- 1 - COLI, 1976, t. XXVI, fasc. 105, p. 255-265. COLY, 1983, n° 125, p. 63-67. COUTANCIER, 2020.
1La présente contribution est le reflet de travaux en cours sur un personnage connu et méconnu tout à la fois. Figure incontournable de la scène architecturale régionale (et globalement, méridionale) de la seconde moitié du XIXe siècle, c’est pourtant un architecte qui n’a pas suscité beaucoup de publications1 bien qu’il soit régulièrement abordé dans les études des chercheurs ou des professionnels du patrimoine.
2Cela ne tient pas au manque de documentation, bien au contraire, tant les archives le concernant sont abondantes ; peut-être même trop pour espérer en faire le tour dans le cadre d’une recherche individuelle. L’explication doit plutôt se situer au niveau de sa position : Révoil resta un praticien de province. S’il s’inscrivit dans les milieux scientifiques, il ne fut pas le premier et, dans les débats stylistiques contemporains, il ne prit pas la parole au sein des tribunes spécialisées. Ses propres convictions sont finalement assez mal connues. C’est un homme qui « travaillait ». S’il enseigna, ce fut de façon confidentielle ; pas d’atelier à l’École des beaux-arts de Paris, dans laquelle il avait fait un passage honorable certes, mais qui ne fut pas couronné par les honneurs d’un Prix de Rome. Et pour ses plus grands chantiers, il arriva toujours après : après Questel aux Antiques de Nîmes ou sur l’abbatiale de Saint-Gilles-du-Gard, après Vaudoyer et Espérandieu à la Cathédrale et à l’église Notre-Dame de la Garde à Marseille, pour ne citer que ceux-là.
3Sous cet angle, il incarne à lui seul ces centaines d’architectes officiels du XIXe siècle qui investissaient les départements français au fur et à mesure de l’organisation des services administratifs, des Bâtiments civils aux Édifices diocésains, architectes écrasés par la multiplication des tâches, tenus par les contingences financières et les attentes des commanditaires. Si l’architecture est bien classée dans les arts majeurs, peut-on encore voir de la « création artistique » dans toutes les charges qui leur incombent ?
4L’extraordinaire documentation qui s’offre autour de la personne d’Henry Révoil nous incitait à tenter une intime rencontre avec son œuvre. Par l’étude, non pas des archives nationales, qui ont été bien exploitées, mais de celles éparpillées dans les communes, dans les musées, les fonds privés, les départements, etc. Des lettres personnelles, des rapports, des croquis, parfois des réclamations, des plans annotés, des photographies… N’est-ce pas là la matière qui permettrait d’aller questionner la vraie valeur de l’homme, sa nature profonde, ses préoccupations, et ce à l’effet d’apprécier l’ensemble d’une carrière avec un regard objectif ? (fig. 1)
Fig. 1
Montpellier (Hérault), archives départementales, Henry Révoil, architecte du gouvernement. Papier à en-tête, 20 mai 1861, lettre relative à l’église de Bédarieux, 2 O 28/14 Bédarieux
© C.-L. Creissen
5Cette publication est ainsi l’occasion de présenter cette nouvelle approche et d’évoquer la préciosité des sources d’archives dans une démarche d’histoire retrouvée. Elle s’organise en trois axes majeurs : tout d’abord une présentation sommaire de la carrière d’Henry Révoil avec un regard appuyé sur la ville de Nîmes dans laquelle il s’était fixé ; dans un deuxième temps une délimitation du sujet et l’exploitation d’exemples révélateurs des découvertes ou redécouvertes qui sont encore possibles au sujet de son œuvre – spécifiquement l’œuvre du bâtisseur ; enfin, les avancées que ces recherches permettent surtout au point de vue de la connaissance du personnage, de sa fortune critique et de sa résonance dans les milieux de l’architecture contemporaine.
- 2 - Cf. note n° 1 et travaux universitaires : CREISSEN, 2003, p. 273-364 ; MARTINES, 2013.
6Pour des références biographiques, il faudra se reporter aux différents travaux qui ont déjà été menés sur le sujet2 mais il est important de rappeler quelques aspects de la vie d’un homme qui, malgré une enfance en partie passée à Lyon où son père, Pierre Révoil, était peintre d’Histoire et professeur à l’école des beaux-arts, fut viscéralement méridional. En effet, il tenait par sa mère le domaine de Servanes, à Mouriès, et cette attache provençale a beaucoup compté pour l’architecte qui s’y retirait d’ailleurs sur la fin de sa vie.
7Après une formation parisienne aux Beaux-Arts dans l’atelier de Caristie de 1845 à 1848, le jeune architecte commence sa carrière en se fixant à Nîmes. En 1906, Henry Roujon, secrétaire perpétuel de l’académie des beaux-arts, s’exprime en ces termes à l’occasion de l’inauguration de la statue du jardin de la Fontaine :
- 3 - Inauguration du monument Henry Révoil, p. 17.
L’illustre architecte avait choisi votre ville pour mère adoptive. Le meilleur de son talent, il le consacra à conserver et à augmenter la splendeur de cette cité qu’il semble impossible d’embellir. Vous retrouvez à chaque pas, en parcourant vos rues, la trace de son séjour parmi vous. Sa carrière est un chapitre de votre histoire.3
- 4 - Dans l’Annuaire du Gard de 1851, l’architecte est déjà noté comme installé au n° 2 av. Feuchères (...)
8Il y a tout lieu de penser que c’est le mariage d’Henry, avec sa cousine Anaïs Baragnon en 1849, qui devait faire de lui un nîmois d’adoption. Anaïs, bien qu’issue de la branche provençale des Révoil par sa mère, est surtout la fille de Jean Baragnon, qui appartient à une importante famille de la bourgeoisie nîmoise et qui est installé comme avocat puis magistrat à Nîmes. Assez rapidement, le jeune couple emménage dans le bel immeuble Bézard, construit par l’architecte départemental Gaston Bourdon, dans le nouveau quartier chic de l’avenue Feuchères. Tous deux y voient naître leurs enfants et ce grand appartement qu’ils occupent au 1er étage devait abriter également les bureaux de l’architecte. Une vie confortable4, une résidence au plus près de la bonne société nîmoise de l’époque : industriels, négociants, artistes. Les préfets aussi qui intègrent leur hôtel achevé à la fin des années 1850, un pâté de maisons plus bas…
- 5 - Le ton un peu péremptoire s’explique par le froid qui s’était instauré dans leurs relations à cet (...)
- 6 - AN. F/19/7239. Édifices diocésains. Lettre du préfet du Gard au ministère du 1er août 1870.
- 7 - Dans cette commission municipale hétéroclite, siégeaient aussi son cousin, Numa Baragnon, qui eff (...)
9On peut présumer qu’un tissu de relations se forme très vite autour de sa personne, ne serait-ce que par l’insertion de la famille Baragnon dans les milieux politiques et ecclésiastiques de la région. Le père Emmanuel d’Alzon, vicaire général du diocèse et fondateur de l’ordre des assomptionnistes le résume d’ailleurs sans détours en 1874 : « Ce qui a fait la position de Révoil, c’est sa femme »5. Sans doute est-elle à l’origine de l’ouverture d’un grand nombre de portes même si, parfois, les tendances légitimistes et conservatrices de ce milieu ont pu être difficiles à porter, sous le Second Empire par exemple où, « M. Révoil dont la personne, ou plus ou moins le nom, se trouvait mêlé à des influences locales notoirement connues pour leur peu de sympathie pour le gouvernement actuel »6. Mais Henry, sans doute bien familiarisé avec les rouages de cette société d’influences, se garde d’affirmer des opinions trop marquées, et s’insère plus volontiers dans les milieux culturels que dans les milieux politiques. On note juste sa présence au sein de l’autorité municipale lors des troubles qui suivent la défaite de Sedan et la chute du Second Empire. Il apparaît alors dans la commission municipale qui est mise en place le 6 septembre 1870, dirigée par Auguste Démians, et ce pendant environ une année. Un passage en politique qui semble surtout motivé par le désir d’un retour au calme7.
10Nîmes fourmille alors d’exemples très émulateurs pour un jeune architecte et, au premier rang d’entre eux, le chantier mené par Charles Auguste Questel sur l’église Saint-Paul (1835-1849). Monument emblématique des styles historicistes qui animaient la création architecturale de l’époque, il ne pouvait qu’exercer une influence majeure et durable sur un jeune homme déjà touché par la passion du Moyen Âge au travers des collections paternelles et du style troubadour dans lequel Pierre Révoil s’illustrait depuis le début du XIXe siècle.
