1Après avoir été pendant des siècles un village de pêcheurs en Loire et un lieu de culte privilégié, l’île de Béhuard, est devenue un lieu de promenade et de villégiature facile d’accès depuis la construction des ponts (fig. 1).
Fig. 1
Béhuard (Maine-et-Loire), vue depuis la rive sud de l’île vers le pont des Lombardières et les coteaux des hautes vallées
A. Maugin © CDP 49
2Un ensemble d’ornements liturgiques rappelle le culte de la Vierge établi au moins depuis le XVe siècle et le couronnement de sa statue en 1923. Quelques lignes dans le Journal de la Communauté des religieuses de Mazamet constituent les seules preuves d’une attribution de certaines broderies de Béhuard, et pour lesquelles l’identification reste quelque peu aléatoire.
- 1 - Aucune preuve n’existe pour cette attribution.
- 2 - Analyse de dendrochronologie effectuée en 2018 par Dendrotech pour la Conservation départementale (...)
3L’île de Béhuard, située à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest d’Angers, est née de la réunion plusieurs îlots. Au centre, s’élève un rocher de schiste où d’après une tradition au Ve siècle, l’évêque d’Angers, saint Maurille, aurait fondé un sanctuaire marial sur le site d’un culte païen1. Comme l’attestent des chartes du XIe siècle, l’île devint le fief du chevalier Buhard, d’où dérive son nom, puis fut donnée aux bénédictins de l’abbaye Saint-Nicolas d’Angers. De récentes investigations ont déterminé que la nef et le chœur de la chapelle avaient été bâtis au XIVe siècle2 (fig. 2).
Fig. 2
Béhuard (Maine-et-Loire), église Notre-Dame, vue extérieure prise du sud mettant en évidence le rocher de schiste sur lequel elle s’appuie
B. Rousseau © CDP 49
4La Vierge de Béhuard, souvent invoquée par les pêcheurs en détresse sur la Loire, acquit une grande renommée. Lorsqu’en 1443 Louis XI se trouva en grave difficulté après avoir chaviré dans la Charente, il se voua à la Vierge et au sanctuaire de Béhuard que, selon toute vraisemblance sa mère, Marie d’Anjou, lui avait fait connaître. La chapelle bénéficia alors de ses visites (au moins une quinzaine) et de ses largesses en commençant par l’agrandissement de l’édifice. Dans les décennies qui suivirent, le pèlerinage – sans jamais disparaître – perdit en importance ; au milieu du XVIIIe siècle, la chapelle de Béhuard devint église paroissiale.
5Dans la continuité du développement des pèlerinages de Lourdes et de Pontmain, l’évêque d’Angers, Mgr Freppel, impulse une dynamique nouvelle lors du rassemblement marial de Béhuard le 8 septembre 1873. Deux autres pèlerinages à ce sanctuaire marquèrent fortement la communauté catholique angevine en 1910 et en 1923.
- 3 - Classée au titre des monuments historiques le 6 juin 1902, volée en 1975.
6Dans la sacristie se trouve depuis le début du XIXe siècle une chape en velours ciselé, du XVe siècle, richement brodée3 (fig. 3) à laquelle sont venues s’ajouter des acquisitions d’ornements auprès des fabricants et revendeurs angevins.
Fig. 3
Béhuard (Maine-et-Loire), église Notre-Dame, chape en velours ciselé brodé de la vie de saint Jean-Baptiste, provenant de l’église éponyme d’Angers et récupérée à la Révolution avant d’être donnée à l’église de Béhuard. Elle a été volée en 1975
Bourbonnais © Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, diffusion RMN-GP
- 4 - Bruges, archives d’État, archives Grossé, correspondance – boîte 599-600 et livres de commandes.
7Dans la décennie 1890 et dans le premier quart du XXe siècle, plusieurs commandes font intervenir l’atelier Grossé, brodeurs à Bruges, le soyeux lyonnais Perret, mais aussi les Clarisses de Mazamet. L’identification des brodeurs et de leurs ouvrages s’avère délicate en raison de la quasi-absence d’archives sur place ; elles ont disparu tout comme certains ornements dont ceux de Grossé commandés par Louis de Farcy4. Quelques photographies, les mentions dans les archives Grossé conservées à Bruges et dans les registres des religieuses de Mazamet permettent d’éclaircir des zones d’ombre qui peuvent mener à de mauvaises interprétations.
- 5 - BARBIER de MONTAULT, 1878, volume 1, p. 511-512.
