- 1 - Opération d’inventaire thématique de la Région Occitanie, Josiane Pagnon. Dossier IM81003092. Fon (...)
1En 2018, l’inventaire1 des textiles conservés dans le fonds des Clarisses de Mazamet déposés aux archives diocésaines d’Albi, révèle une chasuble blanche brodée de scènes de la Passion (fig. 1), en bon état et de belle qualité, mais dont le style ne correspond en rien à celui des clarisses !
Fig. 1
Albi (Tarn) archives diocésaines, vues d’ensemble face et revers d’une chasuble blanche dessinée par Sœur Geneviève Gallois
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
2Peu après, à la suite du colloque sur les Ateliers d’Art Sacré qui s’est déroulé à l’INHA en novembre 2019, Danièle Véron-Denise est invitée à aller voir les créations textiles de Sœur Geneviève Gallois à l’abbaye du Temple de Limon, à Vauhallan. Les discussions habituelles et échanges d’images entre Danièle Véron-Denise et Josiane Pagnon aboutissent rapidement à l’évidence : la chasuble aujourd’hui à Albi est l’œuvre de Geneviève Gallois.
3Mais avant d’examiner l’aspect de cette chasuble et d’explorer les circonstances réelles ou supposées de sa présence chez les clarisses, parcourons l’étonnant trajet artistique de Marcelle Gallois, Mère Geneviève en religion (fig. 2) qui, après une fulgurante carrière dans le dessin « humoriste », a ouvert un chemin original dans l’art religieux du XXe siècle.
Fig. 2
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, Marcelle Gallois avant 1917
© A. Palayret
4Née le 22 septembre 1888 à Montbéliard (Doubs), Marcelle Victorine Gallois est la fille d’Édouard Gallois, sous-préfet, républicain et anticlérical, et de Jeanne Delavelle, tous deux issus de familles de notables de Besançon. Son unique frère, Georges, naît en 1890, toujours à Montbéliard. La famille déménage quelques temps à la suite des affectations du père (Nîmes, Orange, Le Blanc) et se stabilise en 1905, pour son dernier poste de percepteur-receveur municipal à Castelnau-le-Lez (Hérault) près de Montpellier.
5Marcelle commence à peindre, très jeune, des portraits de sa famille (fig. 3a) et les paysages des environs de Montpellier (fig. 3b). Elle est fortement influencée par les Impressionnistes.
Fig. 3
a) Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, la grand-mère de l’artiste, ID 14 ; b) Montpellier (Hérault), Collection Valérie Pécheur, paysage de garrigue, ID 111
© P. Martin ; ©S. de Boisfleury
6Inscrite en 1907 aux Beaux-Arts de Montpellier elle supporte difficilement l’enseignement académique de l’atelier d’Alexandre Courtines. Elle est tout aussi douée pour le dessin qu’indépendante d’esprit ! Elle raconte, avec son humour vif, le trajet d’une étudiante dans l’atelier de peinture à l’École des Beaux-Arts, dans une « bande dessinée » en six scènes (fig. 4).
Fig. 4
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, l’école des Beaux-Arts, Six dessins, légendés de gauche à droite. « Cher maître, dit l’étudiante, j’ai fait un petit paysage ». Le maître détourne la tête et répond : « Non, non, mademoiselle. Apprenez à dessiner. Ne vous pressez pas d’arriver à un résultat ». Dans la seconde scène, il lui montre comment prendre des repères avec un crayon : « Voici ce qu’il faut faire ». Dans la scène suivante, il la renvoie : « Maître, j’ai essayé de peindre les bourgeons du printemps… - Foutez-moi la paix avec votre printemps, allez faire de l’antique vous dis-je. Le dessin est la probité de l’art ». Dans la quatrième scène, il montre comment prendre des repères, avec un fil à plomb : « ... ». Dans la cinquième scène, l’étudiante a vieilli, elle est assise dans un fauteuil capitonné, à côté de la statue du discobole, le maître s’appuie sur une béquille et lui dit : « C’est cela, c’est cela – vous arriverez, ne vous pressez pas ». La dernière scène représente le cercueil de l’étudiante qui porte cette inscription : « Au peintre qui n’a jamais peint son premier tableau », suivie du commentaire : « Et dire qu’elle avait un si bel avenir devant elle ! Elle commençait à dessiner parfaitement les fesses du Discobole ! », ID 133
© F. Levrat
- 2 - Lettre d’A. Willette à Marcelle Gallois, 27 nov. 1917, archives de l’abbaye de Limon ; reproduite (...)
7Son père l’installe alors à Paris en 1909 pour continuer ses études et la confie à un vieil ami, le peintre Adolphe Léon Willette, qui devient le protecteur de la jeune femme à Paris. Il admire chez elle les « excellents et terribles dessins » et « la redoutable faculté de son précurseur, Toulouse Lautrec, de révéler combien le démon rend grotesques ceux qu’il tient en sa possession2 ».
