1La communauté de Mazamet est fille de celle de Millau (Aveyron), elle-même issue des Clarisses de Perpignan (Pyrénées-Orientales). Après le succès de la fondation de Millau en 1875, plusieurs noms de villes ont circulé pour une nouvelle création de monastère, mais c’est Mgr Fonteneau, archevêque d’Albi, qui tranche la question et opte pour Mazamet :
- 1 - Première page du Journal de la Communauté, copié d’une lettre de l’archevêque au Père Exupère.
Ce pays est chrétien mais il y a eu beaucoup d’argent et, par suite, de la sensualité. L’exemple des filles de sainte Claire lui sera salutaire. Vous direz à M. Janton, curé de la principale église, que je vous envoie pour cela, et que je le prie de vous seconder en tout. C’est un homme sans beaucoup d’activité mais qui accepte comme l’ordre de Dieu même, la volonté de son évêque1.
- 2 - Émilie Barascute. Naissance à La Pesade (Aveyron) ; vêture : janvier 1883 ; profession : 27 févri (...)
2Le premier capital d’installation est fourni par Hilaire Vivarez, un notaire natif de Sorèze (Tarn). Dix sœurs quittent Millau le 17 décembre 1887 ; un groupe constitué de six religieuses de chœur dont Sœur saint Bonaventure, deux sœurs converses et deux sœurs tourières. Une pépinière d’artistes parmi elles ? Pas vraiment, juste un embryon de possibilités. Sœur Véronique de Jésus2 faisait tous les raccommodages du linge. Sœur saint François était d’une adresse rare à toutes sortes de travaux :
- 3 - Julie Périé. Naissance : 16 avril 1853 à Aussillon (Tarn) ; vêture : 4 novembre 1876 ; profession (...)
Longtemps, on put lui réserver les fins raccommodages ; elle montait des chapelets et faisait des ouvrages en cheveux d’une minutieuse exécution. Sa joie suprême était de faire des chapelettes ou petites chapelles en carton où son ingénuité trouvait le moyen de faire entrer tout un monde de saints et de fleurs3.
- 4 - Thérèse Roig. Naissance : 27 février 1867 à Pia ; vêture : 24 février 1886 ; profession : 25 févr (...)
3Celle qui deviendra Mère Claire est sacristine ; elle va accompagner la croissance des ateliers, en relevant des dessins de broderie et en faisant parfois des calques. Mais elle acquiert aussi des compétences en menuiserie et fabrique chaises et armoires, puis « des cadres en bois sculpté et plus tard un bel écrin de mitre pour Monseigneur Mignot4. » Elle devient peu à peu responsable de tous les travaux, mais garde la création des cadres et des emballages spécifiques aux tableaux.
4Le but principal de l’article qui suit est de répondre à cette question : pourquoi, alors que bien des monastères féminins avaient des ateliers de broderie, tant de chefs-d’œuvre sont-ils sortis de celui de Mazamet ? Pour y parvenir, nous interrogerons les documents permettant d’expliquer la naissance, l’apogée et la fin des ateliers, de faire ressortir les personnalités sans qui rien ne serait arrivé, gageure dans une communauté monastique où chacune s’efforce à l’anéantissement de son ego.
- 5 - Le fonds des Clarisses de Mazamet est conservé aux archives diocésaines d’Albi, sous la cote 4 R (...)
- 6 - Les événements sanitaires de 2020 ont stoppé net l’inventaire territorial des œuvres, déjà largem (...)
5Les archives5 – essentiellement le Journal de la communauté, le Nécrologe avec ses notices biographiques parfois conséquentes, les albums de croquis et de photos d’œuvres – font état d’un nombre impressionnant de créations. Je me suis astreinte à n’écrire que sur les œuvres réellement localisées à l’heure actuelle6 afin d’éviter d’introduire des doutes quant au contenu de cet article dans l’esprit d’un chercheur qui prendrait la suite de l’étude.
- 7 - Naissance : 25 avril 1852 à Saint-Rome-de-Tarn (Aveyron) ; vêture : 26 novembre 1874 ; profession (...)
