- 1 L’époque tridentine commence avec la publication des décisions du Concile de Trente, qui s’est clos (...)
- 2 Cet article est extrait de la thèse d’Hélène Coulaud soutenue à l’École des Chartes : De la matéria (...)
1La visite du cardinal de Bonzi, qui n’est qu’une copie du procès-verbal original qui a disparu, est conservée à la Bibliothèque Municipale de Périgueux dans un registre aux armes de Mgr Jean-Chrétien de Macheco de Premeaux, évêque de Périgueux de 1731 à 1771, année de sa mort. Nous n’avons pas pu approfondir la connaissance de ce personnage qui a fait copier des écrits d’une considérable diversité : la visite de Saint-Just est suivie par une copie du testament de Mazarin, de bulles papales du XVIIe siècle, des discours du cardinal de Noailles et de multiples mémoires sur les biens du clergé de France. Sa présence dans les registres de cet évêque périgourdin, féru d’histoire, semble donc inexplicable. Ce document est remarquable par son long développement, même s’il n’est pas exhaustif, surtout en ce qui concerne le trésor. Néanmoins, bon nombre de visites n’atteignent pas un tel degré de précision, ou ne sont plus conservées dans leur intégralité.
- 3 Le cortège est entré par le cloître, inspectant la chapelle de l’Annonciade qui n’est pas encore vr (...)
2La cérémonie commence par le passage en revue de toute la cathédrale, chapelle par chapelle, et du cloître, sans oublier les combles et le clocher. Le cortège se dirige ensuite dans les différentes sacristies, en passant par la chapelle de l’Annonciade, la grande sacristie3, le sacraire du grand-autel, pour terminer par le Sacraire. Après la visite du trésor, le cardinal souhaite s’enquérir des coutumes du chapitre et des diverses pratiques liturgiques de la primatiale. Une série d’« interrogatoires », divisée en vingt-huit articles, est consignée par M. Candelon, procureur fiscal du cardinal et chanoine de la collégiale Saint-Sébastien de Narbonne. Le nombre des chanoines, la collation des prébendes, les rétributions, les offices, les messes quotidiennes, les processions, la gestion de la mense capitulaire, la librairie et la vie du trésor sont abordés au cours de ces interrogations dont la réponse est minutieusement notée. La visite du cardinal de Bonzi permet donc d’effectuer une sorte d’arrêt sur image sur le chapitre au cœur de la période tridentine.
3Le trésor de la primatiale est passé en revue sacristie par sacristie. La méthode d’inspection varie d’une salle à l’autre. D’une façon générale, l’orfèvrerie est à peine décrite et comptée, à l’exception des reliquaires qui font l’objet d’une attention particulière. Les objets du sacraire du grand-autel sont simplement évoqués au détour d’une phrase :
dans lad. sacristie, il y a une lampe qui brule nuit et jour, entretenue par le chapitre, une armoire dans laquelle le curé enferme les encensoirs et autre argenterie qui sert tous les jours. Le commentaire est donc tributaire de cette inégalité de précision.
4L’inventaire des ornements est bien plus variable : la visite sous-entend que le sacristain montre les ornements quotidiens et festifs de la grande sacristie, mais il est très probable que ces derniers n’ont même pas été sortis des armoires : les vêtements liturgiques décrits sont presque tous sales et usés, or le procureur de l’archevêque fustige la saleté des vêtements d’usage quotidien. Enfin, le coffre avec les parements de l’autel-majeur n’est pas ouvert. Pour le sacraire du grand-autel, le procureur fiscal ne semble même pas exiger le passage en revue des ornements. Le Sacraire en revanche fait l’objet d’un soin particulier, en raison de la valeur des objets qu’il abrite ; la visite livre des descriptions très précises qui permettent d’établir des comparaisons sûres et de mieux connaître ainsi l’esthétique des objets d’apparat du trésor.
5Le trésor actuel, conservé dans l’ancienne salle capitulaire, dite la Salle acoustique, est essentiellement composé d’objets issus d’autres trésors ou postérieurs à la Révolution. Les quelques pièces qui proviennent du trésor de Saint-Just sous l’Ancien Régime ne sont pas citées dans le document, sauf les tapisseries modernes et le parement de Charles V. En effet, le célèbre ivoire de la Crucifixion ou le Pontifical de Pierre de La Jugie sont complètement passés sous silence. Il s’agit donc dans ce commentaire de caractériser un certain nombre d’objets disparus, et de renvoyer à d’autres conservés dans divers trésors, cathédrales et musées français ou étrangers. Cette méthode permet de cerner davantage l’aspect visuel et la valeur des objets liturgiques de la primatiale. Cela permet de voir si le trésor de Saint-Just s’inscrit dans l’art méridional ou s’il puise dans d’autres courants esthétiques, et surtout, s’il est à la hauteur des trésors des prestigieuses cathédrales comme celles de Chartres, Rouen, Lyon ou encore Paris.
Fig 1.
Narbonne (Aude), cathédrale Saint-Just et Saint-Pasteur ; positionnement du trésor dans le plan de l’édifice
6La présente édition ne concerne que l’inspection des sacristies de la primatiale où le trésor est conservé ; elle est accompagnée d’un commentaire illustré. Nous avons suivi l’orthographe du scripteur, tout en mettant entre crochets ses oublis de mots ou de lettres. La ponctuation a dû être remaniée pour rendre le sens du texte plus perceptible. Nous faisons ressortir le début de chaque item en le mettant en retrait et en maintenant la numérotation du texte original. Le texte ne comporte que quelques ratures ou erreurs de lettres, qui sont rectifiées et signalées par des appels de notes.
7L’édition du texte, en italique, est commentée au fur et à mesure, pour plus de commodité. Le commentaire esthétique et technique des pièces ainsi que son illustration, suit donc leur mention dans la visite. Nous renvoyons également systématiquement à des catalogues qui répertorient les objets que nous citons, ce qui permettra au lecteur de les consulter, surtout lorsque nous n’avons pas pu proposer d’illustration. Les références, souvent longues, ne sont pas citées en entier, pour éviter d’alourdir inutilement les notes de bas de page, mais elles sont consignées intégralement dans la bibliographie.
Fig. 2.
Narbonne (Aude), cathédrale Saint-Just et Saint-Pasteur ; chœur (stalles du XVIIIe siècle).
M. Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général, 2014
8Le cardinal de Bonzy et son procureur fiscal inventorient les objets et le mobilier des sacristies, en présence des deux sacristains, du curé de la paroisse cathédrale et de députés du chapitre.
- 4 Le cortège arrive du cloître où il vient de visiter les deux chapelles : celle du Crucifix et celle (...)
9La chapelle de l’Annonciade (fig. 3) date du début du XVe siècle ; elle a été financée par Jean Corsier, vicaire général de l’archevêque François de Conzié (1491‑1432). Elle est consacrée en 1510. On peut y accéder directement depuis le cloître.
Fig. 3.
Narbonne (Aude), cathédrale Saint-Just et Saint-Pasteur ; chapelle de l’Annonciade
M. Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général, 2014
- 5 Soit la Salle acoustique où le trésor actuel est conservé. Cette salle a été construite à la fin du (...)
- 6 Ce saint natif de Montpellier bénéficie d’un culte tout particulier dans le Midi de la France. Il e (...)
- 7 Claude Rebé, archevêque de Narbonne de 1628 à 1659.
- 8 Chapelle axiale de Saint-Just où le culte paroissial est célébré.
- 9 Une chapellenie est un bénéfice confié à un prêtre, dénommé chapelain, chargé de célébrer aux jours (...)
- 10 Office liturgique (qui fait partie des Petites Heures), chanté tôt le matin, entre Laudes et Tierce
- 11 L’archidiacre est prêtre issu du chapitre cathédral, nommé par l’évêque pour l’aider dans l’adminis (...)
Visitant la chapelle de l’Annonciade qui est au milieu du cloistre du costé du soleil levant, et au dessous du chapitre rond5, nous trouvames que cette chapelle est fort grande et la voute soutenue par quatre pilliers de pierre de taille, n’ayant qu’environ vingt pieds de hauteur. Que du costé du soleil levant il y a une espece de coeur vouté en coquille, percé de quatre fenestres grillées et vitrées et batty aussy de pierre de taille, que l’autel qui est au milieu dud. cœur est d’une seule pierre, sur un pillier de batisse, sans napes, tapis ny parement et sans autre retable et tableau, que deux images de pierre representant grossierement en relief la Sainte Vierge et saint Gabriel, annonceant le mistere de l’Incarnation. Qu’on monte aud. autel par deux degrez de batisse qui ont besoin d’estre reparéz, et sans marchepied de bois.
Qu’il y a du costé de l’Evangile à six pieds d’elevation dans l’espaisseur de la muraille une petite armoire bien bâtie, mais qui n’est pas boisée par le dedans, qui est fermée d’une porte de bois de chene avec sa serrure et verrouil, en bon estat, nous ayant paru vraysemblable que lad. armoire a servi autrefois pour tenir le Saint-Sacrement en reserve, sur ce qu’on nous a representé. Que c’estoit enciennement la pratique de l’enfermer dans des semblables armoires du costé de l’Evangile avant qu’on n’eust l’usage des tabernacles. Que du mesme costé de l’Evangile et dans la nef ou aile gauche de lad. chapelle, il y a un autre autel d’une seule pierre portée par des pilliers de batisse, sans napes, tapis ny parements ; qu’on y monte par un degré de pierre, qui a besoin aussy d’estre reparé et que pour tout retable et tableau, il n’y a qu’une statue vieille et indecente, representant saint Joseph.
Que du costé de l’Epitre et dans l’aile droite, il y a un troisieme autel, aussy d’une seule pierre, porté sur un gros pillier de pierre, n’estant led. autel couvert d’aucuns ornements et n’y ayant au dessus qu’un[e] image seulement de saint Roch6 et de l’ange qui pensoit sa playe, estant lesd. images de pierre en relief et en bon estat, que le degré de la batisse par lequel on monte aud. autel a besoin d’estre reparé comme aussy le pavé de lad. chapelle au devant du mestre autel et de l’autel de saint Joseph, ouÌ il y a eu de[s] sepultures.
Et ayant procedé aux interrogatoires, lesd. sieurs deputéz et curé repondirent que desd. trois autels il n’y a que celuy du cœur qui paroisse avoir esté consacré, ainsy qu’il resulte des procez-verbaux des precedantes visites ; et que neantmoins M. de Rebé7 ordonna qu’on y porteroit pour plus grande sureté un autel portatif toutes les fois qu’on voudra y celebrer. Qu’on tient par tradition, fondée sur la proximité de la tour qui est au vieux palais, que cette chapelle estoit de l’ancienne eglise, que de tout temps, comme il conste par lesd. visites, on y a fait et qu’on y fait encore le service de la paroisse pour les messes basses, hautes et basses des enterrements lorsqu’on ne peut le faire à Nostre-Dame de Bethléem8 sans interrompre l’office du cœur ; qu’il est vray que lors de la visite de M. de Rebé, l’autel du cœur et celui de saint Joseph estoient couverts de napes et parements, mais que depuis quelques années on a negligéz de les tenir ornéz sous pretexte qu’on se sert de lad. chapelle pour y enfermer la tapisserie, contre l’expresse defence de M. de Rebé en sad. visite. Qu’on y enferme encore les escheles et autres bois servant à l’eglise, et que le tapissier de l’eglise en tient la clef. Et sous pretexte encore que le curé dit lesd. messes hautes et basses des enterrements aux autres autels qui sont dans le cloistre, que dans lad. chapelle il n’y a aucune chapelainie9 fondée ny aucune messe base que le chapitre soit obligé d’y faire dire. Et qu’on n’y dit que quelques messes de devotion, quand on les demande. Que led. chapitre entretient lad. chapelle et n’y fait autre service que le lavement des pieds qu’on y va faire le Jeudy Saint, à l’issue de Prime10. Et ce fait, nous nous retirames dans nostre palais, accompagnéz desd. sieurs archidiacres11 et chanoines et autres nos officiers et domestiques.
- 12 Soit la grande sacristie ou le « (grand) sacraire des messes basses ». cf. fig. 1, lettre G.
- 13 Les titulaires (titularii) ou intitulés sont tous les prêtres qui font partie du bas-chœur (ils ne (...)
10La première pierre de la grande sacristie (fig. 4) est posée en 1329 ; l’espace est entièrement voûté. La porte actuelle n’est pas d’époque et se trouvait certainement dans le chœur à l’origine. Cette salle abrite les objets liturgiques nécessaires au culte de toutes les chapelles. Chanoines et intitulés13 s’y bousculent tous les matins pour célébrer leur messe quotidienne.
Fig. 4.
Narbonne (Aude), cathédrale Saint-Just et Saint-Pasteur ; porte donnant accès à la grande sacristie
M. Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général, 2014
- 14 En raison de la présence du tableau du Lazare de Sebastiano del Piombo, offert par Jules de Médicis (...)
- 15 Le nom gauffre signifie orfroi, soit, pour une chasuble, la croix dorsale et la bande médiane du de (...)
- 16 C’est-à-dire de couleur jaune ou dorée.
- 17 La suite de la visite et l’inventaire de 1790 (AD Aude, 1Q 2150, nº 1) montrent pourtant que bien d (...)
- 18 Il s’agit des membres du haut-chœur, qui reçoivent une prébende. Ils sont nommés par l’archevêque d (...)
- 19 Comprendre « orfrois » ; dans le cas du pluvial, il s’agit des deux larges bandes latérales de part (...)
- 20 Il s’agit du sacraire du grand-autel : cf fig. 2, lettre D.
- 21 Il s’agit probablement d’une pièce permettant de fixer l’antependium à la table de l’autel.
- 22 Louis de Vervins, archevêque de Narbonne de 1600 à 1628.
- 23 Registre des obits et des messes fondées pour le salut de l’âme des défunts.
- 24 Assemblées de tout le chapitre cathédral, qui se tiennent à la Toussaint, le 1er mai et le 7 août ; (...)
- 25 Les saints patrons de la primatiale, Just et Pasteur, sont des enfants espagnols martyrisés à alcal (...)
- 26 L’office de Matines est chanté à cinq heures du matin au chœur de la primatiale. C’est l’office de (...)
- 27 Ces membres du bas-chœur, prêtres, diacres et sous-diacres, sont assignés au culte quotidien du maî (...)
Procedant à la visite de la sacristie qui est au costé droit de la chapelle de Saint-Michel, dite à present du Lazare14, et à laquelle on descent par deux marches, nous aurions trouvé que lad. sacristie est voutée et fort basse, que les deu fenestres sont du costé du Levant et celle qui est au midy sont bien vitrées, et qu’il y a des grilles de fer en bon estat, que les deux tables sur lesquelles les prestres qui disent les messes basses s’habilent sont de bois de menuiserie, ayant des tiroirs et des armoires au dessous pour enfermer les ornements et linges de la sacristie, le tapis qui couvre lesd. tables estant dechiré en plusieurs endroits ; l’armoire dans laquelle on enferme les calices, qui est supportée par des crampons de fer, fermée à clef, est tenue assez proprement. Au fonts de lad. sacristie, il y a un petit réduit vouté et bien propre, dans lequel nous avons trouvé une grande armoire ouÌ quelques chanoines en particulier tiennent leurs ornements. Il y a encore un agenouilloir avec la table des préparations à la messe, et un siege pour un confessionnal. Du costé gauche de lad. sacristie, il y a un espece de coffre d’environ six pieds d’hauteur et de quatorze de longueur sur quatre ou cinq de largeur, dans lequel on enferme les parements ou devant d’autel dont on se sert les jours de solemnitéz pour parer le mestre autel de l’eglise. A costé dud. coffre et sur la muraille, il y a une table des messes fondées, ouÌ le sacristain marque chaque semmaine les titulaires qui les doivent dire. Au fonds, et vis-à-vis la porte de lad. sacristie, il y a un confessionnal qui ne sert que pour les titulaires de l’eglise, et à main droite dans le demy rond où estoit anciennement le degré du chapitre, il y a un lavoir avec son aiguiere et deux essuye-mains suspendus sur un roulant.
Et ayant fait exibé les ornements qui servent pour les messes basses les jours ouvriers, et ceux dont on se sert le dimanche et faites solemnelles, nous aurions trouvé :
Primo : Cinq chasubles blanches, scavoir une d’estoffe de soye fasconnée, toute rompue dont [les] gauffres15 sont encore assez bons et l’estolle et le manipule ne sont pas de la mesme estoffe ; une autre de damas caffart, dont le fonds est rouge et à fleurs blanches ; le bas de lad. chasuble a besoin d’estre reparé ; l’estolle est gattée comme le manipule. Un[e] autre de camelot gauffré, dont le bas de la croix est gatté devant et le manipule a besoin d’estre bordé ; une autre de même etoffe, assez bonne, mais l’etoffe a besoin d’estre degraissée et le manipule estre bordé. Une autre de damas caffart, avec de[s] galons vertes, dont l’etolle a besoin d’estre reparée, et le manipule n’est pas de la mesme etoffe.
Secundo : Trois chasuple[s] rouges, scavoir une de camelot ondé, dont le bas de la croix sur le devant est gatté, l’etolle fort engraissée, et le manipule a besoin d’estre bordé. Une autre de mesme etoffe, qui a besoin des mesmes reparations, et dont l’etolle et manipule sont si uzés qu’ils ne peuvent quasi plus servir, et une autre de damas rouge à petites fleurs, fort usée, comme aussy l’estolle et manipule.
3° Trois chasuples vertes, scavoir une de camelot avec un galon vert et blanc, assez bonne, et une autre de mesme etoffe et en assez bon estat, et une de damas caffart, dont le fonds est aurore16 et les fleurs bl[e]ues, laquelle n’estant pas d’une couleur qui scait en usage dans l’eglise17, et n’ayant point d’etole ny de manipule, doit estre interdite.
4° Trois chasuple[s] violetes, scavoir une de camelot gauffré, dont l’etole doit estre degraissée, une autre de mesme etoffe, dont l’etolle a besoin d’estre doublée et le manipule bordé, et une autre d’étoffe de soye à feurs d’or, qui a besoin d’estre reparée par derriere, et dont le manipule doit estre aussy rebordé.
5° Deux chasuples noires dont l’une est de camelot gauffré, assez bonne et l’autre de mesme etoffe, dont le manipule ne vaut rien.
Et ayant fait ouvrir l’armoire dans lequel on tient les ornements dont les chanoines18 se servent pour les messes basses, le sacristain ayant exibé lesd. ornements, nous aurions trouvé :
Primo : Un[e] chasuple de satin rouge à fleurs de diverses couleurs, avec la bource et voile du calice en bon estat, un[e] autre aussy à fleurs de diverses couleurs de satin rouge, avec la bource des corporaux et voiles du calice, une de satin vert à fleurs de diverses couleurs, et une de velours noir, avec leurs etoles et manipules, leurs bources et voiles de calice en bon estat et assez bien tenues.
Et ayant fait exibé les bources des corporaux et voiles du calice qui servent ordinairement pour le commun, nous aurions trouvé lesd. bources et voiles si usées et engraissées qu’il est necessaire de reparer ce qui peut estre reparé et d’en faire de nouveau[x].
Voulant ensuitte visité les pluviaux qui estoient dans la mesme sacristie, M. Marbert, sacristain, nous auroit exibé :
Primo : Huict pluviaux rouges, scavoir de damas à fleur d’or, avec leurs auffres19 en broderie, fort vieux. Deux autres de damas rouge, assez bons, et deux de camelot qui ne valent plus rien.