- 8 - Gaston Bourdon(1801 Vincennes-1854 Saint-Rémy). Élève de Regnault et de Debret à l’École national (...)
- 9 - Léon Feuchère (1804 Paris-1857 Nîmes) formé aux Beaux-Arts dans l’atelier Delespine-Blouet, il es (...)
- 10 - Eugène Laval (1818-1869, Villefranche, Rhône). Élève de Labrouste aux Beaux-Arts, il arrive à Nîm (...)
11Dans une ville en pleine expansion, des personnalités de qualité animaient la scène architecturale, localement mais aussi à l’échelle du département tout entier avec une grande demande en matière de constructions civiles, religieuses ou privées : l’architecte départemental Gaston Bourdon (1801-1854)8 en poste jusqu’en 1849 et son successeur Léon Feuchère (1804-1857)9, Eugène Laval (1818-1869)10 qui arrive également en 1849 comme architecte diocésain de Nîmes et de Viviers et qui était rattaché à la commission des monuments historiques depuis sa création. Des architectes provinciaux certes, mais dûment formés aux Beaux-Arts de Paris, avec des carrières nationales, qui entretenaient par leurs grands programmes un milieu artistique de qualité fait d’artisans d’art nombreux et compétents, ainsi que d’artistes peintres ou sculpteurs gravitant dans le cercle de l’école des beaux-arts de Nîmes.
12Il faudrait également citer des personnalités telles qu’Henri Durand (1805-1884), le fils du célèbre Charles-Étienne Durand, qui commence sa carrière comme conducteur des Ponts et Chaussées avant de remplir des fonctions d’inspecteur au sein des monuments historiques et des édifices diocésains, Noël Chambaud (1832-1885), directeur des travaux publics de la ville de Nîmes, ou bien encore, Jean-François Chapot et Méjean qui sont des maîtres d’œuvre indépendants.
- 11 - Exposition des pièces de la collection familiale à Villeneuve-lez-Avignon : « Henry Révoil et la (...)
13Si Saint-Paul et le palais de justice étaient déjà achevés, les grands chantiers nîmois se poursuivent : Sainte-Perpétue, pour laquelle nous avons découvert récemment que Révoil avait donné un projet11,et qui est réalisée sur les plans de Feuchère, l’hôtel de préfecture par le même, mais surtout, l’entreprise titanesque de la restauration des antiques, menée sous la direction de Questel, notamment pour les Arènes.
14Comme on le voit, la place était déjà bien occupée ; pour autant, cette abondance de réalisations ne pouvait qu’exercer un rôle formateur aux yeux d’un architecte fraîchement sorti de l’école et l’importance de la demande créait un contexte propice au démarrage d’une carrière.
15Le fonds du musée des beaux-arts de Marseille atteste d’une importante activité de dessins et de relevés entre le Midi et la région parisienne à partir de 1844 mais il faut attendre deux ans pour trouver dans le parcours d’Henry Révoil des réalisations d’une certaine résonance : l’envoi de ses études sur l’abbaye de Montmajour au salon de 1846 et, à sa suite, la mission confiée par les monuments historiques pour un relevé du cloître de ce même édifice (fig. 2).
Fig. 2
Paris, médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Henry Révoil, Album de Montmajour, 1846 (aquarelle sur papier, datée signée en rouge.0082/013/2007)
© C.-L. Creissen
- 12 - Entre 1850 et 1853, les dossiers des monuments historiques et des édifices diocésains livrent ain (...)
16C’est en 1850 que l’avenir se profile grâce à son rattachement à la commission des monuments historiques. Une carrière officielle appuyée par de nombreuses recommandations12, qui s’étoffe au fil des années par la nomination en 1852 au poste d’architecte de la cathédrale d’Aix-en-Provence et à celui de diocésain de Fréjus et Montpellier ; en 1854, après avoir été précédemment nommé architecte de l’archevêché et du petit séminaire d’Aix-en-Provence, il obtient le poste de diocésain d’Aix (un prélude aux autres titres et fonctions qui allaient se succéder tout au long de sa carrière). On note simplement que le poste d’architecte du diocèse de Nîmes, le plus légitime sans doute eu égard à ses nombreux travaux dans le Gard et à sa proximité avec l’évêché, ne lui échoit qu’en 1870 en remplacement d’Eugène Laval, décédé.
17Par son tempérament appliqué et consciencieux, Henry se fait vite apprécier des différentes administrations pour lesquelles il travaille ; dès 1853, ses réponses à la circulaire du ministre des Cultes demandant la réalisation de plans-types, donnent la mesure de son engagement : en introduction du répertoire de cette série cotée F/19/4681 aux Archives nationales, le conservateur Nadine Gastaldi attire l’attention
- 13 - Archives nationales. Réponse des architectes diocésains à la circulaire du ministre des Cultes du (...)
sur certains plans dont la qualité, au moins au titre de documents graphiques, paraît indéniable : à savoir, notamment, les plans de Révoil (architecte d’Aix, Nîmes et Montpellier), de Guérin (Tours), de Bourrières (Agen), de Maxe (Verdun), de Gautiez (Metz).13
- 14 - Il a été choisi d’indiquer l’année du démarrage des chantiers.
18Ainsi se forgent les réputations… Sans oublier les participations honorables aux salons, de même qu’à l’Exposition universelle de 1855. Les publications qui confortent sa position interviennent quant à elles un peu plus tardivement (surtout à partir des années 1860), le jeune homme ayant sans doute fort à faire en ce début de carrière, partagé entre ses chantiers monuments historiques et ses chantiers diocésains, voire d’autres réponses à diverses commandes publiques ou non ; si l’on s’en tient aux cinq premières années d’exercice, en fonction des connaissances actuelles, il est possible d’établir la liste suivante14 :
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Réalisations privées : château de Saporta à Saint-Zacharie (Var), dès 1850 ; restauration de la chapelle de Saint-Vincent de Broussan à Bellegarde (Gard), dès 1854.
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Restaurations de monuments historiques : pont antique de Saint-Chamas (Bouches-du-Rhône), dès 1851 ; église Saint-Jean de Malte à Aix-en-Provence, dès 1851 ; Saint-Trophime, Arles, dès 1853 ; travaux à l’église de Bernis (Gard), dès 1854 ; théâtre antique d’Arles dès 1855 ; église paroissiale de Bourg-Saint-Andéol (Ardèche), dès 1855.
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Travaux communaux dans le Gard : école communale de Fourques, et école des frères de Manduel, dès 1852 ; écoles religieuses de Garons, dès 1855 ; campanile de Codognan, dès 1854 ; presbytère protestant du Cailar, dès 1854 ; mairie de Bouillargues, dès 1854.
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Travaux diocésains : petit séminaire d’Aix-en-Provence, dès 1852 ; ancienne cathédrale Saint-Fulcran de Lodève (Hérault), dès 1854 ; cathédrale de Montpellier, dès 1855.
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Constructions religieuses : monument à la Vierge, Remoulins (Gard), dès 1852 ; église paroissiale de Garons (Gard), dès 1853 ; église paroissiale de Mollégès (Bouches-du-Rhône), dès 1855 ; églises de la Madeleine et de Notre-Dame de la Sed à Aix-en-Provence dès 1853 ; église paroissiale de Saint-Cannat (Bouches-du-Rhône), dès 1854 ; temple de Codognan (Gard), dès 1854 (fig. 3) ; clocher du temple du Cailar (Gard), dès 1854 ; église paroissiale de Mas-Thibert et presbytère, Arles, dès 1855 ; église de Tamaris à Alès (Gard), dès 1855 ; église paroissiale d’Olonzac (Hérault), dès 1855.
Fig. 3
Codognan (Gard), premier projet pour le temple, Henry Révoil, élévation de façade, 15 janvier 1853 (AD Gard. V 423)
© C.-L. Creissen
- 15 - 31 juillet 1861, rapport de l’administration des cultes sur une demande de promotion au titre de (...)
- 16 - Le 18 février 1854 pour ne prendre en exemple que cette date, Révoil était reçu à la séance de la (...)