6Née en 1852 dans une famille de vieille noblesse ariégeoise vivant en Aveyron, Marie Joly de Cabanous7 entre chez les Clarisses de Perpignan en novembre 1874 ; c’est donc à la fois une jeune femme et une nouvelle recrue qui part à Millau en mai 1875 pour participer à la création du monastère. Forte de la réussite de cette entreprise, elle est prête pour la fondation suivante. À Mazamet, il faut d’abord vivre dans une maison, au 35, boulevard Soult. Le 8 septembre 1888, les sœurs aménagent dans une demeure plus grande et surtout dotée d’un jardin. Il faut attendre juin 1893 pour l’acquisition d’un terrain et enfin le 21 novembre 1894 pour le transfert de la communauté dans le monastère neuf - les moniales ont même participé au chantier de menuiserie. Les premiers temps de la communauté de Mazamet sont extrêmement rudes sur le plan matériel et très précaires sur le plan sanitaire. Pendant les premières décennies, le Journal de la Communauté relate la venue brutale et récurrente de la fièvre typhoïde, de la phtisie, de la grippe. Malgré cela, les clarisses qui ne subsistent que grâce aux bienfaits des personnes aisées, donnent aux habitants les plus pauvres, de leur travail surtout mais jusqu’à leur nourriture. Elles s’emploient à faire des habits neufs à la population ou à refaire de bons vêtements avec des anciens :
- 8 - Journal, Noël 1893, p. 20 du premier tome.
Mère saint Bonaventure ne voulait pas qu’on donne aux pauvres un vêtement quelconque pour se couvrir ; elle voulait que ce vêtement, si simple qu’il soit, fut confectionné avec goût, de sorte qu’il donnât un peu de joie, que le pauvre se sentit moralement relevé8.
- 9 - Nécrologe, notice de Mère saint Bonaventure.
7Malgré les difficultés, leur bonne réputation grandit et les postulantes viennent frapper à la porte du monastère. Tout est soigneusement géré par l’abbesse, si bien qu’« elle put bientôt venir en aide à quelques églises de la campagne et aux pauvres du quartier. Aux églises, elle donnait le travail gratuit de ses filles et tout ce qu’il était possible de soustraire du chétif mobilier de la chapelle9 ». Elles confectionnent ou réparent des vêtements dès les premières années ; ainsi, au 10 septembre 1900, il est mentionné dans le Journal que « nos tourières ayant quêté des vieilleries, nous avons pu faire 27 robes pour les enfants pauvres et un grand nombre de chasubles pour les missions ».
- 10 - Côme Antoine Jean Guiu naît le 10 février 1837 ; 14 avril 1858 : entrée au noviciat des capucins (...)
- 11 - Sources pour sa biographie : Albi, archives diocésaines, fonds des Clarisses : Journal et Nécrolo (...)
8Né en 183710 dans les Pyrénées-Orientales, au sein d’une famille fervente catholique et bénéficiant d’une certaine aisance, il suit les cours du Petit séminaire de Prades puis ceux du collège de Perpignan et choisit à seize ans la vocation religieuse, dans l’ordre des Capucins. Après son ordination, il est rattaché au monastère de Perpignan nouvellement créé, mais part en mission en Afrique orientale en 1863, pour une expérience qui restera unique. Ses dons d’enseignant avaient très tôt été remarqués et il devient dès son retour un prédicateur réputé. Durant toute sa vie, il va également beaucoup écrire, ouvrages et articles, pour « faire connaître, aimer, servir le Christ11. » En 1874, il répond au souhait des Clarisses de Perpignan d’établir une fondation à Millau et les soutient. Parallèlement, il acquiert un grand respect au sein de son ordre qui l’élit en 1876 Provincial d’une des trois provinces que comptent les Capucins en France. En 1880, il est gardien d’un couvent de Mont-de-Marsan au moment où un décret oblige les religieuses à quitter le pays et à se réfugier en Espagne ; il part avec elles et reste cinq ans à Orihuela (province d’Alicante). Il sera à nouveau tenté de partir en 1894, quand arrive la suppression des congrégations enseignantes, mais sa santé ne lui permet pas de le faire et il reste dans une famille de Bayonne. C’est à ce moment que la volonté de bienfaisance de M. Rincon de Gallardo s’intéresse à lui et donc aux Clarisses de Mazamet.
9En effet, après la fondation de Millau, il a accompagné celle du monastère de Mazamet dont il reste considéré comme le père fondateur et il met son dévouement sans bornes au service des clarisses, non seulement en assurant la retraite conventuelle pendant une dizaine d’années, mais également toutes les célébrations que son emploi du temps lui permet. De ses prédications dans toute la région, il tire une grande réputation auprès des catholiques qui créent le vaste réseau des amis du monastère.
10Souffrant de nombreux problèmes de santé dès 1901, il est autorisé par son ordre à s’installer définitivement au monastère de Mazamet en septembre 1910. On lui installe alors un petit appartement particulier (fig. 1).