Secundo : Il nous auroit exibé deux pluviaux blancs, fort uséz par derriére, et deux de camelot gauffré qui sont en bon estat.
3° Il nous auroit exibé quatre pluviaux de damas vert dont les chaperons sont uséz, et finalement quatre pluviaux de damas jaune, assez bons, et deux de camelot de la mesme couleur, fort uséz et tachéz.
Et nous ayant fait représenter les devants d’autel [avec] lesquels on pare le mestre-autel les jours de solemnitéz, nous aurions trouvéz en assez bon estat et enjoint au sacristain du petit sacraire20 de faire reparer ceux qui ont besoin d’estre recousus et de faire mettre un passis21 à l’un de ceux qui furent donnéz par M. de Vervins22. Et led. sacristain nous ayant representé les missels et cayers de[s] morts23, aurions trouvé qu’il n’y a que trois missels à l’usage de Narbonne, dont l’un a besoin d’estre relié et qu’il n’y en a point à l’usage romain pour les etrangers, que les deux cayers de[s] morts sont en assez bon estat, comme aussy les burettes et autres choses necessaires pour la celebration de la Sainte Messe, ayant renvoyé la verification des corporaux, purificatoires, aubes, amicts et autre linge de la sacristie à la visite du petit sacraire, ouÌ l’inventaire nous doit estre remis par celuy qui en est chargé.
Et procedant aux interrogatoires tels que de droit, les deputés du chapitre et led. Marbert, sacristain, auroient repondu que la fabrique entretient les ornements et autres choses necessaires à la sacristie des messes, que le sacristain de lad. sacristie est electif et amovible au gré du chapitre, qu’on en fait election aux chapitres generaux24 qui se tiennent apres la feste de saint Just25, que led. sacristain est chargé de faire dire toutes les messes basses de fondation, qu’il les paye de l’argent qu’il prend du tresorier, sur les mandements des prevots du chapitre, qu’il rend compte devant lesd. prevost[s] du chapitre, que lesd. messes basses se disent exactement autant qu’il est possible, qu’il est vray qu’on n’observe pas la rubrique du missel qui defend de dire des messes de[s] morts les jours dont l’office est double, et qu’on en dit mesme dans la semaine sainte et quelquefois pendant les octaves solemnelles, parce que l’usage s’en est introduit insensiblement, que le sacristain n’est plus chargé de faire dire les messes votives depuis qu’on a préposé à la table desd. messes votives un autre titulaire de l’eglise ; que le sacristain empesche autant qu’il se peut qu’on ne dise les messes avec confusion, c’est-à-dire qu’on en dise pas un trop grand nombre en mesme temps, mais qu’il ne scauroit quasi empescher la confusion qu’il y a dans la sacristie lorsque pendant matines26 ou aprés, les titulaires de l’eglise y viennent pour s’y promener ou pour parler particuliérement en hyver, qu’il y a plusieurs chanoines, conduchers27 et beneficiers qui ont leur calice et ornements en propre, et desquels ils se servent, que quand à la fin de l’année on trouve que toutes les messes fondées n’ont pas esté dites, le chapitre y fait satisfaire le plus exactement qu’il luy est possible et qu’ils ne scavent pas que la sacristie ait besoin d’autre chose que de bonnets cornés pour le commun et pour les étrangers, n’y en ayant qu’un fort vieux et fort usé, parce que quelques particuliers se sont appropriéz ceux qu’on y avoit mis.
Sur quoy nostre procureur fiscal a dit qu’il doit estre pourvue à ce que les ornements dont on se sert pour les messes basses soyent tenus plus proprement, particulierement pour le[s] estoles qu’on a trouvé fort crasseuses, ce qu’on pourroit eviter si on les doubloit à l’endroit du col de quelque linge proprement, et si on les changeoit de temps en temps, qu’il doit estre encore pourvu à ce qu’on ne dise point de messes de[s] morts ou autres votives aux jours prohibéz par les rubriques du missels, nonobstant l’usage abusif qu’on a introduit, qu’il n’empesche que les ornements necessaires soient ordonnéz et faits aux despends de la fabrique, à la charge qu’elle participe au revenant bon des fondations comme il le requerra en temps et lieu, et lorsqu’il sera parlé en particulier de lad. fabrique, requerrant qu’il soit fait inhibitions et defences aux titulaires de l’eglise et autres de s’atrouper dans lad. sacristie pour s’y promener ou causer pendant les offices et durant qu’on s’y prepare à la Sainte Messe, sur peine d’excommunication incurable par le seul fait, et que nostre ordonnance soit affichée en quelque endroit de lad. sacristie ouÌ qu’elle puisse estre lue afin que personne ne l’ignore.
- 28 La publication de L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers ne (...)
11Cette pièce fait l’objet d’un commentaire plus global car les objets ne sont pas d’une grande valeur et se ressemblent pour beaucoup. Les ornements ordinaires sont rangés par type et par couleur. Ils sont généralement en damas « caffart » et en camelot. Le damas désigne simplement un type d’armure textile. C’est une étoffe de soie, généralement monochrome, sans envers puisque composée d’un effet de fond et d’un effet de dessin, sur la base d’une même armure de satin. Le damas est très prisé au Bas Moyen Âge. Les ateliers italiens et espagnols, puis français, le rendent plus courant à l’époque moderne. Les chasubles cependant n’ont pas une vraie armure de damas : le « damasquin » est une imitation polychrome du damas, tandis que le « damas caffart » ou « cassart » n’a que l’apparence du damas, comme le précise l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert28 ; son tissage est plus simple et moins coûteux. Le camelot est une étoffe composée essentiellement de fils de laine ; elle est donc assez pauvre et ordinaire, sans aucun effet de brillance.
12Les étoffes sont très souvent « gauffrées » : elles sont passées sous une calandre qui y imprime un relief, donnant justement l’apparence du damas, avec un effet de relief et d’ombre, pour un moindre coût. Les motifs sont donc appliqués de façon mécanique sur les tissus. Le camelot « ondé » présente l’allure d’ondes. L’Encyclopédie reste très évasive sur ce terme de manufacture. Les ornements ordinaires de Saint-Just s’avèrent des productions courantes, sans grande valeur.
13Les pluviaux sont confectionnés dans les mêmes étoffes que les chasubles. Toutefois, huit chapes de damas rouge sont plus travaillées, puisqu’elles sont ornées de fleurs d’or et d’orfrois brodés :
Huict pluviaux rouges, sçavoir de damas à fleur d’or, avec leurs auffres en broderie, fort vieux.
- 29 PRIVAT-SAVIGNY, p. 62.
14Ces pluviaux sont anciens et peuvent très bien avoir servi auparavant pour des grandes fêtes. Ils peuvent ressembler à un pluvial conservé au Musée d’Écouen, qui date du milieu du XVIe siècle29 : il est décoré de grenades et non de fleurs d’or, mais l’effet visuel doit être très similaire. En tout cas, les orfrois brodés donnent une idée fidèle de ceux des huit chapes narbonnaises.
15Il est très probable que presque tous les ornements de la grande sacristie ont été fabriqués au XVIIe siècle ou peu avant : ils servent souvent et ont par conséquent une durée de vie bien inférieure aux ornements d’apparat. Ils suivent tous à peu près le même modèle, à l’exception de la couleur.
16Le Sacraire est la chambre forte du trésor depuis la construction de la cathédrale. Il est achevé dès le XIIIe siècle. Il contient les archives importantes du chapitre, les reliques et les reliquaires ainsi que tous les objets servant au culte du maître-autel les jours de fête. Une première porte dotée de trois serrures (fig. 5), suivie d’une autre, ferme cette salle forte.
Fig. 5.
Narbonne (Aude), cathédrale Saint-Just et Saint-Pasteur ; porte du Sacraire
Angélique Paitrault © Ville de Narbonne
- 30 Il s’agit de la petite sacristie ou du sacraire du grand-autel, cf fig. 1, lettre D.
- 31 Comprendre « à l’opposé ».
- 32 C’est la chambre forte du trésor, cf. fig. 1, lettre C.
- 33 Hugues Barrat, préchantre de 1341 à 1362 (†).
- 34 Le précenteur, ou préchantre, doit veiller à la beauté de l’Office divin toute l’année ; il dirige (...)
Etant allés au sacraire qui est vis à vis la porte du cœur, du costé de l’Espitre30, nous aurions premierement visité la sacristie dans laquelle les ministres du grand autel s’habilent ordinairement de leurs habits sacerdoteaux, laquelle sacristie nous aurions trouvé voutée, vitrée et pavée, en bon estat, y ayant du costé du Levant une grande table sur laquelle on prepare les ornements pour lesd. ministres du grand autel, ayant en dessous de[s] tiroirs et des armoires pour tenir lesd. ornements, et à la posite31, du costé du sacraire, une autre table pour le mesme usage ; dans lad. sacristie, il y a une lampe qui brule nuit et jour, entretenue par le chapitre, une armoire dans laquelle le curé enferme les encensoirs et autre argenterie qui sert tous les jours ; un endroit assez propre pour tenir le feu qu’on mot ausd. encensoirs, et au derriere de la porte, une espece de ratelier où on met les bourdons de bois avec une table où est ecriste à la main la forme de fournir le luminaire aux jours ordinaires et de solemnité, n’ayant trouvé autre reparation à faire dans lad. sacristie que de garnir les deux tables d’un tapis de cuir, comme celle de la precedente, attendu que ceux que nous y avons trouvéz sont sy vieux qu’ils sont dechiréz en plusieurs endroits.
Et estant entréz dans le Sacraire32, qui est une sacristie qui a la forme d’une des chapelles de l’eglise, voutée, vitrée, pavée, comme la precedante, nous aurions trouvé que la porte de lad. sacristie est fort epaisse, doublée de bandes de fer, et fermant à trois serrures, qu’il y a au milieu une grande table couverte d’un tapis de drap vert, sur laquelle on prepare les ornements lorsque le sieur archeveque ou quelqu’un des chanoines doit faire l’office aux jours de solemnité, une autre petite table à costé, couverte aussy d’un tapis vieux avec un grand crucifix d’ivoire au-dessus et un vieux sur ciel de bois, et une autre table à l’entrée et sous le degré de bois par lequel on monte à un petit plancher, qui occupe une partie de lad. sacristie au-dessus des tiroirs ouÌ on tient les ornements precieux.
Et ayant fait ouvrir l’armoire qui est du costé du midy dans l’épaisseur de la muraille, ayant environ deux pieds de profondeur, six de largeur et dix de hauteur, bien boisée en bas et des cotés, où on tient les reliquaires, aprés avoir salué avec reverence les reliques, nous aurions enjoint à M. Cesar Angles, sacristain dud. sacraire, de nous exhiber lesd. reliquaires, lesquels il auroit mis sur la table qui est au milieu de lad. sacristie :
Premierement une image d’argent doré representant Nostre-Dame, qui tient sur le bras gauche son Fils qui porte une couronne impériale aussy d’argent doré, entourée de six pierres precieuses, et un globe avec une croix chargée de quatre perles, estant lad. image du poids de soixante et treize marcs, compris les couronnes et pieds d’estail, et ayant esté donnée par le sieur Barrat33, chanoine et precenteur34, comme il resulte de l’inventaire et des armoiries qui sont aud. pieds d’estail, les pierres precieuses et perles dont est marqué le deficit à la marge dud. inventaire n’ayant pas esté remises, et la bague marquée aud. inventaire y estant encore.
- 35 Paris, Musée du Louvre. Le trésor de Saint Denis, p. 247.
- 36 AD Aude, 1Q 2150, nº 1, p. 10 : « La statue de la saint Vierge en argent doré ornée de quelques pie (...)
- 37 Ibid. : « (…) et de la main droite une fleur en argent ».
- 38 NARBONNE, Louis. La cathédrale Saint-Just de Narbonne, p. 229.
17Cette statue d’argent doré, surmontant un piédestal, est offerte par Hugues Barrat, originaire d’Italie et précenteur à Saint-Just de 1341 à 1362, soit pendant la prise de possession de la cathédrale et la constitution du nouveau trésor. Elle relève de la même iconographie que la Vierge à l’Enfant de Jeanne d’Évreux, fabriquée un peu plus tôt, entre 1324 et 133935. Celle de Narbonne toutefois n’est pas un reliquaire. De plus, elle est conçue dans un style plus impérial. L’Enfant porte une couronne fermée et tient un globe terrestre surmonté d’une croix perlée : deux insignes impériaux qui manifestent sa toute-puissance. La Vierge porte aussi une couronne, certainement de même forme36. L’inventaire de 1790 précise que la Vierge tient une fleur dans la main droite37 ; on peut supposer qu’il s’agit d’une fleur de lys, comme celle que porte la Vierge de Jeanne d’Évreux, ou bien d’une rose. Un savant mélange se retrouve donc dans la statue de Saint-Just, inspirée par le style parisien et une esthétique impériale qui commence à se développer au XIVe siècle. Elle porte une « bague », soit un pendentif, ce qui n’est pas du tout rare. Les statues et même les reliquaires sont souvent ornés de bijoux, de broches et autres atours portés par les personnes de haut rang. Louis Narbonne transcrit un fragment d’un inventaire « daté de quelques années avant la Révolution » où cette bague est décrite : « une bague ayant au milieu une grosse pierre en forme de couleur de saphir et treize petits grenats ou turquoises (...)38 ». Ce pendentif d’une grande richesse a peut-être été offert par quelqu’un d’autre que le précenteur Hugues Barrat.
2. Un grand reliquaire d’argent doré avec son pied d’estail porté par six lyons, servant pour exposer le trés Saint-Sacrement, lequel reliquaire n’estoit autrefois que du poids de 82 marcs sen comprendre la croix ; mais il a esté augmenté de beaucoup depuis deux ans, le chapitre l’ayant fait refaire et y ayant employé pour l’augmenter ou pour la facon quelque argenterie de laquelle il sera parlé dans la suitte. On n’expose led. reliquaire que quand led. Saint-Sacrement est à Saint-Just par tour, et durant l’octave de la Feste-Dieu ; à cause de la grandeur et de la pesenteur, on ne donne pas la benediction avec le Saint-Sacrement le soir, et on se contente de faire chanter deux motets en musique et de faire dire les oraisons ordinaires ; il est vray qu’on expose encore led. grand reliquaire les jours des plus grandes solemnitéz ausquelles on met toutes les reliques sur le maître-autel. Et pour lor, afin que le peuble connoisse que le Saint-Sacrement n’est point exposé, il n’y a point de luminaire sur led. autel et on n’abaisse pas le bassin des lampes.
- 39 AD Aude, G 36, fol. 127.
- 40 C’est Louis Narbonne qui le précise : op. cit., p. 225 et p. 197 (« (...) le grand reliquaire, c’es (...)
18Il est possible que cet objet ait été fabriqué au Moyen Âge et que les chanoines aient décidé en 167639 de l’enrichir d’argent doré, de perles et de pierres précieuses ; mais il est plus probable que sa fabrication date seulement du début du XVIIe siècle, au regard de sa forme de soleil40. Sa hauteur globale atteint presque deux mètres. Il est surmonté d’une croix et porté par six lions. Dès le Bas Moyen Âge, de nombreux reliquaires sont portés par des anges ou des animaux. Il est mutilé et fondu en 1793. Nous ne pouvons pour l’instant établir aucune comparaison avec un objet d’un autre trésor.
- 41 L’évêque de Narbonne saint Théodard († 893 ?), a fait présent de cette insigne relique à sa cathédr (...)
3. Un autre reliquaire d’argent doré appellé Lignum Crucis parce qu’il y a du bois de la Vraye Croix, avec son pieds d’estal supporté par quatre lyons d’argent doré. Dans led. reliquaire a esté trouvé une petite portion dud. bois de la Vraye Croix41 proprement enchassée ; il y manque trois petites pointes, une pierre precieuse et une perle, des ornements de la piramide, comme il est marqué à la marge de l’inventaire, duquel il resulte que led. reliquaire, fait en forme de piramide, est du poids de trente trois marcs, et a esté donné par le sieur Barrat, précenteur, dont les armoiries sont au pied en quatre ecussons emailléz.
- 42 Les trésors des églises de France, nº 523, Pl. 105.
19Sorti lors des processions générales et grande source de fierté pour la primatiale, ce reliquaire est aussi aux armes de Hugues Barrat. Il date donc certainement du milieu du XIVe siècle. Son piédestal est porté par quatre lions d’argent doré, ce qui devient alors de plus en plus courant. En revanche, le reliquaire se distingue bien davantage par sa forme pyramidale. Nous ignorons si c’est une châsse pyramidale classique ou si sa forme est plus atypique, comme celle du reliquaire de la Vraie Croix de Lamothe-Capdeville, conservé dans l’église d’ardus. Ce dernier est fabriqué au XIIIe siècle, dans le Tarn-et-Garonne, pour l’Abbaye de Grand-selve42. Il est donc fort possible que le reliquaire de Narbonne s’inscrive dans cette esthétique du Sud-ouest et s’inspire de cet objet.
4. Un autre reliquaire d’argent doré, appellé la Sainte Espine, parce que dans une boette de christal ronde, de la longueur de demi-pied, il y a une image d’argent representant un ange qui tient en ses mains la Sainte Espine. Ce reliquaire est fort beau, et du poids de neuf marcs et demy, ayant esté donné par le sieur de Saconis, archevesque, comme il resulte de l’inventaire et des armoiries qui sont au pied.
- 43 Francois de Saconay, qui essaya de déposer Francois de Conzié en 1398, sans succés.
- 44 Reims, Palais du Tau. Les trésors des églises de France, notice nº 137.
20Offert par François de Saconay43, qui ne fut pas archevêque malgré ses habiles calculs, il est très sûrement fabriqué au tournant du XIVe et du XVe siècle, alors que les cathédrales qui n’en ont pas encore tentent toujours d’obtenir une épine de la Couronne du Christ. Le reliquaire de Saint-Just se présente sous la forme d’un cristal rond, d’environ vingt centimètres de hauteur, dans lequel un ange d’argent tient la précieuse relique de la Passion. Il ressemble au reliquaire de la Sainte-Épine de la cathédrale de Reims44, fabriqué en 1460‑1470, soit quelques décennies plus tard. Toutefois, l’ange à Narbonne semble être lui-même enfermé dans le cristal rond, alors que celui de Reims est au-dessus du cristal qui est de forme ovale. Mais dans les deux cas, c’est un ange qui tient la relique. Nous ignorons comment celle du reliquaire de Narbonne est présentée : dans une couronne d’épine, comme à Reims, ou directement visible, puisque le cristal fait office d’écran de protection. En tout cas, il est intéressant de voir que ces deux reliquaires qui contiennent une relique identique se ressemblent très singulièrement.
- 45 Pierre de La Jugie. (1347‑1375).
5. Un autre reliquaire d’argent doré en forme d’une teste avec ses espaules sur un pied d’estal carré, porté par quatre anges, ayant chacun un genouil à terre, et sur une table d’argent, portée par quatre lyons. Dans led. reliquaire et par l’ouverture carrée qui est au sommet de la teste, le christal ayant esté oté, ont esté trouvéz des ossements de la teste de saint Just qui avoient esté visitées par M. de Rebé, comme il paroit par le billet qu’il y fit mettre ; led. reliquaire est de poids de quarante sept marcs et une once, et a esté donné par le sieur Pierre de Judicia45, cardinal et archevesque de Narbonne, ainsy qu’il resulte dud. inventaire et des armoiries.