19En 1861, Victor Hamille donnait l’avis suivant au nom de l’administration des cultes : « On ne peut pas dire qu’il ait un talent supérieur, mais il est assez rare de trouver en province un artiste aussi distingué »15… C’est sous cet angle que l’étude d’Henry Révoil prend toute sa valeur car on a souvent passé un peu trop sous silence l’activité des provinciaux, qui, quand ils étaient bien formés et consciencieux, ont pu impulser un paysage architectural de qualité, tant par leurs réalisations que par celles de ceux qui s’en sont inspirés. De plus, Révoil est contemporain des grandes personnalités de ce temps, et c’est avec un respect mutuel certain qu’il a côtoyé Charles Auguste Questel ou Léon Vaudoyer sur le terrain, Viollet-le-Duc dans des relations ponctuelles, ou bien d’autres encore à l’occasion de réunions administratives ou protocolaires16.
- 17 - Voir à ce sujet, DURAND, 2001.
20De fait, la postérité le retient pour ses programmes emblématiques comme les chantiers marseillais (La Major, Notre-Dame de la Garde), les travaux sur les cathédrales et bien sûr les restaurations des monuments historiques prestigieux.17
21Mais à l’instar des antiquaires de la Renaissance qui allaient au trésor sans égards pour le contexte archéologique, ces dossiers n’en cachent-ils pas d’autres, méconnus, qui resteraient à exhumer pour se faire une idée objective de la carrière d’un architecte officiel, en province, au XIXe siècle ?
22Après de nombreuses années passées à travailler le sujet, tantôt en veille active, tantôt avec acharnement, l’approche du bicentenaire de la naissance d’Henry Révoil, de même que cette période de latence et d’incertitude engendrée par l’épisode pandémique, nous ont poussé vers ce projet un peu hasardeux de vérification de toutes les mentions qui avaient pu être relevées dans des publications diverses et, même, de se fier à l’œil, à l’intuition, et de voir si les archives disponibles avaient des secrets à révéler ou disposaient de petits « trésors » qui n’auraient pas encore été exploités.
23La base de travail était de partir des listes d’œuvres, établies par les documents d’époque, augmentées des découvertes des auteurs contemporains, recoupées avec celles de nos travaux universitaires. C’est ainsi une liste fleuve qui commence à se dessiner et l’on s’aperçoit qu’aux côtés du réaménagement de la cathédrale de Nîmes ou des restaurations de l’abbatiale de Saint-Gilles, figurent aussi de modestes chantiers de réparations ou des ribambelles de constructions communales, allant de l’église de village aux écoles, mairies, etc. Autant de lieux méconnus, autant d’édifices non étudiés. Nous décidions d’aller ouvrir les liasses.
24C’est ainsi que nous pouvons mettre un plan aujourd’hui sur la mairie-école de Poulx (1857-1862), que nous pouvons ressusciter un bâtiment disparu à Aimargues (salle d’asile, 1863-1864) (fig. 4), étudier un modeste décor (clocher du temple du Cailar, 1854-1861), …
Fig. 4
Aimargues (Gard), projet d’une salle d’asile (bâtiment disparu), Henry Révoil, élévation de façade, 1er mai 1861 (AD Gard. 2 O 76)
© C.-L. Creissen
25Cette recherche systématique permet, pour ce qui concerne les chantiers de construction, d’approcher la démarche créatrice de l’artiste qui se met en place dans ses vingt premières années d’activité. Il en ressort en effet que ce sont les deux décennies 1850-1870, qui fourmillent d’activités diverses et parfois, inattendues : reflet de l’effort consenti pour s’implanter dans le milieu, réponse aux sollicitations de ses diverses relations, volonté d’exprimer ses capacités.
- 18 - 7 novembre 1851, lettre du vicaire général de Nîmes, E. d’Alzon, au ministre des cultes (AN. F/19 (...)
26C’est dans cette séquentialité que se retrouvent l’essentiel des églises de la couronne nîmoise. Comment ne pas imaginer que les appuis du père d’Alzon (qui dès 1851 le recommandait pour un poste d’architecte diocésain18), et d’une façon générale, d’un clergé nîmois dont sa belle-famille était très proche, n’aient pu jouer un rôle majeur ? C’est la question que l’on s’est posée par exemple, à propos du dossier de construction d’une école religieuse à Manduel : alors que l’architecte n’avait encore rien produit, la préfecture lui demandait d’aller remplacer Bourdon sur ce dossier. À la fin des années 1840 en effet, l’architecte départemental était touché par de graves problèmes de santé (en 1849, il avait été remplacé par Léon Feuchère au poste d’architecte départemental et la même année, Laval arrivait au poste de diocésain…). Dès ce moment, Révoil apparaît comme un praticien tout à fait sûr de son art ; en réponse à la demande, dans sa lettre au préfet du 21 août 1851, il expose qu’il sera impossible de suivre le projet de son prédécesseur :
- 19 - AD Gard. 2 O 987. École des Frères de Manduel.
Le projet de M. Bourdon ne pourrait point s’exécuter sur ce terrain : cet architecte de talent a dû se conformer sans doute à un désir exprimé alors et à des arrangements imposés, qui interdisent toute disposition symétrique et tout effet de façade19.
27Et avec beaucoup de diplomatie, il fait passer son propre projet :
J’ai l’honneur de vous présenter un projet qui s’adaptera aux nouvelles exigences du terrain, satisfera celles de l’enseignement religieux des frères et répondra au désir qui m’a été exprimé par M. le maire de Manduel, au nom de sa commune, celui d’avoir un petit monument de plus et un édifice complet.
28Jeune homme ambitieux, désir de plaire ? Dans cette même lettre, il propose au préfet de fixer lui-même le montant de ses honoraires…Le chantier de construction de l’école s’ouvre à l’automne 1852 et l’architecte s’y familiarise avec les rouages du système, tenant bon, tant du côté des affectataires que du côté du maître d’ouvrage : dans une lettre au préfet du 22 novembre 1852, il expose une réclamation des frères maristes qui s’insurgent contre le fronton prévu pour la façade qui serait « contraire à la modestie de leur institut ». Pour autant,
étant chargé par l’administration municipale de Manduel de lui construire une école, elle m’a demandé de donner à ce bâtiment un aspect convenable en rapport avec l’importance de cette commune. Cette ornementation qui déplait aux frères est en définitive plus que simple.20
- 21 - Dans ce département imprégné de bi-confessionnalisme, l’architecte catholique travaille aussi pou (...)
29Et il est vrai que dans ces premières décennies, c’est bien souvent dans la sphère de l’Église21 que se trouvent ses travaux les plus importants (hors restaurations de monuments historiques évidemment). Les constructions qu’il donne à Alès, tant pour la commune que pour la Compagnie des Fonderies et Forges d’Alais (fig. 5), livrent de superbes pages d’archives, révélant la nature de son art, son tempérament affable mais déterminé, sa bonne appréciation des contextes politiques et des mondes d’influences.
Fig. 5
Alès (Gard), projet pour l’église Notre-Dame de Rochebelle, Henry Révoil, élévation de façade, 24 janvier 1856 ; ce dessin sera finalement utilisé pour la construction de l’église Saint-Éloi de Tamaris (AC Alès. II M 3)
© C.-L. Creissen
30Au mois de juin 1860, alors que le chantier de l’église de Notre-Dame de Rochebelle avait bien avancé depuis l’adjudication de 1858, l’architecte s’ouvre au maire d’Alès d’un certain nombre de difficultés rencontrées tant avec la paroisse qu’avec les corps de métier, voire de quelques décisions (mesquines) du conseil municipal, et par bien des aspects, c’est une véritable profession de foi qui s’exprime dans une lettre fleuve :
- 22 - S’agit-il de débats en cours à propos du chantier de la cathédrale de Montpellier qui s’était ouv (...)
- 23 - 9 juin 1860, lettre de Révoil au maire d’Alès. AC Alès. II M 3. Église de Rochebelle.
Assuré que votre intention est de ne rien négliger pour rendre complète cette œuvre importante de votre administration, je viens vous demander que rien ne se fasse sans mon contrôle d’architecte […] j’apporte, vous le savez, à notre église tout mon amour propre d’artiste, augmenté sans doute de l’obligation que m’ont créées certaines difficultés, certains déboires. […] S’il m’est permis de comparer la cathédrale à la chapelle, je vous dirai, voyez dans Saint-Paul (de Nîmes), tout est sorti de la même main et du même crayon.[…] Je désire donc que tout soit aussi complet que possible dans cet édifice. […] Je vous en supplie M. le maire, pas de bigarrure dont vous seriez le premier à vous repentir. […] Si je me permets de vous en écrire si long, c’est que je gémis depuis que j’ai vu à Montpellier cette masse informe que l’on se propose de jucher sur notre clocher, et qui pourra bien se dire : nigra ou aureasum, sed non formosa22.23
- 24 - Mgr Claude-Henri Plantier (1813-1875) est un prélat charismatique, qui préside aux affaires du di (...)