- 3 - GALLOIS, 1980, p. 17.
8D’après une camarade d’atelier de Montpellier elle était « spécialisée dans la caricature des ivrognes et des curés3 ».
9Marcelle est fascinée par le spectacle de la rue, les sujets vulgaires et dessine sur le vif dans des carnets, dont elle reproduira en format affiche les meilleures esquisses (fig. 5).
Fig. 5
a) Jouques (Bouches-du-Rhône), abbaye Notre Dame de Fidélité, le couple élégant, ID 213 ; b) Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, Carnet de croquis, ID 490
© P. Martin ; © M.-E. Merat
10Elle sait saisir un mouvement, une attitude amusante ou ridicule, elle écoute les bavardages qu’elle transcrit (fig. 6).
Fig. 6
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, la bouche de chaleur, légendé : « Seigneur Jésus ! Quel saint prêtre qui est tout gonflé de l’Amour de vous. » ID 144
© A. Palayret
11Intransigeante, détestant la médiocrité (fig. 7), cette « Antigone » s’intéresse aussi de très près au Moyen Âge. Elle lit Émile Mâle4 et, bien qu’apparemment anticléricale comme son père, elle s’inscrit en 1910-1911 à l’École pratique des hautes études, dans la section des sciences religieuses.
Fig. 7
Jouques (Bouches-du-Rhône), abbaye Notre Dame de Fidélité, médiocrité, reine du monde, légendé : « Médiocrité, reine du monde, protégez-nous contre les courants d’air de bonté qui passent quelquefois sur le monde. Tassez nos cœurs afin que rien n’y remue. Préservez-nous de la vérité. Ainsi soit-il. » ID 211
© P. Martin
12Sa carrière profane est courte. Elle produit des dessins satiriques, travaille déjà pour des galeries d’art en 1911 et expose cette même année en Suisse. Elle publie un dessin, Les cinq vieux (fig. 8) dans le Courrier français en 1913. En 1913 toujours, on lui doit un décor pour une école de Montpellier, qui sera présenté en 1914, à la première exposition internationale urbaine de Lyon. Elle expose dans les salons : celui des Indépendants au Grand Palais de 1912 à 1914, dont elle est élue, à vingt-quatre ans, membre associé, et au salon des Dessinateurs Humoristes à Paris, de 1912 à 1915.
Fig. 8
Paris (Ile-de-France), Bibliothèque Nationale, les cinq vieux, illustration du Courrier français du 12 janvier 1913, p. 7
© BNF, FOL-Z-235
13Mais l’arrivée de la guerre chamboule sa vie : ce qui était grotesque et dérisoire devient tragique, elle en cherche le sens (fig. 9). C’est alors qu’elle rencontre une autre forme d’art remise à l’honneur par les Bénédictines de la rue Monsieur : le chant grégorien originel tel qu’il a été redécouvert par les bénédictins de Solesmes, sous l’impulsion de Dom Guéranger, au XIXe siècle. Bouleversée par l’Office des Ténèbres du Vendredi Saint en 1914, à la chapelle du monastère Saint Louis du Temple, elle suit alors les conférences de Dom Besse qui l’accompagnera pendant trois ans de combat spirituel.
Fig. 9
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, a) planche illustrée de quatre vignettes, datées de début 1914 pour un journal : 1/ l’héritier, 2/ j’ai pris tout ça à l’ennemi pour toi, 3/ le capitaine de Radovitz, 4/ la garde prussienne à Vitry-le-François, ID 5907 ; b) deux soldats blessés, ID 250
© S. de Boisfleury ; ©M.-E. Merat
14Le 21 septembre 1917, elle franchit la porte de la clôture du monastère de Saint-Louis du Temple, comme postulante, et devient novice en 1918, revêtant l’habit et recevant le nom de sœur Geneviève. Plus tard elle représentera cet engagement de la postulante dans un dessin, intitulé Fiat de la postulante, pour la série de la vie monastique (fig. 10). Elle établit un parallèle théologique entre l’Annonciation à Marie par l’ange Gabriel et la réponse de foi de la postulante à l’appel de Dieu. Elle réutilisera cette iconographie pour l’eau-forte de l’Annonciation, dans ses illustrations de l’Évangile de Luc.
Fig. 10
a) Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, le Fiat de la postulante, ID 1082 ; b) Jouques (Bouches-du-Rhône), abbaye Notre Dame de Fidélité, escalier et rambarde, ID 296
© P. Martin
15Un an plus tard, en 1919, naissent les Ateliers d’Art sacré sous la houlette de Maurice Denis et de George Desvallières, ainsi que le mouvement du Bauhaus ! Quel aurait été son parcours artistique si elle était restée dans le monde profane ? Elle a développé un talent d’affichiste, par son sens graphique, son emploi de la calligraphie, ses couleurs vives, abreuvé au « Chat noir » (fig. 11) comme au Jugendstil (fig. 12), et qui aurait pu se développer.