21Ce reliquaire anthropomorphe a été offert par Pierre de La Jugie, au cœur du XIVe siècle. Le piédestal de ce buste est différent de celui d’un buste-reliquaire classique : quatre anges, faisant une génuflexion sur une table portée par quatre lions, tiennent le plateau carré sur lequel le buste est posé. Le socle du buste de saint Just est donc très complexe puisqu’il s’élève sur plusieurs niveaux. Bien souvent, les bustes ou les statues sont simplement posés sur un plateau supporté par des petits anges ou des lions. On retrouve exactement la même disposition pour le reliquaire de la Vraie Croix de l’église de Jaucourt46, qui date du XIIe ou du XIIIe siècle. Le socle et les anges datent de 1320‑1340, ce qui coïncide parfaitement, à quelques années près, avec la fabrication du reliquaire commandé par Pierre de La Jugie. L’attention accordée à cette pièce provient certainement du fait que saint Just est l’un des patrons de la primatiale.
- 47 Évêque de Narbonne de 885 à 893 ( ?). Il fait l’objet d’une vénération particulière à Saint-Just en (...)
6. Un autre reliquaire en forme de teste, avec les epaules appellé de saint Theodard47, archevesque de Narbonne, par ce que à l’endroit de la poitrine sont enchassées les reliques de ce saint, qui ont esté trouvées en bon estat dans une petite chasse couverte d’un verre et laquelle avait deja besoin d’estre reparée lors de la visite de M. de Rebé, comme il en conste par son ordonnance de visite à laquelle portant il n’a pas esté satisfait. Ce reliquaire d’argent est du poids d’environ dix neuf marcs, six onces et a esté donné par led. sieur de Judicia, ainsy qu’il resulte dud. inventaire et des armes.
- 48 Mémoires d’orfèvres, p. 126.
22Ce buste, également offert par Pierre de La Jugie, ne repose pas sur un piédestal aussi travaillé que celui du buste de saint Just. Il est sûrement posé sur un plateau assez sobre qui ne mérite pas une description précise. Il correspond parfaitement à la vogue des bustes d’évêques, très répandue depuis la fin du Haut Moyen Âge dans le Centre et le sud de la France. À titre d’illustration, nous renvoyons au buste de l’évêque saint Polycarpe (fig. 6)48, conservé dans la commune du même nom (Aude, arr. Limoux, église de la Purification) et fabriqué au XIVe siècle. Les reliques sont aussi logées au niveau de la poitrine, dans une petite boîte de verre. Le buste offert par le cardinal de la Jugie doit sûrement être coiffé d’une mitre ornée de pierres, de cabochons ou de perles, à l’instar du buste de saint Polycarpe.
Fig. 6.
Saint-Polycarpe (Aude), église de la Purification ; buste-reliquaire dit de saint Polycarpe
Claude Bertrand © DRAC/CRMH Languedoc-Roussillon
7. Un autre reliquaire d’argent en forme de bras, appellé le bras de saint Just parce que dans la chasse qui est au milieu, couverte d’un verre, il y a des reliques de ce saint ; lesquelles, estant visitées, ont esté trouvées au mesme estat que M. de Rebé les avoit mises lors de sa visite. Le reliquaire est de poids de onze marcs, deux onces, et il y ma[n]que beaucoup de pierreries, de mesme qu’aux precedantes, ainsy qu’il resulte de l’inventaire.
8. Deux images d’argent doré representant l’une saint Just et l’autre saint Pasteur, tenant d’une main une palme et de l’autre un christal en forme de boette enchassée d’argent doré, dans lequel il y a des reliques de ces deux saints, chaqu’une desd. images estant du poids d’onze marcs, suivant l’inventaire, et ayant besoin d’estre reparées par ce que les testes sont enfoncées en plusieurs endroits.
- 49 La statue-reliquaire de sainte Foy à Conques tenant la palme du martyre donne un exemple de la repr (...)
23Fabriquées à l’identique, ces deux statues d’argent doré sont conçues pour être portées, exposées et vénérées ensemble. Elles remontent très certainement au Bas Moyen Âge. Les deux saints tiennent la palme du martyre49 et un reliquaire de cristal enchâssé dans une armature d’argent, où reposent leurs propres reliques. L’inventaire de 1790 précise que les statues sont disposées en miroir :
- 50 AD Aude, 1Q 2150, n°1, p. 10.
Deux statues en argent doré, l’une représentant saint Just tenant dans la main droite un reliquaire et de l’autre main gauche une palme aussi argent doré, et l’autre statue aussi argent doré représentant saint Pasteur tenant dans la main gauche un reliquaire et de l’autre une palme le tout aussi argent dore50.
- 51 Les trésors des églises de France, nº 600, Pl. 177 et Mémoires d’orfèvres, p. 135.
24La taille des statues ne doit pas être très grande. Les statuettes-reliquaires sont très répandues dans le Languedoc-Roussillon : on peut évoquer celle de saint Martin de Limoux (fig. 7), qui date du XVe siècle51. La taille modeste n’empêche pas la finesse du traitement des personnages. Les statues des deux enfants martyrs ont dû faire l’objet d’un travail aussi raffiné.
Fig. 7.
Limoux (Aude), église Saint-Martin ; statue-reliquaire de saint Martin
Claude Bertrand © DRAC/CRMH Languedoc-Roussillon
- 52 Unité de mesure servant à l’origine pour le vin.
9. Un couppe de christal soutenue par deux bandes d’argent, avec une croix et son pied aussy d’argent, avec deux petits anges tenant un croissant d’argent doré, et ce reliquaire sert pour exposer le Saint-Sacrement ; est du poids de huict marcs suivant l’inventaire.
10. Un autre reliquaire d’argent doré en forme de colomne avec un christal rond où sont les reliques de saint Eutrope et autres saints, pesant led. reliquaire six marcs et deux onces.
11. Un autre petit reliquaire d’argent doré avec son pied fait à quatre pointes en forme de treff[l]es emaillées de quatre evangelistes à deux branches sortant de la tige, sur lesquelles il y a deux anges qui supportent un christal dans lequel il y a diverses reliques, estant led. reliquaire du poids de cinq marcs, trois onces et demi et trois ternals52, suivant le mesme inventaire.
12. Une image de sainte Magdeleine avec son pied d’estal soustenant un cristal bordé d’argent en forme d’une coste que lad. image soutient des deux mains, et dans led. christal il y a de[s] reliques de sainte Magdeleine et une dent de saint Pierre ; et ce reliquaire est du poids d’onze marcs, sept onces et demy et un ternal.
- 53 Nous pouvons évoquer simplement le reliquaire de la côte de saint Pierre, conservé à Namur et fabri (...)
- 54 Annales de l’église cathédrale de Noyon jadis dite de Vermandois, Jacques Le Vassuer, Paris : 1633, (...)
25La particularité de ce reliquaire provient de la forme du cristal porté par la statue de la sainte en argent doré : il est en forme de croissant. Le croissant est d’ordinaire réservé pour abriter les fragments des côtes des saints53. En effet, les Annales de l’église cathédrale de Noyon54 font état d’un reliquaire de forme identique qui conserve une côte de saint Laurent. Les reliques contenues dans le cristal tenu par sainte Madeleine ne sont pas énumérées avec précision. Nous ignorons donc si cette statue-reliquaire contient une côte de la sainte, mais nous pouvons le supposer en raison de la forme spécifique du cristal.
13. Un autre petit reliquaire d’argent doré avec un christal où il y a plusieurs reliques, lequel reliquaire a servy autrefois pour exposer le Saint-Sacrement, et est du poids de deux marcs, trois onces.
Dans la mesme armoire où on tient les reliques, ont esté trouvéz trois cassetes remplies de divers ornements et reliques de saints, qui sont plus à plain especifiées et denommées dans le procéz verbal de la visite de M. de Rebé ; et led. M. Cesar Angles, sacristain, nous ayant representé la chapelle d’argent donnée par M. de Rebé, consistant en une croix à tenir sur l’autel, dix chandeliers, un calice avec sa paténe, une cuvette avec deux burettes, deux paix, un bassin rond, deux bassins en ovale, un vase, un benitier avec son goupillon, deux encensoirs et deux navettes, un bougeoir, une boette à tenir les hosties, pesant le tout trois cens six marcs, trois onces, trois gros, laquelle argenterie est trés bien travaillée, tenue fort proprement dans les estuits faits exprés, et enfermée en deux coffres en la maniere qu’elle fut donnée par led. sieur de Rebé, resultant de l’inventaire de quel poids est chacune des pieces de l’argenterie en particulier.
26La cathédrale de Saint-Just possède des reliquaires essentiellement offerts et fabriqués à la fin du Moyen Âge. Le XIVe et le XVe siècle brillent par leur faste. Le trésor de la primatiale s’insère dans l’art méridional et participe pleinement à la vogue de certains modèles, mais les mécènes n’hésitent pas non plus à offrir des pièces plus singulières.
- 55 antoine du Bec-Crespin, archevêque de Narbonne de 1460 à 1472.
- 56 Les croix dites patriarcales sont dotées d’une traverse supplémentaire, placée au-dessus de la trav (...)
Et nous ayant led. sacristain exhibé les croix processionnales, nous aurions trouvé :
1. Une grande croix d’argent doré ayant une petite chasse au-dessus du Christ, où il y avoit autrefois du bois de la Vraye Croix, et cette croix pesoit que 21 marcs, devant qu’on eut fait le bouton d’argent duquel elle a esté augmentée.
2. Une autre archiepiscopale de vermeil doré avec son manche cizellé des armes de M. de Rebé qui l’a donnée, dont on n’a sceu dire le poids et qui ne s’est pas trouvé inventorié.
3. Une autre croix d’argent doré avec son pied fait à losanges ; il y a longtemps que cette croix a besoin d’estre reparée, y ayant plusieurs feuillages rompus ; elle est du poids de trente marcs ou environ, et a esté donnée par le sieur Crispinié55, comme il paroit à l’ecusson de ses armes.
4. Une autre croix double ou patriarchale56 d’argent doré, ayant une agathe de chaque face au milieu du croissillon representant en cizeleure la face d’un homme, estant du poids de cinquante marcs, cinq onces et demy.
5. Une autre croix patriarchale d’agathes assemblées par des lames d’argent doré, avec une image d’un crucifix, et au plus haut croissillon une petite croix aussy d’argent, où est enchassée une petite piece de bois de la Vraye Croix avec un boutton aussy d’argent chargé de huit roses d’esmail, de laquelle croix le poids de l’argent ne se trouve pas specifié dans les inventaires.
6. Encore une autre croix du poids de sept marcs, deux onces et demy ayant une forme de calice sous le pied et aux deux cottés les images de la sainte Vierge et de saint Jean.
7. Deux croix de christal.
- 57 Mémoires d’orfèvres, p. 160 à 162.
27Les croix de cristal d’Ouveillan et de Saint-Féliu-d’Amont (fig. 8 et 9) peuvent donner une idée de ce qu’étaient ces deux croix, qui ne sont pas du tout décrites dans la visite57. Le cristal semble être très prisé pour les croix processionnelles dans le Languedoc-Roussillon. Certains pensent même que celle d’Ouveillan est l’une des croix du trésor de Saint-Just. Rien ne permet encore de l’affirmer.
Fig. 8.
Ouveillan (Aude), église Saint-Jean-l’Évangéliste ; croix processionnelle de cristal
Claude Bertrand © DRAC/CRMH Languedoc-Roussillon
Fig. 9.
Saint-Féliu-d’Amont (Pyrénées-Orientales), église Sainte-Marie ; croix processionnelle de cristal de roche
Claude Bertrand © DRAC/CRMH Languedoc-Roussillon
- 58 Biffé : et Demy.
- 59 Seul le précenteur peut la tenir lors des offices et des processions.
- 60 François Hallé, archevêque de Narbonne de 1484 à 1492.
- 61 Ce terme d’aiguille peut faire allusion à une tige de métal ou petite spatule permettant le mélange
- 62 L’acte de cette réparation, qui date du 1er janvier 1676 et qui est surtout un embellissement consi (...)
8. Une petite croix du poids d’un marc, une once et quatre deniers, sans pied et sans aucune doreure, et n’ayant point le Christ, servant lad. croix au grand autel pendant le Caresme.
9. Une autre petite croix emaillée aux quatre bouts, pesant quatre marcs et demy once, et servant tous les jours aux messes du grand autel.
10. Un croix processionnale avec les armes du chapitre, qui sert tous les jours aux processions et absolutions, et est de huit marcs une once et demy, n’ayant aucun bois au-dedans pour soutenir l’orfevrerie.
Nous auroit encore exhibé led. sacristain la chapelle d’argent vermeil doré donnée par M. de Vervins, consistant en une croix pour tenir sur l’autel, du poids de huit marcs, deux onces et demy, six chandeliers, les deux plus grands du poids de dix marcs, cinq onces, les deux mediocres de huict marcs une once et demy, et les deux plus petits de sept marcs, une once58, six gros, et un bougeoir pesant un marcs et cinq onces et demy, et un calice aussy de vermeil doré et cizelé à personnages avec sa patene pesant quatre marcs quatre onces et six gros, une boette pour tenir les hosties aussy de vermeil doré et cizelé à personnages, dont le couvercle sert pour donner la paix, et pese lad. boette deux marcs, et deux burettes et un vase pour les tenir, pesant lesd. deux burettes deux marcs une once, et un bassin et une aiguiere aussy de vermeil doré, duquel bassin et aiguiere et vase de burettes le poids n’est pas marqué dans l’inventaire, et enfin aux cremieres desquelles M. de Vervins se servoit. Toute laquelle argenterie de vermeil doré et marquée de ses armes, comme aussy le benitier et le goupillon donné par led. sieur de Vervins.
Et procedant à la visite du reste de l’argenterie qui est dans le sacraire, led. M. Angles nous auroit presenté cinq bourdons qu’on met autour du lutrin le jour de solemnité, dont le premier est la ferle59 ou baton precentorial d’argent doré et fort beau, du poids de huict marcs, six onces, sans y comprendre le baston ou pied d’argent de lad. ferle, dont l’inventaire ne marque pas le poids ; le[s] deux bourdons qui servent pour les chanoines sont aussy d’argent doré, fort beaux et à six faces avec leur baston d’argent, dont le poids n’est pas aussy marqué dans led. inventaire ; et les deux derniers qui servent pour les conduchers sont aussy d’argent avec leurs batons, et du poids de cinq marcs et demy et deux ternals sans comprendre l’argent desd. batons, ainsy qu’il resulte dud. inventaire.
Nous auroient esté exhibéz deux masses d’argent pour les bedeaux et deux batons d’argent servant de manches aux croix processionelles dont on n’a sceu dire le poids ; et visitant les calices, nous avons trouvé que depuis les dernieres visites, par deliberation du chapitre et du consentement de nostre grand vicaire, pour l’augmentation du grand reliquaire qui sert à exposer le Saint-Sacrement, outre le benitier et le goupillon d’argent doré donné par M. Hallé60, archeveque de Narbonne, qui estoit du poids de cinq marcs sept onces et demy, on a employé un calice d’argent doré dedans et dehors et emaillé du poids de six marcs trois onces et dix-huit deniers, qui avoit esté donné par le sieur Hallé, et un autre calice d’argent doré du poids de deux marcs, deux onces et demy et un ternal, et qu’on a vendu à M. Boyer, beneficier, un autre calice du poids de deux marcs et demy, pour le prix de soixante-dix livres employées à la facon dud. reliquaire, outre les cinq calices qui ont esté trouvés dans la grande sacristie, plusieurs desquels ont besoin d’estre reparéz, et les deux de Vervins et de Rebé.
Led. sacristain nous auroit exhibé quatre calices, deux desquels sont au pouvoir du curé pour le service du maistre-autel et des messes de Nostre-Dame, et les deux autres entre les mains du sacristain, qui nous auroit pareillement representé deux crosses pastorales d’argent doré, dont l’une est du poids de treize marcs et une once et deux ternals, et l’autre du poids de treize livres trois quarts poids de romaine, et toutes deux fort bien travaillées, comme aussy 22 pectoraux, cinq desquels sont d’argent dont le premier est chargé de trois boutons de perles et les quatre autres de diverses pierres precieuses et emaillées, et les dix-sept restants sont de cuivre doré avec des pierres precieuses enchassées dans les chatons d’argent.
Et finalement nous auroit exhibé led. sacristain trois livres servant pour les epitres, pour les Evangiles et Canons de la messe, couverts de plaques d’argent, ornées de diverses figures, deux chandeliers d’argent, desquels on se sert ordinairement au maitre-autel, et pour les enfans de cœur, deux encensoirs, une navette, trois fioles d’un pied et demy d’hauteur servant pour faire les saintes huiles, une assiette d’argent dorée dedans et dehors avec deux anneaux pour la tenir, servant à dissoudre le beaume lorsqu’on fait le Saint-Creme, avec deux eguille61 et une petite cuilliere aussy d’argent doré, et deux mittres precieuses trés riches ausquelles il manque quelques pierres precieuses et quelques perles, comme il est marqué dans l’inventaire, ayant remarqué que la plus grande partie des reparations ordonnées par M. de Rebé dans la visite n’ont pas esté faites, tant à l’egard de toute l’argenterie que desd. mittres et que suivant led. inventaire on a diverty les croix pectorales et quelques anneaux d’or donnéz par les precedants archevesques pour la reparation du grand reliquaire62.
28La visite fait peu de cas des objets dédiés à la célébration de la messe et aux chapelles d’orfèvrerie. Seulement deux chapelles complètes sont conservées, offertes par Mgr de Vervins et Mgr de Rebé. Leur description reste des plus succinctes. Nous apprenons que des calices et d’autres objets ont été fondus en nombre pour enrichir le grand reliquaire. Les campagnes de travaux pour achever la cathédrale sont certainement en partie responsables de ces fontes et de la modestie des collections du Sacraire.
29On peut citer néanmoins la chapelle aux armes d’Édouard Colbert, marquis de Villacerf (1667, trésor de la cathédrale de Troyes) : elle fait partie des rares chapelles d’orfèvrerie du XVIIe siècle encore conservées et permet ainsi d’imaginer la richesse de celles que les prélats narbonnais ont offertes au trésor de leur cathédrale.
- 63 Georges d’Amboise, archevêque de Narbonne de 1482 à 1484 et de 1492 à 1494.
Et procedant à la visite des ornements qui sont dans le mesme sacraire, led. M. Angles, sacristain, nous auroit exhibé :
1. Une chasuple avec deux dalmatiques d’or frisé à double frise, avec grands ramages ronds, avec les auffrés d’or avec ramages de soye rouge et y sont les armoiries de M. d’Amboise63 qui les a données et celles de l’église, avec une etole et deux manipules de mesme etoffe, et y a une autre etole d’or garnie au bout de boutons avec de flots de soye rouge pendants ; les deux colets sont faits avec cercles de perles, y en manquant toutefois quelques unes suivant qu’il est marqué aud. inventaire.
30Cet ensemble est d’une extrême richesse. Il est tissé en fil d’or « frisé à double frise ». Les termes de fil frisé sous-entendent l’usage d’une lame d’argent doré enroulée en spirale plus ou moins serrée autour de fils de base en soie appelés âme. Ici, il semble qu’il y ait deux lames enroulées autour de chaque fil. Sans savoir exactement de quel tissu il s’agit il apparaît néanmoins que c’est un tissage de luxe ; Mgr d’Amboise, qui a été archevêque à deux reprises pendant le dernier quart du XVe siècle, offre donc des ornements au goût du jour. Les orfrois sont brodés de ramages de soie rouge sur fond or, dans lesquels figurent les armoiries du cardinal. La couleur de cette chasuble indique très clairement qu’elle est sortie les jours de grande fête, comme Pâques et Noël. Il n’y a aucune mention de personnages brodés.