8Le concile d’Éphèse en 430-431 déclare que la Vierge Marie est la mère de Dieu. Elle prend une place particulière dans le panthéon chrétien et les artistes peintres peuvent la figurer dès lors couronnée. Mais le couronnement des statues n’est institué qu’à la fin du XVIIe siècle, le réservant aux représentations de la mère du Christ, et répond à des règles très précises. Ce privilège est d’abord attribué par le chapitre de Saint-Pierre de Rome, avant qu’au milieu du XIXe siècle, il ne devienne une prérogative papale ; le pape délivre un bref dans lequel est désigné l’évêque qui posera la couronne. L’autorisation se fonde sur l’ancienneté du culte ainsi que « la continuité de la vénération publique et des prodiges opérés par la sainte image »5. L’or serti de pierres précieuses, seules matières acceptées, donneront au couronnement la magnificence attendue qui pourra s’appliquer à l’image de Jésus dans le cas d’une Vierge à l’Enfant.
9Louis XI, parmi ses cadeaux, offrit au sanctuaire de Béhuard une statuette de la Vierge à l’Enfant en argent (fig. 4) ; elle est représentée la tête ceinte d’une couronne, alors que la statuette de bois présentée dans l’église, vénérée depuis des siècles, ne l’était pas, mais elle tenait un sceptre qui lui conférait déjà une allure royale.
Fig. 4
Béhuard (Maine-et-Loire), église Notre-Dame, statuette de la Vierge à l’Enfant en argent, argent doré et perles. Volée en 1975 et retrouvée en 2004, elle a dans ce laps de temps, perdu les capses à reliques qui ceinturaient son socle.
É. Jabol © ADML 49
10Le renouveau des pèlerinages incita le clergé angevin à solliciter du pape Pie XI le bref de la Sacrée Congrégation des Rites qui donna l’accord pour le couronnement le 1er octobre 1923, date finalement avancée au 24 septembre. Les deux couronnes et le sceptre sortent des ateliers Mellerio dits Meller (fig. 5) et sont posés en présence de 30 à 50 000 pèlerins, d’une quinzaine d’évêques et de six cents prêtres.
Fig. 5
Béhuard (Maine-et-Loire), église Notre-Dame, couronnes de la Vierge et de l’Enfant Jésus, et dessins des ateliers Mellerio, 1923
T. Buron © CDP 49
11Les couronnes ne répondent pas aux prescriptions romaines puisqu’elles sont en argent doré, et non en or, ornées de perles, diamants et rubis. Leurs dessins faits de fleurs de lys, de croix, d’une ancre, d’une chaîne, instruments rappelant la Loire, se retrouvent dans les tissus des nouveaux ornements commandés au soyeux lyonnais Victor Perret.
12Le récit du couronnement, le lundi 24 septembre 1923, donne une information d’importance sur les ornements sacerdotaux portés pour la circonstance :
- 6 - SR Angers, 14 octobre 1923, n° 42, p. 833.
Après les bannières, s’avançaient trois prêtres en chape portant sur des coussins les deux couronnes et le sceptre de la Madone. L’image miraculeuse de Notre-Dame est portée solennellement par quatre prêtres, en chasubles gothiques blanches, aimablement prêtées par le Rme P. Abbé de Solesmes. Au-dessus d’elle flotte un dais porté par quatre diacres. Les chasubles gothiques donnent au groupe un caractère archaïque qui rappelle les siècles du moyen âge, si dévots à Notre-Dame6.
13Sur une carte postale de cette procession se distingue nettement les deux prêtres qui portent l’avant du brancard (fig. 6) et dont les chasubles ne rappellent en rien celles de Victor Perret.
Fig. 6
Béhuard (Maine-et-Loire), les fêtes du Couronnement de la Vierge, procession du 23 septembre 1923, la sortie de l’église. Carte postale
A. Maugin © CDP 49
14Cette affirmation d’ornements prêtés par l’abbaye de Solesmes et la photographie ancienne démontrent que ceux brodées par les Clarisses de Mazamet n’étaient pas encore à Béhuard en 1923.
- 7 - Il est né à Montilliers (Maine-et-Loire), le 19 avril 1878, a été ordonné prêtre le 20 décembre 1 (...)
15Presqu’un an plus tard, les Clarisses de Mazamet répondent à l’appel du curé de Béhuard, l’abbé Grangereau7 (fig. 7), qui souhaite obtenir des chasubles brodées par leurs soins pour le premier anniversaire du couronnement qui doit se dérouler avec faste.