Fig. 11
Rouen (Seine-Maritime), collection particulière, projet d’affiche pour Vermouth Richard, ID 131
Fig. 12
a) Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, la vie chez les captifs volontaires, légendé : « Le jour se lève. Est-ce un jour après tant d’autres où il faudra recommencer les mêmes gestes lassés par l’habitude, déflorés par la routine ? Non pas. Un jour tout neuf que le monde n’avait pas encore vu, qui, au soir, ira déposer dans la tirelire de l’Éternité son apport de bien et de mal et que le monde ne revivra plus. Don précieux que ce prolongement de l’existence tombant dans une âme neuve, prête à embrasser le devoir qui se présente, sans voir si c’est le même qu’hier mais voyant qu’il est la forme réelle et tangible de Dieu, de Dieu éternellement jeune et toujours également désirable. La réveilleuse ouvre la porte de la cellule :’Bénissons le Seigneur - Grâces soient à Dieu’. Et debout. Ange gardien prenez en garde ma faiblesse. Et descendons au choeur. », ID 770 ; b) Peter Behrens, affiche pour Allgemeine Elektricitäts Gesellschaft (AEG), 1910
© P. Martin ; © https://cdn.kastatic.org/ka-perseus-images/486dc3351c4573bf88215059476147cea8b3bc0a.jpg
16Mais elle aurait pu aussi entrer aux Ateliers d’art sacré. Comme les artistes des Ateliers d’art sacré, elle cherche à être « vraie » et elle va manifester une polyvalence artistique (écrit, dessin, broderie, vitrail, gravure…). Elle aura, lors de son travail de vitrailliste, l’aide d’une ancienne élève de ces ateliers, Marguerite Hanin, qui a fourni une fresque en 1935, pour l’église du Saint-Esprit à Paris, et qui est entrée tardivement chez les bénédictines, sous le nom de Mère Marie-Bernard.
17Dès le début de son noviciat, les dons de Geneviève Gallois sont mis au service de l’atelier d’ornements liturgiques du monastère (fig. 13). Elle s’y enfouit dans l’anonymat, mais peine à réaliser les jolies copies demandées par la clientèle des religieuses, si éloignées de sa verve.
Fig. 13
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, trois religieuses à l’atelier de broderie, ID 707
© S. de Boisfleury
18Son caractère intransigeant rend la vie communautaire difficile. En revanche, sa spiritualité est intense et profonde. Lorsqu’elle demande à prononcer ses vœux en 1921, elle essuie un refus de la supérieure et de la maîtresse des novices, qui lui proposent plutôt d’être oblate. Chaque année elle renouvelle son engagement d’oblate, mais ce n’est qu’en 1933, au bout de quinze ans, qu’elle est admise à faire sa profession temporaire.
19En 1931, lors d’une vente de charité rue Monsieur, Paul Alexandre, amateur d’art et mécène d’Amedeo Modigliani avant la guerre, y découvre un projet de rochet, qu’elle a réalisé, sur la vie de Jeanne d’Arc (fig. 14).
Fig. 14
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, photo ancienne du dessin préparatoire pour le rochet de Jeanne d’Arc
© S. de Boisfleury
- 5 - Archives de l’abbaye de Limon.
- 6 - Lettre de Paul Alexandre à Mère Geneviève du 14 août 1956, reproduite dans ALEXANDRE, 1999, p. 36 (...)
20Commence une succession de commandes d’œuvres, et rapidement une série de gouaches sur la vie monastique. Elle est alors déchargée de son emploi dans l’atelier d’ornements même si elle continue à travailler à certaines commandes. Elle reçoit, en 1936, des conseils d’Henri Charlier, le « Maître du Mesnil-Saint-Loup »5. Quant à Paul Alexandre, il comprend et apprécie son style original. Il pensera même, quelques années plus tard, qu’elle peut jouer un rôle dans le renouveau de l’art religieux d’après-guerre (« La grande école d’art sacré à laquelle je rêve depuis si longtemps est fondée »6 lui écrira-t-il alors). Encouragée, elle dessine énormément. Il faut mesurer l’originalité de ces séries ; jamais auparavant on n’avait ainsi décrit la vie à l’intérieur de la clôture d’une abbaye, rythmée entre prière et labeur quotidien, ora et labora. Chaque moment de la journée, de l’année, est dessiné sous le même format, dans un style efficace, précis, qui mêle illustration et texte (fig. 15).