31Les dalmatiques, assorties à la chasuble, sont munies de collets, pièces décoratives portées autour du col par les diacres et sous-diacres, par-dessus la dalmatique. Ils sont bien plus courants en Espagne ; la proximité de la frontière espagnole explique leur très grand nombre dans le trésor de Saint-Just. Ils sont ornés de petits cercles de perles, motif très à la mode dès la fin du Moyen Âge. Les toutes petites perles sont appelées « semences ». Malgré leur succès, elles restent un signe de grande richesse. On peut rapprocher ces motifs de ceux qui ornent le parement offert par Mgr d’Harcourt et de tous les ornements qui semblent lui être assortis, à défaut de porter les mêmes armes : tous sont décorés de cercles de perles où les lettres JHS sont aussi brodées en perles. Nous renvoyons le lecteur à plusieurs exemples de collets qui datent du XVIe siècle (fig. 10)64.
Fig. 10.
Le Puy-en-Velay (Haute-Loire), cathédrale Notre-Dame ; collet de dalmatique
Alain Rousseau © Collection Cougard-Fruman – Mécénat Fondation Zaleski
2. Une chasuple de drap d’or frisé avec ramages de velours cramoisy rouge, les auffres sont faites avec histoire de la Passion ; les dalmatiques sont de drap d’or de mesme couleur, et non pas de mesme etoffe ; les parements sont de velours vert semez de toilles d’or, bordéz au costéz d’une grande bande de velours rouge, une etole, trois manipuls et deux colets de mesme etoffe, autre etolle de tabelle faite à personnages, avec franges de soye, couleur d’orenge au bout avec un manipule de mesme.
32Il est très probable que l’étoffe soit la même que celle de l’ensemble précédent. Le drap d’or, déjà bien connu au XIIIe siècle, est le textile le plus luxueux au XVIe siècle. Cette chasuble et ses dalmatiques datent certainement de cette époque ou de la fin du siècle précédent. Nous ne revenons pas sur le frisé ; l’étoffe de ces ornements ressemble très fortement à celle de ceux donnés par le cardinal d’Amboise.
- 65 Trésors des cathédrales d’Europe. Liège à Beaune, p. 145‑151.
33Les orfrois sont brodés de scènes représentant la Passion, c’est-à-dire les différents moments qui précèdent la mort de Jésus-Christ, mais aussi sa Résurrection. On peut mentionner, pour illustrer les orfrois, la somptueuse chasuble de david de Bourgogne confectionnée au XVe siècle. Le tissu de fond est en velours cramoisi piqueté d’or, mais les orfrois brodés d’or sont aussi ornés de scènes de la Passion65. La Crucifixion se trouve naturellement au croisement des deux montants de la croix. Le thème de la Passion n’a rien de surprenant sur une chasuble : il traduit visuellement ce qui se passe mystiquement sur l’autel.
34Les parements des dalmatiques, qui peuvent être des bandes (les clavi) ou des rectangles cousus dans leur partie inférieure ou sur les manches, sont parsemés d’étoiles brodées. La collection de la Fondation de l’Abbaye de La Lucerne d’Outremer (Manche) conserve un velours du XVIe siècle décoré de ce type d’étoiles (fig. 11).
Fig. 11.
La Lucerne d’Outremer (Manche) ; abbaye de La Lucerne ; détail d’une étoile brodée sur un fragment de chasuble en velours rouge
J. Pagnon © CG Manche
- 66 Il s’agit de Blanche de Navarre, (1333‑1398), épouse en secondes noces de Philippe VI de Valois.
3. Une autre chasuple de velours rouge semée d’angels de broderie ; les offres sont de pieces rapportées ouÌ il y a beaucoup de perles ensemencées, et y sont les armoiries de la reyne Blanche66 doublé de boucassin jeaune. Il y a une etolle et manipule de meme etoffe.
- 67 Encyclopédie : « nom que l’on donnoit autrefois à certaines toiles gommées, calendrées, & teintes d (...)
35Cette chasuble, doublée de boucassin67, qui sert très souvent de doublure sous l’Ancien Régime, est une pièce composite : les orfrois, où figurent les armoiries de la Reine Blanche de Navarre, ont été appliqués sur un textile vraisemblablement plus récent (XVe-XVIe siècles). Ces orfrois sont parsemés de semences de perles, mais la description reste très vague.
- 68 Trésors des cathédrales d’Europe. Liège à Beaune, p. 153.
36L’étoffe même de l’ornement est en velours rouge semé d’anges brodés. Il est très possible que cette chasuble ait été confectionnée en Angleterre. La broderie d’outre-Manche, surnommée opus anglicanum, est en plein apogée au XIIIe et au XIVe siècle, et décline progressivement au début de la Renaissance ; les points de broderie s’apparentent à l’art de l’orfèvrerie et de la joaillerie par leur extrême finesse et la quantité remarquable des fils d’or et d’argent. Les séraphins, souvent à quatre ou six ailes, sont un motif typique de ce courant esthétique. Cette chasuble dite « de la Reyne Blanche » ressemble très fortement à celle de l’église de Millen (fig. 12), conservée au trésor de la cathédrale de Liège : celle-ci est également en velours brun semé d’anges brodés68.
Fig. 12.
Liège (Belgique), cathédrale Saint-Paul ; chasuble de l’église de Millen (Belgique)
© Jean-Pierre Pirenne
4. Plus un autre chasuple de damas rouge cramoisin parsemées de roses d’or, dont les auffres representent l’histoire de la Passion et relevés. Les dalmatiques sont paréz de damas rouge figuré à ramages, et y sont les armoiries de celuy qui les a données, deux etolles, trois manipules et deux colets qui sont de mesme etoffe.
5. Aurions trouvé une chasuple de velours rouge parsemée de croix potencées de Jérusalem, dont les auffres sont faites à doubles personnages. Les deux dalmatiques sont de mesme etoffe et facon sans parements, et il y a deux etoles, trois manipules et deux colets de meme parure ; et à lad. chasuple sont les armoiries de M. Egidius Gaillard69, archidiacre de Corbieres, qui les a données.
- 70 PRIVAT-SAVIGNY, p. 61.
37Gilles Galhard, archidiacre des Corbières au XVIe siècle, figure parmi les plus généreux donateurs. Le velours est une sorte de drap de soie extrêmement prisée au Bas Moyen Âge. Il est fabriqué en orient, puis en Italie et en France, notamment à Lyon et à Avignon. On retrouve les croix de Jérusalem sur une dalmatique conservée au Musée national de la Renaissance : cette pièce date aussi du XVIe siècle et permet de constater que ce motif apparaît sur d’autres ornements français70.
38Les orfrois « à doubles personnages » sont ornés de deux figures placées sous une seule arcature. La chasuble de l’église Notre-dame de Cérences (fig. 13), dont les orfrois sont un peu plus anciens, offre un bel exemple de motif « à doubles personnages »71. Ce décor est relativement courant sur les pièces brodées, tant sur les chasubles que sur les chapes.
Fig. 13.
Cérences (Manche), église Notre-Dame ; chasuble ornée d’un orfroi brodé vers 1500
P.-Y. Le Meur © CG Manche
- 72 Pierre Gaitany, précenteur, † 1447.
6. Une chasuble ensemencée d’etoiles d’or en broderie, ayant les cercles et le nom de Jesus dedans escrit, le tout de perle, dont les auffres sont faites à double personnages en forme de galerie. Les parements des dalmatiques sont de velours bleu avec un grand soleil, et dedans est le nom de Jesus ecrit en perle comme dessus, et il y a deux etoles, trois manipules et deux colets de mesme parure.
7. Plus nous auroit presenté led. sacristain une chasuble de velours rouge semée de coulombes d’or portant un rameau d’olivier au bec, dont les auffres sont faites avec histoires representant l’Invention Sainte-Croix. Les dalmatiques sont parées de damas bleu avec feuillages d’or en broderie, faits en forme de cercle, ausquels sont les armoiries de M. Gaytany72, chanoine ; il y a aussi deux etoles, trois manipules, de deux colets.
39Ces ornements se distinguent par leur décor : des colombes d’or tenant un rameau dans leur bec. Les orfrois représentent un épisode particulier : l’Invention de la Croix par sainte Hélène. Nous n’avons pas trouvé d’œuvres conservées qui leur ressemblent. Pierre Gaitany est mort en 1447 : ces pièces datent donc très certainement de la première moitié du XVe siècle.
8. Une dalmatique qui sert à porter la croix et donner l’encens, de velours incarnat semé de coulombes blanches portant rameaux d’olivier au bec, avec deux colets de mesme parure.
9. Item une chasuple antique de diapré rouge figuré à gros oyseaux d’or, doublée de coucassin rouge, dont les auffres de tabelle sont faits en forme de cercles avec de petits granats blancs, violets ; les deux dalmatiques ne sont pas de mesme etoffe, mais sont de diapré incarnat figuré à petits ramages d’or. Les parements sont de velours violet seméz d’etoiles d’or ; il n’y a seulement que deux colets de l’etoffe desd. dalmatiques, une etole, trois manipuls, et deux colets de l’etoffe de la chasuble, autre etole de vieille etoffe bigarrée avec le manipule.
- 73 Encyclopédie : terme de Blason, qui se dit des fasces, paux et autres bigarrées de différentes coul (...)
- 74 Trésors des cathédrales d’Europe. Liège à Beaune, p. 142.
40Le diapré est une étoffe d’une très grande richesse, très colorée, mais les définitions divergent et restent assez imprécises73. Il est ici réhaussé d’oiseaux d’or tissés, et non brodés. Nous ignorons si ce sont des aigles ou s’ils ressemblent davantage à des colombes. Les soieries italiennes représentent très souvent des grands oiseaux, notamment des aigles74 ; les ateliers lucquois sont même très réputés au début du XIVe siècle et pendant tout le Bas Moyen Âge. En l’absence d’armoiries, il nous est impossible de savoir à quelle époque ces pièces ont été confectionnées, mais on peut supposer leur origine transalpine. De nombreux chanoines et dignitaires de Saint-Just viennent d’Italie et ils apportent souvent avec eux de superbes soieries qui sont ensuite taillées et brodées.
41Des grenats blancs et violets rehaussent les orfrois. Une production de grenat se trouve dans les Pyrénées-orientales près de Perpignan.
- 75 Les cardines sont des poissons.
10. Une chasuble de diapré incarnat figuré avec bestions et oyseaux qui ont les pieds d’or et de roses sur les ailes, dont les auffres sont faites à simples personnages, une etolle et un manipule de mesme etoffe de diapre.
11. Une chasuble de diaprée rouge et vert figuré avec bestions et oyseaux qui ont les pieds et testes d’or, dont les auffres sont faites en forme de cercle, ayant chacun dedans la figure d’un demy personnage et au dehors de cardines75. Les dalmatiques ont parements de diapre bleu avec grands ramages d’or, il y a deux etoles, trois manipuls et deux colets de mesme etoffe.
- 76 Trésors des cathédrales d’Europe. Liège à Beaune, p. 154.
42Cette chasuble, dépourvue d’armoiries, semble être typique du XVIe siècle : les orfrois circulaires qui contiennent le buste d’un personnage sont très en vogue à cette époque. On peut citer un détail de la chasuble de velours rouge dite de Charneux (Belgique), conservée au trésor de la cathédrale de Liège 76.
12. Une chasuble de diapre vert figuré à oyseaux qui ont aux pieds, la teste et aux ailes de roses d’or, dont les auffres representent l’histoire de la Passion et Resurrection. Les parements des dalmatiques sont de diapre rouge avec ramages et feuillages d’or ; il y a deux etoles, trois manipuls et deux colets de mesme etoffe.
13. Plus avons trouvé une chasuple de diapre blanc fait avec losanges, ramages et oyseaux d’or et de soye rouge ; les auffres sont faits à l’histoire à l’enfance de Nostre-Seigneur. Il y a aux dalmatiques des parements de diapre rouge avec figure d’arbres et petits bestions d’or, et il y a trois manipules et deux colets d’autre etoffe.
- 77 Trésors des cathédrales d’Europe. Liège à Beaune, p. 155.
43Nous ne pouvons davantage dater cette chasuble, faute d’armoiries. Les orfrois figurent des scènes de l’Enfance du Christ. L’orfroi d’une chasuble du XVIe siècle, qui provient de l’église Saint-Pholien à Liège, représente l’adoration des Mages, mais l’ornement de Saint-Just pourrait tout autant comprendre d’autres épisodes comme la Nativité, l’Adoration des bergers ou encore la Présentation de Jésus au Temple77. Cette comparaison permet simplement d’illustrer en partie ce thème iconographique.
14. Une autre chasuple de diapre violet tirant sur le rouge figuré avec oiseaux et bestions qui ont sur la teste, pieds et ailes de roses d’or dont les auffres sont faits à simples personnages des images des Apostres. Les dalmatiques ont parements de diapre vert figuré avec oyseaux d’or ; il y a deux etoles, trois manipuls et deux colets.
44Là encore, aucun élément ne donne un indice permettant une datation. Les orfrois « à simples personnages », c’est-à-dire qui ne représentent qu’un seul personnage sous une arcature qui évolue selon les modes architecturales, sont très courants. Les Apôtres figurent souvent sur les chasubles comme sur les chapes. Le diapré rouge est très richement tissé. Les oiseaux et autres animaux accompagnés de roses sont présents sur de nombreux autres ornements du Sacraire.
15. Autre chasuble de camelot jeaune avec les auffres satin de Bourges rayé jaune et violet ; deux dalmatiques pour servir en lad. chasuble sont de satin jaune vieux avec les parements de satin de Bourges violet ; il y a deux etoles, trois manipuls et deux colets de la mesme etoffe.
16. Une autre chasuble de damas rouge avec auffres de drap d’or fin avec simples personnages. Les dalmatiques ont parements de damas bleu, il y a deux etoles, trois manipuls de mesme etoffe et deux colets de camelot rouge à ondes.
17. Une autre chasuple de satin rouge avec auffres d’or d’orme et à simples personnages, dont les auffres sont de vieille tabelle et trois manipuls de camelot sans dalmatique, etoles et colets.
18. Une autre chasuple de velours violet semée de planctes de broderie et de soye rouge, dont les auffres sont d’or fin à simples personnages. Les dalmatiques sont avec parements de diapre rouge avec cerfs d’or ; il y a deux etoles, trois manipuls deux colets de mesme etoffe avec les armoiries de [... ] contenant un arbre vert et une etoile, sans dalmatique.
19. Plus une chasuble de diapre vert et rouge figuré à lozanges et au dedans des chateaux, lyons et aigles, dont les auffres sont de tabelle. Les dalmatiques sont sans parements, et il y a deux etoles, trois manipuls, et deux colets de meme.
45Cette description évoque sans détour la chasuble du Bienheureux Thomas Helye († 1256), conservée à Biville (fig. 14)78. Cette pièce du XIIIe siècle, d’origine espagnole, représente en effet des châteaux, des lions et des oiseaux enfermés dans des losanges verts et rouges. L’étoffe de la chasuble de Saint-Just est donc très proche de celle de Biville. L’origine espagnole de cette dernière peut expliquer cette ressemblance flagrante : la primatiale narbonnaise a recours, en raison de sa proximité géographique avec l’Espagne, aux artistes ibériques, et il se peut qu’elle ait commandé cet ornement dans le même atelier que celui où la chasuble de Biville a été confectionnée.
Fig. 14.
Biville (Manche), église Saint-Pierre ; détail de la chasuble du bienheureux Thomas Helye
P.-Y. Le Meur © CG Manche
- 79 François de Joyeuse, archevêque de Narbonne de 1582 à 1600.
20. Un chasuble de velours bleu damassée, qui sert au temps de l’Avent, avec une etole, [m]anipul et deux colets de velours bleu.
21. Autre chasuble, trois dalmatiques blancs, deux etoles, trois manipuls et deux colets qui ne sont pas de la mesme etoffe, de toille d’argent à losanges de ramages de soye verte, au dedans desquels losanges sont les armoiries du sieur cardinal de Joyeuse79, archevesque de Narbonne, qui les a données, en fil d’or, travaillées dans la mesme etoffe, garnies d’une petite natte d’or fin, et tout autour, d’une petite frange de filet d’or fin.
22. Une chasuble rouge, quatre dalmatiques, deux etoles, quatre manipuls, et quatre colets, tout de mesme couleur de toile d’argent melé avec de soye rouge, parsemée des armoiries dud. sieur cardinal de Joyeuse en filet d’or travaillé dans la mesme etoffe, garnies d’une petite natte d’or fin, et tout autour, d’une petite frange de filet d’or fin.
23. Une chasuble blanche, quatre dalmatiques, trois etoles, cinq manipuls et deux colets de mesme couleur, mais non pas de mesme etoffe de toile d’argent melé avec de soye violette parsemée des armoiries dud. cardinal de Joyeuse en filet d’or travaillé dans la mesme etoffe, garnies d’une petite natte d’or fin et tout autour, d’une petite frange de filet d’or fin.
24. Plus une chasuble verte, deux dalmatiques, deux etoles, trois manipuls, et deux colets de mesme couleur de figuré à fonds d’argent fin, les figures relevées en friseure d’or, avec une pourfileure de velours rouge à l’entour, garnie lad. chasuble et dalmatiques de nattes d’or et d’argent, entourées aussy de fil d’or et d’argent, d’une franche avec les armoiries de M. de Vervins, archevesque, qui les a données.
46Nous arrivons, avec les ornements de Mgr de Vervins, dans l’art de la paramentique de l’époque tridentine, où les figures brodées laissent plus de place aux décors floraux. Cet ensemble de toile d’argent est orné de broderies « relevées en friseure d’or » : des lames d’or enroulent certaines parties des broderies et constituent un relief. La pourfilure de velours rouge est une très fine bande de velours, voire un fil de chenille, qui entoure les broderies et en relève les contours. Le décor brodé, qui ne semble pas être constitué de personnages, est d’une insigne richesse.
- 80 Hippolyte d’Este, archevêque de Narbonne de 1550 à 1551 et de 1563 à 1572.
25. Autre chasuble violete, deux dalmatiques violets, deux etoles, trois manipuls, et deux colets de mesme couleur, de toile d’or ramagée de soye violete dont les auffres sont de toile d’argent frisé, garnies d’un petit passement et frange d’or fin melé avec soye cramoisie, qui ont esté donnéz par M. le cardinal [de] Ferrare80, archevesque de Narbonne.
26. Plus une chasuble, deux dalmatiques, avec leurs pieces de damas incarnat, tout neuf.
Et finalement nous auroit exhibé led. M. Angles une chasuble, deux dalmatiques avec leurs pieces de damas blanc tout neuf.
Et continuant la visite des ornements qui sont dans le mesme sacraire, led. M. Angles nous auroit exhibé :
1. Une chasuble de damas violet avec un grand crucifix aux auffres, avec les armoiries de M. de Belezole, et il y a aussy l’etole et le manipule.
2. Une chasuble de tafetas bleu faconné, son etole et manipule en guipeure, entourée d’une frange bleue et orangée, avec un clincan d’or faux.
- 81 Cf. SAINT-AUBIN, Charles-Germain de. L’art du brodeur. Paris : L.F. Delatour, 1770. Réimp. Los Ange (...)
- 82 FRUMAN, p. 126‑127.