31C’est une réputation solide qui se forgeait dès ces premières décennies d’activité. Le bouche à oreille, l’observation des résultats firent ensuite le reste. Lors de la consécration de l’église d’Alès le 18 avril 1864, le maire se félicitait de remettre à Mgr Plantier24
- 25 - Discours prononcés pour la cérémonie d’inauguration du 18 avril 1864 (en présence de l’architecte (...)
les clefs d’un de ces édifices qui sont tout ensemble une œuvre monumentale et un témoignage de foi. (…) Son style correct et si harmonieux à l’intérieur est une belle page de plus ajoutée à la carrière de l’artiste qui en a conçu le plan et dirigé l’exécution.25
32Parmi les réalisations qui mériteraient d’être mises en valeur se trouve l’hôtel de ville de Saint-Gilles. Non pas que son attribution à l’architecte soit une surprise mais, les études manquant, c’est finalement un édifice passé un peu inaperçu quand ailleurs on se serait passionné pour ce que Viollet-le-Duc réalisait à Narbonne (1846-1852) ou Abadie à Angoulême (1858-1868). Révoil y intervient à la demande de la commune en 1854, suite à des inquiétudes sur la stabilité et la sécurité des locaux, et au même titre que les exemples cités plus avant, il s’agit d’une parcelle aménagée au fil des temps sur les bases d’un édifice médiéval (château), dont peu de vestiges étaient conservés cependant.
33À cette époque, l’architecte n’était pas inconnu de l’administration saint-gilloise puisqu’il semble qu’il secondait Questel sur certaines démarches administratives dans le cadre du service des monuments historiques ; notamment sur une question qui revenait en 1850 et 1852 dans les P.V. de la commission des monuments historiques, à propos de l’acquisition par la commune de la maison romane.
34Au sujet des locaux utilisés alors pour la mairie, son expertise est sans appel : l’ancien hôtel de ville doit être évacué d’urgence ! Cela contraint le maire à louer une maison particulière en attendant qu’une solution soit trouvée ; celle-ci passant par la démolition du corps de bâtiment donnant sur l’Esplanade et sa reconstruction complète à l’effet d’accueillir école, mairie, archives, justice de paix, prisons et logements (fig. 6). L’architecte consigne le tout dans un devis en date du 30 avril 1856 et les travaux commencent à la fin de l’année 1857 après adjudication à un maçon de Saint-Gilles : François Fourmaud.
Fig. 6
Saint-Gilles-du-Gard (Gard), projet pour l’hôtel de ville, Henry Révoil, plan au sol, 30 avril 1856 (AD. Gard. 2 O 1613)
© C.-L. Creissen
35Une étude fine de ce chantier serait nécessaire pour saisir l’exacte nature des travaux et en particulier leur impact sur d’éventuelles destructions de bâtis anciens. À première vue toutefois, le corps de bâtiment que l’on démolit procédait déjà de remaniements modernes et son imbrication dans une parcelle occupée par la maison médiévale de la rue de l’Hôtel de ville, compliqua le chantier par une volonté de préservation. Le 8 mai 1858, dans une délibération du conseil municipal, il est fait état que les
- 26 - AD Gard. 2 O 1613. Hôtel de ville de Saint-Gilles.
constructions très anciennes n’ont pu résister à la démolition de l’édifice qui les soutenait. Les murs (…) n’ont pu, malgré toutes les précautions d’usage, résister aux voûtes qu’ils supportaient et se sont écroulés avec elles. Par suite de ces démolitions, la petite maison romane est menacée de se disloquer comme les constructions qui l’avoisinent et il devient urgent de faire des travaux nécessaires pour la soutenir.26
36Un devis supplémentaire de 1 986.69 f. est donc approuvé pour la consolidation des bâtiments adossés au nouvel hôtel de ville.
37Ce chantier délicat donne lieu à plusieurs autres devis motivés, soit par des changements de partis, des difficultés inattendues ou des volontés d’amélioration (mobilier, décoration). Les travaux s’achèvent néanmoins en 1861, et, fait suffisamment rare pour être souligné, le 10 mai de cette année-là, le maire Prosper Dugas fait voter par 16 voix sur 22, l’accord d’une indemnité spéciale de 550 f. pour l’architecte, ainsi que « des remerciements pour l’intelligente direction des travaux de l’hôtel de ville ». Une administration bien compréhensive au regard du coût des travaux : 29 261 f. au devis de 1856 ; 48 020 f. selon le rapport justificatif des excédents de dépenses, dressé par l’architecte le 1er février 1861. Comme il le dit cependant : « Je n’ai rien négligé […] afin d’obtenir le résultat que vous attendiez de moi. C’est-à-dire, pour vous construire un édifice dont l’importance dépasse proportionnellement la somme que vous comptiez dépenser »27 (fig. 7).
Fig. 7
Saint-Gilles-du-Gard (Gard), projet pour l’hôtel de ville, Henry Révoil, élévation de façade, 30 avril 1856
© AC Saint-Gilles
38Et de fait, dans cette réalisation, Henry Révoil pouvait mettre à l’œuvre toutes ses conceptions constructives et esthétiques. Des espaces intérieurs adaptés à leur fonction et conformes aux attentes du commanditaire, une architecture raisonnable avec des efforts concentrés sur la façade, une esthétique moyenâgeuse, peut-être influencée de la réalisation de Viollet-le-Duc à Narbonne.
39Malgré quelques différences entre les élévations et le bâtiment réalisé, il faut remarquer le soin qui est apporté aux détails, en particulier sur les éléments architectoniques ou décoratifs. Il n’est pas jusqu’aux prisons et aux lieux d’aisance, qui ne reçoivent d’élégantes baies, des pentures ouvragées ou des larmiers (fig. 8).
Fig. 8
Saint-Gilles-du-Gard (Gard), projet pour l’hôtel de ville, Henry Révoil, élévation de façade des prisons et lieux d’aisance, vers 1860 (AD. Gard. 2 O 1613)
© C.-L. Creissen
- 28 - Inscription ISMH 2016 ; collaboration à l’étude de diagnostic : agence Autin Architecte, Nîmes, 2 (...)
40Dans ces recherches nouvelles, menées sur les aspects méconnus de l’œuvre de l’architecte, se retrouvent donc aussi des bâtiments de grand intérêt. C’est le cas également du presbytère de Manduel sur l’étude duquel nous revenions à l’occasion de recherches menées en 2018 sur l’église de la même localité28. Un édifice pour lequel, malheureusement, aucun document graphique n’a pu être découvert. Sa conservation, en revanche, permet de constater que l’architecte s’inspirait vaguement de la maison romane de Saint-Gilles pour offrir un modèle original à cette petite commune où il dirigeait la construction de l’église paroissiale depuis 1859, mais dans laquelle il avait déjà érigé une école religieuse huit ans auparavant. Construit de 1860 à 1863, le presbytère est un magnifique exemple d’architecture néo romane, une « façade », faisant place à tous les éléments que Révoil utilise dans son vocabulaire ornemental habituel : colonnettes à chapiteaux sculptés, archivoltes en plein cintre, larmier filant à ressauts, linteau sur abaques coupées, entre autres (fig. 9).
Fig. 9
Manduel (Gard), presbytère construit par Henry Révoil entre 1860 et 1863 (actuellement, médiathèque)
© C.-L. Creissen
- 29 - La position de Révoil lui permet néanmoins de profiter de la moindre réalisation pour un peu de p (...)
- 30 - La question des rémunérations est à envisager également, l’administration n’étant pas très génére (...)
41Pour une construction comme celle-ci toutefois, combien d’autres, plus insignifiantes, données à la demande de tel ou tel petit village, de telle ou telle bourgade… Ainsi à Codognan où de 1854 à 1859 il érige un petit campanile communal, à Tamaris (Alès) pour les écoles et le presbytère voulus par la Compagnie des Forges (1856-1857), à Salindres, un puits communal orné d’un oratoire en 1861-186229, etc. De petites architectures, reflets d’une activité nécessaire pour faire « tourner » une agence qui avait besoin de trouver sa place ?30
- 31 - Achille Irague, réalisations recensées : 1867, presbytères protestant et catholique à Brouzet-lès (...)