Fig. 15
a) Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, la cordonnerie, ID 840 ; b) Jouques (Bouches-du-Rhône), abbaye Notre Dame de Fidélité, Bol de soupe et travaillons (9 h.), légendé : « Bol de soupe, petit bout de pain et travaillons. - J’ai entendu cette réflexion faite par des laïques au sujet de la vie religieuse : ‘J’aimerais bien cette vie de méditation et ce genre de travail.’ Conception purement philosophique : aménagement de la vie en vue de la perdre pour la livrer à Dieu. Ce qui importe, ce n’est pas l’accomplissement de cette tâche, ni la formation intellectuelle qu’apporte la méditation, mais le réflexe de tout cela sur l’intime de l’être. », ID 719
© P. Martin
21L’ensemble ressemble à une refonte originale des très riches heures médiévales. Trois séries sur la messe suivent, l’opportunité pour elle de montrer le cœur de sa spiritualité. Elle écrit que la sainte liturgie
c’est le type de l’œuvre d’art : la transposition en formes sensibles d’une réalité aimée, longuement contemplée, assimilée et dont on veut mettre au jour la synthèse, pour le seul bonheur de voir et ressasser ce que l’on aime (fig. 16).
Fig. 16
Jouques (Bouches-du-Rhône), abbaye Notre Dame de Fidélité, offertoire, selon le rite ancien, le prêtre présentant le pain sur la patène, ID 961
© P. Martin
22L’importance donnée à la miséricorde, au baiser de paix, au fils prodigue (fig. 17) dans son œuvre, depuis les dessins sur la messe jusqu’à ses vitraux, reflète l’intérêt de son époque sur la réforme de la liturgie qui aboutira, juste après sa mort, avec le Concile de Vatican II.
Fig. 17
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, eau-forte du Fils prodigue, signée, ID 2865
© S. de Boisfleury
23En 1938, après plusieurs années de combats juridiques, les religieuses sont expulsées de la rue Monsieur et s’installent provisoirement à Meudon. Elles ont acheté, peu auparavant, un domaine à Limon sur la commune de Vauhallan et souhaitent y construire une abbaye.
24La seconde guerre mondiale met en suspens ce projet. Pendant l’exode, les moniales se réfugient au couvent de la Molle à Montauban, où Geneviève Gallois emporte papier et aquarelle. Elle y brossera de magnifiques dessins d‘une vie sobre, hors clôture (fig. 18).
Fig. 18
Jouques (Bouches-du-Rhône), abbaye Notre Dame de Fidélité, Sr Marie Gabrielle Macquin, ID 5268
© P. Martin
25À son retour à Meudon, elle commence une œuvre gravée avec des ex-libris puis les eaux-fortes d‘un chemin de croix et de l’Évangile de Luc (fig. 19), grâce à la presse à graver que lui a offert Paul Alexandre le 14 mai 1939 pour ses vœux définitifs.
Fig. 19
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, eau-forte des Bergers à la nativité dans l’Évangile de Luc, ID 3001
© S. de Boisfleury
26Suivront des illustrations pour des reliures (fig. 20a), pour quelques livres et un ouvrage La vie du petit Saint Placide, commencé en 1951 et publié en 1954, dont les cent quatre dessins légendés forment la première bande dessinée religieuse, résumé de son œuvre artistique et manifeste de la vie religieuse (fig. 20b).
Fig. 20
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, a) reliure pour Les Fioretti de Saint François, saint François et le loup de Gubbio, ID 993 ; b) étude pour le dessin n° 96 de La vie du petit saint Placide, légendé « Comment Petit Placide visita une exposition d’Art Abstrait », ID 3558
© F. Levrat ; © S. de Boisfleury
- 7 - Les statues seront réalisées par un sculpteur, très fidèlement, d’après ses croquis précis.
27Parallèlement, elle croque, dans une veine humoristique, des portraits malicieux des religieuses (fig. 21) et les représentations des difficultés et des joies de la vie monastique (fig. 22). Elle effectue aussi quelques esquisses pour les statues de saint Joseph7 (fig. 23a) et de la Vierge Marie, un bas-relief de la Cène qui seront sculptés par un artisan. Elle a également travaillé pour l‘atelier d‘images de l‘abbaye (fig. 23b), réalisé des linogravures pour la vente et collaboré à un livre sur les ornements liturgiques.
Fig. 21
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, eau-forte, sœur Isidora, légendée « Désirer la vie éternelle de toute l’ardeur de son âme », ID 2986
© S. de Boisfleury
Fig. 22
Jouques (Bouches-du-Rhône), abbaye Notre Dame de Fidélité, la vie monastique, légendée : « Venerunt Flumina, Flaverunt venti et impegerunt in Domum illam et non cecidit : fundata enim erat supra Petram » ID 4978
© S. de Boisfleury
Fig. 23
a) Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, statue de saint Joseph avec Jésus, ID 1101 ; b) Jouques (Bouches-du-Rhône), abbaye Notre Dame de Fidélité, image de dévotion, légendée « cache-moi dans le secret de ta face », ID 5080
© F. Levrat ; © S. de Boisfleury
28Dès 1951, Geneviève Gallois ébauche sa dernière grande œuvre : les vitraux du Petit-Appeville (Seine-Maritime) et de Limon. Au Petit-Appeville on lui impose un programme, mais à Limon elle est maître à bord et crée un ensemble original, sur le cycle marial, la création du monde, sa rédemption, les sacrements, les psaumes, la vie monastique et surtout trois œuvres uniques, deux sur la liturgie (fig. 24) et une sur l’arrivée d’une moniale au Paradis.