47La broderie en guipure est une technique de broderie qui consiste à faire faire des allers et retours aux fils métalliques sur un motif en relief ; le fil ne passe donc jamais à travers le tissu. Les extrémités des rangs sont ensuite fixées par un point. Le clinquant d’or est un « gros trait d’or passé plusieurs fois au cylindre luisant et poli81 ». Ici, le clinquant n’a que l’apparence de l’or, puisqu’il est faux. Seuls quelques points, qui doivent être les plus discrets possibles, le fixent sur l’étoffe. À titre d’illustration pour la technique de la guipure et ce qu’est un clinquant, on peut se reporter à un superbe voile de calice de la fin du XVIIe siècle (fig. 15), conservé dans le trésor du Puy-en-Velay82. Le phénix brodé de fils de soie polychromes est inséré dans un cartouche brodé en guipure de filé argent ; le champ autour du motif est en couchure de clinquants or.
Fig. 15.
Le Puy-en-Velay (Haute-Loire), cathédrale Notre-Dame ; détail de broderie en guipure sur un voile de calice
Alain Rousseau © Collection Cougard-Fruman – Mécénat Fondation Zaleski
48Nous aurions trouvé dans led. sacraire les dalmatiques qui servent aux enfens de cœur :
- 83 Glands de passementerie au bout de cordons fixés aux épaules des dalmatiques.
- 84 Ville flamande. On ignore s’il s’agit de textiles fabriqués en Flandres ou provenant des Indes : Os (...)
- 85 Comprendre « brocart ».
1. Quatre dalmatiques et quatre colets de velours figuré à fonts de satin blanc ; les ramages sont de velours frisé jeaune, avec une pourfileure de velours rouge, tout autour garnys de deux oupes83, chacune de soye blanche et rouge, et de parement rouge cramoisin de soye, lesquelles dalmatiques ont esté données par M. de Vervins, archevesque de Narbonne.
2. Quatre dalmatiques et trois colets de satin bleu parées de satin blanc et incarnat à ramages avec deux oupes à chacune, de soye blanche et jeaune, lesquelles ont esté données par M. le cardinal de Ferrare, archevesque de Narbonne.
3. Quatre dalmatiques et quatre colets de velours rouge cramoisin avec deux oupes de soye jeaune et rouge, garnies avec de clincan d’or fin.
4. Trois dalmatiques et trois colets de damas blanc garnies de damas vert, fort usées.
5. Quatre dalmatiques et quatre colets d’Ostande84 jaune, garnies avec de l’Ostande verte.
6. Quatre dalmatiques et quatre colets de satin noir, garnies de parement de soye blanche qui ont esté donnéz par M. de Vervins.
7. Quatre dalmatiques et quatre colets de damas blanc.
8. Quatre dalmatiques de brocat85 de soye, le fonds rouge avec de grands ramages couleur d’orange et d’un passement rouge, vert et blanc, et une petite frange autour, et aussy quatre colets de meme etoffe.
9. Quatre dalmatiques de brocard de soye, le fonds vert avec de grands ramages couleur d’orange et d’un passement rouge, vert et blanc, avec quatre colets de meme etoffe.
10. Quatre dalmatiques et quatre colets, garnies d’une frange rouge et blanc damasquin de Bourges.
11. Quatre dalmatiques de damas blanc, usées, avec les quatre colets ; quatre dalmatiques de velours noir et quatre colets.
49Tous les trésors de cathédrale ne possèdent pas des dalmatiques d’enfants, identiques à celles des adultes, en miniature. La Fondation Abbaye de La Lucerne en possède une paire. (fig. 16).
Fig. 16.
La Lucerne d’Outremer (Manche), Abbaye de La Lucerne ; dalmatique d’enfant de chœur positionnée sur une dalmatique d’adulte
J. Pagnon © CG Manche
- 86 Guillaume Briçonnet, archevêque de Narbonne de 1507 à 1514.
Nous auroit encore exhibé led. M. Angles les chapes qui servent pour les processions :
1. Une chape de drap d’or, avec les auffres fort larges faits avec pilastres, relevéz à histoire de la Passion au chaperon, et representé Jesus-Christ crucifié entre deux larrons, et les armoiries de M. de Briconnet86, archevesque.
50Nous ne revenons pas sur le caractère luxueux du drap d’or à l’aube de la Renaissance. Les orfrois qui ornent les bords de la chape sont extrêmement larges et représentent des scènes brodées en relief et encadrées par des pilastres, qui ne semblent pas être cannelés. Le terme est intéressant : c’est la première fois qu’il est mentionné, ce qui signifie qu’il y a un changement de style remarqué par ceux qui visitent les ornements. Cette chape reflète les évolutions architecturales du beau XVIe siècle. Nous n’avons pas encore repéré d’orfrois qui ressemblent à ceux de ce pluvial.
51Le chaperon représente la Crucifixion. Cette scène est inhabituelle dans le détail, car le Christ n’est pas entouré seulement de saint Jean, de sa Mère et de sainte Marie-Madeleine, mais aussi des deux larrons. Nous n’avons d’ailleurs pas trouvé d’ornement conservé présentant cette scène. De plus, Mgr Briçonnet est plutôt adepte des Vierges de Pitié ou de la scène de l’Ecce Homo. Ce somptueux pluvial est donc un ornement à la fois représentatif de l’époque de sa fabrication et original.
2. Deux chapes de drap d’or, tissu avec fil blanc, ayant les auffres d’or fin, l’une a au chaperon l’histoire de la Pentecoste, et sont les armoiries de l’eglise au fermail ; l’autre a les auffres faits avec histoire de la Passion, et au chaperon y est representé Jesus-Christ crucifié entre deux larrons, les armoiries de l’eglise etant au fermail, et celles de M. P. Pigerii au bout de[s] auffres.
52Nous ignorons à quelle époque a vécu ce généreux donateur, qui est très probablement un chanoine qui s’est acquitté avec munificence de son droit de chape. Les deux pluviaux sont en drap d’or avec une âme de soie blanche. Les orfrois sont brodés de fil d’or fin : le comble du raffinement. Le chaperon de l’une représente la Pentecôte ; celui de la seconde représente la Crucifixion du Christ entre deux larrons, et ses orfrois représentent des scènes ayant également trait à la Passion. On retrouve exactement la même scène que sur le pluvial de Mgr Briçonnet. Les armoiries du chapitre ont dû être brodées après la donation des deux chapes, sur la patte qui permet de les fermer.
- 87 Mots prononcés par Ponce Pilate, dans l’Évangile selon saint Jean, lorsqu’il présenta Jésus à la fo (...)
3. Deux chapes de velours rouge semées de coulombes d’or en broderie portant un rameau d’olive au bec, dont les auffres sont d’or fin avec histoires, l’une de la Nativité et enfance de Jésus-Christ, et l’autre de la Passion ; les chaperons sont petits, ayant à chacune l’image d’un evesque.
4. Trois chapes de drap d’or sont faites à double frise, dont les auffres sont d’or fin, faites à histoires, ayant l’une au chaperon l’image Nostre-Dame de Pitié au pied de la Croix, à l’autre Ecce Homo87, et à la troisiesme y est le trepas de la Vierge Marie, et à chacune sont les armoiries d’Amboise.
53Elles sont sûrement assorties à la chasuble et aux dalmatiques, aussi en drap d’or à double frise, que nous avons déjà commentées. Les orfrois brodés représentent diverses scènes qui ne sont pas précisées. Les scènes des chaperons sont très classiques pour la période, notamment Vierge de Pitié et l’Ecce Homo. Le trésor de la cathédrale du Puy-en-Velay conserve une superbe Vierge de Pitié du début du XVIe siècle, brodée en France ou en Italie du Nord, ce qui peut laisser penser que celle de la chape du cardinal d’Amboise y ressemble88. La scène de la Mort de la Vierge semble être assez rare sur les ornements liturgiques.
5. Autre chape de drap d’or, tissu avec soye rouge, dont les auffres sont d’or fin, à histoires de la vie de Jesus Christ, et au chaperon la Résurrection, ayant les armoiries de Relazole, grand archidiacre.
- 89 PRIVAT-SAVIGNY, p. 42.
54M de Relazole est certainement grand archidiacre au XVIe ou au XVIIe siècle puisqu’il n’apparaît pas dans les documents médiévaux. De plus, son nom est en français. Le Musée national de la Renaissance conserve une chape dont le chaperon représente aussi la Résurrection ; les orfrois datent du début du XVIe siècle et ont été brodés en France ou en Flandres89.
55Mais si M. de Relazole a vécu au XVIIe siècle, il est fort probable que son pluvial ressemble plus à celui de Chartres (fig. 17), dont le chaperon et les orfrois ont été remontés sur des étoffes de damas de soie blanche. La Résurrection de Chartres ressemble singulièrement à une gravure de Cornelis Cort (vers 1569). On peut également citer le pluvial de la déploration, conservé au même endroit (fig. 18). Les broderies sont largement inspirées de la peinture et de la gravure.
Fig. 17.
Chartres (Eure-et-Loir), cathédrale Notre-Dame ; détail de l’orfroi d’un pluvial orné de la Résurrection
Mariusz Hermanowicz © Région Centre, Inventaire général
Fig. 18.
Chartres (Eure-et-Loir), cathédrale Notre-Dame ; détail de l’orfroi d’un pluvial orné de la Déploration
Mariusz Hermanowicz © Région Centre, Inventaire général
6. Cinq chapes de velours cramoisi figuré à ramages d’or, avec auffres d’or fin ; les uns de l’une sont faits à double personnages, ayant au chaperon le Couronnement Nostre-Dame, les auffres des autres quatre sont à simples personnages, ayant les deux au chaperon l’Annonciation Nostre-Dame, l’autre les histoires Nostre-Dame entre les Apostres, et la quatriesme l’image de la Trinité. Lesquelles cinq chapes ont esté données par M. Crespini, archevesque, et sont les armoiries avec d’autres armoiries ecartelées au fermail desd. chapes, faits en broderie fort large.
7. Une autre chape toute faite à l’aiguille en broderie d’or avec grandes losanges, et au dedans, [les] histoires de la Vie de Jesus-Christ et de Nostre-Dame ; entre lesd. losanges, y a trente bestions tous couverts de perles et de petits turquis ; les auffres sont faits à simples personnages, ayant entre les tabernacles quatre losanges à chacune faites de perles de Couvols et de petits turquis. Le chaperon est petit, ayant une bande au milieu, et au bords une bande de perles.
Fig. 19.
Saint-Bertrand-de-Comminges (Haute-Garonne), ancienne cathédrale Notre-Dame ; détail de la chape de la Passion : Pilate se lave les mains
Philippe Poitou © Région Midi-Pyrénées, Inventaire général, 2001
- 90 BREL-BORDAZ, Pl. III à X (chape de la Passion) et Pl. XI à XIII (chape de la Vierge).
- 91 BREL-BORDAZ, fig. 10 à 13.
- 92 BREL-BORDAZ, fig. 53 à 55.
56On peut rapprocher sans conteste cette chape de celles de la cathédrale de Saint-Bertrand-de-Comminges : la chape de la Passion (fig. 19 et 20) et la chape de la Vierge90. Confectionnées au début du XIVe siècle en Angleterre, elles représentent de multiples scènes enfermées dans des losanges de ramages, qui recouvrent toute leur étoffe. Ce cloisonnement des personnages et le foisonnement des figures animales et végétales sont typiques de l’opus anglicanum. Les perles de couleur viennent enrichir la palette des couleurs. Nous citons également la chape de saint Louis d’Anjou91 et celle de Pienza92. Toutes deux représentent des épisodes de la vie du Christ et de la Vierge cloisonnés dans des ramages et des arcatures au milieu d’un semis d’anges et de bêtes. Des perles viennent rehausser les broderies. La chape de Pienza a été confectionnée entre 1315 et 1335, et celle de saint Louis d’Anjou entre la fin du XIIIe siècle et le début du siècle suivant. Nous nous situons donc en plein cœur de l’âge d’or de l’opus anglicanum. Le généreux donateur de la chape de Saint-Just est inconnu, mais il est certain que cette pièce provient d’un atelier anglais, et certainement londonien, puisque Londres est le berceau de cette technique de broderie.
Fig. 20.
Saint-Bertrand-de-Comminges (Haute-Garonne), ancienne cathédrale Notre-Dame ; détail de la chape de la Passion : Montée au calvaire
Philippe Poitou © Région Midi-Pyrénées, Inventaire général, 2001
8. Autres deux chapes faites toutes en broderie comme la precedante, l’une desquelles a les auffres faites en forme de seraphins ayant chacun six ailes, semées toutes lesd. auffres à histoires de la Passion, et ont lesd. chapes les chaperons petits et les armoiries de M. de Judicia et de l’eglise au costé desd. chaperons.
57Ces deux chapes offertes par le cardinal de La Jugie proviennent aussi très certainement d’Angleterre. Le motif des séraphins est typique de l’opus anglicanum, tout comme la petite taille des chaperons qui ne sont qu’un prolongement, rond ou en pointe, des larges orfrois brodés de personnages. Le séraphin à six ailes est extrêmement répandu dans l’opus anglicanum. Nous montrons ici un détail d’un séraphin (fig. 21), conservé dans la cathédrale d’Évreux, qui relève exactement de la même esthétique. Il semble ici que les anges sont sur les orfrois et qu’ils séparent des scènes la Passion, thème si cher à la broderie anglaise.
Fig. 21.
Evreux (Eure), cathédrale Notre-Dame ; détail d’une chasuble : séraphin à six ailes sur une roue
© Josiane Pagnon
- 93 Amédée de Saluces, cardinal d’Avignon. Il n’a pas été identifié comme chanoine de Saint-Just.
9. Autre chape de mesme, faite toute en broderie à ramages ronds, et entre iceux des images d’angels ; les auffres sont faites à histoires, vieux et uséz.
10. Autre chape de satin rouge cramoisin, faite en broderie de fil d’or en forme de cercle ou losanges, et dans chacune d’icelles d[es] images d’angels, des saints, et entre lesquelles losanges, il y a de[s] fleurons d’or faites à quatre pointes ; les auffres sont faites à histoires de la Passion ; le chaperon est petit, avec deux anges, avec les armoiries de M. le cardinal de Saluce93.
11. Autre chape de diapré incarnat, tissu avec images d’angels, d’apostres et autres ramages d’or et de soie, de diverses couleurs, ayant au bord tout à l’entour de lad. chape de tabelle de deux doits de large ; les auffres sont faits à simples personnages et le chaperon petit.
- 94 BREL-BORDAZ, fig. 58 et 59.
58La chape Butler-Bowden, confectionnée pendant le second quart du XIVe siècle94, illustre bien ces deux pluviaux qui se ressemblent fortement. Ici, ce ne sont pas des cycles narratifs qui ornent les étoffes, mais des séries de personnages, prophètes et saints, séparés par des ramages d’or et de soie, des animaux et des anges, qui parcourent le satin ou le diapré.
- 95 † 1547.
- 96 Renaud de Bourbon, archevêque de Narbonne de 1473 à 1482.
- 97 Chanoine de 1362 à 1420 (†).
- 98 Chanoine de 1421 à 1429 (†).
12. Une autre chape de diapré rouge, tissu avec ramages, cercles et personnages d’or d’orme et de soye, de diverses couleurs ; les auffres sont de la mesme etoffe ; le chaperon est d’or fin avec l’histoire de Nostre-Dame alant en Egypte et sainte Suzanne sur le velours bleu.
13. Deux autres chapes de velours bleu seméts à pots à feu en broderie relevéz ; les auffres sont d’or fin à histoires ; au chaperon de l’une est la Nativité Nostre-Seigneur, avec les armoiries de M. Arnaud Raphanel95, chanoine, en trois ecussons au chaperon et au pied des. auffres ; au chaperon de l’autre est l’histoire de Jesus assis au Temple entre les Juifs, et au fermail sont les armoiries de M. de Borbonio96, archevesque.
14. Autre chape de velours bleu à grands ramages et feuillages d’or ; les auffres sont d’or fin à simples personnages ; il y a au chaperon l’image de saint Jacques, avec les armoiries de M. Pierre Coursier, chanoine, et au fermail sont les armoiries de l’eglise.
15. Autre chape de damas bleu semé de branches avec de[s] pomets de pin relevéz en broderie, dont les auffres sont d’or fin, faits à losanges, avec ecussons de la Passion ; le chaperon est petit, où il y a l’image d’un evesque et les armoiries de M. Beguo Sicardy97, chanoine, en deux ecussons.
16. Autre chape de damas rouge, tissu de roses d’or, dont les auffres sont d’or fin, remplis de divers personnages, et au chaperon est representé le Couronnement de Nostre-Dame.
17. Autre chape de damas rouge, couleur de pourpre, tissu avec fleurons, grands et petits, d’or ; les auffres sont faits à histoire de la Passion ; au chaperon est le crucifix.
18. Autre chape de damas rouge, tissu avec feuillages d’or, dont les auffres sont faits à histoire de Nostre-Dame ; au chaperon est l’Annonciation de Nostre-Dame, avec les armoiries de M. P. Gaitany, chanoine.
19. Autre chape de velours vert semé de coulombes blanches portant de[s] ramaux d’olives en bec, en broderie, dont les auffres sont faits à simples personnages des apostres et ramages sur velours rouge ; le chaperon est petit, et y est l’image d’Elie, prophete, où sont les armoiries de M. Hugon Costini98, chanoine, en deux ecussons.
20. Autres deux chapes de diapre vert, tissu avec oyseaux et bestions ayant les testes et pieds de roses d’or, dont les auffres sont anciens, faits de l’une à triples personnages, ayant au chaperon l’histoire de saint Thomas ; de l’autre, sont les auffres de simples personnages et au chaperon l’image comme d’un angel.
59Les derniers pluviaux ne relèvent plus de la même technique ni de la même esthétique. En effet, ils sont offerts par les prélats du début de la période tridentine :
21. Plus quatre chapes de toile d’or, tissu avec ramages de soye violette, et les auffres de toile d’argent frisée avec un filet de soye, au chaperon est la crespine de filet d’or, qui ont esté donnéz par M. le cardinal de Ferrare.
22. Autre douze chapes de toile d’argent, scavoir sept rouges, quatre blanches, et une violette, parsemées des armoiries de M. le cardinal de Joyeuse, archevesque de Narbonne, avec les crochets et trois annaux en facon d’argent, qui ont esté donnéz par led. sieur cardinal.
23. Quatre chapes de velours rouge à fonds d’argent avec ramages de fil d’or frisé, garny autour de natte d’or et argent, avec les crochets d’argent à chascune, ausquelles sont les armoiries en broderie d’or et argent et soye de M. de Vervins, qui les a données et celle de l’eglise.
24. Autre chape, qui fait la cinquiesme, de la mesme etoffe et avec les mesmes armoiries, qui est fourrée de taffetas rouge avec une frange d’or fin, garnie de mesme natte d’or et d’argent donnée par M. de Vervins.
25. Deux chapes de damas violet avec les auffres de satin violet à ramages et chaperons.
26. Un devant d’autel et chape violets avec la frange d’or de Milan de damas avec une petite credence qui doit servir à accomoder99 le devant d’autel qui a esté achepté de M. Nevian, medecin.
- 100 Encyclopédie de Diderot et d’Dlembert : « un ouvrage travaillé à jour par le haut, & pendant en gra (...)
- 101 FRUMAN, p. 86‑87.