Fig. 7
Abbé Grangereau, entouré de quatre Petits Clercs, vêtu de la mozette des chanoines du diocèse d’Angers dont il fait partie, à titre honoraire, à partir de 1942. La croix pectorale est due à Poussielgue-Rusand. Photographie prise entre 1942 et 1952
© archives diocésaines d’Angers
- 8 - Je remercie Josiane Pagnon de m’avoir transmis les textes extraits de ce journal reproduits en an (...)
- 9 - Voir ANNEXE.
- 10 - Journal de la communauté, 10 juillet 1924.
- 11 - Le curé Grangereau fonde l’œuvre des petits clercs aux lendemains de la guerre de 1914-1918. Il a (...)
- 12 - MENUSET, p. 33.
16Le journal de la communauté8 évoque la confection de 4 chasubles et d’un dais pour la fin du mois de juin9. Le 10 juillet 1924, le travail est achevé et avant l’expédition des ornements, les religieuses s’expriment et apprécient « leur bon goût, l’harmonie de la forme des dessins (tous empruntés à la couronne de l’aimable Vierge) et le fondu des couleurs. Les peintures à l’aiguille du motif central n’en étaient ni moins fines ni moins délicates que tout le reste10 ». Mais le curé de Béhuard en manque de trésorerie, paiera ce travail en célébrant les messes du 12 au 15 août pour les clarisses, et les petits clercs11 (fig. 8) leur offriront leur communion12.
Fig. 8
Béhuard (Maine-et-Loire), « Les Petits Clercs de Notre-Dame qui desservent le sanctuaire », carte postale
A. Maugin © CDP 49
17Le 16 août :
- 13 - S. R. Angers, 24 août 1924, n° 34, p. 686-684.
On remarqua les belles chasubles gothiques des prêtres. Elles ont été offertes généreusement pour la circonstance. Les médaillons au milieu de la croix représentent N.-D. de Béhuard, saint Joseph, le Sacré-Cœur et saint Maurille ressuscitant saint René. Çà et là, des emblèmes empruntés à la couronne de la Vierge diversifient l’ornementation13.
- 14 - BERTHOD, 2015, p. 383.
- 15 - Deux photographies, où des manches de dalmatique de Perret apparaissent partiellement, ont été da (...)
18L’examen des ornements liturgiques de Béhuard révèle une commande importante à Victor Perret, dont l’atelier d’ornements d’églises existe à Lyon depuis 189214. Il coud sur les doublures des vêtements des étiquettes permettant une identification certaine. Perret réalise un tissu où apparaissent les couronnes par Mellerio dits Meller créées en 1923 (fig. 9) ; on peut donc supposer que ce tissage est postérieur au couronnement, ce qui entraîna l’emprunt de chasubles de fêtes à Solesmes cette année-là15.
Fig. 9
Béhuard (Maine-et-Loire), ornement vert de Perret, détail du voile de calice et vue d’ensemble de la chape verte
A. Maugin © CDP 49
19En effet, ce dessin présente une dentelle fleurie en soie jaune clair et marron dont les méandres forment des médaillons au centre desquels figurent alternativement une fleur de lys et le M de Marie ; la fermeture des médaillons est assurée par le dessin de la couronne de la Vierge de Béhuard, destinant cette étoffe à ce seul sanctuaire angevin. Perret a prévu quelques mètres d’un large galon, soit rouge, soit bleu, adoptant le même dessin pour les fixer en forme de croix sur les chapes et les chasubles.
20Le brodeur habituel de l’atelier de Perret, Joannès Coquillat, ne semble pas avoir participé aux broderies destinées à Béhuard ce qui confirme l’envoi des chasubles à un atelier de broderies après leur arrivée à Béhuard.
- 16 - Ornements de Perret actuellement conservés : deux chasubles blanches (monogramme ND sur le dos), (...)
21La commande rapportée dans le journal de la communauté des Clarisses de Mazamet fait état de la confection de quatre chasubles et d’un dais, ornements effectivement réalisés entre le 5 juin et le 10 juillet 1924. Doit-on considérer comme exactes les descriptions rapportées dans La Semaine religieuse une semaine après la cérémonie d’anniversaire (cf. plus haut) ? Si l’image de N.-D. de Béhuard est encore visible sur trois ornements (deux chasubles et une chape), que penser des représentations de « saint Joseph, le Sacré-Cœur et saint Maurille ressuscitant saint René » ? Une confusion avec d’autres ornements est vraisemblable dans la mesure où cette relation a pu être écrite de mémoire. Au regard de ce qui se trouve dans la sacristie16, il faudrait comprendre que ce qui est appelé « quatre chasubles » dans le journal du 5 juin, puis « quatre ornements » dans le même document le 10 juillet correspond en fait à deux chasubles, une blanche et une verte, et deux chapes dont une blanche (l’autre n’étant plus présente dans la sacristie, on en ignore la couleur) (fig. 10).