Fig. 1
Albi (Tarn), archives diocésaines, fonds des Clarisses de Mazamet, le Père Exupère photographié devant son appartement du monastère de Mazamet et entouré des statuettes de l’Enfant Jésus
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
- 12 - Malgré maintes recherches et beaucoup de questions, ni vêtements ni statuettes ne sont aujourd’hu (...)
11Comme Mère Marie Thérèse de Jésus, il a une très profonde dévotion pour l’Enfant-Jésus dont plusieurs statuettes vêtues d’habits précieux existaient à l’abbaye12.
12Une grande fête est organisée pour lui à l’occasion de son jubilé sacerdotal, fin 1912 :
- 13 - Nécrologe du Père Exupère.
la chapelle était ornée de fleurs et de verdure, un immense rosaire, en gaze blanche avec chaîne dorée, suspendu à la voûte retombait dans le sanctuaire, symbolisant tous ceux qu’égrénait inlassablement le vénéré jubilaire13.
- 14 - Journal, 13 août 1916.
13Devenu aveugle, il a pu cependant discuter avec les clarisses de l’iconographie d’un ornement qu’il souhaitait offrir à Notre-Dame du Coral, « sanctuaire dans lequel il a reçu sa vocation et des grâces nombreuses »14, situé sur les hauteurs de sa commune natale de Prats-de-Mollo (fig. 2).
Fig. 2
Prats-de-Mollo (Pyrénées-Orientales), église Saint-Just et Sainte-Ruffine, vue d’ensemble du devant de la chasuble de Notre-Dame du Coral et détail du dos, avec l’inscription « École séraphique », rappelant une des créations du Frère Exupère pour les enfants, 1916 (IM66007110)
© CD66/CCRP
14Il est indiqué dans le Journal de la Communauté, le 8 septembre 1916 :
Notre Rme Père Exupère a offert à Notre-Dame du Coral un très bel ornement, forme romaine, exécuté par ses chères filles. Sur le devant et le dos sont représentés les divers titres de gloire de Marie : Maison d’or, arche d’alliance, porte du ciel, étoile du matin, trône de sagesse, etc... Le médaillon représente Notre-Dame du Coral elle-même. Notre Père a dit la messe en l’étrennant dans la nuit du 6 au 7 ; puis, le Père Gabriel, secrétaire de la Providence de Toulouse, est allé représenter le donateur et célébrer à Prats-de-Mollo, à la chapelle de Notre-Dame du Coral, la Messe du 8 septembre qui est la grande fête du sanctuaire.
- 15 - Accompagnée d’une étole, la chasuble est aujourd’hui conservée dans l’église communale. L’ensembl (...)
15Dans un cartouche, les sœurs ont brodé : « A N-D del Coral / Les religieuses du / monastère de Ste Claire / de Mazamet mes filles / bien aimées et plus encore / les vôtres, en reconnaissance / vous offrent cet ornement / Fre Exupère / 8 septembre / 1916 »15.
- 16 - Journal, 27 mars 1919.
16Moins de deux ans après son décès, en 1919, les clarisses réalisent un costume (fig. 3) pour la statue de Notre-Dame du Coral, dans une technique très fréquente chez elles mais dont il ne reste que bien peu de traces matérielles : « La robe de la Vierge de Pâques est fort belle, bien fine et bien fragile aussi, avec toutes ces peintures à l’aquarelle. Le cher Père Exupère admire cela, du balcon du ciel.16 » De fait, l’étoffe est peinte, puis certains contours sont surlignés de filés or appliqués. Sur les bords du manteau, dans des médaillons circulaires, on peut admirer des anges ; le thème de la hiérarchie céleste est récurrent chez les Clarisses de Mazamet et encore visible sur deux œuvres repérées, mais qui sont brodées.
Fig. 3
Prats-de-Mollo (Pyrénées-Orientales), église Saint-Just et Sainte-Ruffine, vue d’ensemble de la statuette de Vierge habillée, et détail : anges (angeli) et vertus (virtutes), 1919 (IM66007111)
J. Pagnon © Inventaire général Région Occitanie
- 17 - Autre exemple à l’église Notre-Dame de Mazamet. Dans les albums de photographies des Clarisses, f (...)