Fig. 24
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, verrière de ludens coram deo, ID 1467
© T. Lepercq et J. Trautsolt
- 8 - Interview de sœur Marie-Christine, archiviste à Limon.
- 9 - « Voilà la Vie parfaite. Tout l’être n’est qu’un jeu devant Dieu : le jeu qui consiste à livrer à (...)
29Son vitrail sur la sainte Liturgie et celui intitulé Ludens coram deo font directement référence à l’ouvrage de Romano Guardini, l’Esprit de la liturgie, lu dans tous les monastères au milieu du vingtième siècle8, et qu’elle cite dans ses notes spirituelles comme dans ses commentaires sur les vitraux de Limon9.
- 10 - Lettre de Paul Alexandre à Mère Geneviève du 14 août 1956, reproduite dans ALEXANDRE, 1999, p. 29 (...)
30Dans les années 1950, le père dominicain Marie-Alain Couturier la rencontre et la conseille pour ses futurs vitraux. Elle connaît la crise qui traverse alors le monde de l’art sacré, entre abstraction et figuration : le petit saint Placide s’interroge sur l’art abstrait (fig. 20b), et elle avoue s’en approcher dans ses vitraux. Mais elle est profondément attachée à la figuration car, pour elle, l’Incarnation prime. Son style évolue vers une grande liberté, une épure ; elle simplifie et synthétise (fig. 25). Dans une lettre à Paul Alexandre, en 1942, elle insiste déjà sur « l’énergique effort que demande un vrai dessin : le plongeon au fond de mon âme et la recherche de la ligne essentielle qui l’exprime »10.
Fig. 25
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, trois prêtres aux ornements verts, 1,20 m x 1,30 m, ID 1019
© P. Martin
311951 est aussi l’année du déménagement de la communauté de Meudon à Limon, de l’édition des eaux-fortes du Via Crucis sous sa signature (fig. 26).
Fig. 26
a) Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, eau forte pour le Via crucis, IXe station : Jésus tombe pour la troisième fois, 5,4 x 10,7, ID 5934 ; b) Jouques (Bouches-du-Rhône), abbaye Notre Dame de Fidélité, eau forte pour le Via crucis, XIIIe station : Jésus est descendu de la croix, 15 x 7, ID 6168
© A. Palayret ; © S. de Boisfleury
- 11 - Lettre à une amie le 28 juin 1953 « … Marie Laurencin m’apprenait la mort de Gleizes, survenue ap (...)
32Elle sort de l’anonymat, rencontre Rose Adler, Marie Laurencin, Marcelle Auclair. En 1953, elle est exposée à la galerie Allendy, 67 rue de l’Assomption à Paris. Albert Gleizes, le maître de Colette Allendy, s’intéresse à la production artistique de mère Geneviève11 !
33Mais dès 1955 sa santé se dégrade. Les vitraux de Limon sont achevés dix jours avant son décès, le 19 octobre 1962.
34La critique a signalé ses accointances artistiques avec Honoré Daumier (fig. 27), Francisco de Goya, Georges Rouault (fig. 28).
Fig. 27
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, parmi les 23 têtes sculptées dans des marrons : de gauche à droite, dominicain, franciscain, sœur qui reçoit une observation au chapitre, ID 1252
© P. Martin
Fig. 28
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, étude pour le vitrail de la Messe du Petit Appeville, détail de la crucifixion : le Christ, Marie et Saint Longin, ID 1566
© P. Martin
- 12 - Henri Matisse à la sœur supérieure de la congrégation des dominicaines, citation de Marc Chauveau (...)
35Geneviève Gallois rejoint Henri Matisse dans son idéal de la ligne essentielle, bien qu’on ignore si elle connaissait son œuvre. En 1951, avec le chemin de croix pour la chapelle du Rosaire de Vence, il écrit : « Ce n’est pas de la beauté qu’il me faut faire, mais de la vérité12 » (fig. 29).
Fig. 29
a) Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, la moniale au perron, ID 889 ; b) Vence (Alpes-Maritimes), chapelle Matisse, étude pour saint Dominique
© A. Palayret ; DR © C. Almodovar et © Succession H. Matisse
36Geneviève (Marcelle) Gallois est entrée comme postulante chez les Bénédictines de la rue Monsieur en 1917, et sa prise de voile en tant que novice s’est effectuée en 1918. Compte tenu de ses compétences artistiques, elle a rapidement été affectée à l’atelier de confection des ornements liturgiques (fig. 13). Elle possédait en effet toutes les qualités nécessaires à ce type de fonction : imagination créatrice et habileté manuelle.