42Par bien des aspects, le Révoil de ces chantiers ne déparerait pas dans la cohorte de ces architectes provinciaux du XIXe siècle, communaux ou départementaux, submergés par les demandes de constructions publiques. Là où se trouve du bon et du moins bon. Un contrepoint pourrait être donné avec un architecte municipal d’Alès, étudié lors de nos travaux universitaires : Achille Irague (1833-1904, Anduze). Ce dernier, installé d’abord comme libéral, remporte un très grand nombre de commandes, peut-être plus par relations que par vraie capacité. Architecte sans formation reconnue, essuyant régulièrement des revers dans des chantiers mal maîtrisés, il s’illustre dans ces petits programmes communaux qui donnent à un certain XIXe siècle architectural sa mauvaise réputation.31
43Et de fait, bien qu’architecte des monuments historiques et architecte diocésain, Henry Révoil se confronte lui aussi aux constructions « alimentaires ». Les mairies-écoles par exemple : en 1854, quoi de plus éloigné des grandes restaurations de Saint-Trophime d’Arles, de la construction de la façade de la Madeleine à Aix-en-Provence, voire même des travaux de l’église de Garons près de Nîmes, qu’une mairie-école dans une commune de quelques 200 habitants ! Et pourtant, le 12 avril de cette année-là, l’architecte donne un devis et des plans pour un petit bâtiment à Poulx, comprenant les bureaux de la mairie au rez-de-chaussée ainsi qu’une classe de filles et une classe de garçons ; logements de l’instituteur et de l’institutrice à l’étage. Le coût s’élève à 7 361 f. (comprenant ses honoraires pour 350 f.) (fig. 10).
Fig. 10
Poulx (Gard), premier projet pour la mairie-école, Henry Révoil, élévation de façade, 12 avril 1854 (AD Gard. 2 O 1366)
© C.-L. Creissen
- 32 - Révoil, dont on conserve un grand nombre de correspondances privées, possède une très belle écrit (...)
44Cela aurait pu convenir mais des discussions s’engagent et la commune doit trouver les ressources pour ce « gros » chantier. Le 15 mars 1856, cela conduit à la production d’un devis supplémentaire notamment pour augmentation des fouilles de fondation mais également pour pallier une omission initiale, celle des lieux d’aisance. Devis étudié avec attention par les administrations concernées, ce qui amène l’architecte à répondre de sa main32 dans une lettre au maire de Poulx du 12 septembre 1856, sur
- 33 - AD Gard. 2 O 1366. Poulx.
La nouvelle position que j’ai attribué aux lieux d’aisance, et que le Conseil départemental de l’Instruction Publique a combattu en manifestant le désir de voir le premier projet maintenu en ce qui concerne la position de cette partie des écoles. Je pense qu’il y aurait de graves inconvénients à ne pas isoler comme dans le deuxième projet ces latrines qu’il serait impossible de ventiler, à cause de la difficulté d’obtenir des courants d’air du côté du Midi, ce qui du reste conduirait infailliblement dans l’intérieur des émanations insupportables, en été surtout. Placés en saillie du côté du nord avec ventilation latérale, ces lieux d’aisance seront sans aucune odeur, et leur surveillance me paraît tout aussi facile.33
- 34 - Cf. COUTANCIER, 2020, p. 55.
45C’est bien là aussi que se situe le métier, et cette citation vaguement anecdotique en dit long. Architecte-archéologue, architecte-artiste, en ce 12 septembre 1856, Henry revenait d’un petit séjour sur ses chères terres de Provence si l’on en croit les dates portées sur les dessins conservés au Musée Longchamp de Marseille : les 5, 6 et 7 septembre il croquait Notre-Dame du Thor, l’abbaye de Sénanque et l’église Notre-Dame de Cavaillon34. Nous nous plaisons à imaginer que les 8 et 9 septembre, il s’était peut-être rendu à Servanes, et le 10 septembre, il dessinait quelques éléments de l’église Sainte-Marthe de Tarascon. Le retour à Nîmes le rappelait brutalement aux réalités du monde…
46Quant au bâtiment finalement, il fut fait, avec ses lieux d’aisance et même de nombreux aménagements supplémentaires, agrandissements et reprises (qui le rendent très différent des plans initiaux) : mis en adjudication en janvier 1857, réceptionné par l’architecte en juillet 1862, pour un peu plus du double de la dépense initialement prévue – 16 974 f. (dont 808 f. d’honoraires) – sans doute qu’il s’agit là du prix de la qualité.
47Car même dans ces modestes réalisations, la qualité ou l’esthétique semblent être ses maîtres mots (fig. 11).
Fig. 11
Congénies (30), mairie école, Martin architecte, 1881 : relevé de la façade de l’élégant bâtiment édifié sur les plans de Révoil en 1863 (AD Gard. 2 O 646)
© C.-L. Creissen
- 35 - AD Gard. V 150. Église de Jonquières ; 2 O 879. Cimetière de Jonquières.
48Passant depuis plusieurs années devant le cimetière de Jonquières-Saint-Vincent lors de déplacements à Beaucaire, nous regardions toujours son entrée modeste mais discrètement décorée ; petites rosaces, légères arabesques en méplat. Un jour, alors que nos travaux nous avaient poussé à étudier la construction de l’église de la localité, la curiosité nous amenait à faire un tour dans la série O des archives départementales, Travaux communaux, cimetière de Jonquières… Une bonne idée assurément. L’occasion de constater qu’entre 1862 et 1864, Révoil reprenait pour la commune l’extension du cimetière et en dessinait le nouveau portail ! (fig. 12) (selon un constat généralement effectué, l’architecte est appelé pour une affaire d’importance – ici l’église qui menace ruine – et la commune profite de l’occasion pour le consulter à propos d’une réalisation mineure. Les relevés de l’église de Jonquières et les plans et élévation de la porte du cimetière sont tous deux datés du 4 janvier 1861)35.
Fig. 12
Jonquières-Saint-Vincent (Gard), cimetière communal, Henry Révoil, élévation du portail, 4 janvier 1861 (AD Gard. 2 O 879)
© C.-L. Creissen
49À trop analyser les chiffres, les matériaux, les styles, on s’enferme parfois dans une entreprise de classification qui fait passer l’auteur au second plan. L’important semblant être d’insérer l’œuvre dans un contexte stylistique, historiographique, politique ou autre. La comparer avec les réalisations des confrères, en d’autres lieux, voire en d’autres temps. Établir la valeur, dresser la fortune critique etc. Ainsi, combien de dossiers ouverts et de notes prises relativement à des dates, des coûts, des noms (de commanditaires, d’artisans, d’artistes). Et combien de fois, dans ces fonds d’archives si abondants, des lettres lues en diagonale, de longs rapports synthétisés en quelques mots.
- 36 - CORBIN, Alain. Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot, sur les traces d’un inconnu, 1798-187 (...)
50Or avec le temps qui nous sépare maintenant de cette époque, l’essentiel ne se trouverait-il pas ailleurs ? Dans la compréhension d’une société devenue lointaine. Se souvenir du « monde retrouvé de Louis-François Pinagot »36… Avec une grande admiration pour Alain Corbin, nous croyons que c’est un peu dans cette veine qu’il faudrait s’attacher à l’étude des figures historiques, à ceci près qu’entre un François Pinagot et un Henry Révoil, la matière diffère et ce qui manquait à l’un, s’avère surabondant pour l’autre. Une tâche infinie, mais partiellement envisageable !
51Comme tous les architectes et certainement, en tout temps, Henry Révoil a essuyé en 50 ans de carrière un incalculable nombre de réclamations ou de plaintes débouchant au mieux sur des rapports d’experts et des règlements amiables, au pire sur des procès. Les raisons en sont invariablement les mêmes : recherches de responsabilités dans des malfaçons, conflits avec les entrepreneurs, lenteur des chantiers et, le plus souvent, différends financiers. Les dents grincent à chaque devis supplémentaire, or, Révoil en est coutumier ; mais sur ce chapitre, on pourrait dire qu’il ne diffère en rien de ses confrères, en tout temps encore une fois.
- 37 - CREISSEN. 2003. P. 325 et suiv.