17Des éléments découpés d’une chasuble sont conservés dans le fonds des clarisses, à Albi. Sur un fond de satin blanc, l’iconographie a été longuement réfléchie : représentation de la Trinité, avec la main divine, la colombe et le Christ en majesté bénissant de la dextre, entouré de médaillons circulaires contenant des chérubins à dextre et des séraphins à senestre du Christ, et différents représentants de la hiérarchie céleste. Sur la croix, les Vertus (virtutes) sont au-dessus des Principautés (principatus), qui surmontent les archanges (archangeli), puis les anges (angeli). Sur la bande du devant de la chasuble, la Vierge à l’Enfant (Regina angelorum, reine des anges) figure au-dessus des Dominations (Dominationes), des Puissances (Potestates) et de saint Raphaël tenant un poisson (Tobie, 6). L’emblème des clarisses est sur le devant de la chasuble et les conformités franciscaines dans le dos17 (fig. 4).
Fig. 4
Albi (Tarn), archives diocésaines, fonds des Clarisses de Mazamet, fragments d’une chasuble (IM81003082)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
- 18 - Onze types dans le catalogue Vue sur le Paradis, 2002, p. 79-103, mais trois autres ont été ident (...)
18Le thème iconographique des anges est certes très en faveur à cette période dans le textile. L’ornement angélique dessiné par Gaspard Poncet en 1889 pour la maison Henry est l’exemple le plus célèbre mais au moins quatorze cartons différents de tissus aux anges ont été tissés dans les entreprises lyonnaises fin XIXe début XXe siècle18. Chez les Clarisses de Mazamet, les figurations classiques de la hiérarchie angélique, hiératique et positionnée de face, semblent avoir été circonscrites à ces années 1917-1920. Les milliers d’anges brodés par la suite le sont dans le style de leur époque, l’Art déco, arborant même la coupe à la garçonne tout nouvellement apparue ; au lieu de la frange, les anges de Mazamet ont la raie au milieu et la coupe au carré.
Fig. 5
Albi (Tarn), archives diocésaines, fonds des Clarisses de Mazamet, portrait de Mère Marie Thérèse de Jésus à la fin de sa vie, par une des sœurs, huile sur toile faite d’après photo
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
- 19 - Journal, 1er octobre 1942.
- 20 - Naissance : 8 septembre 1864 ; entrée : 2 octobre 1889 ; profession : 29 août 1891 ; abbesse à pa (...)
- 21 - De 1900 à 1906, l’abbesse est Mère Marie Madeleine : Anne Catherine Rugemer, née le 8 avril 1862 (...)
19Celle qui devient par son décès le 1er octobre 1942 « notre Mère du ciel19 » est Marie Thérèse de Jésus (fig. 5), Jeanne Maridat avant sa vêture, qui a lieu le 27 février 189020. Certes, elle ne fait pas partie du groupe arrivé en décembre 1887 – elle est même déjà la troisième abbesse21 – mais pour le sujet qui intéresse ici, celui de la broderie d’art, son rôle est majeur et à aborder dès maintenant.
20Née à Josse (Landes), Jeanne est la septième enfant d’une famille terrienne aisée. Le père est très aimant avec ses enfants qu’il gâte, tandis que la mère a une personnalité marquée et entend inculquer sa force à ses enfants :
- 22 - Nécrologe, vol. 2, art. Très Révérende Mère Thérèse de Jésus.
Madame Maridat, dont la vie chrétienne se réduisait à l’essentiel était une femme d’un rare bon sens, d’un jugement droit, d’une vertu solide. Elle était convaincue que pour faire le bonheur de ses enfants, les rendre utiles à eux-mêmes et aux autres, il fallait les élever virilement et les mettre de bonne heure en contact avec les réalités de l’existence. C’est à cette forte éducation que la petite Marie devra ses habitudes d’ordre, de travail incessant, d’économie et les heureuses initiatives qu’elle apportera plus tard dans tous les domaines de son activité22.
21Dans sa jeunesse, Jeanne perd un frère, puis son père. La famille, endettée, se retrouve obligée de vendre ses biens ; Madame Maridat et Jeanne rejoignent la fille aînée, Célestine, qui est professeur de travaux manuels dans un pensionnat renommé de Toulouse. Avec le soutien de sa sœur, Célestine décide de créer une maison de couture ainsi qu’un ouvroir pour la préservation des jeunes filles. L’entreprise réussit ; c’est aussi le creuset d’un groupe de ferventes chrétiennes qui entretiennent leur ferveur par la lecture du Traité de la Perfection chrétienne, du P. Alphonse Rodriguez (1538-1616). Les deux sœurs entrent dans le tiers-ordre de saint François, mais le père capucin Marie Antoine surprend beaucoup Jeanne en lui prédisant une vocation monastique. Il l’invite à aller rendre visite à Mère Saint Bonaventure en août 1889 ; elle ressort du monastère avec la conviction qu’elle doit y entrer définitivement au plus vite.
