1Cet ornement d’une grande richesse iconographique et artistique fut spécialement commandé aux sœurs Clarisses de Mazamet par les prêtres du diocèse de La Rochelle et Saintes pour l’offrir à Mgr Jean-François, Auguste-Eutrope Eyssautier, à l’occasion de la cérémonie du jubilé sacerdotal, qui se déroula dans la cathédrale de La Rochelle les 5 et 6 juin 1918.
2Mgr Eyssautier est né en 1844 à Entrevaux (Alpes de Haute-provence). Il commence ses études au séminaire de Digne et les termine au séminaire de La Rochelle, après la nomination de son père comme directeur des Douanes dans cette ville, en 1866. Le 6 juin 1868, il est ordonné prêtre par Mgr Thomas, dans la cathédrale Saint Louis de La Rochelle. Il est alors professeur de quatrième à l’Institution Notre Dame de Recouvrance de Pons (Charente-Maritime), principal pôle du culte marial dans le diocèse. En 1252, lors de la construction du couvent des Cordeliers à Pons, une statue de la Vierge à l’Enfant est trouvée dans le sol. Une chapelle est alors édifiée pour l’abriter et un pèlerinage s’y développe. Samuel de Champlain, fondateur de la colonie française de Nouvelle France en 1608 y serait venu faire le vœu, s’il réussissait dans son entreprise, de consacrer un lieu à la madone de Pons. Il existe toujours à Québec un sanctuaire avec la statue de Notre Dame de Recouvrance. Les bâtiments subsistant du couvent des Cordeliers sont rachetés en 1822 par le diocèse pour y fonder un petit séminaire sous le vocable de Notre Dame de Recouvrance. Après y avoir enseigné près de trois décennies, Jean-Auguste Eyssautier prend la direction de l’institution en 1894 et la garde jusqu’à sa nomination au siège épiscopal de La Rochelle et de Saintes, le 30 novembre 1906. Il lui incombe notamment de mettre en œuvre les mesures découlant de la loi du 9 décembre 1905 sur la Séparation des Églises et de l’État. Ainsi, après l’expropriation du petit séminaire de Pons en 1908 et son transfert à Saintes, Mgr Eyssautier encourage le maintien du culte de Notre Dame de Recouvrance à Pons où se déroule encore aujourd’hui un pèlerinage annuel diocésain. Autre preuve de son attachement à Notre Dame de Recouvrance, sa statue est représentée sur son sceau épiscopal et au cœur de la volute de sa crosse.
3Mgr Eyssautier exercera la fonction épiscopale jusqu’à sa mort, le 7 mars 1923. Au moment du jubilé il porte également les titres d’assistant pontifical et de comte romain (fig. 1).
Fig. 1
La Rochelle (Charente-Maritime), archives diocésaines de l’évêché de Saintes et La Rochelle, portrait photographique de Mgr Eyssautier, 1D-3
© CDAOA 17
4L’ensemble réalisé par les Clarisses de Mazamet, aujourd’hui conservé dans le chapier de la salle du chapitre de la cathédrale de La Rochelle, comporte huit pièces : une chasuble et une étole, un manipule, un voile de calice, une bourse de corporal, une pale, une étole pastorale et une chape (fig. 2).
Fig. 2
La Rochelle (Charente-Maritime), cathédrale Saint-Louis, ensemble des six accessoires accompagnant la chasuble et la chape
© Service Inventaire Nouvelle Aquitaine
5Lors des cérémonies du 8 juin 1918, Mgr Eyssautier portera la chasuble lors de la messe célébrée à 8 heures en la cathédrale, puis l’étole et la chape lors d’une bénédiction des enfants et d’un « salut solennel » à 17 heures. Malheureusement, nous n’avons pas trouvé de représentations photographiques des cérémonies du jubilé qui auraient permis de voir ces vêtements liturgiques portés.
- 1 - Description... Archives diocésaines de l’évêché de Saintes et la Rochelle, 1D-3 et 3Z-6.
6Aux archives du diocèse de Saintes et La Rochelle, sont conservés deux documents très précieux pour l’histoire de ces ornements. Il s’agit du programme détaillé du déroulement des cérémonies, qui commencent dès le 5 juin 1918 par une réception des prêtres du diocèse à l’évêché, et surtout d’une brochure signée de Mgr Émile Barthe, vicaire général, doyen du chapitre cathédral de La Rochelle de 1906 à 19241 (fig. 3).
