1Qui dit sceau pense archives, et il est vrai que la majorité des collections sigillographiques sont aujourd’hui conservées dans les services d’archives. Mais chacun sait que les plus belles découvertes se font dans des territoires inattendus, ou inexplorés, et qu’il faut dans ce domaine rester constamment ouvert à la surprise : Nestor Halambique, le célèbre sigillographe qui introduit l’aventure du Sceptre d’Ottokar de Tintin déclare ainsi « qu’un hasard [lui] a fait découvrir à Prague » le sceau d’Ottokar IV, roi de Syldavie.
- 1 - MACÉ, 2011.
- 2 - SARRET, 1983, p. 123, n° 44, cliché de l’avers et du revers, p. 124.
2Plus près de nous, Laurent Macé a récemment attiré l’attention des chercheurs sur l’existence d’un des rares sceaux de la dynastie des Guilhem de Montpellier trouvé il y a quelques années dans les réserves des collections du musée des beaux-arts de Carcassonne sans numéro d’inventaire1. Il s’agit d’une bulle de plomb de 39 mm, appendue par une double lanière de peau blanche sur un document de 1192 : son intérêt vient de la figuration du seigneur représenté, non seulement selon le traditionnel type équestre de guerre du cavalier en armes sur l’avers, mais assis sur un tabouret ouvragé jouant de la harpe, tel, pour certains, un troubadour, ou pour d’autres, le roi David2, sur le revers (fig. 1).
Fig. 1
Carcassonne (Aude), musée des beaux-arts, bulle de plomb de Guilhem VIII de Montpellier (1172-1202) légendée : Sigillvm Guilemi de Montepessvlano, avers et revers, Inv. 2000.9.32.
© Carcassonne, Musée des beaux-arts
- 3 - Iconismi sigillorum quae in museo illustrissimi et reverendissimi D. M. d’Inguimbert, archiepisco (...)
3Qui cherche des sceaux doit donc penser au-delà des dépôts d’archives pour s’aventurer dans les musées ou les bibliothèques dont les multiples trésors ne se limitent pas aux livres. Citons en terre provençale la merveilleuse collection du médailler de l’Inguimbertine à Carpentras, riche de près de six cents sceaux, notamment des sceaux judéo-comtadins d’une grande rareté3 (fig. 2).
Fig. 2
Carpentras (Vaucluse), médailler de l’Inguimbertine, Inventaire des sceaux de la collection d’Inguimbert décoré d’un sceau aux armes de Mgr Malachie D’Inguimbert, archevêque évêque de Carpentras, XVIIIe siècle.
© Carpentras, L’Inguimbertine, bibliothèque & musées
4Il en est de même des bibliothèques de notre région, qui pour plusieurs d’entre elles conservent des collections de sceaux plus ou moins importantes, mais trop ignorées, souvent faute d’inventaire détaillé, et qui restent à découvrir. L’une des plus belles collections se trouve ainsi à la médiathèque Émile Zola de Montpellier dans le fonds Cavalier.
- 4 - Montpellier, Médiathèque Émile-Zola, Miniature de Charles le Téméraire, XVe siècle, cote RTG003, (...)
- 5 - BONNET, 1898.
5C’est un double malheur qui est à l’origine de ce magnifique legs de la fin du XIXe siècle : le médecin Calixte Cavalier (1820-1888) a d’abord perdu sa femme Catherine-Henriette d’Albenas en 1865, alors qu’elle était âgée de 28 ans, puis ses enfants, recherchant alors inexorablement dans sa collection « un adoucissement à sa douleur ». Il a notamment fait l’acquisition du médailler du collectionneur montpelliérain, M. Sauvadet à la mort de ce dernier, puis l’a considérablement augmentée. Décédé sans héritier, Cavalier lègue par testament en 1888 toutes ses très riches collections à la ville de Montpellier : plus de 2 000 volumes, 3 000 médailles et monnaies, 300 « objets d’art ou de curiosité ». La collection est tellement riche qu’elle nécessitera une publication en trois volumes coordonnée par son beau-frère Georges d’Albenas en 1898 pour en décrire tous les trésors tels qu’une splendide enluminure armoriée de Charles le Téméraire4, de nombreuses éditions précieuses de Rabelais ou près d’une centaine de sceaux et de bulles pontificales qui nous occupent ici5.
- 6 - Voir notamment GUDIN, 2020.
6La vie et la bibliothèque de ce notable et bienfaiteur montpelliérain sont bien connues6. Médecin en chef de l’asile public d’aliénés de Montpellier en 1853 et professeur à la faculté de médecine en 1867, il est élu à l’Académie des sciences et lettres de Montpellier dès 1856. En parallèle à ses responsabilités professionnelles, universitaires et académiques, il se consacre à l’enrichissement de sa bibliothèque et de son cabinet de curiosités, portant un soin tout particulier à la qualité et la préciosité des exemplaires dont il fait l’acquisition ou en les décorant de somptueuses reliures, pour la plupart armoriées.