60Les fleurs, ou les armoiries, dans le cas des douze chapes de toile d’argent offertes par le cardinal de Joyeuse, envahissent ces grands pluviaux. Toutefois, elles ne sont pas moins précieuses que les chapes médiévales. La passementerie, avec les crépines100, les nattes et les franges, est très soignée. Les dons du cardinal de Ferrare et du cardinal de Joyeuse proviennent probablement d’Italie. Les chaperons ne semblent pas être brodés de motifs ou de figures, bien que cette pratique se perpétue comme le montrent les trois pluviaux de Chartres. Les raisons de l’absence de figures ou de scènes brodées peuvent être multiples ; nous avons évoqué la possible urgence de reconstituer le vestiaire après la difficile période des Guerres de Religion. Il se peut aussi que les descriptions soient tout simplement plus laconiques, mais ce serait assez étonnant. Pour les chapes de velours rouge offertes par Mgr de Vervins, nous avons pensé à une mitre de la fin du XVIe siècle, fabriquée en Italie ou en Espagne : elle est en satin rouge et ornée de ramages de fil d’or frisé et d’une natte d’or. Elle permet sûrement de donner une idée relativement fidèle de l’apparence de ces quatre pluviaux101.
- 102 Biffé : d.
- 103 Le terme « planete » est d’ordinaire le synonyme du mot chasuble. Toutefois, ici, ce mot est assimi (...)
- 104 Cet ornement est à l’origine mis sur les genoux de l’archevêque ou de l’évêque lors de certaines cé (...)
- 105 Biffé : d.
- 106 Comprendre « satin ».
- 107 Il semble que ce mot soit un régionalisme. Il est trés certainement issu du mot « pallium ». Dans l (...)
- 108 Il s’agit du nom d’Harcourt en latin, mais nous ignorons s’il s’agit de Jean ou de Louis, qui se su (...)
- 109 Parement que l’on place en hauteur. GAY, Victor. Glossaire archéologique du Moyen Age et de la Rena (...)
Et continuant la visite des102 ornements, led. M. Angles nous auroit presenté les chapes communes qui sont :
1. Quatre chapes de damas vert sans auffres, garnies de clincan faux, qui servent aux doubles et sont au pouvoir du curé, qui est chargé dans son inventaire.
2. Deux chapes de camelot rouge avec les auffres de vieille etoffe qu’on a reparées, et sont au pouvoir du curé suivant l’inventaire, lesquelles chapes servent tous les jours.
3. Autres deux chapes de camelot jaune avec les auffres de taffetas rouge, tissu avec feuillages d’or ; les chaperons sont de camelot rouge avec images de broderie d’Ordome, estant lesd. chapes fort rompeues ; sont à present reparées avec des auffres, servant tous les jours, et sont au pouvoir du curé qui en est chargé dans son inventaire.
4. Autres deux chapes de camelot blanc avec les auffres vieux, de l’une faite à simples personnages, ayant au chaperon l’image d’un ev[esque] ; l’autre à doubles personnages ayant au chaperon plusieurs images, estant lesd. chapes fort vieilles et rompues, et maintenant on esté reparées, qui servent tous les jours et sont au pouvoir du curé.
5. Autre chape de satin broché d’or grossier, semée de fleurs de lys violet, dont les auffres sont d’or d’orme, et au chaperon est l’image de Nostre-Seigneur crucifié.
6. Une chape de camelot violet à ondes, sans auffres, avec parement d’or faux, qui sert pour l’ordinaire, et est entre les mains du curé qui en est chargé.
7. Deux chapes de damas rouge cramoisin, fort usées, avec les auffres de damas cramoisin et blanc, lesquelles servent d’ordinaire et sont au pouvoir du curé qui en est chargé.
8. Autres trois chapes de damas blanc garnies d’un passement de soye rouge cramoisin servant tous les jours et sont au pouvoir du curé.
9. Trois chapes de damas jaune toutes neuves, garnies les deux d’un parement rouge cramoisin, et l’autre d’un passement rouge et blanc, servant tous les jours.
10. Quatre chapes de damas incarnat qui sont neuves, parées d’un passement blanc et rouge, qui sont au pouvoir du curé.
Aurions visité ensuitte les chasubles et chapelles noires, et aurions trouvé :
1. Une chasuble de velours noir, avec les auffres d’or fin faits à histoires de la vie de Jesus. Les dalmatiques sont faites de neuf de velours noir, avec passement de soye blanc ; il y a deux etoles, trois manipuls et deux colets.
2. Une chasuble et deux dalmatiques de velours noir, garnies de clincan d’or fin, avec les armoiries au bas de M. de Vervins qui les a données, y ayant autour de lad. chasuble et dalmatiques de frange noire et blanche ; et il y a aussi deux etoles, trois manipuls et deux colets, le tout donné par led. archevesque de Vervins.
3. Trois chapes de velours noir, garnies de clincan d’argent fin avec deux armoiries au bas de M. de Vervins qui les a données.
4. Trois chapes de velours noir qui furent faites à la mort de M. de Rebé, archevesque, avec passement blanc.
Aurions aussy visité les tuniques ou planettes103 pontificales, et trouvé :
1. Deux planettes de satin rouge, avec parement de diapre violet fyguré avec roses blanchez et petits bestions d’or.
2. Plus deux planettes de diapre violet figuré avec bestions et oyseaux, ayant les testes et les pieds de roses d’or, avec parement de diapre vert fait à ramages.
3. Une autre planette pontificale de diapre à fonds blanche et le ramage de soye violette et roses d’or assez vieilles ; les parements des manches sont d’or fourréz de rouge.
Et pour ce qui regarde les sandales et chausses pontificales, avons trouvé :
1. Une paire de sandales ou souliers de satin blanc semé de fleurs de lys d’or à broderie, avec les chausses de satin blanc.
2. Une autre paire de souliers de diapre blanc semé de petites coulombes ayant une bande d’une treff[l]e d’or, avec les chausses de satin blanc.
3. Autres souliers de diapre blanc figuré avec losanges de serpens et autres ramages d’or et de soye rouge, avec une paire de chausses de satin blanc.
4. Une paire de souliers de satin vert avec ramages d’or et un soleil de soye rouge fait en broderie.
5. Autres souliers de velours rouge seméz de colombes d’or portant un ramau d’olive au bec, les chausses sont de diapre incarnat fait à oyseaux qui ont les pieds et les testes d’or.
6. Plus une paire de souliers de satin rouge semé de fleurs de lys, lyons et griffons et cercles d’or ; les chausses sont semblables en etoffe, semées de lyon et etoiles d’or
7. Plus autres souliers de diapre incarnat fyguré à oyseaux, ayant les testes et pieds d’or, les chausses sont de taffetas couleur d’orange.
8. Autre paire de souliers de damas incarnat fyguré, les chausses de toille rouge, et les chausses de taffetas gris.
9. Plus avons trouvé une paire de gans de soye rouge cramoisin et une autre aussy de satin blanc, tous neufs.
10. Plus une autre paire de gans de soye rouge et d’or fin, faits à l’aiguille, fort beaux et doubléz à demy de satin cramoisin, avec une pointe d’or fin à l’entour, et autre six paire de gans blancs, faits à l’aiguille, fort vieux.
Continuant la visite des ornements dans le mesme sacraire, aurions trouvé :
1. Un gremial104 de drap d’or à double frise, semblable aux ornements de M. d’Amboise.
2. Autre gremial de drap d’or frisé, avec ramages de velours rouge, ayant le bord de velours bleu.
3. Autre gremial de damas rouge, semé de rosettes d’or avec la bande de damas vert.
4. Autre gremial de satin blanc, semé d’oyseaux, environné comme de rayons de soleil, doublé de taffetas de couleur changeante.
5. Autre gremial de damas blanc, semé de rosettes d’or, bordé de trois parts de taffetas bleu.
6. Autre gremial de diapre vert ; la doubleure est de toile verte, et autour, de taffetas bleu.
7. Autre gremial d’or, tissu avec soye fait à ramages, et l’entour de velours violet avec fleurs dessus, et autour, de frange d’or et de soye avec quatre boutons, donné par M. de Ferrare.
8. Autre gremial de toile d’argent rouge, parsemé des armoiries de M. le cardinal de Joyeuse, archevesque, avec un petit passement tout autour d’or fin, au travers, une frange d’or de meme, donné par led. sieur archevesque.
9. Autre gremial de drap d’argent, parsemé de ramages de velours rouge, donné par M. de Vervins, avec ses armoiries au milieu et tout autour, un grand passement d’or fin fourré de treillis rouge, et une frange d’or de trois cotéz.
10. Un autre gremial de damas blanc, entouré de frange de soye blanche, au milieu duquel sont les armoiries de broderie d’or et de soye du sieur archevesque de Vervins.
11. Autre grand gremial de damas105 violet et rouge, entouré de camelot à ondes rouges.
12. Autre gremial de damas blanc à grand ramages, entouré de tafettas bleu.
13. Deux autres gremials fort grands ; à l’un il y a au milieu un carré de velours rouge parsemé de coulombes d’or, en touré de damassin rouge et violet ; le milieu de l’autre est de diapre violet à oyseaux, ayant les testes et les ailes d’or, entouré de mesme damassin.
14. Plus un gremial travaillé à l’eguille sur la toile, tout d’or et de soye, de diverses couleur ; la garniture d’icelluy est de tafetas, toute brodée d’or, à losanges, au milieu desquels sont deux sortes d’armoiries, l’une d’azur et la croix d’argent, et l’autre d’azur et un lyon d’or.
15. Un autre gremial de velours noir avec une bande de camelot de soye violet, tout autour ondé.
16. Autre gremial de velours noir, entouré de passement d’argent et frange blanche et noire, avec les armoiries au milieu de M. de Vervins qui l’a donné.
Avons visité ensuitte les parement serv[a]nt pour l’Epitre et pour l’Evangile, et avons trouvé :
1. Deux draps de velours violet pour l’Epitre et pour l’Evangile, garny de fleurons d’or avec les armoiries du chapitre d’un cotté, et celles de M. le cardinal de Ferrare de l’autre.
2. Autre d[r]ap de satin blanc paré de croix d’or et d’argent, servant [au] pulpitre du milieu du cœur.
3. Autre deux evangelistaires, un de damas goffré, rouge et blanc, et l’autre de damas rouge.
4. Autres deux epistolaires de sant106 blanc, avec ramages de velours rouge, où pendent les armoiries du chapitre et de M. de Vervins, archevesque.
5. Plus un autre drap pour l’Epistre et l’Evangile de velours figuré, à fonds de satin bleu ;
les ramages sont des friseure jaune, avec une pourfileure de velours rouge à l’entour, entouré de frange rouge cramoisine.
6. Un epistolaire de velours noir, orné de frange blanche et noire, y ayant deux passements au fonds de chaque coté, avec les armoiries de M. de Vervins.
7. Un autre epistolaire de brocard vert et un autre rouge de mesme, et un autre de damas blanc.
Avons trouvé les ornements pour parer la chaire archiepiscopale qui consistent :
1. Un parement de damasquin blanc et vert, avec sa courtine et frange, dont une piece a esté derobée.
2. Un autre parement de lad. chaire de velours figuré, à fonds de satin bleu ; les ramages sont de friseure de soye jaune, avec une parfileure à l’entour de velours rouge, avec sa courtine garnie de passement et frange de soye cramoisine, donnée par M. de Vervins.
3. Plus deux parements pour porter l’image de Nostre-Dame et autres reliques, de diapre vert, figuré à roses d’or et de soye rouge, et autres ramages bordés de frange de soye, qui sont du tout semblables.
Autres parements grands servant pour porter la chasse de saint Just :
1. Un grand parement de drap d’or, avec ramages de velours rouge, avec une bande autour de la largeur, d’un velours de couleur bleu, avec les armoiries M. de Briconnet, archevesque, en quatre ecussons, avec celles de l’eglise, faites en broderie ; et sert led. drap pour parer la chasse de saint Just aux solemnitéz.
2. Autre drap d’or de semblable grandeur, de diapre ou drap d’argent, figuré à frisées, bordé tout autour d’un velours jaune damassé ; y sont les armoiries de M. de Saconis, archevesque de Narbonne.
3. Autre parement de diapre violet fguré à feuillages et petites fleurs de lys d’or d’orme, avec une grande bande autour de tafetas rouge ouÌ sont les armoiries de l’eglise en six grands ecussons fort vieux, ne servant de rien.
4. Autre parement de drap d’or, tissu de soye bleu et à ramages, et à l’entour, de velours bleu avec les armoiries de M. de Ferrare et du chapitre aux quatre bouts.
5. Autre parement de velours figuré à fonds de satin bleu ; les ramages sont de friseure jaune, entouré d’une pourfileure de velours rouge, garny de passement de frange de soye rouge cramoisine, donné par M. de Vervins.
6. Autre parement de velours rouge pour parer la chaire aux sermons, où est escrit en lettre d’or : Beati qui audiunt Verbum Dei etc.
Plus avons visité les parements et pallis107 pour le grand autel :
1. Deux parements de velours rouge, seméz de soleil d’or, et au milieu, un cercle et le nom de Jesus-Christ en lettre de perle ; à l’un, y sont les Maries et autres personnages au sepulchre, en broderie d’or, et l’autre est Nostre-Dame de Pitié, tenant son Fils au genou, et plusieurs autres images qui ont les bords des vestements tous de perles, avec les armoiries de M. de Auricuria108, archevesque, et de l’eglise à chacun desd. parements ; et servent l’un pour le bas du grand autel, et l’autre pour mettre contre les pilliers, sous la chasse de saint Just ; y est aussi le frontal109 pour mettre sur led. autel, garny de douze soleils, de mesme parure de frange de filet d’or et de soye rouge.
61Ces deux pièces sont ornées de soleils d’or au centre desquels s’inscrivent les lettres JHS en perles, entourées d’un cercle de perles. Ce motif revient sur plusieurs pièces qui pourraient bien constituer un ensemble réservé à la Fête-dieu. Les scènes brodées sont très classiques pour l’époque : les trois Maries autour du sépulcre vide du Christ et la Vierge de Pitié tenant son Fils au pied de la Croix. Les personnages, brodés à l’aiguille en fil d’or ainsi que des perles rehaussent le contour des vêtements.
- 110 Il s’agit du parement dit de Charles V, dont l’épouse est Jeanne de Bourbon.
2. Un parement pour le devant d’autel, le jour Vendredi Saint, de camelot de soye blanc, avec sept histoires de la Passion et Resurrection à peinture noire, et y sont les armoiries du roi Charles et de la reyne, avec un bord autour, fait à feuillages et une lettre K110.
- 111 Paris, Musée du Louvre.
- 112 Les fastes du gothique, p. 371‑373, notice 324.
62Cette pièce (fig. 22), fabriquée entre 1373 et 1375 et commandée par Charles V lui-même, est arrivée dans des circonstances inconnues dans le trésor de Saint-Just111. Les historiens et les conservateurs ont longtemps douté de son appartenance au trésor de la primatiale, affirmant que le peintre Jules Boilly l’avait retrouvé par hasard à Narbonne au XIXe siècle, avant que le Louvre ne l’acquière en 1852. La visite du cardinal de Bonzy permet de lever tous les doutes au sujet de son appartenance au trésor historique de la primatiale narbonnaise. Toutefois, nous ne pouvons pas préciser si ce parement est une donation directe du roi pour honorer la sépulture des entrailles de son ancêtre Philippe III. Cette présence dissipe également toutes les hypothèses au sujet de son utilisation. On a souvent pensé que cet antependium, qui n’est accompagné d’aucune pièce en raison de la sobriété de la circonstance où il est sorti, sert pour les féries du Carême. Des comparaisons avec d’autres chapelles quotidiennes de Carême contenues dans d’autres inventaires de Charles V et de Philippe le Bon ont même été effectuées pour conforter cette affirmation112. Le texte précise qu’il n’est sorti qu’une fois par an, pour le Vendredi Saint.
63Les dimensions du parement sont de 78 cm de haut pour 208 de longueur ; à l’origine, il devait être tendu comme un retable, soit au-dessus de la table d’autel, comme le montrent les frises qui longent les quatre bordures.
64La visite ne s’arrête pas beaucoup sur cette pièce unique en son genre dans le trésor. Le parement de Narbonne est une grisaille sur camelot de soie blanc. Sept scènes ayant trait à la Passion du Christ y sont peintes à l’encre noire, sur une étoffe à la fois fine et sobre. La Crucifixion se trouve au centre du parement. Toutes les scènes sont surmontées d’arcatures gothiques qui les séparent les unes des autres tout en leur conférant une unité. Le récit commence à gauche avec l’arrestation de Jésus, la Flagellation et le Portement de Croix. Après la Crucifixion, on peut voir la mise au tombeau du Christ avec saint Jean et les Saintes Femmes, la descente du Christ aux limbes et l’apparition du Christ ressuscité à Marie-Madeleine le matin de Pâques. Le portrait du roi Charles et de son épouse Jeanne de Bourbon et le chiffre K sont représentés dans des médaillons de la frise qui borde la pièce. L’auteur de cette œuvre, d’une finesse extraordinaire, demeure inconnu. Des noms prestigieux, comme celui de Jean d’orléans, ont été proposés, sans aucune certitude. En tout cas, il semble qu’il ait été sensible à la culture italienne mais aussi nordique.
Fig. 22.
Paris, Musée du Louvre ; parement de Charles V
Michèle Bellot © RMN-Grand Palais (musée du Louvre)
- 113 Les fastes du gothique, p. 374.
65La mitre du trésor de la Sainte-Chapelle (conservée au Musée national du Moyen Âge à Paris) ressemble fortement au parement de Charles V. Nous y retrouvons la même technique de grisaille et une singulière ressemblance dans la représentation des personnages et dans la forme des arcatures qui surmontent la scène principale et une frise de saints113. De plus, il existe entre cette mitre et ce parement une affinité profonde avec l’art des peintres parisiens de la fin du XIVe siècle.
3. Autre parement pour mettre au devant de l’autel, fait à l’aiguille, en broderie avec cinq grandes losanges, chacune contenant une histoire de la Passion ; et entre lesd. losanges, y a de[s] las faits de perles, granats, courals, et turquis ; le bord est de velours rouge fait à grands feuillages d’or en broderie, et aux deux bouts, y sont les images de saint Just et saint Pasteur, avec des bords de fil d’or, et y sont les armoiries de l’eglise en quatre ecussons.
66Cette pièce, ornée de multiples scènes de la Passion du Christ, relève de la même esthétique que les parements que nous venons d’évoquer et que celui des Cordeliers. Des perles minérales de toutes les couleurs, comme les “turquois” et les perles de corail sont brodées sur toute la pièce entre les losanges. Mais la représentation des deux saints patrons montre que l’œuvre a été conçue exprès pour la primatiale narbonnaise ou que les deux personnages ont été rajoutés a posteriori. Nous n’en savons pas davantage sur l’iconographie des deux enfants martyrs, sûrement représentés debout tenant la palme du martyre, comme les deux statuettes-reliquaires.
- 114 & à la place de « est ».
4. Autre palis pour le bas de l’autel, fait tout en broderie à doubles losanges, avec histoire de Nostre-Dame, et entre lesd. histoires, y a de[s] las fait de perles de granats et de turquis ; maintenant, toutes les perles sont perdues ; à chaque bout, y a une bande de velours rouge avec les armoiries de l’eglise, environné de feuillages en broderie. Le frontal114 est aussi fait en broderie, avec histoires de la Nativité et de la Passion de Nostre-Seigneur.
5. Autre parement ou palis pour le bas de l’autel, de velours rouge, avec les histoires de la Nativité, des Roys et de la Résurrection, avec grands personnages en broderie ; le frontal est fait aussy en broderie avec losanges, et dedans, histoires de la Passion ; les franges sont de soye verte.