37L’histoire ne dit pas quand, ni où, elle a appris à broder ; probablement à l’école comme la plupart des jeunes filles de son époque, ou peut-être même au sein de sa famille. Toujours est-il qu’elle y montre beaucoup de compétences.
- 13 - Le 11 juillet 2019, auprès de sœur Marie-Christine qui a bien connu Geneviève Gallois et les atel (...)
- 14 - Comme en fait foi un Livre des Commandes un peu plus tardif (1936-1965) conservé à Limon, dont An (...)
- 15 - DENIS, 1922, p. 273-274.
- 16 - LADOUÉ, 1925, p. 4.
- 17 - BRILLANT, 1927, p. 83-84.
38Grâce à une interview menée par Anne Palayret au sein du monastère13, on a une idée du fonctionnement de l’atelier des bénédictines au temps de Geneviève Gallois, ou plutôt des ateliers, car il y en avait trois lorsque le couvent était encore à Paris : l’un était consacré aux ornements commandés par le haut clergé (abbés, évêques…) ; un deuxième traitait les ornements destinés aux prêtres et aux paroisses classiques ; le dernier confectionnait des ornements pour les prêtres ou les paroisses pauvres qui n’avaient pas de quoi payer ou qui ne payaient pas grand-chose. Tous ces ateliers travaillaient à plein régime ; les commandes étaient très nombreuses14, et beaucoup de sœurs y étaient employées. Ils jouissaient d’une bonne réputation comme en témoignent plusieurs articles. Maurice Denis les cite en 1922 : « L’atelier des dames de l’Union centrale [des Arts Décoratifs], sous l’influence éclairée de Mme Carnot, d’autres ateliers, fondés depuis la guerre dans le but de fournir un vestiaire aux églises dévastées, les Bénédictines de la rue Monsieur, Mme Ory-Robin et enfin Mlle Desvallières, ont fait de la chasublerie un art original et en ont renouvelé les procédés et l’invention15 ». En 1925, ces bénédictines participent à la grande exposition des Arts Décoratifs qui s’est tenue en plusieurs lieux parisiens. La « Section de Chasublerie » est installée dans le pavillon du verrier-mosaïste Mauméjean. Les religieuses ont présenté une chasuble en soie noire ornée d’un Phénix en broderie polychrome16, que l’on peut rapprocher d’un dessin de Geneviève Gallois conservé à l’abbaye de Limon (fig. 30). Maurice Brillant fait leur éloge en 1927 : « Notons ici le rôle que jouent les Bénédictines de Saint-Louis du Temple (rue Monsieur), exquises techniciennes de la broderie et chasublerie religieuses17 ».
Fig. 30
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, étude pour un ornement de phénix sur une chasuble, ID 395
© F. Levrat
- 18 - Son originalité n’aurait peut-être pas été appropriée à la clientèle du premier atelier.
39Il semble que les talents de Geneviève Gallois furent surtout utilisés dans le second atelier de ce monastère18. D’après l’interview cité, la bénédictine « était très silencieuse, elle ne disait rien. Elle arrivait, elle saluait la sœur responsable de l’atelier et puis elle allait se mettre à sa place et elle travaillait ». Visiblement, elle restait très concentrée sur son travail qui était de deux ordres : conception et exécution. Le grand nombre de dessins et de calques, toujours en place à l’abbaye de Limon, témoigne de l’ampleur de son travail et de son investissement en termes de conception. Quant à l’exécution des broderies, les pièces subsistantes sont des témoignages éloquents de son style et de son habileté.
- 19 - Par l’Apostolat liturgique de l’Abbaye de St André, à Enghien-les-Bruges (Belgique).
- 20 - Journal, 20 juin 1924.
40Par ailleurs, Geneviève Gallois a aussi participé à l’élaboration d’un Guide pratique pour la confection des ornements gothiques, conçu par les Bénédictines de la rue Monsieur à Paris, et publié en 192419 Elle en a dessiné toutes les illustrations. Le Journal de la Communauté des Clarisses de Mazamet nous apprend qu’il était connu et utilisé par ces dernières20.
- 21 - On peut s’interroger sur son rôle exact dans la conception de cette chape : conception « dans le (...)
- 22 - Le style de cette croix semble bien éloigné de la manière habituelle de Geneviève Gallois. S’agit (...)
- 23 - Sûrement récupérées d’un ornement plus ancien.