7Son goût éclectique et éclairé se retrouve dans sa riche collection de médailles et de sceaux. Malheureusement, à l’instar des autres collectionneurs de son temps, ces objets sont détachés de leur document original. L’intérêt du collectionneur se porte alors en effet davantage sur l’objet lui-même que sur le document historique dont il fait partie et son environnement de production. C’est la même démarche que celle qui a abouti à la constitution d’importantes collections d’objets archéologiques ou d’ex-libris alors à la mode, mais détachés de leur contexte originel ou de leurs ouvrages. Ce goût de l’époque fait perdre une bonne partie de la valeur historique de ces œuvres, et accroît la difficulté pour mener aujourd’hui leur expertise par le conservateur ou l’historien, les informations de provenance n’étant par ailleurs pas notées, et donc perdues à tout jamais. Comme tout cabinet de curiosités, la diversité régit la constitution de la collection qui n’a pas de thématique majeure si ce n’est celle de la sigillographie, mélangeant des matrices et des empreintes, avec certes une majorité de pièces concernant Montpellier et sa région.
- 7 - Je remercie ici vivement Dominique Delgrange, secrétaire général de la Société française d’hérald (...)
8Quoi qu’il en soit, cette collection présente aujourd’hui un réel intérêt et plusieurs pièces à grande valeur héraldique, artistique ou historique. Celles-ci ne se limitent pas à la région languedocienne mais concernent des territoires bien plus lointains et parfois surprenants. Certaines étaient par ailleurs jusqu’à présent inédites7 et plusieurs restent à identifier précisément. La mise en ligne récente de l’intégralité de la collection lui donne un intérêt encore plus direct, en espérant que l’expertise collective permettra d’enrichir les notices qui sont reprises du catalogue de 1898 et demandent pour plusieurs d’entre elles d’être complétées.
9À défaut d’une présentation exhaustive, c’est un petit florilège qui vous est proposé.
10Scel de Jacques de Couves : cette matrice de sceau rond en lame de cuivre se mouvant sur une charnière constitue un bel exemple de l’art du blason, avec un décor composé d’un écu à trois coquilles de Saint-Jacques penché à gauche et timbré d’un heaume à lambrequins cimé d’une tête de renard. Si les coquilles Saint-Jacques constituent des armoiries parlantes évoquant le prénom du titulaire des armes, le personnage et la datation restent cependant à identifier (CC2966).
Fig. 3
Montpellier (Hérault), Médiathèque Émile Zola, fonds Cavalier, scel de Jacques de Couves
© ville de Montpellier
11S. IOHANIS D. CVCANIE : voilà un deuxième exemple de la sobriété de l’art héraldique avec cette matrice de sceau rond en cuivre ornée d’un très harmonieux écu au lion timbré d’un cimier composé d’une splendide tête de bovidé cornue dont les lambrequins se devinent encore, muni de cornes et de longues oreilles. Là aussi, le personnage et la datation restent sans identification (CC2961).
12Jean de Ulmo : matrice de sceau ovale en cuivre présentant un magnifique décor armorié avec un écu à neuf tourteaux, au chef chargé de trois étoiles, sommé d’un heaume à lambrequins cimé d’un col de dragon percé d’une épée. Il est orné d’une légende à la devise : Durum patientia frango qui pourrait se traduire par « La patience brise tout ». (CC2979)
Fig. 4
Montpellier (Hérault), Médiathèque Émile Zola, fonds Cavalier, scel de Jean de Ulmo (image retournée pour lire la devise).
© ville de Montpellier
13La qualité de la gravure et la prestance des armoiries laissent deviner un grand personnage ; ne s’agit-il pas du magistrat Jehan de Ulmo, premier président du parlement de Toulouse et commanditaire du magnifique hôtel d’Ulmo dans la même ville, sans doute l’un des plus beaux monuments de la Renaissance toulousaine ? La même devise orne en effet le linteau de la porte de la tour de l’hôtel :
Fig. 5
Toulouse (Haute-Garonne), hôtel d’Ulmo, détail de la porte de la tour.
© Inventaire général Région Occitanie
14Monseigneur Étienne Morel, évêque de Mende : voici un bel exemple de la survivance, avec des adaptations, des pratiques héraldiques chez les hauts dignitaires du clergé pendant le Premier Empire. Cette matrice de sceau ovale en cuivre est en effet ornée d’un écu meublé du monogramme épiscopal entrelacé (S.M.) au chef chargé de trois étoiles, faisant écho à la légende : STEPHANVS MOREL DE MONS EPISCOPUS MIMATENSIS. L’écu est enrichi d’un ornement extérieur présentant tous les attributs de sa dignité épiscopale (chapeau à houppes, mitre et crosse) complété par l’insigne de la Légion d’Honneur et deux branches de laurier au bas de l’écu. Mgr Étienne Morel de Mons a utilisé ces armoiries épiscopales de 1805 à 1808 : puis, en qualité de baron de l’Empire, il a ajouté le franc-canton des barons-évêques ; enfin, à partir de 1814 il prit les armes de sa famille. Ces précisions héraldiques permettent de dater ce sceau entre 1805 et 1808 (CC2978).