Fig. 3
La Rochelle (Charente-Maritime), archives diocésaines de l’évêché de Saintes et La Rochelle, brochure, Description des ornements sacrés offerts par le clergé à leur évêque sa grandeur Monseigneur Eyssautier en souvenir de son jubilé sacerdotal 1868-1918, 3Z-6
© CDAOA 17
- 2 - Bulletin Religieux du diocèse...
- 3 - Cf. ANNEXE I.
7Ce texte, qui a également été publié en quatre articles dans le Bulletin religieux2 du diocèse du 6 juillet 1918 au 3 août 1918, donne une description extrêmement détaillée qui s’appuie sur les éléments transmis à sa demande par les Clarisses3. Il se termine par une cantate du centenaire composée pour l’occasion, dans laquelle sont célébrés certains des saints figurant sur les ornements : saint Jean, saint Augustin, saint François et saint Eutrope, qui correspondent aux prénoms de Mgr Eyssautier.
- 4 - Naissance : 12 septembre 1874, à Maurens (Haute-Garonne) ; entrée : 29 novembre 1903 ; vêture : 6 (...)
- 5 - Cf. ANNEXE II.
8Aux Archives diocésaines d’Albi, on peut consulter l’échange épistolaire entre Émile Barthe, et sœur Marie de saint Michel, née Marie-Antoinette d’Hyver de Las Deses4, de la communauté des Clarisses. Très bien éduquée et aimant les arts, cette sœur connaît parfaitement les sujets dont elle parle, même si elle a répondu bien vite. Il révèle très précisément les sources d’inspiration des sœurs pour l’iconographie, ainsi que les détails du choix des tissus et les techniques de mise en œuvre des broderies5.
9Un autre document très précieux est conservé dans ce dépôt d’archives, le Journal de la Communauté des Clarisses de Mazamet. Il nous apprend que l’ouvrage était terminé dès le début du mois de mai 1918, mais il permet également d’appréhender l’effort qu’a dû fournir la communauté pour le réaliser et la fierté qu’en ont tiré les sœurs qui l’évoquent ainsi :
- 6 - Archives diocésaines d’Albi, fonds des Clarisses de Mazamet. Journal de la Communauté des Clariss (...)
Un travail d’art de Communauté. Nos auxiliaires de Saint Michel viennent de terminer un magnifique ornement en drap d’or pour Monseigneur l’Evêque de La Rochelle. C’est une œuvre d’art plus belle que tout ce qui avait été fait jusqu’ici dans la Communauté. Cet ornement aurait demandé au moins trois années de travail et a été exécuté en moins d’un an, Dieu sait au prix de combien d’actes de dévouement. L’initiative et la sollicitude constante de notre Très Révérende Mère pour combiner, diriger, mener ce travail à bonne fin et doubler les journées, et d’autre part l’assiduité persévérante et l’adresse artistique de celles qui l’ont exécuté, formeront une belle page du livre d’or de la Communauté, digne d’être écrite par les Anges qui en ont été témoins6.
10Toutefois à ce stade de la recherche, aucun document d’archives ne révèle qui précisément a passé la commande et s’il y avait un cahier des charges pour les sujets et les personnages à représenter. Émile Barthe a-t-il joué un rôle particulier ? Lorsqu’en mai 1918, il écrit aux Clarisses en demandant une description technique du travail pour y consacrer un article dans le Bulletin diocésain, il précise que l’ornement est chez lui où de nombreux visiteurs viennent l’admirer.
11Si les représentations du Christ crucifié, du Bon pasteur, des évangélistes, de saint Pierre, de l’agneau pascal, sont habituelles sur des ornements liturgiques, beaucoup des personnages brodés par les Clarisses mettent en lumière l’histoire la plus ancienne du diocèse de Saintes. Ces choix donnent à l’ornement une connotation régionale tout à fait unique. Sur les orfrois de la chape et sur l’étole pastorale sont représentés les premiers évêques de Saintes, depuis Eutrope, le fondateur du diocèse dont la légende dit qu’il aurait été envoyé à la fin du premier siècle par le pape Clément pour évangéliser la Gaule, jusqu’à saint Dizant au VIIIe siècle, en passant par saint Ambroise, saint Vivien, saint Concorde, saint Trojan, saint Pallais (573-596) qui édifia une église pour la sépulture de saint Eutrope, saint Léger (Léodégarius) et saint Léonce (Léontius, 625-632). D’autres personnages rappellent également l’hagiographie régionale : sainte Eustelle, fille du gouverneur romain de Saintes, convertie au christianisme par saint Eutrope, sainte Gemme, vierge espagnole martyrisée en Saintonge, saint Martin abbé de Saujon, saint Vaize autre martyr saintongeais.