52Dans ce domaine, les archives sont prolixes et il est difficile de s’arrêter sur un exemple plutôt qu’un autre. La liquidation du chantier de construction de l’église de Rochebelle à Alès se pose comme un résumé assez générique des difficultés qui peuvent être rencontrées. Des premiers plans et devis émis en mars 1854 à l’adjudication de juin 1858, quatre longues années se sont écoulées. Il faut ensuite six ans pour mener le chantier à son terme et assister à une inauguration de l’édifice en grande pompe le 18 avril 1864. Côté coulisses cependant, l’architecte et l’entrepreneur (Louis-Auguste Chardon de Nîmes) se disputaient depuis l’été 1860, tandis qu’en arbitre impuissant, la commune avait vu augmenter les prévisions de dépenses à un rythme régulier et soutenu ! Finalement, ce sont quelque 43 700 f. qui se sont ajoutés aux 59 400 f. initialement prévus pour la construction (sans compter les frais d’ameublement et d’acquisition du terrain) et ce, après rapport d’experts en mars 1862, refus de délivrance du certificat de réception des travaux en décembre 1863, ordonnance du tribunal de Nîmes en janvier 1864 pour paiement des artisans, nouvelles expertises, rapport du conseil de préfecture en mai 186637.
53Cela peut-il toutefois servir à établir une échelle de valeur relativement à la qualité du travail d’Henry Révoil ? Sans doute que non. Les pressions et les intérêts qui se trouvent toujours derrière ces différends manquent souvent d’objectivité et les responsabilités qui lui sont confiées, de même que les décorations et récompenses obtenues tout au long de la carrière, semblent plaider pour un professionnel globalement compétent.
- 38 - La Semaine Religieuse du diocèse de Nîmes, 1900, n° 46, p. 685.
- 39 - 29 mai 1887, délibération du conseil de fabrique de Bouillargues, AD Gard. V 116.
- 40 - 20 mai 1867, lettre de l’architecte Joseph Maurice Bègue au maire de Saint-Hilaire-d’Ozilhan, AD (...)
54Et même s’il faut toujours se méfier des éloges dithyrambiques qui apparaissent parfois dans les documents officiels, la confiance renouvelée par ses différents commanditaires et administrations de tutelle, tout au long de 50 années de carrière, incite à reconnaître la valeur d’un personnage dont l’Église de Nîmes pleurait la disparition en 1900 : « Cette mort est plus qu’un deuil de famille : le diocèse perd en M. Révoil son architecte »38. Le « grand architecte », l’architecte « distingué », le « savant archéologue », que l’on peut rencontrer au fil des pages d’archives, jouit d’une telle réputation qu’il est impossible de l’imaginer usurpée ou factice. Ce sont parfois les petits témoignages glanés au hasard de la documentation qui donnent la meilleure mesure de cette admiration, quand ils procèdent de déclarations spontanées. À Bouillargues par exemple, le conseil de fabrique sollicité à propos de la reconstruction de l’église peut d’autant plus se féliciter de l’aboutissement du projet que « les plans et devis de M. Révoil offrent toutes les garanties désirables à cause de la compétence bien connue de leur auteur »39. À Saint-Hilaire-d’Ozilhan, un modeste confrère justifiait ses choix pour les plans de l’église dont il était chargé : « j’avais cru devoir suivre pour modèle ce qui fut dernièrement exécuté à l’église de Manduel d’après les plans du savant architecte sous la direction duquel cette église fut construite »40.
55Ce dernier exemple justement, relève de recherches menées sur un architecte municipal d’Uzès, Joseph Maurice Bègue (1808-1876). N’ayant jamais fait l’objet d’études, le personnage appartient à cette multitude de praticiens provinciaux, sans réelle formation mais à l’activité débordante. Les renseignements d’état civil aux archives communales d’Uzès le présentent comme issu d’une lignée de maçons et c’est dans les années 1840 qu’il apparaît sous le titre d’architecte, rentrant d’ailleurs à la direction des travaux publics de la ville. Dans ses constructions, Bègue pratique un historicisme de convenance relevant selon les attentes, tantôt du style roman, tantôt du style gothique (parmi ses réalisations se trouve la façade de la cathédrale d’Uzès ; un placage néo-roman assez décrié par certains).
56Se pose alors la question des modèles, des influences, qui ont pu nourrir la création de ces bâtisseurs bien éloignés des cénacles parisiens et qui, pourtant, s’inscrivent dans les débats stylistiques contemporains. Le XIXe siècle voit certes la consécration des revues d’architecture et il semble évident que celles-ci sont connues et exploitées mais à l’analyse visuelle, de nombreux accents communs peuvent être relevés sur des édifices voisins, tendant à prouver que les œuvres des architectes régionaux qui bénéficient d’un certain renom s’imposent comme modèles à suivre. Dans un premier temps, Bègue semble regarder attentivement les constructions de l’architecte départemental Gaston Bourdon et notamment à Rochefort-du-Gard, l’église construite par ce dernier entre 1844 et 1849, mais les années passant et les commandes religieuses se multipliant, de nombreux indices portent à croire que c’est Révoil qui devenait pour lui la grande référence. Si cela ressort au gré des mentions trouvées dans différents dossiers comme celui de Saint-Hilaire-d’Ozilhan précédemment cité, c’est la construction du presbytère de la cathédrale d’Uzès qui en offre l’illustration la plus flagrante (fig. 13).
Fig. 13
Uzès (Gard), projet de presbytère, Joseph Maurice Bègue, plans, coupes et élévation, 10 janvier 1865 (AC Uzès. 1 M 9)
© C.-L. Creissen
- 41 - Le 19 février 1861, le devis pour la construction du presbytère de Manduel était de 15 136 f. 37 (...)
57Élevé entre 1865 et 1867, c’est un bâtiment qui reprend en tous points les principes suivis par Révoil au presbytère de Manduel en 1863. L’esprit néo roman s’y transforme parfois en simple grammaire ornementale (c’est flagrant au niveau de la corniche) mais la citation est littérale41, confirmant, si besoin était, la valeur d’exemple des réalisations de l’architecte diocésain.
58En matière de collections graphiques, l’œuvre de l’architecte est immense, inventoriée dans les fonds des monuments historiques à la médiathèque de l’architecture et du patrimoine, ou encore au musée des beaux-arts de Marseille (fonds Révoil qui a fait l’objet de la récente publication de Benoît Coutancier et Bernard Thaon). Pour autant, à ces corpus bien connus, il faudrait ajouter l’ensemble des dessins, plans, croquis, élévations, répartis dans les différents centres d’archives départementales ou communales, ainsi que dans des collections particulières. Très récemment, une exposition présentée en septembre 2020 à Villeneuve-lez-Avignon (« Henry Révoil et la protection moderne du patrimoine »), révélait des pièces inédites et d’une grande qualité, conservées par les descendants de l’architecte.
59Fils d’un peintre d’histoire professeur à l’école des beaux-arts de Lyon, on imagine sans peine qu’Henry Révoil ait été sensibilisé à l’art du dessin depuis son plus jeune âge et tous les témoignages concourent à le présenter comme un dessinateur prolifique (qui se représente peut-être lui-même dans certaines vues de l’album sur Montmajour en 1846 (fig. 14) ; un dessin encore un peu approximatif, un album frais comme sa jeunesse, des accents qui s’accorderaient tout à fait au registre des voyages pittoresques et romantiques de Taylor et Nodier, ou aux dessins de voyage d’un Viollet-le-Duc en Sicile).
Fig. 14
Arles (Bouches-du-Rhône), abbaye de Montmajour, Henry Révoil, Album de Montmajour, 1846 (aquarelle sur papier, datée signée en noir) ; vue de la galerie nord du cloître de l’abbaye (M.A.P. Charenton, 0082/013/2007)
© C.-L. Creissen
60Ses petits carnets le suivent dans ses pérégrinations, qui figurent tour à tour un paysage, un élément d’architecture, un relevé, un portrait, au crayon, à l’encre et parfois à l’aquarelle (fig. 15).
Fig. 15
Carry-le-Rouet (Bouches-du-Rhône), Henry Révoil, extrait d’un carnet de croquis, années 1890 avant 1898 (aquarelle sur papier portant la mention : Carry-Rouet)
Creissen © archives familiales Révoil
61Ces dessins et relevés qui allaient nourrir les superbes planches de l’Architecture romane du Midi de la France, combinant la précision du relevé archéologique et l’esthétique du dessin d’art (fig. 16).