41L’abbaye de Limon conserve une dizaine d’ornements de sa main, dont certains, à fond rouge, sont destinés aux fêtes de la Pentecôte, des Apôtres et des Martyrs : une chasuble (fig. 31a) ornée d’une scène de la Pentecôte accompagnée de figures de saints exécutées plus anciennement par une autre main ; et une chape (fig. 31b) sur laquelle dix personnages incarnent respectivement les trois Vertus théologales et les sept Dons du Saint-Esprit ; une autre chape (fig. 32) à décor moins imposant, presque insolite21, où les figures du Tétramorphe (symboles des quatre Évangélistes) se détachent sur une croix bleue22 ; un voile huméral (fig. 33) portant aux extrémités les Allégories de l’Église et de la Synagogue ; une chasuble (fig. 34a) sur laquelle naviguent Saint Pierre et Saint Paul protégés par une figure de l’Église (la scène brodée n’est malheureusement pas mise en valeur par le tissu de la chasuble elle-même) ; une dalmatique (fig. 34b) aux orfrois alignant des Figures de saints dans des arcatures néo gothiques, de facture XIXe siècle23, mais reliés par des éléments décoratifs végétaux plus récents.
Fig. 31
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, a) chasuble ornée d’une scène de la Pentecôte, détail, ID 501 ; b) chape dite de la Pentecôte : Les dons de l’Esprit, détail, ID 500
© F. Levrat
Fig. 32
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, chape au Tétramorphe, détail, ID 450
© F. Levrat
Fig. 33
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, détails du voile huméral : allégories de l’Église et de la Synagogue, détails, ID 1249
© F. Levrat
Fig. 34
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, a) chasuble avec Saint Pierre et Saint Paul, l’Église, dans une barque, détail, ID 5433 ; b) dalmatique avec des figures de saints
© D. Véron-Denise
42D’autres pièces, également brodées par Geneviève Gallois, affichent parfois un style résolument différent. Une chasuble blanche (fig. 35a) ornée d’une Nativité, offre une grande parenté avec une chasuble dédiée à Marie Protectrice des naufragés, Stella Maris (fig. 35 b, c) (non localisée mais dont on possède une photo). Les symboles du Tétramorphe apparaissent à nouveau sur une chasuble à fond rouge (fig. 36a), mais ils sont brodés de manière beaucoup moins classique ! Cette pièce appartenait au couvent des Bénédictins de la rue de la Source à Paris, qui l’ont apportée récemment (2021) à l’abbaye de Limon, en même temps qu’une mitre ornée d’une Assomption (fig. 36b). L’abbaye possède encore un coussin (fig. 37) porteur d’une scène humoristique sur Le Temps qui passe, et une intéressante étude de la tête d’une religieuse (fig. 38).
Fig. 35
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, a) chasuble de la Nativité, ID 468 ; b et c) chape Stella Maria, légendée « Une chape représentant la Vierge sur une étoile, guide du nautonnier, est prête à partir pour le port de Los Angeles en Californie. Inscription « ANIMAE / CYMBAM / A FLUCIU / SERVAS », vue d’ensemble et détail, ID 4562
Repro © F. Levrat
Fig. 36
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, a) chasuble au Tétramorphe de la rue de la Source, détail, ID 4570 ; b) mitre de l’Assomption, ID 4573
© F. Levrat ; © D. Véron-Denise
Fig. 37
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, coussin avec inscription « Li temps s’en vait et rien n’ai fait. Li temps s’en vient et ne fais rien », ID 499
© F. Levrat
Fig. 38
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, étude de tête de religieuse pour un ornement, ID 503
© P. Martin
43Une bannière dédiée à saint Gervais et saint Protais (fig. 39) a été localisée dans l’église du même nom à Savigny-le-Sec (Côte-d’Or). Mais la plupart des autres œuvres brodées par cette artiste ne sont connues que par les photos d’un album conservé à l’abbaye de Limon. Il en est ainsi d’une chasuble (fig. 40) et d’une bannière (fig. 41) en l’honneur de saint Joseph ; d’une très belle chasuble de l’Annonciation (fig. 41), sur fond blanc, qui présente certaines caractéristiques semblables à celles de la chasuble de la Pentecôte (fig. 31a), telles que la composition, l’ornementation avec des volutes, et l’utilisation de cartouches brodés plus anciens ; d’une chasuble montrant des Âmes du Purgatoire que des anges viennent délivrer (fig. 42a) ; d’une autre encore avec la figure du Bon Pasteur (fig. 42b) entourée d’inscriptions, ainsi que de plusieurs autres pièces brodées.