- 23 - Nécrologe, vol. 2, id.
22Tous les témoignages concordent pour affirmer que Jeanne Maridat, devenue Sœur Marie Thérèse de Jésus, a des qualités exceptionnelles pour le travail manuel : beaucoup de précision et de rapidité, « elle avait dans la coupe des vêtements une sûreté de main qui ravissait tout le monde23 ». Lorsqu’elle entre au monastère, tout travail est bon à prendre pour donner des moyens de subsistance ; « Il fallait voir Sœur Thérèse de Jésus se hâter à la besogne, tantôt brodant, tantôt faisant sur la fine toile de tous petits plis qui demandaient beaucoup d’applications et de soin. Mais son aiguille courait si vite qu’en un tour de main l’ouvrage était terminé. » Elle travaille à remettre en état des ornements liturgiques confiés par des prêtres des alentours et est toujours prête à apprendre aux autres, comme elle le faisait chez sa sœur. Elle excelle également dans la fabrication des fleurs artificielles, faites de très minces feuilles métalliques et très à la mode à l’époque :
La jeune moniale, dont l’esprit était fécond en idées pratiques, obtint bientôt de son Abbesse la permission de fabriquer de toute pièce des bouquets aux couleurs variées qui seraient encore un moyen de procurer le pain de la Communauté. Les bouts de calicot, de percale furent ainsi utilisés : peints en vert, ils devinrent des feuilles ; en rose, rouge, violet, des fleurs diverses ; tout cela découpé, collé, ajusté se transformait en belles gerbes de fleurs artificielles et en plantes exotiques très appréciées. L’ouvrage fondait littéralement dans ses mains ; en quelques heures elle faisait des merveilles, tout simplement, sans le moindre retour sur elle-même. Les crèches, le travail du verre, les petits nids, les œufs à histoire : tout lui était matière à faire de la beauté le plus économiquement du monde… S’appliquant aux métiers les plus divers, elle avait à peu près tous les emplois du Monastère : lingère, sacristine, drapière, infirmière, elle faisait partout de petits miracles […] Avec cette activité incroyable, dès que la cloche l’appelait au chœur, elle quittait son travail et, recueillie, les yeux baissés, se disposait à la prière. Bientôt elle était tellement perdue en Dieu qu’elle n’entendait et ne voyait plus rien24.
- 25 - Journal de la Communauté, 11 août 1942.
23C’est cette foi profonde qui pendant des décennies lui fera ne jamais refuser les commandes, avec la conviction tranquille que tous les obstacles à les réaliser vont s’évanouir. Elle est l’organisatrice du grand œuvre de Mazamet, celle qui soutient chacune des moniales, celle qui recherche constamment à élever le niveau esthétique des réalisations, reconnaissant enfin début août 1942 à propos de la chape réservée aux Sœurs de la Présentation de Castres que « c’est le plus beau travail fait par la Communauté »25 (fig. 6). C’était moins de deux mois avant sa mort, après 78 ans d’une vie de travail harassante.
Fig. 6
Albi (Tarn), cathédrale Sainte-Cécile, détail de la chape de la Présentation de Castres, 1942 (IM81003101)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
- 26 - Journal, 14 octobre 1907 ; mitre non retrouvée.
24Les travaux de broderies véritablement artistiques semblent avoir commencé par des essais, sans doute à la demande de prêtres et une fois le monastère aménagé. Fin 1907, les clarisses offrent à Mgr Mignot une mitre « en points à jour d’or sur linon26 », dont Mère Claire fabrique l’écrin. Mère Marie Thérèse de Jésus est abbesse depuis à peine un an. Dès 1908, l’atelier de broderie est dit surchargé de travail.
25Monsieur Remiremont, supérieur des Chapelains de Notre-Dame de Buglose (commune de Saint-Vincent-de-Paul, Landes) était un fils spirituel du Père Exupère. Les clarisses réalisent plusieurs bannières pour ce sanctuaire en 1909 (bannière de l’Enfant Jésus, non repérée) puis, en 1913 et 1917 pour une église proche, celle de Saint-Laurent de Mugron. Les trois bannières de Mugron ont été inventoriées27 par Jean-Philippe Maisonnave, chercheur à l’Inventaire général de Nouvelle-Aquitaine. Elles représentent Notre-Dame de Buglose/Notre-Dame de Lourdes (1913), saint Joseph/l’Ange gardien (1917) et saint Cécile (1917) (fig. 7).