12Les autres sujets représentés sur les pièces de l’ornement, s’ils n’ont pas de rapport direct avec l’histoire régionale, symbolisent des moments-clés de la vie de Mgr Eyssautier. Ainsi saint Norbert est fêté 6 juin, jour de son ordination sacerdotale ; saint André est fêté le 30 novembre, jour de son ordination épiscopale et de sa naissance en 1844 ; saint Louis est le saint patron de la cathédrale de La Rochelle ; saint François et saint Augustin sont ses saints patrons. La figure majeure qui domine la composition du devant de la chasuble est Notre Dame de Recouvrance, dont l’importance pour Mgr Eyssautier a déjà été soulignée.
- 7 - Au sujet de cette œuvre, voir l’article de Cédric Trouche-Marty dans ce numéro.
13Toutes les pièces ont été conçues et exécutées par les sœurs Clarisses, installées à Mazamet (Tarn) depuis 1887. Pour la population pauvre des environs, elles confectionnent d’abord des vêtements, mais, dans les premières années du XXe siècle, grâce à l’arrivée de bonnes dessinatrices et brodeuses, commencent à aider également les prêtres. Elles se font remarquer par la confection d’une mitre en 1907, puis par celle d’une chasuble offerte à Mgr Mignot en 1915, justement dessinée par sœur Marie de saint Michel7. Les matériaux précieux utilisés, la grande qualité artistique, la conception complexe et originale font de l’ensemble de La Rochelle un jalon important de leur grand œuvre. Comme le révèle le Journal de la communauté, l’ornement réalisé pour Mgr Eyssautier en 1918, est leur première commande d’un grand ornement pour une cathédrale. Leur atelier comporte alors 27 moniales. Les choix iconographiques témoignent d’un travail rigoureux de recherche et d’une grande érudition. Elles se sont inspirées d’œuvres de grands maîtres de la peinture d’époques diverses, des primitifs au mouvement nazaréen, elles ont aussi utilisé des reproductions de dessins et manuscrits anciens, ainsi que des gravures. Elles en ont souvent fait une interprétation très libre, ne retenant parfois que l’atmosphère où la manière de représenter un paysage de fond. Elles ont aussi totalement imaginé certaines compositions. Comme l’indique Sœur Marie de saint Michel dans sa lettre à Émile Barthe, les choix stylistiques de l’ensemble s’inspirent du XVIIe siècle, de deux pièces majeures : une chape du trésor de Beauvais et la chasuble réalisée pour Pierre Ollier, un des fondateurs du séminaire de Saint-Sulpice, sur des dessins du peintre Charles Le Brun (fig. 4). Les Clarisses disent avoir eu cet ornement « à disposition » pour mieux l’étudier.
Fig. 4
a) Paris (Ile-de-France), église Saint-Sulpice, chasuble dite de Monsieur Ollier, vue d’ensemble du dos ; b) La Rochelle (Charente-Maritime), cathédrale St-Louis, chasuble de Mgr Eyssautier, vue d’ensemble du dos
© D. Véron-Denise ; © Service Inventaire Nouvelle Aquitaine
14Les saints sont représentés en s’inspirant de leur légende, de l’époque et des régions où ils ont vécu. Ils apparaissent ainsi dans des paysages orientaux ou, pour les évêques et martyrs saintongeais, sur fond de littoral (saint Pallais) ou devant des édifices régionaux ou encore devant la Sainte chapelle de Paris pour saint Louis. Les fonds sont composés avec un assortiment de fils de couleur sur trame d’or. Les encadrements sont ornés de « filés d’or fin avec natté espagnol et points de couchure variés, irisés de soies de couleur ». Les fleurs sont au point de passé empiétant, au fil de soie parfois rehaussé d’or (fig. 5).
Fig. 5
La Rochelle (Charente-Maritime), cathédrale Saint-Louis, chape de Mgr Eyssautier, détail d’un orfroi et des franges
© M.-F. Levoir
15La technique de peinture à l’aiguille donne du relief et une grande finesse à la réalisation8. Le tissu de fond est un drap d’or de soie, souple, avec dessins imitant un nattage. Un relief artificiel est donné aux médaillons. Les franges sont aussi une réalisation des Clarisses avec macramé en or et soie, suivant les nuances des fleurs, et petits glands en or (fig. 5).
16La doublure est en coton rouge, sauf pour le voile de calice et la bourse de corporal où elle est jaune.
