fixés sur les faces latérales permettaient de fixer le sac de récupération du grain mesuré. Le volet qui fermait la bouche d’évacuation a disparu.
Fig. 10
Cologne (Gers), ancienne mesure à grains.
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
26Dans la bastide de Cologne, il subsiste peu de vestiges de maisons attribuables aux premières décennies après la fondation. Seuls quelques pans de murs en moyen appareil et quelques baies insérées dans des maçonneries très remaniées ont été repérés. Il faudrait compléter l’étude avec des visites d’intérieurs pour déterminer si des murs mitoyens, notamment là où le parcellaire médiéval est le mieux conservé, pourraient remonter au XIIIe ou au XIVe siècle. Des sondages archéologiques récents dans quatre maisons de l’angle de la place, incendiées, n’ont pas permis de retrouver les traces des murs mitoyens40. Cependant, quatre silos datés de l’époque moderne, ont été identifiés. Il est intéressant de noter qu’ils se trouvent près des limites parcellaires entre les maisons, mais ne les recoupent pas.
27Plusieurs maisons, notamment à pan de bois et situées autour de la place de la halle, conservent des éléments attribuables aux XVe-XVIe siècles. Il s’agit parfois de vestiges assez ténus, comme une porte à accolade en bois au rez-de-chaussée d’une maison du côté oriental de la place (fig. 11).
Fig. 11
Cologne (Gers), porte en bois sculptée d’une accolade.
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
28Certains des pans de bois sont bordés d’un cadre mouluré, dont les parties verticales se terminent généralement par des bases prismatiques. Ces cadres sont parfois mal conservés et seules les encoches triangulaires sur les sablières témoignent de l’existence passée de décors verticaux rapportés en avant du pan de bois de part et d’autre de la croisée (fig. 12).
Fig. 12
Cologne (Gers), pan de bois conservant les traces d’un ancien cadre disparu
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
29Les poteaux portant les couverts peuvent aussi remonter aux XVe ou XVIe siècles, qu’ils soient communs aux deux maisons voisines ou distincts. Ces poteaux sont généralement carrés et la section des bois est particulièrement importante (fig. 13).
Fig. 13
Cologne (Gers), poteaux en bois portant les couverts
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
30Une maison de la place de la Halle, l’ancien presbytère, présente une architecture particulièrement soignée (fig. 14). La façade date du XVIe siècle. L’étage en pan de bois est porté par trois colonnes sculptées et par le mur des couverts de la maison voisine à gauche. L’étage en pan de bois est constitué d’un panneautage au motif de losanges, encadré d’éléments saillants moulurés et rempli de petites briques. Les motifs losangés ne sont pas réguliers et la présence d’éléments verticaux et horizontaux débordants indique que les panneaux étaient enduits. Les poutres et les poteaux en bois sont sculptés d’un décor de billettes et d’accolades.
Fig. 14
Cologne (Gers), façade de l’ancien presbytère de Cologne.
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
31Le fait que plusieurs maisons, notamment autour de la place, aient été transformées au cours des XVe-XVIe siècles ne permet pas de conclure à une vague importante de reconstruction à cette période, qui serait liée à d’éventuelles destructions causées par la guerre de Cent Ans. Le dynamisme architectural de cette période, observé dans la quasi-totalité des villages et bourgs gascons, est plutôt à mettre en relation avec une période de reprise économique et donc une volonté de remettre au goût du jour des édifices datant de plusieurs siècles.
32Cette étude de la bastide de Cologne montre que bien que fondée à une date relativement précise, ce type d’agglomération, comme toutes les autres, se construit au fil des décennies et des siècles, au gré de l’installation des habitants et des transformations rendues nécessaires par un contexte parfois troublé, notamment en ces derniers siècles du Moyen Âge.
33Environ 200 villages et bourgs de Gascogne gersoise ont été étudiés ces dernières années afin de tenter de déterminer leur évolution entre le XIIIe et le XVIe siècles. Cette recherche s’est effectuée dans le cadre d’une thèse de doctorat d’histoire médiévale, réalisée entre 2012 et 2017 en convention CIFRE avec le département du Gers et l’ANRT, et en partenariat avec le Service connaissance et inventaire des patrimoines de la région Occitanie. L’un des objectifs de ce travail était d’identifier si la guerre de Cent Ans et les autres crises des XIVe et XVe siècles (famines, pestes), avaient eu un impact important sur la morphologie et l’architecture des agglomérations étudiées. Ce travail est en cours de publication, la sortie de l’ouvrage dans la collection nationale Cahiers du patrimoine est prévue pour la fin de l’année 2022.