15Guilhem, bailli d’Aumelas : dès la première vue, ce sceau traduit un personnage de haute importance avec son décor entièrement occupé par un imposant aigle passant aux ailes éployées et à la gueule tournée à dextre. Il s’agit en effet du sceau d’un acteur majeur de l’histoire de Montpellier au XIIe siècle, Guillem, bailli d’Aumelas : + S. GUILLELMI. R. BAIULI DE OMELACIO. Deuxième fils de Guilhem V de Montpellier qui lui donne la seigneurie d’Aumelas en fief, il participe aux côtés de son père à la prise de Majorque en 1114 et devient seigneur d’Orange par son mariage en 1130 avec Thiburge d’Orange (CC 2952).
16Mairie de Montpellier : cette matrice de sceau rond en cuivre décorée de trois fleurs de lys surmontées d’une couronne royale nous amène à une autre période de l’histoire de Montpellier, celle de la Restauration où les armes royales de France viennent se substituer aux armoiries municipales. Ce sceau peut donc être daté entre 1814 et 1830 (CC 2989).
17Ville d’Arles : la collection de Calixte Cavalier ne se limite pas au Languedoc mais comprend des pièces concernant des régions limitrophes, dont la région provençale des rives du Rhône, avec un sceau du XIIIe siècle représentant sur l’avers l’enceinte urbaine fortifiée d’Arles (Légende : VRBS ARELATENSIS EST HOSTIBVS HOSTIS ET ENSIS, La ville d’Arles, glaive et ennemie pour ses ennemis), et au revers le fameux lion d’Arles figuré contourné – c’est-à-dire tourné vers la droite - sur tout le champ du sceau accompagné de la devise : NOBILIS IN PRIMIS DICI SOLET IRA LEONIS qui peut se traduire par « la colère du noble lion a coutume d’être considérée au premier rang » (CC 3055).
18Juridiction seigneuriale de Bollène : le Comtat Venaissin est réputé pour la particularité et la complexité de son histoire administrative et judiciaire liée au fait qu’il a été sous souveraineté pontificale pendant près de cinq siècles (1274-1791) : dans quelques villes de ces terres du pape, les consuls ont ainsi une juridiction touchant les affaires de simple police qu’ils exercent en concurrence avec les cours ordinaires. C’est ce qu’illustre le sceau de cuivre de la cour des consuls de Bollène, aujourd’hui dans le Vaucluse : S. CURIE CO[MMUN]IS DOMINORUM ABOLENE. Il représente à gauche Saint-Martin à cheval donnant une partie de son manteau à un pauvre et à droite les deux clefs en sautoir de Saint-Pierre liées entre elles, symbole héraldique de la réunion du pouvoir spirituel et temporel du pape sur ces terres, le tout surplombé par une étoile à six rayons (CC 2951).
19Ferdinand de Hompesch, grand maître de l’Ordre de Malte (1797-1798) : la figure qui orne ce sceau rond gravé à l’extrémité d’un cylindre en fer surprend : il s’agit du dernier grand maître souverain de l’Ordre de Malte, Ferdinand de Hompesch, contraint de résigner sa fonction après la prise de Malte par les troupes commandées par le général Bonaparte en 1798. Si ce sceau est aujourd’hui conservé à Montpellier, c’est parce que le grand maître déchu se réfugia dans cette ville où il mourut et fut enterré, à l’église Sainte-Eulalie. Le grand maître est représenté agenouillé en prières au pied d’une croix à double traverse (croix de Lorraine) ; un chapelet est dans ses mains. L’existence de ce sceau était connu par les historiens de l’Ordre de Malte, mais sans le localiser : c’est chose faite (CC 2975).
20Régiment de Chasseurs d’Ouglitch : enfin, l’un des sceaux présente une légende en sept lignes, occupant tout le champ et gravée en caractères cyrilliques :
УГЛИЧЕСКАГО
ЕГЕРЬСКАГО
ПОЛКА НЕСТРО(-)
ИНОЙ РОТЫ
ДЛЯ ХРАНЕНІИ
СОЛДАТСКИХЪ
СУММЪ
- 8 - Je tiens à remercier vivement Dominique Delgrange, secrétaire général de la Société française d’h (...)
21Qui pourrait être traduit : [sceau] de la section non combattante du régiment d’Ouglitch et de l’Eger pour la conservation des sommes [avoirs ?] des soldats. Le régiment en question a servi en Bulgarie pendant la guerre russo-turque, commandé par le colonel Paioutine, mais d’autres occurrences du XIXe siècle sont plausibles et à rechercher. En tout cas l’objet pourrait avoir été fabriqué entre 1780 et 1880 (CC 2980)8.
22Bref, qui s’intéresse aux sceaux doit faire montre de curiosité ailleurs que dans les dépôts d’archives : en fouinant dans les musées, notamment ceux qui conservent des collections aux supports variés, et plus encore dans les bibliothèques, lieux de tous les émerveillements s’il en est : l’Inguimbertine a été citée, mais les bibliothèques de la Méjanes à Aix, ou celles de Nîmes aussi réservent des trésors héraldiques en attente d’étude. C’est donc par une invitation à des expéditions de recherches dans ces merveilleuses collections que se termine cette brève évocation sigillographique.