Fig. 16
Henry Révoil, extrait de l’Architecture romane du Midi de la France, 1873 ; relevé de fresque dans la salle capitulaire de Saint-Trophime d’Arles
© Creissen reproduction
62Peu à peu, la manière devient de plus en plus acérée dans le cadre de ses missions sur les monuments historiques, même s’il y a toujours place pour une certaine poésie, un goût pour l’environnement du bâtiment (fig. 17).
Fig. 17
Henry Révoil, extrait d’un carnet de relevés, « Mission archéologique – Vaucluse », mai 1872 ; élévation, observations et détails de sculptures de la chapelle de Saint-Pantaléon
Creissen © archives familiales Révoil
63Cette « évidence » du dessin, se retrouve bien sûr dans les plans et élévations qu’il réalise pour ses projets de constructions, avec un goût du détail extrêmement prononcé. Récemment, nous avons découvert que Révoil était l’auteur du modeste hôtel de ville de Bouillargues (1860-1862) et si le bâtiment définitif a été légèrement revu à l’aune des moyens limités de la commune, le premier projet du 2 février 1854 relevait d’un dessin aquarellé très soigné sur lequel le drapeau français flotte dans le vent comme une oriflamme au sommet d’un donjon (fig. 18).
Fig. 18
Bouillargues (Gard), projet pour la mairie, Henry Révoil, plan et élévation de façade, 10 février 1854 (AD Gard. 2 O 407)
© C.-L. Creissen
- 42 - 9 juin 1860, lettre de Révoil au maire d’Alès dans le cadre de la construction de l’église de Roc (...)
64De toute manière, le ton avait déjà été donné dans la réponse qu’il envoyait avec grande diligence à la circulaire de 1853 pour le service des édifices diocésains et ses projets d’églises et de presbytères qui vont jusqu’à la représentation des chapiteaux végétaux ou figurés, des éléments de mobilier imaginés par l’architecte, voire même de l’ébauche de vitraux de type archéologique dans les grandes baies des édifices (fig. 19). Car son architecture procède d’une conception historiciste qui ne saurait se satisfaire de mélanges incohérents, et ce même quand les moyens sont limités : « Nous devons ambitionner l’unité de style, qui remplace la richesse de l’ornementation »42.
Fig. 19
Jonquières-Saint-Vincent (Gard), projet pour l’église Saint-Vincent, Henry Révoil, élévation de façade, 18 octobre 1861 (AD Gard. V 150)
© C.-L. Creissen
65C’est ainsi qu’il n’est pas jusqu’à la moindre petite église de village qui ne se voit représentée avec tous les égards de l’artiste (fig. 20), mais le summum était bien entendu atteint avec les grands édifices marseillais qui, tout de pierreries et de dorures, convoquent les talents de ces maîtres du dessin (fig. 21).
Fig. 20
Jonquières-Saint-Vincent (Gard), projet pour l’église Saint-Vincent, Henry Révoil, coupe sur la nef avec représentation de vitraux figurés et d’un autel latéral, 18 octobre 1861 (AD Gard. V 150)
© C.-L. Creissen
Fig. 21
Marseille (Bouches-du-Rhône), église Notre-Dame de la Garde, Henry Révoil, étude pour le maître-autel, années 1880 ? (encre sur calque)
O. Liardet © archives familiales Révoil
- 43 - Charles Errard (Caen, 1823-1897). Architecte normand, il passa de nombreuses années à l’étranger, (...)
66L’utilisation du pluriel procède d’un constat : pour Marseille, Révoil s’était en grande partie reposé sur le talent de Charles Errard, architecte de formation mais surtout excellent dessinateur, à qui l’on doit la majeure partie des dessins des ornementations de la cathédrale et de Notre-Dame de la Garde43. Comment imaginer d’ailleurs, à la période de maturité, que l’architecte ait pu, à lui tout seul, produire une telle quantité d’images…
67Au terme de cet article, s’il est un constat qui s’impose c’est bien celui d’une suractivité. Avec nos yeux du XXIe siècle et notre habitude des ordinateurs, TGV et autres imprimantes ou tout simplement, téléphones, appareils photo numériques, il est tentant de s’interroger sur l’organisation de ces professionnels d’un autre âge ; comment faire en effet pour répondre à toutes les sollicitations, concevoir des projets, dessiner, répondre aux courriers, suivre les chantiers, faire les tournées d’inspection des monuments historiques, et encore procéder à des recherches archéologiques, étudier les découvertes, publier des articles, communiquer dans les tribunes savantes, etc.
- 44 - Inauguration du monument Henry Révoil, 1906, p. 21.
68En 1906, Henry Roujon, déjà cité en introduction, résumait tout cela en disant que sa vie « se déroula, sans autres aventures qu’un chapitre à écrire, une aquarelle à parfaire, une muraille à soutenir, une voûte à étayer, un pilier à reprendre, une église neuve, sortie de son cerveau d’artiste et de poète, à dresser toute blanche parmi les cyprès »44.
69De bien jolis mots, pour une réalité sans doute un peu plus lourde à porter. Si l’on en croit les éléments relevés au hasard de la documentation, en travaillant parfois sur d’autres programmes, d’autres dossiers, l’exubérante signature se retrouve, reconnaissable entre mille (fig. 22).
Fig. 22
Montpellier (Hérault), archives départementales, Henry Révoil, signature au bas d’une lettre adressée au préfet de l’Hérault le 18 septembre 1864, à propos des travaux de l’église de La Salvetat (AD Hérault. 2 O 293/11)
© C.-L. Creissen
- 45 - AD Gard. V 430. Temple de Fontanès.
- 46 - Correspondances avec le directeur des Cultes des 1er août et 16 octobre 1884 (AN. F/19/7233, Édif (...)
70L’architecte est régulièrement appelé pour donner un avis, pour trancher un litige, pour contrôler le chantier d’un confrère. En 1883 par exemple, nous relevons une de ses lettres dans le dossier du temple d’une toute petite commune – Fontanès, près de Sommières – pour lequel il s’agissait de poser une grille au-devant du perron. La dépense ne se montait qu’à 800 f. mais la mairie ayant besoin d’une aide financière, l’architecte diocésain est sollicité pour l’approbation de la demande de secours45. Dans ce cas, on est en droit de penser qu’il ne se déplaçait pas mais combien de réunions en mairies, dans les préfectures, les paroisses, quand ce n’était pas dans les bureaux des ministères parisiens ? À ce sujet d’ailleurs, les en-têtes de correspondances attestent des déplacements du personnage et permettraient sans doute de retracer, pour une séquence chronologique donnée, l’agenda chargé d’un homme qui, l’âge avançant, devait incontestablement porter dans son corps les marques d’une fatigue professionnelle bien compréhensible. En 1884, des soucis de santé l’éloignent des affaires pour une durée d’environ trois mois, pendant laquelle il fait une cure à Vichy46.
71Sur la fin de sa vie, les correspondances personnelles en disent long sur ces surcharges de travail :
- 47 - 30 octobre 1890, lettre à Frédéric Mistral, Museon Mistral, Maillane (Bouches-du-Rhône).
- 48 - 1er février 1898, lettre à Frédéric Mistral, Museon Mistral, Maillane (Bouches-du-Rhône).
Si je n’étais qu’artiste ! et si surtout je pouvais après avoir tant travaillé, me reposer en ne m’occupant qu’à faire de l’art [...]. Mais ! Hélas ! Je suis comme le juif errant ! Une voix me crie : « Marche ! Marche toujours ! » et je chemine à la volonté de Dieu, jusque au jour où les forces s’arrêteront47.
Je suis écrasé de travail : j’organise mon service barbare d’architecte bâtisseur de Monuments Historiques dans mes départements ! [...] Mais grâce à Dieu ! J’ai ma main, mes yeux et ma tête de 30 ans ! et j’en aurai bientôt 76 ! et 51 ans de service !48
72Ces développements amènent à s’interroger sur les collaborations indispensables qui ont dû jalonner l’ensemble de sa carrière et s’il y a tout lieu de penser que les bureaux de l’avenue Feuchères devaient présenter l’aspect d’une ruche bourdonnante, les renseignements sont rares sur la question des petites mains, des dessinateurs, secrétaires et bien sûr, inspecteurs des travaux, élèves ou architectes associés.
73Quelques signatures apparaissent dans les dossiers ainsi que des mentions du type « pour Révoil absent » (fig. 23) et ceci, couplé aux informations livrées par les dossiers des édifices diocésains ou des monuments historiques, permet de cerner à peu près son équipe d’inspecteurs, répartis aux quatre coins du territoire.