- 115 BREL-BORDAZ, fig. 32 à 35.
67Nous retrouvons sur ces pièces le déroulement de cycles narratifs enfermés dans des losanges et des cercles de ramages. La combinaison de la vie de la Vierge avec celle de son Fils et de la Rédemption rappelle les pluviaux en opus anglicanum. Le Musée Paul dupuy à Toulouse conserve une œuvre somptueuse, surnommée le parement d’autel des Cordeliers, entièrement brodée de fils d’or et de soie, fabriquée au XIVe siècle en Angleterre, qui représente dans vingt-six médaillons losangés la vie du Christ115. Les parements de Saint-Just doivent fortement lui ressembler.
6. Plus un autre parement pour le haut de l’autel, de velours rouge, avec les images du crucifix, Nostre-Dame et saint Jean, saint Etienne et saint Paul, et saint Jean-Baptiste ; les bords sont de velours vert avec étoiles et roses, le tout en broderie ; et y sont les armoiries du cardinal de Saluces en quatre ecussons.
7. Autre palis ou parements pour le bas de l’autel, fait en broderie avec histoire du Couronnement de Nostre-Dame, et les images de saint Pierre, Abraam et Elizée avec une bande de velours incarnat ; le frontal aussy est fait en broderie, avec images des Apostres, et la frange est de diverses couleurs.
- 116 BREL-BORDAZ, fig. 54.
68Ce parement est aussi en opus anglicanum. On peut le rapprocher de la représentation du sur la chasuble de Pienza116.
- 117 Biffé : brodé.
- 118 Mot en trop : forte.
- 119 Il s’agit du miracle des noces de Cana, raconté par saint Jean dans son évangile. Les évangiles syn (...)
- 120 Comprendre « gueules ».
- 121 Mot en trop : chacun.
- 122 Biffé : couleur d’orange.
- 123 C’est-à-dire de la chapelle de l’Annonciade.
- 124 Biffé : serv.
- 125 Ces pièces sont réservées aux messes solennelles, où le sous-diacre tient la patène dans un long te (...)
- 126 C’est-à-dire le jour de la Fête-dieu.
8. Autre deux parements de velours rouge pour devant et bas de l’autel ; à l’un, sont les images du crucifix, Nostre-Dame et saint Jean ; à l’autre, saint Hierome, saint Jean-Baptiste, et saint Etienne ; au bas, il y a la frange qui sert de frontail de soye rouge avec une crespine de fil d’or, où sont les armoiries de M. le cardinal de Lorraine en quatre ecussons, à chacune ; et il y a aussy à chaque bout de[s] bandes de velours violet avec des grandes croix de Jerusalem en broderie d’or, et les armoiries de M. Gilles Gaillard, archidiacre de Corbieres, qui les a données.
9. Autre parement de satin blanc semé de toile d’or, avec l’image de Dieu assis en majesté, environné d’anges, et les figures des quatre évangélistes en broderie117 de taffetas rouge, avec les armoiries de M. le cardinal de Saluces en six ecussons ; et sert pour mettre dessous la chasse de saint Just.
10. Autre palis de damas rouge figuré, [à] fleurons d’or, bandé de deux bouts de velours vert, avec les images de saint Just et saint Pasteur en broderie ; le frontail est de mesme etoffe, avec frange de soye verte, et les armoiries de l’eglise en quatre ecussons, tant au palis qu’au frontail.
11. Autre palis de satin grossier rouge, fait à etoiles d’or d’orme ; au milieu est l’image de Nostre-Dame ; au deux bout il y a deux bandes de damas vert et couleur d’orange.
12. Autre palis de damas blanc, fait à rosettes d’or bondé, autour et bas de diapre vert figuré avec roses et feuillages d’or et soye rouge.
13. Autre parement pour le devant d’autel de velours violet, avec une croix de broderie d’or au milieu.
14. Autre palis de diapre incarnat avec de petites bandes de violet figuré, et autres divers ramages ; aux deux bouts, il y a de[s] bandes de tafetas vert ; le frontail est de mesme etoffe, avec frange de filet blanc et violet, et les armoiries de M. de Judicia et de l’eglise.
15. Autre palis de damas incarnat neuf ayant une bande à chaque bout de velours violet, et les images de saint Just et saint Pasteur en broderie, et les armoiries de l’eglise en deux ecussons ; le frontail est de mesme damas, avec frange de soye verte.
16. Autre palis de tafetas blanc avec l’image de Nostre-Dame en broderie d’or d’orme aux deux bouts ; il y a de[s] bandes de tafetas rouge et quatre ecussons ; a esté donné par M. Bernard Miry, beneficier ; le frontail est de mesme118, avec frange de diverses couleurs.
17. Autre palis de velours blanc avec bandes de velours rouge et les images de sainte Catherine et sainte Barbe en broderie d’or.
18. Trois palis de toile d’or en broderie, où sont les histoires des trois Roys, les Nopces de saint Jean119 et le baptesme de Nostre-Seigneur au Jourdain, donné par M. de Ferrare.
19. Autre palis de diapre jaune figuré à branches et feuillages, dont le frontail est de mesme etoffe, vieux et sans frange.
20. Autre palis de diapre blanc, figuré à rose, oyseaux et bestions ayant les testes et les pieds d’or, à roses d’or aux deux bouts ; il y a une bande de damas bastard vert et incarnat ; le frontail est de mesme etoffe, avec une frange de soye verte.
21. Autre palis de diapre vert, figuré avec oyseaux qui [ont] les testes et les pieds d’or ; aux deux bouts, il y a une bande de damas rouge ; le frontail est de mesme etoffe, avec une frange de diverses couleurs.
22. Autre palis de diapre grossier rouge, figuré partout d’or d’orme avec histoire de l’Annonciation ; au deux bouts, il [y] a une bande de tafetas rouge avec les armoiries en huict ecussons, ayant une barre de gules120 en champ d’argent, sans frontail.
23. Autre palis de diapre vieux et fassé avec les histoire de la Nativité de Nostre-Seigneur ; au deux bouts, il y a une bande de tafetas rouge ; le frontail est de diapre couleur d’orange, avec ramages d’or et soye de diverses couleurs.
24. Autre palis de vieux diapre rouge, figuré partout [à] histoires de crucifix d’or d’orme ; au deux bouts, il y a une petite bande de satin rouge, sans frontail.
25. Autre palis de damas vert, figuré, bordé de damas rouge figuré, ouÌ sont les armoiries de M. René Belletau, en deux ecussons ; le frontail est de mesme etoffe, avec frange de soye de diverses couleurs.
26. Autre palis de mesme etoffe avec histoire partout de crucifix et de sepulchres ; au deux bouts, il y a une bande de satin rouge, sans frontail.
27. Autre palis de satin violet obscur, semé de grands lyons de mesme etoffe, avec deux grandes bandes de diapre figuré à roses.
28. Autre palis de diapre violet couleur de pourpre, figuré à bestions et oyseaux qui ont les testes et les pieds à roses d’or ; aux deux bouts il y a des bandes de velours vert ; le frontail est d’etoffe semblable escurieux d’or et la frange verte.
29. Autre palis de toile d’argent à losanges et [de] ramages de soye verte, au dedans desquels losanges sont les armoiries du sieur cardinal de Joyeuse qui l’a donné, en fil, travaillées dans la mesme etoffe, y ayant aud. palis une crespine de fil d’or fin.
30. Plus autre palis de toile d’argent melé avec soye rouge parsemée des armoiries du sieur cardinal de Joyeuse, archevesque, en filet d’or travaillé dans la mesme etoffe, y ayant une crespine d’or fin.
31. Trois palis de velours figuré à fonds d’argent fin, les figures relevées en friseures d’or, avec une pourfileure de velours rouge à l’entour, avec sa frange121 à d’or fin en fasson de passement, y ayant chaqu’un les armoiries de M. de Vervins qui les a données, et celles de l’eglise en broderie.
32. Un palis de velours cramoisin de Genes rouge, avec un grand passement d’or fin et sa frange de soye rouge122 cramoisine.
33. Un autre palis de damas rouge cramoisin à fleurs, avec son passement et une frange de soye couleur d’orange et cramoisine.
Ensuite avons visité les palis qui servent pour les chapelles et trouvé :
1. Un palis de damas vert ayant certains feuillages en broderie, et au milieu, l’image de saint Pierre assis en la chaire pontifcale, et y sont les armoiries de M. de Bellesole en deux ecussons.
2. Autre palis de damas blanc figuré avec bord de damas vert, aussy figuré avec passement de soye rouge et blanc, et sert à l’autel de Sainte-Catherine.
3. Autre palis de satin violet grossier, ayant quatre lyons blanc, avec une bande de chaque bout de diapre sans aucune frange.
4. Autre palis de tafetas bleu bandé de toile rayée d’or, avec la frange de diverses couleurs, et sert à l’autel Nonciade123.
5. Un devant d’autel qui sert pour l’Avent, de moele et tapis violet, avec dentelle d’or et d’argent, donné par M. de La Caunette, chanoine, le premier jour de l’Avent 1675. Un petit tour du pied du Saint-Sacrement de moele d’argent violet avec une frange d’or et d’argent.
6. Un palis de tafetas rouge fait à fleurs, donné par les heritiers de la femme en secondes nopces de Boissier, bonnetier de Narbonne, pour servir à l’Annonciade ; et maintenant, est à la chapelle de Saint-Pierre.
7. Autre palis de laine fait en facon de damas, avec une image de saint Michel, et sert ordinairement à la chapelle de Saint-Michel.
8. Autre palis de laine verte en facon de damas, et au milieu est l’image de la sainte Trinité, qui sert à la chapelle de la Trinité.
9. Autre palis de laine rouge en facon de damas, et au milieu est l’image de saint Martin, qui sert à la chapelle de Saint-Martin.
10. Autre palis de damas rouge bordé de damas vert tout autour, avec de[s] passement d’or faux, qui sert à la chapelle Saint-Jean.
11. Autre palis de damas rouge avec bandes de damas vert, qui sert à la chapelle-Saint Jacques.
12. Autre palis de damas rouge bordé de damas jaune avec bandes du mesme damas, qui sert à la chapelle Saint-Blaise.
13. Autre palis de damas rouge avec bandes de damas vert, sans aucune frange, qui est de ligature blanche, et sert à la chapelle des fonts baptismeaux.
14. Plus deux devant d’autel, ligature l’un rouge, et l’autre blanc pour l’autel de Saint-Pierre, et trois voiles de tafetas violet, que M. Berthelier, chanoine, a donnés.
De plus avons visité les parements noirs pour le service des morts, qui sont :
1. Un drap de velours noir avec une grande croix de satin blanc, sans aucune armoirie, donné par Mme Villeneuve.
2. Un drap de velours noir servant pour un autel des chapelles, ayant une croix au milieu, et quatre croix aux coins, de velours blanc, avec les armoiries du sieur de la Borde en broderie.
3. Plus un palis du bas du grand autel, de velours noir avec passements d’argent fin, et à chaque bout les armoiries de M. de Vervins en broderie de soye et satin.
4. Autre palis de velours noir pour mettre sur l’autel, avec passement d’argent fin et un crucifix en broderie d’argent et soye, et à chaque bout les armoiries de M. de Vervins en broderie.
5. Plus un drap de velours noir avec une grande croix de satin blanc allant d’un bout à l’autre, sans aucune frange, où sont à chaque bout les armoiries de M. de Vervins.
Continuant notre visite, avons trouvé les pavillons pour le grand autel, et autres qui sont :
1. Un pavillon de velours rouge de largeur du travers de velours où est escrit en lettre d’or Spes mea Deus, où sont les images du crucifix, saint Just et saint Pasteur, avec les armoiries de M. Gascourt, precenteur, avec frange de soye rouge.
2. Autre pavilon dud. autel pour les jours ferials de tafetas rouge, avec les mesmes images et les armoiries dud. Gascourt et de l’eglise.
3. Un petit pavillon pour porter le Corpus Domini aux processions solemnelles, de velours rouge semé de cercles de perles, et au dedans, est escrit en lettre de perles Jesus, et tout autour, de[s] rayons de soleil de fil d’or ; les franges sont de soye rouge avec une crespine de fil d’or ; et fait en quatre pieces de longueur, les deux de huict pans et demy, et les autres de quatre pans, chaqu’une de velours ; le ciel est de tafetas cramoisin incarnat, avec une bande tafetas vert autour.
4. Un pavillon ou daix pour le grand-autel de velours figuré à fonds de satin violet, les ramages sont de friseure de soye jaune avec une pourfileure à l’entour rouge, entouré d’une frange de soye rouge cramoisine, de largeur de la moitié du velours, conforme à la couverture des corps saints, qui a esté donné par M. de Vervins.
Avons visité ensuitte les courtines ou ridaux, qui sont :
1. Quatre courtines de toile d’Olande avec bandes de ret et frange de Nice, la bande [de] la teste est de damas jaune à ramages, avec les annaux.
2. Autres courtines en quatre pieces de toile de Rouan avec frange de filet de Nice ; la bande de la teste est de damas jaune à ramages, avec les annaux.
3. Autres courtines en quatre pieces ou ridaux violets, avec une dentelle d’or et d’argent, donné par M. Angles, conducher et sacristain, qui sert pour l’Avent, le premier de decembre 1675.
4. Un petit ridaux violet qui sert quand le Saint-Sacrement est exposé l’Avent et Caresme, donné aussy par M. Angles [en] 1675.
5. Une petite courtine de velours figuré à fonds d’argent ; les figures sont relevées en figure d’or, avec une pourfileure de velours rouge avec sa sa frange de soye rouge cramoisin, et par dessus, une crespine de fil d’or fin fourrée de camelot à ondes rouges, qui est de la mesme etoffe des habits baillée par M. de Vervins, laquelle piece estant de reste en a esté fait lad. courtine pour servir de parement à l’entour du pied du grand reliquaire où l’ont met le Saint-Sacrement.
6. Plus quatre ridaux de tafetas rouge cramoisin, servant pour le grand autel124, entouré d’une frange de mesme couleur.
7. Autre ridaux qui se met devant le grand autel pendant le Caresme, qui s’appelle Velum Templi, donné par M. Louis, conducher, l’année 1676.
8. Un tour violet qui sert pour l’Avent et le Caresme, fait par messieurs du chapitre l’année 1676.
Avons trouvé :
1. Dix coussins de damassine, tous neuf, scavoir quatre violets à fontes orange ou rouge, et trois de bleu à fonds blanc, et trois de vert à fonds blanc aussy.
2. Un coussin travaillé à l’aiguille, de soye à roses, qui sert pour l’autel, le dessus et le dessous est de satin violet, qui a esté à M. de Vervins.
3. Un coussin de satin blanc avec des croix d’or d’un costé, et de l’autre, des croix rouges.
4. Deux coussins, l’un de damas bleu et l’autre de tafetas de mesme couleur.
5. Plus deux couvertures de missel, dont l’une est de damas blanc et l’autre de damas bleu.
Aprés avons trouvé le crespes125 qui servent au sous-diacre pour tenir la patene.
1. Un crespe de tafetas blanc bordé de bandes bleues et bordé autour d’une bande de soye verte, et de longueur de (ne) neuf pans et demy et de largeur de deux pans.
2. Autre crespe pour tenir la patene, fort usé, de longueur de dix pans et demy et de largeur d’un pan et demy.
3. Autre crespe de tafetas couleur d’orange, barré de petites barres vertes de longueur d’une cane et de la largeur d’un pan et demy.
4. Plus trois crespes de tafetas violet avec barres larges de soye rouge et verte, de longueur les deux de deux pans chacun, et l’autre six, et de largeur deux pans. Le recteur de Bethléem en a un pour l’usage de la paroisse.
5. Deux crespes pour porter la patene, de gaze blanche avec des barres de mesme etoffe de diverses couleurs, ayant de longueur douze pans et trois pans de largeur.
6. Autre crepe de toile blanche comme coutonnine, ayant de longueur neuf pa[n]s et de largeur deux pans, ayant une petite croix de soye rouge au milieu, et bordé tout autour de bandelettes rouges, au bout, il y a de la frange de filet, ayant esté donné au recteur pour servir tous les jours au grand-autel.
7. Autre crespe blanc avec petites bandes de soye rouge tirant de longueur 13 pans, et de largeur 1 pan et demy.
8. Plus deux crespes blancs de soye, l’un de 20 pans et deux et demy de largeur, l’autre à douze pans de longueur et deux et demy de largeur.
9. Deux autres crespes blancs, l’un a environ quatorze pans de longueur et trois de largeur.
10. Autre petit crespe carré de quatre pans, entouré d’un ruban rouge d’un costé, et de l’autre, bleu, et au bout une bande de diverses couleurs.
11. Plus un petit voile de tafetas fort vieux de huict pans de longueur et six et demy de largeur.
12. Autres trois crespes de gaze partout rayés de rouge et jaune, etant tous neufs.
13. Plus un crespe noir de dix pans de longueur et une echarpe de tafetas bleu avec une dentelle de soye au bout.
Les parements qui servent pour faire le Cresme :
1. Une nape carrée coupée aux quatre bouts, de toile blanche ouvrée quazi partout d’ouvrages faits à l’aiguille de soye de diverses couleurs.
2. Quatre pieces faits en forme de rideau ou courtine de toile coutonnée, barrée à bandes de fil blanc, faites à jour, et y a aussi quelques franges de soie verte.
3. Une longére de toile coutonnine grossiere ouvrée partout d’ouvrages de soye rouge et violette, faite à l’aiguille, qui a environ huit pans de longueur et trois de largeur.
Avons trouvé ensuitte les courdons de soye :
1. Six courdons de soye rouge de longueur de huict pans ou environ chacun, et une oupe au bout attachée avec un bouton longuet, aussy de soye rouge, avec une crespine de fil d’or, servant pour attacher au pavillon le jour du Corpus Domini126.
2. Deux courdons de crespine de soye rouge avec un bout d’or à chacun. De plus avons visité les parements et aubes du grand-autel, qui sont :
69Rogier Van der Weyden représente une aube parée sur le retable du Jugement (Hospices de Beaune) : l’ange chargé de peser les actions des âmes est revêtu d’une aube parée, en bas et aux manches, de pièces brodées, et d’un superbe pluvial fermé un fermail orné de pierres. Les parements d’aube sont traités comme des orfrois : entièrement brodés pour les plus luxueux, ils représentent des scènes du Nouveau Testament ou des figures de prophètes et de saints tandis qu’à l’époque tridentine, les dentelles prennent le pas sur les broderies.
- 127 Jean Corsier, vicaire général de Mgr de Conzié.
1. Deux parements de velours cramoisin avec le nom de Jesus, en perle, en broderie d’or, avec la couverture de l’amit et pour les manches, de mesme etoffe, le tout pour parer une aube le jour du Corpus Domini.
2. Autres deux parements pour manche, faits en broderie d’or et de soye ; en l’une est l’histoire de l’Adoration des Royes, en cinq ovales avec quatre carrés de courail et de parles ; il y en manque plusieurs ; à l’autre, il y a autres cinq ovales ; en l’un est l’Annonciation, et l’autre la Visitation, la troisiesme la Nativité, la quatriesme l’Apparition aux pasteurs, et la cinquiesme la Circoncision, avec six carréz de corail et de perles ; il y en manque plusieurs ; il y a aussi le parement de l’amict en broderie d’or avec cinq testes, celle de Nostre-Seigneur, de la Vierge, et de cinq Apostres, comme aussy la garniture des manches qui sont fort usées, à chacune il y a trois testes.