17Les choix du traitement des sujets et des thèmes par les Clarisses, leurs sources d’inspiration artistique pour chaque élément de l’ornement, sont connues par les archives laissées par la communauté et par l’article déjà cité du chanoine Barthe qui les décrit en détail et donne également la transcription des inscriptions latines qui accompagnent les représentations des saints9. Toutefois, les références aux manuscrits anciens ou aux peintures conservées dans différents musées d’Europe, même lorsqu’il a été possible de les retrouver, ne permettent pas toujours de faire correspondre les images des œuvres et les réalisations, tant l’interprétation des Clarisses est créative.
18La chasuble (h. 118 cm ; la. 69 cm)
19Comme pour la chasuble créée au XVIIe siècle pour Pierre Ollier, qui sert de modèle aux Clarisses, la forme choisie est « à la française », ou plus familièrement « en forme de violon ». Les motifs et les personnages évoquent, en plus de ses saints patrons, des souvenirs ou des lieux symboliques de la vie de Mgr Eyssautier.
20Sur le devant, une large bande verticale porte les armes de l’évêque sous un chapeau épiscopal, d’azur à la gerbe d’or, liée de même, au chef d’argent, chargé de trois roses de gueule. Sa devise « Sint unum », « qu’ils ne soient qu’un » (comme moi et mon père ne faisons qu’un) rappelle une prière de Jésus dans l’évangile selon saint Jean (fig. 6).
Fig. 6
La Rochelle (Charente-Maritime), cathédrale Saint-Louis, chasuble de Mgr Eyssautier, vue d’ensemble et détail du devant
© M.-F. Levoir
21Au-dessous, figurent trois médaillons. Celui qui domine la composition est orné de la statue de Notre Dame de Recouvrance, que Mgr Eyssautier vénérait et dont il a développé le culte. C’est l’image de la statue de l’église saint-Martin de Pons, sculpture en bois polychrome du XIXe siècle qui a servi de modèle (fig. 7).
Fig. 7
a) Pons (Charente-Maritime), église Saint-Martin, statue de Notre-Dame de Recouvrance ; b) La Rochelle (Charente-Maritime), cathédrale Saint-Louis, chasuble de Mgr Eyssautier, détail du devant
© CDAOA 17 © M.-F. Levoir
22Au-dessous, devant un château médiéval et la Sainte Chapelle de Paris, saint Louis, patron de la cathédrale de La Rochelle rappelle que Mgr Eyssautier y fut ordonné prêtre puis évêque. Sur le troisième médaillon, saint Norbert, fondateur des Prémontrés au XIIe siècle, dont la fête est le 6 juin, foule au pied un hérétique et porte l’eucharistie dans un ostensoir, accompagné d’une mention de la date de l’ordination sacerdotale de Mgr Eyssautier : 6 juin 1868 (fig. 8).
Fig. 8
La Rochelle (Charente-Maritime), cathédrale Saint-Louis, chasuble de Mgr Eyssautier, détails du devant, saint Louis roi et saint Norbert
© M.-F. Levoir
23Dans le dos, l’orfroi en croix est brodé de quatre médaillons verticaux et deux sur la traverse. Au centre, le Sacré-Cœur, d’après un buste de Luigi Crosio (1835-1915), célébré par l’Église au mois de juin, est entouré des saints constituant le prénom de Mgr Eyssautier : saint Jean Baptiste, composition inspirée d’une peinture sur bois de Filippino Lippi conservée à la Galleria dell’Accadémia de Florence et saint Augustin. Ce dernier, un cœur enflammé à la main, rappelle l’importance de l’enseignement chrétien. Il serait réalisé d’après une œuvre du Pérugin que nous n’avons pu identifier. Au-dessous, saint Eutrope le premier évêque de Saintes est figuré devant l’église de Saintes dont la crypte abrite son tombeau (fig. 9). Le symbole de son martyr, la hache avec laquelle le gouverneur de Saintes lui aurait fait fracasser le crâne est à ses pied10. La représentation, au détail même de la couleur et du décor de la chasuble est très semblable à celle des trois vitraux du chœur de l’église saint Eutrope de Saintes, racontant la vie du saint, qui sont dus au maître verrier toulousain Louis-Victor Gesta (2e moitié du XIXe siècle). En revanche, la référence à P. Annould ou d’Arnould, donnée par Émile Barthe et par les Clarisses n’a pu être élucidée.
Fig. 9
La Rochelle (Charente-Maritime), cathédrale Saint-Louis, chasuble de Mgr Eyssautier, vue d’ensemble et détail du dos
© M.-F. Levoir
- 11 - Mouvement créé au début du XIXe siècle par un groupe de peintres allemands à Rome qui s’opposent (...)