Fig. 7
Mugron (Landes), église, vues d’une face des trois bannières
J.-P. Maisonnave © Région Nouvelle-Aquitaine, Inventaire général du patrimoine culturel
- 28 - Aucune trace de cette sœur dans le nécrologe, qui a fait sa profession perpétuelle en août 1908 ; (...)
- 29 - Journal, 13 juillet 1910. Photo dans l’album n° 20 du fonds des clarisses.
- 30 - Journal, 25 septembre 1910.
- 31 - Pour les détails à propos de cette œuvre, voir l’article de Cédric Trouche dans ce numéro.
26Les clarisses ont également confectionné « un rideau pour l’intérieur du tabernacle. Sœur Marie Thérèse28 a fait ce travail, broderie d’or à jour sur linon, mélange de soies de différents tons »29. En 1912, elles ont également créé un ornement pour le sanctuaire de Buglose qui serait à rechercher sur place. Sur la bannière de Notre-Dame Buglose conservée à Mugron, le dessin est très classique, recopiant des figures qui existent (ici la statue du sanctuaire). Les religieuses brodeuses s’aidaient en se communiquant des croquis et l’on voit à cette époque des échanges entre les Carmélites de Poitiers et le monastère de Mazamet30, grâce à Mère Marguerite Marie, ancienne carmélite. La technique de la peinture à l’aiguille est complètement maîtrisée, produisant de fines ombres sur les chairs et des sensations de profondeur sur les plis des vêtements, et la composition des pièces parfaitement placée. La facture des autres bannières de Mugron fait son effet de loin, et permet une exécution plus rapide : pour sainte Cécile comme pour les autres figures, on a appliqué des pièces textiles de différentes couleurs et les points lancés n’interviennent que pour créer des ombres ; seule sa chevelure est en peinture à l’aiguille ; sur la figure de saint Joseph, seuls le visage et les mains sont peints à l’aiguille. Comme on le voit ici, il y a très tôt deux manières de travailler les pièces, deux manières qui tiennent avant tout au temps qui peut leur être consacré. De cette première période, date également une chasuble, aujourd’hui non localisée, mais qui impressionna beaucoup, celle offerte par les clarisses en 1915 à Mgr Mignot31, pour son jubilé sacerdotal. Une mitre lui fut elle offerte en même temps ? Pas d’informations à ce sujet mais une photo montre Mgr Mignot sur ce lit de mort, coiffé d’une mitre tout à fait dans l’esprit de ce que faisaient les clarisses (fig. 8).
Fig. 8
Albi (Tarn), archives diocésaines, fonds des Clarisses de Mazamet, photo de Mgr Mignot sur son lit mortuaire, coiffé d’une mitre brodée par les clarisses, 1918, et vue d’ensemble du dos de la chasuble de 1915
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
- 32 - Madeleine Darritchon. Naissance : 20 janvier 1877 à Buenos Aires ; vêture le 19 septembre 1897 ; (...)
- 33 - Nécrologe.
- 34 - Une allusion du Journal le 28 juin 1929 laisse penser qu’elle essaya même d’élever des vers à soi (...)
- 35 - Nécrologe.
27Il ne faut pas passer sous silence le rôle de Mère Marguerite Marie32. Une enfance malheureuse lui fait fuir sa famille et elle entre au Carmel de Pau ; s’apercevant que ce n’est pas la communauté qui lui convient, elle trouve ensuite son bonheur chez les Clarisses de Mazamet. Bien éduquée, elle était aussi « remarquablement douée pour la broderie des ornements »33. Elle sort du noviciat en février 1904. « En s’inspirant des modèles que Mère Marie-Madeleine a fait venir de Bavière, elle inaugure la peinture à l’aiguille et l’or nué34. C’est le point de départ des travaux d’art de la communauté »35. Pendant quarante ans, elle forme avec l’abbesse un duo parfait avant de lui succéder.
28Quand arrive la première guerre mondiale, la communauté craint l’invasion. Du 13 au 16 juillet 1914, l’abbesse et une compagne se rendent à Oyartzun, sur la frontière espagnole, là où un immeuble permettrait d’accueillir la communauté qui compte alors près de quarante sœurs. Sur leur chemin, elles s’arrêtent à Lourdes et promettent un ex voto à la basilique. L’ornement est terminé le 30 octobre 1917 (fig. 9).
- 36 - Journal, 30 octobre 1917.