3. Autres deux parements en broderie d’or et de soye ; en l’un est l’histoire de la Nativité et l’Apparition des anges aux pasteurs, et l’autre est la Nativité de Nostre-Seigneur, et les Roys qui l’adorent ; et le parement de l’amict en meme broderie, fort vieille, avec sept histoires : l’Annonciation, la Visitation, la Nativité, [le] Couronnement de la Vierge, l’Apparition des anges aux pasteurs, l’Adoration des Roys, et Jesus disputant au temple, avec aussy les parements des manches de diapre d’or et de soye de diverses couleurs, fait en losanges, travaillé à l’aiguille, le tout pour parer une aube.
4. Deux autres parements de soye couleur de rose seche, travaillé dessus en broderie d’or, en figures rondes, au dedans desquelles il y a en une un dragon volant, et l’autre deux aigles. Le parement de l’amict est en broderie d’or avec deux bouts, auquel il y a la figure de deux evesques, et au milieu trois testes, l’une de Nostre-Seigneur, de la Vierge, et de saint Jean. Les parements des manches sont de diapre d’or et de soye à losanges travailléz à l’aiguille.
5. Autres deux parements faits en broderie d’or et de soye, ouÌ il y a à l’un l’histoire de l’Annonciation avec deux anges, et l’autre est la Nativité avec l’Apparition aux pasteurs. Le parement de l’amict est aussy en broderie d’or et de soye avec cinq testes, l’une de sainte Catherine, de saint Paul, saint Pierre, saint Jacques et sainte Helene, fort vieux, avec les parements des manches de mesme broderie, avec deux petites testes à chacune et quelques feuillages verts et rouge.
6. Deux autres parements rouges travailléz en broderie d’or à personnages ; à chacun il y a six figures des Apostres. Le parement de l’amict est de mesme avec sept petites figures sans parement de manches.
7. Deux autres parements rouges fort uséz avec de[s] broderie d’or et de soye à personnages à chacun, y ayant sept personnages, sans garniture d’amict ny parement de manches.
8. Deux autres parements fort vieux dont le fonds etoit blanc avec cinq personnages à chacun en broderie d’or et de soye, sans parement d’amict ny de manches.
9. Six autres parements de damas bleu avec un galon rouge tout autour et un parement pour l’amict et six parements de manches, de mesme etoffe.
10. Six parements de damas vert, un parement d’amict et six pour les manches.
11. Six autres parements de damas rouge avec un parement d’amict et six pour les manches.
12. Six parements de velours noir fort uséz avec son parement pour l’amict et six pour les manches, de mesme etoffe.
13. Huict parements de satin bleu pour les aubes des enfans de cœur, garnis d’une frange rouge, blanche et jaune, avec huict parements de manches, de mesme etoffe.
14. Dix autres parements, le dedans desquels etoit rouge, travaillé en broderie de personnages dans de[s] niches y ayant cinq personnages à chacun, avec deux armoiries aussy à chacun.
15. Deux autres parements de satin de Bourges vert, au dessus, il y a six personnages travaillés en broderie d’or et de soye, les visages des personnages sont effacéz.
16. Deux autres parements de diapre à fonds blanc, et le ramage est d’or, et de soye rouge avec le parement de l’amict de mesme.
17. Autres deux parements violets avec de[s] personnages en broderie d’or, mais sont si vieux et rompus qu’on ne peut discerner les personnages.
18. Autres trois parements de diapre violet avec ramages d’or fin et petits chiens, avec ecritaux aussy d’or, fourréz de taffetas vert sauf un, avec le parement d’un amict et de deux manches, de mesme etoffe et fort beaux.
19. Deux parements de velours ou pane violette, seméz d’etoiles d’or fin, avec le parement de l’amict de mesme ; le[s] parement des manchez sont de diapre couleur de pourpre avec oyseaux d’or.
20. Plus trois pieces qui servent entierement de parement, pour mettre au devant de la poitrine des aubes, deux desquels sont verts en broderie d’or par dessus, à l’un il y a l’image de Dieu le Pere, à l’autre celle de la Vierge, et le troisiesme est à fonds d’or fin avec trois personnages en broderie de soye : l’un est la figure de Jesus et les autres deux anges.
21. Six parements d’aubes de damas blanc avec les parements de l’amict et six petits pour les parements des manches.
22. Plus autres six parements de damas blanc avec toutes leurs pieces.
Enfin, avons visité toutes les tapisseries du coeur et autres tapis servant de sous pieds, tout de laine et de soye et fil d’or, qui sont :
1. Une piece tapisserie ouÌ sont les histoires des Rameaux, de la Passion, Résurrection et Ascension de Jesus-Christ, qui se met devant la porte du fonds du choeur.
2. Deux pieces pour le parement des chaires du bas du coeur ; à l’une est l’histoire de l’Annonciation, et l’autre des Roys, avec les armoiries de M. Coursery127.
3. Deux grandes pieces de tapisserie pour parer le haut du cœur droit ; à l’une est l’image de Nostre-Dame et des douze Apostres, avec les armoiries de M. Saconis, archevesque ; l’autre est semée d’anges portant les armoiries dud. sieur de Saconis.
4. Plus une grande piece pour le parement du haut du cœur gauche, contenant l’histoire du Jugement de l’ame, avec mes armoiries de M. Alesii (sic), archevesque.
5. Plus deux pieces de tapisserie de damas incarnat et vert au bords, pour mettre au fonds du coeur au haut de la tribune, de longueur chacune de dix huict pans et de huict pans de largeur.
6. Seize autres pieces de mesme etoffe et parure, pour le parement du haut des chaires du cœur, servant de courtine.
7. Une grande piece de tapisserie de laine haute lice, faite à grands personnages, où est l’histoire de la Flagellation et Couronnement de Nostre-Seigneur.
8. Un tapis vert d’estarret vieux, qui sert ordinairement pour couvrir la caisse qui est devant le pulpitre.
9. Deux pieces de futaine de massat qui servent les deux sieges des chapiers les festivitéz.
10. Deux pieces de tapisserie faites à feuillages verdure et fleurs ; à l’une sont les armoiries du chapitre en trois ecussons, et sert pour couvrir la caisse qui est devant le pulpitre les festivitéz, et l’autre sert pour le grand-autel, et a esté donnée par M. Arnaud Raphanel, chanoine.
11. Deux grands tapis de Turquie qui servent à couvrir les degrés du grand-autel.
12. Une garniture de tapisserie de laine et soye melée, qui a esté donnée par M. de Vervins, archevesque de Narbonne, servant à tapisser tout le cœur, devisé en trois tentes. La premiere sert pour tapisser le haut du cœur, contenant l’histoire de la Vie, Mort, Passion, Résurrection de Nostre-Seigneur-Jesus-Christ, avec divers miracles, et du Jugement dernier, le tout contenant vingt et une pieces.
70Les deux pièces restantes de cette tapisserie offerte par Mgr de Vervins, représentent l’annonciation (fig. 23) et l’Adoration des bergers (fig. 24). Décorées aux armes du prélat (fig. 25), elles ont été tissées à la fin du XVIe siècle ou à l’aube du siècle suivant. Composées verticalement (h : 440, l : 330), elles sont toutes les deux ornées de la même frise. Le style n’est pas sans rappeler l’art de la peinture. Nous ignorons où elles ont été tissées.
71La tapisserie française commence à se développer à cette époque mais il est très possible que Mgr de Vervins ait eu recours à des ateliers flamands. Les deux événements représentés qui préparent la Rédemption, ressemblent fortement à des scènes peintes.
Fig. 23.
Narbonne (Aude), cathédrale Saint-Just et Saint-Pasteur ; tapisserie de l’Annonciation
M. Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général, 2014
72D’abord ils s’intègrent dans un décor architecturé et paysager extrêmement soigné. Celui de l’Annonciation est assez remarquable : la Vierge se trouve dans une chambre richement ornée d’un palais, dont la grande fenêtre donne sur l’extérieur. Cette disposition des lieux est très en vogue pendant la Renaissance, tout comme la représentation de l’ange dans sa descente depuis les cieux. Par ailleurs, l’attention au drapé et à la finesse du mouvement dans cette scène d’Annonciation évoque également l’art pictural.
Fig. 24.
Narbonne (Aude), cathédrale Saint-Just et Saint-Pasteur ; tapisserie de l’Adoration des bergers
M. Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général, 2014
- 128 Musée des Beaux-arts, Rouen.
- 129 Rubens, ses maîtres, ses élèves : dessins du Musée du Louvre, p. 78. On peut encore trouver une aut (...)
73L’adoration des bergers ressemble quant à elle très fortement au tableau de Peter Paul Rubens128, au début du XVIIe siècle. Le graveur Lucas Vosterman129 a reproduit l’œuvre, permettant sa diffusion, en 1620, époque où les tapisseries pour Saint-Just ont dû être commandées par le prélat. Ces tapisseries entrent donc parfaitement dans les goûts esthétiques des premières décennies du Grand Siècle. Les deux pièces sont désormais tendues dans la chapelle Saint-Michel.
Fig. 25.
Narbonne (Aude), cathédrale Saint-Just et Saint-Pasteur ; détail de la tapisserie de l’Annonciation : armoiries de Mgr de Vervins (1600‑1628)
M. Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général, 2014
- 130 François Fouquet, archevêque de Narbonne de 1659 à 1673.
13. Plus une grande piece de la mesme sorte, contenant l’Assomption de la sainte Vierge, qui sert pour mettre au fonds du cœur, devant la grande porte de la tribune en bas.
14. Plus la seconde tente, qui sert come de courtine sur les chaires du cœur ; est aussy de mesme tapisserie de haute lice de laine et soye melée, contenant l’histoire de saint Just et saint Pasteur, devisée en onze pieces.
15. La troisiesme tente sert pour parer toutes les chaires du cœur, contenant les histoires de la Conception, Nativité, Annonciation, Vie, Mort et Assomption de la Vierge, Nativité de Nostre-Seigneur, Circoncision, Manifestation parmy les docteurs, et les miracles des Nopces de Chanaam, devisée en douze pieces.
16. Plus autre tapisserie à fonds d’or et soye melée, qui consiste en dix pieces, lesquelles servent pour parer le dedans du cœur, et quelque fois on le tent au dehors, representant la Création du monde et plusieurs autres histoire, qui a esté par M. de Fouquet130, archevesque de Narbonne.
- 131 Cf. bibliographie. L’auteur ne met pas en contexte l’iconographie de cette pièce ; il s’attache sur (...)
74La tapisserie de Mgr Fouquet (fig. 26 et 27) est entrée plus tardivement dans le trésor de Saint-Just mais elle a été fabriquée à l’aube du XVIe siècle dans un atelier bruxellois. La frise ornée de grappes de raisin et d’oiseaux est la signature des lissiers de cette ville. Nous ne revenons pas sur le riche passé de cette superbe œuvre qui a appartenu à des membres de la famille royale de France et peut-être d’Angleterre avant d’être achetée par Mgr Fouquet. Il ne reste que la première pièce, nommée la Création. Un article de Patrick Lécuyer131 lui est consacré mais l’auteur ne s’intéresse qu’à la disposition des épisodes sur cette immense pièce (420 cm de haut par 785 cm de long) qui à elle seule témoigne bien de la splendeur de ce cycle de dix pièces suspendu dans le chœur canonial en avent et en Carême ou à l’extérieur lors des grandes fêtes. L’iconographie de cette pièce est totalement différente de celles des tapisseries qui ont été offertes par Mgr de Vervins. Les différents épisodes de la Création, qui inclut la chute de l’homme et son expulsion du paradis terrestre, sont représentés sur un fond végétal et céleste.
Fig. 26.
Narbonne (Aude), cathédrale Saint-Just et Saint-Pasteur ; salle acoustique (salle actuelle du trésor)
M. Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général, 2014
Fig. 27.
Narbonne (Aude), cathédrale Saint-Just et Saint-Pasteur ; tapisserie de La Création du monde
M. Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général, 2014
75Les scènes sont séparées avec grande finesse par des nuées ou par des flots. Nous sommes dans la tradition des tapisseries médiévales. La Sainte Trinité est représentée sous l’apparence de trois hommes identiques portant un sceptre et une couronne. Le premier épisode se trouve dans le coin supérieur gauche, au moment où la Trinité crée, alors que les ténèbres règnent encore, les astres, les planètes et les nuages. La finesse du tissage du fond céleste est impressionnante. Le rôle des trois Personnes n’est jamais identique : le Père crée les végétaux pendant que le Fils et le Saint-Esprit bénissent de leur sceptre cette œuvre, tandis que c’est le Saint-Esprit qui crée la lumière et le Fils qui donne vie aux poissons et aux êtres marins. La création de l’homme, le péché et la chute sont regroupés dans la partie droite de la pièce. Adam et Ève deviennent de plus en plus petits au fur et à mesure qu’ils s’éloignent de l’alliance originelle. Patrick Lécuyer s’est attaché à inclure les regards auxquels il donne une importance considérable dans son interprétation. Cette pièce est en quelque sorte un chef-d’œuvre technique, comme théologique. Elle est exposée dans la Salle acoustique.
76Le commentaire de cette visite permet de tirer plusieurs conclusions sur le trésor de Saint-Just. Tout d’abord, il s’inscrit à la fois dans l’art méridional et international. Il combine des objets en vogue dans le sud de la France et de riches pièces appréciées dans toute l’Europe. L’art hispano-mauresque est présent comme les étoffes italiennes qu’il faudrait caractériser davantage. La stratification chronologique des ornements est bien plus importante que pour l’orfèvrerie. Les deux périodes fastes du trésor sont bien représentées, avec une belle présence du XVIe siècle. L’analyse des principales pièces montre que les prélats et les chanoines n’hésitent pas à commander directement des œuvres à l’étranger, ainsi l’opus anglicanum occupe une place très importante au Bas Moyen Âge. Les clercs de la primatiale sont suffisamment fortunés pour commander des œuvres aussi luxueuses. Ils placent ainsi l’ensemble de Saint-Just au rang des trésors les plus prestigieux de France et d’Europe.
77Par ailleurs, la comparaison de cette source avec l’inventaire de 1790 permet de soulever plusieurs problèmes. En effet, la quantité d’ornements semble s’être réduite comme une peau de chagrin. A cette date, il n’y en a presque plus dans le Sacraire, alors que la salle forte contient de très nombreuses pièces en 1677. La description par les membres du district de Narbonne sème la confusion, car les armes et les motifs ne sont jamais mentionnés. On peut toutefois supposer que de très nombreux articles ont été soustraits à leur regard avant qu’ils n’arrivent, tandis que d’autres étaient alors conservés ailleurs dans la cathédrale. Les membres du chapitre de Saint-Just sentent le vent tourner en leur défaveur et ils sont très sceptiques sur le sort des objets inventoriés par la Nation. D’ailleurs, la tension est palpable entre les membres du district et les prévôts du chapitre, qui rechignent à venir à l’heure pour assister à l’inventaire et fournir les explications nécessaires. Le dernier paragraphe, tronqué par Louis Narbonne, montre qu’un exemplaire ancien du Nouveau Testament, des objets d’orfèvrerie et l’autel de porphyre du XIIIe siècle, ainsi que presque toutes les reliques du trésor sont placées en sécurité dans le château du grand archidiacre Dauderic de Lastours. Lorsque le chœur et le sanctuaire sont décrits en juillet 1790, il n’y a plus les châsses des saints patrons.
- 132 « Un tableau en cadre bois doré représentant la Passion de Jesus-Christ en yvoire ».
- 133 NARBONNE, Louis. op. cit., p. 212 : extrait d’une délibération du conseil de fabrique du 7 avril 18 (...)
78Le cas de l’ivoire de la Crucifixion est tout aussi intéressant. Il est bien cité dans l’inventaire révolutionnaire132, mais il disparaît ensuite pour revenir au cours du XIXe siècle : un antiquaire l’offre à la cathérale en 1850 « à condition qu’il servirait de porte de tabernacle à une chapelle, et préférablement à l’autel de la chapelle de Notre-dame, du Sacré-Cœur ou de l’ange gardien (…) »133. Cette pièce a donc sûrement été soustraite avant les ventes qui ne commencent qu’en 1792‑1793. Les chanoines ayant eu le temps d’emporter et de cacher les objets, il n’est pas impossible que des recoins de la cathédrale aient également servi de cachette. Il en va certainement de même pour le Pontifical de Pierre de La Jugie, qui n’est pas cité dans l’inventaire de 1790 mais qui rejoint le trésor au cours du XIXe siècle. Ainsi, le trésor de 1790 n’est pas le même qu’en 1677, mais on peut dire qu’il n’est même plus celui de la fin de l’Ancien Régime. Les sources permettent également de voir l’attitude méfiante des chanoines qui abritent des objets chez les plus fortunés d’entre eux ; des simples bénéficiers ont probablement aussi participé à ces sauvetages avant les fontes et les épisodes de vandalisme de l’été 1793.
- 134 On ne peut affirmer que la copie de Périgueux est intégrale, ce qui sous-entendrait alors qu’elle n (...)
- 135 Histoire de la cathédrale de Beauvais, Lyon : Impr. Louis Perrin, 1865, p. 159‑227 : inventaire de (...)
79Enfin, on peut constater que les pièces d’orfèvrerie, surtout celle du Sacraire, sont finalement assez peu nombreuses par rapport aux ornements134. La lecture d’inventaires d’autres trésors de cathédrales du même rang ou d’importance un peu inférieure montre que cette différence est une anomalie. L’inventaire de la cathédrale de Beauvais édité par Jean desjardins135 suffit à révéler cet écart : six cent-quarante-trois articles sont recensés, et parmi eux l’orfèvrerie, reliquaires et objets d’autel, occupe une place de choix. Cette constatation est assez surprenante pour la primatiale de Narbonne. L’orfèvrerie d’autel de Saint-Just est bien chétive mais aussi très récente : il y a seulement les deux chapelles complètes offertes par MMSS de Vervins et de Rebé, qui ne sont vieilles que de quelques décennies, ainsi que quelques autres calices. Seulement deux crosses, deux mitres et vingt-deux pectoraux viennent compléter la collection. Les remarques faites par le sacristain et le procureur fiscal du cardinal permettent déjà d’identifier une raison : la réparation du grand reliquaire, qui sert à exposer le Saint-Sacrement, effectuée en 1676, soit un an plus tôt seulement. Anneaux, perles, boutons d’argent, calices, bénitiers et autres objets ont été fondus et vendus. Les mentions de manques de perles sur les ornements liturgiques peuvent aussi être expliqués par cette réparation. Une partie de l’orfèvrerie a donc été engloutie au profit du grand reliquaire.
80Toutefois, malgré cette explication, le nombre d’objets de cette catégorie reste encore très faible pour une cathédrale du rang de celle de Narbonne. Il ne faut pas y voir un manque d’ambition de la part du chapitre et des mécènes, mais il faut plutôt poser la question de l’incidence des travaux et de l’inachèvement de la nef sur la vie du trésor : a-t-on privilégié les travaux par rapport au trésor ? N’a-t’on pas, par souci d’économie, préféré fondre des objets ou diminuer les commandes pour consacrer plus d’argent aux travaux de construction ? L’insuffisance chronique de revenus de la fabrique et du Sacraire, qui ne cessent d’avoir recours au chapitre, même pour les besoins ordinaires, est aussi à prendre en considération dans cette hypothèse. Il semble que l’inachèvement de Saint-Just a lourdement pesé sur le trésor, inachevé comme son écrin de pierre.