24Au-dessous, Émile Barthe explique la présence de saint François d’Assise par le fait que Mgr Eyssautier l’a choisi comme patron le jour du sacre en l’honneur de François Bonnefoy, évêque de La Rochelle, dont il fut vicaire général. La composition (le saint bénissant le frère Léon, un agneau à ses côtés, devant la chapelle de la Portioncule à Assise) serait inspirée d’une œuvre du peintre lyonnais François Lepage (1796-1871). En dernier, figure saint André, dont la fête est le 30 novembre, jour de sa naissance et de son sacre, d’après le peintre allemand Johann Friedrich Overbeck (1789-1869), membre du mouvement nazaréen11.
25Cousue sur la doublure en coton rouge une étiquette porte la dédicace « À leur pasteur et père Mgr Jean Auguste François Eutrope Eyssautier évêque de la Rochelle et Saintes ses prêtres et fils reconnaissants 6 juin 1918 ». La chasuble est le vêtement qui a été sans doute le plus utilisé. La doublure présente des traces d’usure à l’encolure.
26L’étole (l. 113 cm ; la. 25 cm) (fig. 10)
Fig. 10
La Rochelle (Charente-Maritime), cathédrale Saint-Louis, étole de Mgr Eyssautier, détail
© M.-F. Levoir
27En bon état, l’étole est ornée de deux médaillons figurant les évangélistes saint Luc et saint Jean. La composition s’inspire du peintre Johann Friedrich Overbeck dont les dessins religieux ont été diffusés de son vivant notamment grâce à l’éditeur parisien Léon Curmer. On en trouve un choix important dans les catalogues de gravures religieuses de la maison Schulgen et Schwan de la rue Saint Sulpice à Paris. Les paysages évoquant la Judée auraient été brodés d’après des croquis levés sur place par des amis du monastère des Clarisses. La partie de l’étole qui touche au cou est soulignée d’un colletin de batiste et dentelle au fuseau.
28Le manipule (l. 56 cm ; la. 25 cm) (fig. 11)
Fig. 11
La Rochelle (Charente-Maritime), cathédrale Saint-Louis, vue d’ensemble du manipule de Mgr Eyssautier,
© M.-F. Levoir
29Le manipule, comme l’étole est orné de franges en filés dorés et de glands de passementerie. Y figurent les évangélistes saint Mathieu et saint Marc, selon les mêmes sources d’inspiration que sur l’étole. Son état général est moyen, des reprises importantes ont été effectuées.
30Le voile de calice (l. 3 cm ; la. 61 cm) (fig. 12)
Fig. 12
La Rochelle (Charente-Maritime), cathédrale Saint-Louis, vue d’ensemble du voile de calice de Mgr Eyssautier,
© M.-F. Levoir
31Il a pour motif principal l’agneau pascal, composition des sœurs Clarisses, reposant sur le livre aux sept sceaux, portant la bannière triomphale sur un fond rayonnant, entouré d’anges au visages tendres et gracieux. Autour du voile, court un somptueux cadre en passementerie, brodé de fleurs, rinceaux et palmettes de feuillages, de style néo-baroque. Cette pièce est en très bon état.
32La bourse de corporal (L. 30 cm ; la. 26 cm) (fig. 13)
Fig. 13
La Rochelle (Charente-Maritime), cathédrale Saint-Louis, vue d’ensemble de la bourse de corporal de Mgr Eyssautier
© M.-F. Levoir
33Au centre figure le Christ crucifié, inspiré de la toile de Guido Reni qui orne le retable du maître autel de l’église San Lorenzo in Lucina à Rome, réalisée en 1640. Comme sur le voile, les guirlandes végétales rehaussées de fleurs colorées sont d’un grand raffinement.
34La bourse est en bon état, avec seulement quelques taches.
35La pale (l. 17 cm ; la. 17 cm) (fig. 14)
Fig. 14
La Rochelle (Charente-Maritime), cathédrale Saint-Louis, vue d’ensemble de la pale de Mgr Eyssautier
© CDAOA 17
36Elle est bordée sur deux côtés par une dentelle au fuseau. Au centre, est le visage de saint Pierre, de profil.