Fig. 39
Savigny-le-Sec (Côte-d’Or), église Saint Gervais et Saint Protais, bannière dédiée aux saints Gervais et Protais
© C. Tubœuf
Fig. 40
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, vue d’ensemble des chasuble et bannière saint Joseph, ID 4552 et 6005
© F. Levrat
Fig. 41
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, photo de la chasuble de l’Annonciation, ID 4559, le papier du tirage de la photo, Gevaert ridax permet de la dater entre 1930 et 1939
Repro © F. Levrat
Fig. 42
Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, a) photo de la chasuble des Âmes du Purgatoire, inscription : « BON JÉSUS DONNEZ LEUR LE REPOS ÉTERNEL », détail, ID 6014 ; b) photo de la chasuble du Bon Pasteur, inscription : « RESTAURATOR HUMANI GENERIS OVEM SUAM REPORTANS HUMERIS AD SUPERNA », détail, ID 6021
Repro © F. Levrat
44La chasuble blanche, conservée actuellement aux archives diocésaines d’Albi, dans le fonds des Clarisses de Mazamet, est décorée de scènes relatives aux premières heures de la Passion du Christ au Jardin des Oliviers : sur la face antérieure (fig. 43) le Christ déclare sa tristesse aux Apôtres Pierre, Jacques et Jean qu’il a emmenés avec lui (« Tristis est anima mea usque ad mortem ». Mon âme est triste à en mourir. Matthieu, 26, 38) ; sur la face postérieure (fig. 44), Jésus, au comble de la détresse, est consolé par un ange, tandis que ses compagnons se sont endormis : « Pater si vis transfer calicem istum a me, non mea voluntas sed tua fiat », Père, si tu veux, éloigne de moi cette coupe ! Cependant, que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se fasse ! » (Luc, 22, 42). « Apparuit illi angelus de coelo confortans eum ». Lui apparut, venant du ciel, un ange qui le réconfortait ? (Luc, 22, 43). « sic non potuistis una hora vigilare mecum ». Ainsi, vous n’avez pas eu la force de veiller une heure avec moi. (Matthieu, 26, 40).
Fig. 43
a) Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, photo ID 4569 ; b) Albi (Tarn) archives diocésaines, détail du devant d’une chasuble blanche dessinée par Sœur Geneviève Gallois
Repro © F. Levrat ; M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 44
a) Vauhallan (Essonne), abbaye Saint Louis du Temple de Limon, photo ID 4569 ; b) Albi (Tarn) archives diocésaines, détail du dos d’une chasuble blanche dessinée par Sœur Geneviève Gallois
Repro © F. Levrat ; M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
45Comme les Bénédictines de la rue Monsieur, les Clarisses de Mazamet étaient reconnues pour leurs grandes compétences en matière de broderies. Elles avaient notamment confectionné, en 1926-1927 un extraordinaire ornement destiné au Pape Pie XI pour son jubilé de 1928, ornement auquel Sabine Desvallières, fille du peintre George Desvallières, elle-même artiste reconnue dans le domaine de la chasublerie, avait apporté toutes ses compétences en entrant chez les clarisses en 1926. Mais comment et pourquoi cette belle chasuble de la Passion brodée par les Bénédictines de Paris s’est-elle retrouvée chez les Clarisses de Mazamet ? On peut imaginer que des liens s’étaient créés soit entre les deux communautés, soit directement entre Sabine Desvallières et Geneviève Gallois, toutes deux religieuses, toutes deux artistes, toutes deux brodeuses et toutes deux parisiennes. Dans cette perspective, nous avons vu plus haut que les clarisses utilisaient le Guide pratique pour la confection des ornements gothiques, conçu par les bénédictines et illustré par Geneviève Gallois (fig. 45).
Fig. 45
Nîmes (Gard), archives diocésaines, page de couverture du Guide pratique… conservé dans ce fonds
Repro. © J. Pagnon
- 24 - [Aline Olivier (en religion : Mère Marie de la Paix)], Sœur Marie de la Grâce par une de ses comp (...)
46On sait aussi qu’à une certaine période (dans les années 1920) Sabine Desvallières avait fréquenté le couvent des Bénédictines de la rue Monsieur pour y prendre – sans le moindre succès – des leçons de chant grégorien24. Mais elle a fort bien pu y côtoyer Geneviève Gallois et avoir avec elle des échanges « professionnels ». Par ailleurs, il est extrêmement difficile de dater les œuvres textiles de Sœur Geneviève Gallois qui, entre 1917 et son décès, n’a sans doute jamais cessé de dessiner pour l’art sacré, avec une personnalité originale clairement affirmée dès sa jeunesse. Josiane Pagnon émet l’hypothèse que la chasuble de la Passion aurait pu être offerte aux clarisses par les bénédictines, à l’occasion de la prise de voile de Sabine Desvallières en 1928.
47Les broderies de Geneviève Gallois sont conformes à sa personnalité : entière maîtrise de la technique qui sait combiner points lancés et broderie d’application, qualité de l’exécution, emploi habile des couleurs qui se déclinent souvent dans une gamme assez restreinte mais nuancée de tonalités bleues, bruns, beiges, roses violacés, avec parfois l’emploi de fils d’or. Certaines pièces toutefois sortent de ce cadre maîtrisé et les couleurs sont plus explosives comme sur la chasuble au Tétramorphe (fig. 36a). En l’absence de repères chronologiques, il n’est malheureusement pas possible de suivre son évolution artistique. Toutefois son style si personnel et si caractéristique transparaît inéluctablement dans ses œuvres, notamment dans les visages de ses personnages, aux traits bien marqués, souvent à la limite de la caricature…