Fig. 23
Nîmes (Gard), archives départementales, Louis Gueit, signature d’un devis à la place de Révoil en 1888 – église de Bouillargues (AD Gard. V 116)
© C.-L. Creissen
- 49 - Pierre Arribat (Montpellier 1823-1905), seul, il réalise quelques édifices civils (écoles) et rel (...)
- 50 - Louis Gueit (Cuers (83) 1837-après 1903), simple inspecteur des travaux de la préfecture de Marse (...)
74Un travail conséquent resterait à faire à ce niveau, en procédant à l’étude de ces personnalités pour cerner, à la fois leur rôle dans l’œuvre d’Henry, mais aussi l’influence qu’ils ont pu en retirer dans leurs propres carrières. Au sein de ce groupe, notons quand même deux d’entre eux qui revêtent une importance toute particulière, leur relation avec Révoil dépassant le simple cadre des travaux officiels. C’est le cas tout d’abord de Pierre Arribat, un Montpelliérain formé auprès d’Abric, architecte du département de l’Hérault, avant de rencontrer Révoil et de s’orienter, avec lui, vers l’architecture religieuse. Sur la recommandation de Révoil, Arribat accède au poste d’inspecteur des édifices diocésains de Montpellier en 1854 et les deux hommes suivent ensuite de nombreux chantiers49. Citons également Louis Gueit, ce modeste architecte que Révoil avait peut-être rencontré à Marseille et dont il s’attache les services au sein de son cabinet, avant de lui obtenir le titre d’inspecteur temporaire des travaux de la cathédrale de Nîmes en 187850. Pour les travaux dans le Gard, c’est son nom qui revient le plus fréquemment en signature des devis, plans, ou représentation de l’architecte auprès des commanditaires.
- 51 - 29 novembre 1859 (musée Paul Arbaud, Aix-en-Provence, documents manuscrits Révoil, 3435-A (2)).
75En 1859, dans une lettre adressée à l’éditeur Bance, Révoil s’excuse de n’avoir pu livrer des dessins dans le délai prévu et s’exprime en ces termes : « Ma santé m’oblige à un repos absolu et je vais prendre un congé d’un mois, laissant mes jeunes gens à l’œuvre »51 (fig. 24).
Fig. 24
Nîmes (Gard), archives départementales, François Germer-Durand, croquis d’une scène de travail dans un cabinet d’architecte, 1865-1875 ? ; le lieu n’est pas identifié (AD Gard. 204 J 97 – Fonds Germer-Durand)
© C.-L. Creissen
- 52 - Félicien Allard (Montpezat (07) 1831-Nîmes 1916). Cité comme élève de Révoil par Bernardy ; une n (...)
- 53 - François Germer-Durand (Montpellier 1843-1906). Cité comme élève de Révoil par J.-M. Léniaud. Il (...)
- 54 - Alphonse Simil (Nîmes 1844-1916). Cité comme élève de Révoil par Bernardy, il entre ensuite à l’é (...)
76La mention est laconique mais il semble effectivement que l’atelier nîmois ait fonctionné (plans, études, copies...) grâce à la présence d’élèves, venus se former auprès de cet architecte dont la notoriété allait croissant. Quelques publications, contemporaines ou non, mentionnent pour certains architectes du midi un apprentissage chez Révoil, ce qui semble plausible, au vu du déroulement postérieur de leurs carrières. Il s’agit d’une génération d’architectes nés entre 1830 et 1850, à Nîmes ou dans les villes voisines (du plus âgé au plus jeune : Félicien Allard52, François Germer-Durand53 et Alphonse Simil54) qui ont pu fréquenter l’atelier au cours des décennies 1855-1875 (fig. 25).
Fig. 25
Nîmes (Gard), archives départementales, Henry Révoil ? (le monogramme de l’angle inférieur gauche correspond à celui de l’architecte), croquis divers et représentation de personnages, sans date ; le maître aurait-il représenté son élève François Germer-Durand ?(AD Gard. 204 J 97 – Fonds Germer-Durand)
© C.-L. Creissen
- 55 - Né à Lyon le 6 mars 1855 de parents négociants, il demeure à Lyon et exerce la profession d’archi (...)
- 56 - Formation à l’école des beaux-arts de Lyon mentionnée dans le livret du salon de 1881 auquel More (...)
- 57 - AC Nîmes. 1 F. 5. Recensement de 1881.
- 58 - Présentés au salon de 1881, relevés de l’église Saint-Siffrein à Carpentras (Vaucluse).
- 59 - Couvent des Dames de l’Assomption à Paris vers 1890, façade de l’église de Bouillargues (1889-189 (...)
77Parmi ceux-ci, il en est un qui reste une relative énigme, c’est son gendre, Henri Morel (1855-1933). Collaborateur de la fin de sa carrière, c’est un lyonnais qui épouse la fille de l’architecte, Henriette, le 20 janvier 188055. Il semble cependant que ce dernier était connu de Révoil dès avant le mariage (relevés de la chapelle d’Aubune en Vaucluse pour la Commission des monuments historiques, co-signés Morel et Révoil en 1876), peut-être introduit auprès de lui par le milieu des architectes lyonnais après des études suivies dans l’atelier Pascalon à l’école des beaux-arts de Lyon56. À la suite du mariage, le jeune ménage s’installe sous le toit du beau-père57 et les deux architectes se mettent à travailler ensemble. La signature de Morel se retrouve sur quelques-uns des relevés d’édifices dont Révoil était chargé58, tandis que tous deux cosignent quelques réalisations tardives59 (fig. 26).
Fig. 26
Nîmes (Gard), archives départementales, Henry Révoil et Henry Morel-Révoil, double signature au bas d’un certificat de paiement en 1890 - église de Bouillargues (AD Gard. V 116)
© C.-L. Creissen
- 60 - À ce sujet, un témoignage intéressant figure dans une lettre du 10 mai 1889 adressée par Révoil a (...)
78Ce personnage un peu effacé présente toutes les caractéristiques du « successeur » mais, son beau-père parti, il ne semble pas avoir pu reprendre le flambeau. Il faut dire que le monde de l’architecture s’était rationnalisé peu à peu (diocésains recrutés sur concours depuis 1884) et cet homme qui n’a pas suivi de formation officielle ne pouvait pas briguer de fonction administrative60.
79On ne lui connaît d’ailleurs aucune réalisation personnelle et ses travaux allaient rester dans l’ombre de ceux de son beau-père ; le fait qu’il prenne le nom de Morel-Révoil en est d’ailleurs assez révélateur.
80Au terme de ces réflexions, il apparaît clairement qu’il faudrait continuer, formaliser et parachever ce corpus, notamment en exploitant des sources encore un peu laissées de côté faute de temps : les archives diocésaines, paroissiales ou congréganistes, les archives des communes, des domaines difficiles d’accès, soit au plan des classements et des inventaires, soit tout simplement par leur inexistence. À ce sujet, il est intéressant de remarquer qu’en ce qui concerne les documents graphiques, les archives départementales conservent la plupart du temps des copies, régulièrement effectuées sur calque et peu lisibles, voire très abîmées ou même manquantes, tandis que les belles épreuves papier semblent devoir se trouver dans les communes où elles avaient été envoyées. Malheureusement, selon l’organisation des services d’archives communaux, ces documents ne peuvent pas toujours être retrouvés. L’exemple des recherches menées récemment sur la belle église de Manduel en donne un triste constat.
81Au-delà, il faudrait poursuivre sur les autres départements puisque les mêmes recherches pourraient produire des résultats un peu similaires dans les Bouches-du-Rhône, le Var ou l’Hérault pour ne citer que ceux-là. Bien que ces départements ne soient pas ceux de résidence, l’architecte diocésain y exerçait également une activité annexe, parfois même au travers du travail de ses inspecteurs. En ce domaine, seule une mutualisation des recherches pourrait apporter des résultats probants et abonder, pourquoi pas, une base de données tentaculaire !
82Projet utopique sans doute, mais tellement séduisant… Par recoupement d’informations et accumulation de données, il semble qu’il serait presque possible de retracer au jour le jour le parcours de cet homme qui est né voilà tout juste 200 ans. Cet homme dont l’empreinte est nette et vivace, fixée sur les documents de papier, attendant seulement qu’on se donne la peine de la chercher.