37La chape (h. 137 cm ; d. 300 cm) (fig. 15)
Fig. 15
La Rochelle (Charente-Maritime), cathédrale Saint-Louis, vue d’ensemble de la chape de Mgr Eyssautier
© Service Inventaire Nouvelle Aquitaine
38C’est une pièce majeure de l’ornement. Elle est en bon état. Dans la description de la pièce, la sœur clarisse précise bien que l’on a gardé « intact » le dessin du chaperon de chape du XVIIe siècle de la cathédrale de Beauvais qui a servi de modèle pour la composition. Ceci est confirmé en comparant les deux chapes (fig. 16).
Fig. 16
a) La Rochelle (Charente-Maritime), cathédrale Saint-Louis, chape de Mgr Eyssautier, détail du chaperon ; b) Beauvais, cathédrale Saint-Pierre, détail du chaperon
© M.-F. Levoir ; photo base POP
39Son décor se concentre sur le chaperon et sur des médaillons en déroulé vertical sur les orfrois. Sur le chaperon, le Bon pasteur, entouré de la devise « Unum ovile, unus pastor » (un seul troupeau, un seul pasteur) est représenté, de façon très fidèle, d’après un tableau conservé au musée de Münich de Bernhard Plockhorts (1825-1907) peintre allemand considéré comme un des derniers encore influencés par le mouvement nazaréen (fig. 17).
Fig. 17
a) La Rochelle (Charente-Maritime), cathédrale Saint-Louis, chape de Mgr Eyssautier, détail du chaperon ; b) Mazamet (Tarn), église Saint-Sauveur, pale
© M.-F. Levoir ; M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
40Sur l’orfroi droit, sur le médaillon du haut, figure saint Trojan, qui fut le sixième évêque de Saintes, dans une composition où la ville de La Rochelle est figurée de façon très lointaine d’après une estampe du XVIIe siècle. La devise « sancte Trojane, novis opibus civitatem restaura » (par de nouveaux ouvrages restaurez la cité) est, selon Emile Barthe, une allusion aux ruines engendrées par la Séparation des Églises et de l’État « que Mgr Eyssautier s’est efforcé de reconstruire en son diocèse de La Rochelle au moyen d’une œuvre nouvelle : l’Union des catholiques d’Aunis et de Saintonge. ».
41Au-dessous sont représentés trois autres évêques de Saintes. Saint Vivien, évêque au début du Ve siècle, porte un vêtement très riche, inspiré d’un travail égyptien du musée de Bruxelles (fig. 18).
Fig. 18
La Rochelle (Charente-Maritime), cathédrale Saint-Louis, chape de Mgr Eyssautier, détail de l’orfroi droit et de la figure de saint Vivien
© M.-F. Levoir
42La scène, qui se déroule dans un paysage à la façon de Raphaël, montre le saint ressuscitant une femme, sous la devise « Sancte Viviane, charitate christi vivifica » (Saint Vivien, par la charité du christ, vivifiez-nous).
43Au-dessous saint Ambroise, qui vécut aussi au Ve siècle, mais pour lequel les sources sont muettes, est figuré dans un paysage bucolique à la manière de Léonard de Vinci. La devise « Sancte Ambrosi, pane Christi satia nos » (Saint Ambroise, nourrissez-nous du pain du christ), rappelle l’importance de la communion. En bas de l’orfroi droit, saint Eutrope, premier évêque de Saintes, est devant un paysage qui fait penser aux rives du fleuve Charente qui coule à Saintes, accompagné de la devise « Sancte Eutropi, mores nostros sanctifica » (Saint Eutrope, sanctifiez nos habitudes de vie).
44Sur l’orfroi gauche, saint Dizant qui aurait été évêque de Saintes au VIIIe siècle apparaît sur le médaillon du haut avec un vêtement somptueux dont les motifs s’inspirent assez librement du fragment du suaire de saint Victor, soierie byzantine du trésor de la cathédrale de Sens. Lui est associée la devise « Sancte Disanti, fac nos divitias coelo condere » (Saint Dizant, faites que nous amassions des richesses dans le ciel) (fig. 19).