Le devant de la chasuble porte quatre médaillons en peinture à l’aiguille : Notre-Dame de Lourdes, saint François, sainte Claire et, au-dessous, notre monastère sur lequel veillent et règnent ces trois amours de nos cœurs. Au dos, le Sacré-Cœur est au médaillon du milieu ; à droite, sainte Marguerite ; à gauche, sainte Catherine ; au-dessus, saint Michel ; au-dessous : la Bienheureuse Jeanne d’Arc, saint Louis, sainte Cécile. Les encadrements et divers dessins sont au fil d’or avec des soies nuancées qui donnent des reflets différents. Le galon est aussi richement travaillé sur l’ornement lui-même. En un mot, nous y avons mis tout ce que nous possédions de talent et avons employé pour le faire des étoffes et des fournitures de première qualité. Beaucoup de prêtres et de séculiers sont venus l’admirer avant son départ et jusqu’au dernier moment. Il a été emballé vers 11 heures du soir et nos chères Sœurs Marie-Thérèse et Marie de la Providence sont parties à 4 h du matin pour porter à Lourdes cet hommage de notre affectueuse reconnaissance36.
Fig. 9
Lourdes (Hautes-Pyrénées), sanctuaire Notre-Dame, vues d’ensemble du dos et du devant de la chasuble, 1917
© Sanctuaire Notre-Dame de Lourdes
- 37 - Cf. dans ce même numéro l’article de Jeanne Bernard-Grit.
- 38 - Thérèse Passard. Naissance : 15 janvier 1882 à Paris ; vêture : 5 juillet 1918 ; profession perpé (...)
- 39 - Nécrologe.
- 40 - Sur le travail de dessin et d’illustrations, voir l’article de Cédric Trouche dans le même numéro
- 41 - Léonie Rosine Passard. Naissance : 31 mai 1886, à Paris ; vêture : 2 octobre 1909 ; profession pe (...)
29Le premier grand ornement, en nombre de pièces et en travail, qui nous soit resté est celui terminé en mai 1918 pour Mgr Eyssautier, évêque de La Rochelle37. Pour répondre à une telle commande, il fallait que les brodeuses aient déjà acquis une renommée certaine. Elles-mêmes considèrent que c’est la plus belle de leurs créations depuis le début de leur entreprise. Cet ornement est l’occasion de commencer à utiliser le talent d’une recrue venant juste d’arriver et passionnée de peinture et de dessin dès l’enfance, Thérèse Passard, la future Mère Marie de saint Raphaël38. À Paris, elle a suivi les cours de dessin de la rue Madame et ceux des Beaux-Arts. « Pour son agrément, elle s’initia encore à la miniature, au pastel, à l’aquarelle, au cuir et étain repoussés. En cette dernière matière, elle obtint à un concours, un premier prix de la ville de Paris39. » À Mazamet, des tableaux peints à l’huile, des peintures sur toile, de grands décors peints, d’innombrables dessins sont sortis de ses mains40. Toujours en recherche, elle conçoit d’utiliser le poil des vaches pour faire des pinceaux, d’utiliser la suie pour créer un certain noir. Le dessin est aussi l’affaire de sa sœur Rosine, qui deviendra Mère Marie de Jeanne d’Arc41, pour qui est créé en 1919 l’atelier Saint Gabriel. À cette dernière, la recherche constante de la perfection, les croquis les plus fins, les enluminures.
30Il ne faut pas croire la communauté indifférente aux douleurs du monde extérieur de l’époque. Dès le début de la guerre, elles proposent à leur archevêque de se rendre utiles et, à sa demande, se mettent à confectionner cent chemises, puis elles font des ceintures de flanelle et des colis pour les soldats. Les journées de travail peuvent être rallongées, grâce à l’installation de l’électricité, en avril 1918. Ce qui va les freiner dans leur activité pour cette guerre comme pour la suivante, c’est la pénurie de textiles et de matériaux divers à la suite des conflits.
31La communauté continue doucement de s’agrandir et il faut songer à construire un bâtiment supplémentaire, l’aile saint Jean, dont la première pierre est posée en décembre 1919. Le nouvel édifice permet de réorganiser les différents espaces de travail dont celui de l’atelier Saint Raphaël (fig. 10), pour le dessin, et Saint Michel (fig. 11) pour la broderie.
Fig. 10
Albi (Tarn), archives diocésaines, fonds des Clarisses de Mazamet, vue de l’atelier Saint Raphaël, où sont créés les dessins des ornements.
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 11
Albi (Tarn), archives diocésaines, fonds des Clarisses de Mazamet, sans doute vue de l’atelier Saint Michel, avec un métier à broder. Le drapeau de la Ligue Féminine d’Action Française en cours de confection suit un modèle national
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
- 42 - Journal de la Communauté, 21 juin 1921.