Fig. 10
Béhuard (Maine-et-Loire), église Notre-Dame, chasubles verte et blanche, chape blanche de la maison Perret, ornées de broderies attribuées aux Clarisses de Mazamet
A. Maugin © CDP 49
22Le statuette vénérée (en bois) vêtue du manteau du couronnement en drap d’or brodé se trouve reproduite en broderie au centre des trois ornements attribués aux religieuses de Mazamet (fig. 11).
Fig. 11
Béhuard (Maine-et-Loire), église Notre-Dame, statuette en bois revêtue de son costume, reproduite en broderies par les Clarisses de Mazamet sur une chasuble verte et sur la bannière
A. Maugin © CDP 49
23Le dais de procession, également achevé à Mazamet le 10 juillet 1924, se présente sous la forme habituelle, si ce n’est que la partie extérieure du ciel, quasiment invisible, a également été taillée dans le tissu de Victor Perret (fig. 12) alors que généralement on place à cet endroit un tissu ordinaire pouvant éventuellement recevoir quelques saletés tombant du ciel.
Fig. 12
Béhuard (Maine-et-Loire), église Notre-Dame, dais de procession, vue du dessus et d’une pente latérale, présentés par des habitants, AMA 2433
A. Maugin © CDP 49
24Sur le fond blanc et or des jours de fêtes, se distingue au centre des quatre pentes le monogramme NDB brodé au fil métallique doré au centre d’un tissu en applique à l’identique de ceux se trouvant sur les chapes (fig. 13) et les chasubles sans la représentation de la statuette. Pourtant, dans le Journal de la communauté aucune mention n’existe quant à ses applications de monogrammes.
Fig. 13
Béhuard (Maine-et-Loire), église Notre-Dame, chape rouge de la maison Perret
E. Vacquet © CDP 49
25Une bannière, à fond rouge, avait été dessinée par Grossé en 1919 à la demande de Louis de Farcy, mais non exécutée ; elle a finalement été taillée dans un tissu blanc et or de Perret (fig. 14).
Fig. 14
Béhuard (Maine-et-Loire), église Notre-Dame, dessin du projet d’une bannière, atelier Grossé, Bruges, Archives d’État ; bannière du couronnement, tissu de Perret, broderie attribuée aux Clarisses de Mazamet
E. Vacquet © CDP 49 et A. Leicher © CDP 49
- 17 - Mgr Charost, cardinal et archevêque de Rennes.
- 18 - Archives diocésaines d’Angers, P850, Annales de Béhuard.
26Au centre de la bannière, prend place la broderie de la statue vêtue de son manteau de couronnement dont les triples armoiries (de France, de l’évêque d’Angers Mgr Rumeau, du pape Pie XI) se trouvent reproduites sur la bannière elle-même, dans le haut pour les prélats, dans le bas au centre pour les armes de France. « Son Éminence17 bénit ensuite la belle et riche bannière commémorative du couronnement, qui gardera le souvenir de la grande journée du 24 septembre 192318 ». Les religieuses de Mazamet n’évoquent pas de bannière, ni en 1923 ni pour l’anniversaire de 1924, et pourtant l’analyse comparative du dessin et de la technique (fig. 15) ne laisse guère de place au doute : elle sort du même atelier que les ornements qui leur sont attribués ici.
Fig. 15
Béhuard (Maine-et-Loire), église Notre-Dame, détail de la bannière du couronnement, broderie attribuée aux Clarisses de Mazamet
A. Leicher © CDP 49
27Les rapprochements des commandes d’ornements pour Béhuard et de l’existant dans la sacristie de l’église, laissent en suspens un certain nombre de questions. Combien d’ornements les clarisses ont-elles adressés à l’abbé Grangereau ? D’où vient la distorsion entre ce qu’elles envoient et ce que l’on admire dans la sacristie de nos jours ? On regrette aussi qu’elles n’évoquent pas la bannière du couronnement, arrivée un an avant la commande de 1924. Ces interrogations et les doutes qui subsistent ne pourront trouver d’éclaircissements que si les archives de Notre-Dame de Béhuard sont un jour découvertes.