Fig. 19
a) La Rochelle (Charente-Maritime), cathédrale Saint-Louis, chape de Mgr Eyssautier, détail de figure de saint Dizant, comparée à b) Sens (Yonne), trésor, suaire de saint Victor
© M.-F. Levoir ; base POP
45Au-dessous, saint Léger évêque de Saintes au VIIe siècle, est accompagné d’un lion surmonté d’un paon à tête de hibou symbolisant le démon et la Vanité, et de l’inscription « Sancte Leodegari, leonem rugientem refrenae » (Saint Léger, refrénez le lion rugissant). Puis vient la figure de saint Léonce, lisant les saintes écritures ; évêque de Saintes, dont sa présence est attestée au concile de Reims en 625. Le dessin aurait été réalisé par les Clarisses à partir d’un tableau de Raphaël et d’un paysage de Corot. L’inscription entourant le personnage est : « Sancte Leonti, virtute Christi confirma nos » (Saint Léonce affermissez-nous par les vertus du Christ). Sur le médaillon en bas de l’orfroi gauche, saint Pallais, évêque de saintes de 573 à 596, à l’origine du culte de saint Eutrope, porte une chape dont les motifs sont copiés sur des broderies assyriennes du musée du Louvre. À ses pieds un prêtre nouvellement ordonné. Tout autour court l’inscription « Sancte Palladi, odore Chrismatis laetifica nos » (saint Pallais, réjouissez-nous par l’odeur du Saint-Chrême) (fig. 20).
Fig. 20
La Rochelle (Charente-Maritime), cathédrale Saint-Louis, chape de Mgr Eyssautier, détail de l’orfroi gauche et de la figure de saint Pallais
© M.-F. Levoir
46Ainsi lorsque la chape est portée, saint Eutrope et saint Pallais, dont l’histoire est étroitement liée, se retrouvent côte à côte.
47L’attache de la chape avec crochet émaillé à rinceaux ne correspond pas à la description de 1918 : « camée à l’effigie de saint Pierre reproduisant une peinture de Mgr de Ségur12 » et a dû être changée pour des entrelacs d’émail sur laiton (fig. 21).
Fig. 21
La Rochelle (Charente-Maritime), cathédrale Saint-Louis, détail de la chape de Mgr Eyssautier, attaches
© CDAOA 17
48Comme sur la chasuble, une étiquette cousue sur la doublure porte la dédicace « À leur pasteur et père Mgr Jean Auguste François Eutrope Eyssautier évêque de la Rochelle et Saintes ses prêtres et fils reconnaissants 6 juin 1918 » (fig. 22).
Fig. 22
La Rochelle (Charente-Maritime), cathédrale Saint-Louis, détail de la chape de Mgr Eyssautier, inscription sur la doublure
© CDAOA 17
49L’étole pastorale (h. 121 cm ; la. 26 cm)
50En complément des personnages évoquant l’histoire ancienne de l’église de Saintes, des figures de saintes et saints saintongeais ornent l’étole pastorale (fig. 23). Selon le chanoine Barthe, les inscriptions qui les accompagnent, jouant sur l’étymologie des prénoms, évoquent les enseignements de Mgr Eyssautier auprès de la jeunesse. Les paysages inspirés de peintres du XVe ou du XVIe siècles, flamands ou italiens, ne constituent qu’une toile de fond peu présente. Seule la composition du médaillon de saint Vaize est plus narrative.
Fig. 23
La Rochelle (Charente-Maritime), cathédrale Saint-Louis, vue d’ensemble et détail de l’étole pastorale de Mgr Eyssautier
© M.-F. Levoir
51Sur le pan droit, sous les armes de l’évêque, Sainte Eustelle, jeune fille baptisée par Eutrope, qui aurait été ensevelie avec lui après que son père, gouverneur de Saintes les ait fait assassiner, figure sous l’inscription « Sancta Eustella pro virginibus amica fulget et patrona » (Sainte Eustelle protectrice de la fidélité des vierges, elle brille à leurs yeux comme une étoile amie). En Aunis et Saintonge les représentations de sainte Eustelle en peinture et sur les vitraux des églises sont nombreuses à la fin du XIXe siècle. À la cathédrale de La Rochelle, une chapelle lui est consacrée. Sur le médaillon au-dessous, saint Martin, moine bénédictin qui fut abbé du monastère saintongeais de Saujon dans la seconde moitié du VIIe siècle, porte ce message qui s’adresse notamment aux jeunes prêtres : « Sancte Martine, praesta junioribus arma lucis » (…, cédez aux jeunes vos armes de lumière). Puis saint Concorde, évêque de Saintes au Ve siècle, apparaît un agneau dans les bras, accompagné de l’inscription « Sancte Concordi in pace serva gregem » (gardez le troupeau dans la paix). Cette parole a un écho particulier au moment du jubilé, alors que sévit la Grande guerre.
52Sur le pan gauche de l’étole, sous un écu orné d’un calice et d’une hostie avec la légende « 6 juin 1868. Sacerdos alter christus » (Le prêtre est un autre Christ), en face de sainte Eustelle apparaît sainte Gemme, vierge espagnole martyrisée en Saintonge avec la devise « Sancta Gemma, amissas in ditionem Christi revoca » (Sainte Gemme, ramenez au trésor du christ les perles perdues). Au-dessous saint Vaise (ou Vaize), martyr originaire de Saintonge distribue des aumônes aux pauvres devant un château. La légende le présente en effet comme un riche propriétaire né à Saintes vers 465. La scène est surmontée de l’inscription « Sancte Vasi electionis juniorum et exemplar » (vase d’élection sur lequel se modèle la perfection des jeunes). En bas, saint Mathan, qui aurait été évêque de Saintes au VIIIe siècle mais n’est pas attesté par les sources, est accompagné de ces mots « Sancte Matthan, doni Dei da nobis scientiam » (Donnez-nous la science du don de Dieu). L’étole est dotée d’un colletin de batiste brodée.
53L’analyse de cet ornement se révèle extrêmement intéressante au regard de la totalité des œuvres qui vont être créées à Mazamet jusque dans les années 1950. On voit ici que les clarisses possèdent déjà la maîtrise technique du dessin et de la broderie, y compris l’or nué qu’elles pratiquent en jouant sur les couleurs des fils de soie qui fixent perpendiculairement les filés or (fig. 24).
Fig. 24
La Rochelle (Charente-Maritime), cathédrale Saint-Louis, détail de la chape de Mgr Eyssautier, saint Eutrope, paysage arboré se reflétant dans l’eau, or nué, 1918
© M.-F. Levoir
54Cependant, dans les dessins, dans les teintes, elles copient docilement les anciens maîtres. Dans les années qui suivront, aidées en cela par l’arrivée d’artistes, les Clarisses de Mazamet discutent et critiquent leurs pratiques, inventent leurs propres compositions, figures, harmonie de couleur ; elles ne refusent pas la modernité et adoptent les coupes de chasubles amples ; leur dessin suit l’art des années 1920-1930, celui de l’Art déco, et même les anges, avec leur coupe à la garçonne, sont bien de leur temps (fig. 25).
Fig. 25
a) La Rochelle (Charente-Maritime), cathédrale Saint-Louis, détail du voile de calice de Mgr Eyssautier, 1918 ; b) Nages (Tarn), presbytère de Tastavy, détail de l’ornement du Centenaire, 1937
© M.-F. Levoir ; M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
- 13 - Textile blanc, léger, en polyéthylène non tissé, très solide et lavable.
55L’ensemble de l’ornement de Mgr Eyssautier, propriété de l’association diocésaine, est demeuré complet. Il est conservé à la cathédrale de La Rochelle dans la sacristie du chapitre et vient de bénéficier de l’opération de conservation préventive, commandée par la Conservation régionale des monuments historiques en 2019 à la restauratrice Marie-Flore Levoir, qui a porté sur l’ensemble de la collection d’ornements textiles de la cathédrale. Un inventaire de toutes les pièces rangées dans le chapier et dans des placards a été effectué. Il a été suivi d’un dépoussiérage, d’un reconditionnement et d’un étiquetage de chaque élément de la collection. Les chapes sont installées à plat à l’intérieur des tiroirs du chapier, protégées par des toiles de coton sans apprêt. Les chasubles et les pièces de petites dimensions, également protégées par de la toile de coton ou du tyvek13, sont rangées dans des boîtes de carton neutre dans les placards qui ont bénéficié d’un aménagement avec des plateaux coulissants.
56D’après la base Palissy accessible par la plateforme POP du ministère de la Culture, quinze ornements ou ensemble d’ornements réalisés par les Clarisses de Mazamet, ont été inscrits à l’inventaire des monuments historiques, en 2012, 2015 et 2016. Tous, sauf une mitre de la cathédrale de Rodez (Aveyron), sont dans le département du Tarn : neuf ensembles à l’archevêché d’Albi, propriété du diocèse, trois à l’église Saint-Benoît de Castres, ex cathédrale, également propriété du diocèse, une chape et une étole dans l’église de Mirandol-Bourgnounac. Toutefois, ces parements sont nettement postérieurs et aucun de ces ornements ne comporte autant de pièces que celui réalisé pour Mgr Eyssautier. L’ensemble a été jugé digne d’être inscrit au titre des monuments historiques (objets mobiliers) par la Commission régionale du patrimoine et des sites de Nouvelle-Aquitaine en sa séance du 27 janvier 2021. L’arrêté est en cours de signature. Aucun vœu n’a été émis en vue d’un classement, dans l’attente d’une meilleure connaissance du corpus de broderies des Clarisses de Mazamet.