- 43 - Malheureusement, Notre-Dame a été dépouillée de presque tous ses textiles suite au Concile de Vat (...)
- 44 - Journal de la Communauté, 31 mai 1921.
32L’auto-critique est toujours présente dans les discussions de la communauté ; elle les porte à sans cesse faire évoluer leur travail, d’autant que la Mère abbesse incite chacune à « surnaturaliser les actions ordinaires »42. Le 30 mai 1921, des bannières sont livrées à Notre-Dame de Mazamet43. Le curé est content : « on n’a jamais rien vu de pareil, cela ne ressemble à rien… En effet, cela ne ressemble pas à l’Assomption, au visage de papier peint et à la robe de paillons. Mais cela demande un autre travail d’âme, d’intelligence et d’aiguille44. » Dans ces années 1920-1925, elles s’affranchissent de dessins religieux répétés depuis plusieurs décennies et recopiés des grands maîtres tels que l’une des Assomptions de Murillo, la Transfiguration d’après Raphaël représentée en médaillon au centre du dos d’une chasuble de l’église Saint-Sauveur de Mazamet (fig. 12a) ou le Bon pasteur (fig. 12b), œuvre très connue de Bernhard Plockhorst (1825-1907), peintre allemand de la fin du mouvement des Nazaréens.
Fig. 12
Mazamet (Tarn), église Saint-Sauveur, a) détail d’une chasuble or (IM81003119) ; b) vue d’ensemble d’une pale (IM81003107)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
- 45 - Cf. PAGNON, 2019, § 3 à 8.
33À cet égard, l’ornement de l’arbre franciscain45 peut être qualifié de transition : les figures en buste sont très traditionnelles mais la composition avec les deux grands arbres est novatrice (fig. 13).
Fig. 13
Nages (Tarn), presbytère de Tastavy, vues d’ensemble de la chasuble de l’arbre franciscain, 1928, (IM81003051 et IM81003070)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
- 46 - MENUSET, p. 35 ; PAGNON, 2019, § 3.
- 47 - Journal de la Communauté, 7 juin 1924.
34Cet ornement a été daté de 192446, mais c’est une erreur qu’il faut corriger puisqu’en septembre 1928, la rédactrice du Journal annonce : « Le Père Zacharie fait un très beau projet qui émeut Mère Marie de Saint Raphaël ; ce serait le tableau de l’Ordre entier avec toutes ses branches et toutes ses œuvres sur une chape et chasuble. La chose est à peu près convenue. » Il y a bien eu un ornement exceptionnel en 1924, que le Père Zacharie avait souhaité, mais il semble avoir été vendu au Canada pour une somme non négligeable (30 000 francs) au profit des missions47. Et on n’en connaît pas l’iconographie. Lorsqu’il est question de l’ornement « de l’ordre » dans le Journal, en 1924, il s’agit du projet de cadeau pour le pape Pie XI, à l’occasion du VIIe centenaire de la mort de saint François d’Assise.
- 48 - Album 20 du fonds des clarisses, archives diocésaines d’Albi.
35Parmi les discussions vives au sein de la communauté concernant les ornements, il y a celle de la coupe des chasubles. Dans les années 1920-1925, elles quittent définitivement la coupe droite dite française pour la coupe ample. La chasuble dite du Père Exupère48 est datée de 1925 (fig. 14) par une inscription dans un album de photographies des Clarisses.
Fig. 14
Albi (Tarn), archives diocésaines, fonds des Clarisses de Mazamet, vue d’ensemble et détail du devant de la chasuble du Père Exupère, 1925 (IM81003085)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
- 49 - Petra Alonzo et Julia Melgosa ; cette dernière mourra dès octobre 1914 d’une fièvre cérébrale.
- 50 - Le couple de Rincon Gallardo a eu sept enfants, Tita, Carlos, Joseph, Paco, Antoine, Albert et Je (...)
- 51 - Naissance : 12 septembre 1874 à Maurens ; vêture : 6 janvier 1905 ; profession : 21 janvier 1907 (...)
- 52 - Naissance : 10 novembre 1893 à Libourne ; vêture : 5 juin 1919 ; profession perpétuelle : 20 juin (...)
36Ce n’est pas le Père Exupère déjà cité ; il s’agit d’Albert de Rincon Gallardo qui devient capucin pendant quelques années avant de quitter l’ordre pour être prêtre au Mexique. Ses parents, Monsieur et Madame (Francisco ?) de Rincon Gallardo, viennent du Mexique mais ont une résidence à Biarritz. Ils ont connu Mazamet grâce au Père Exupère (le fondateur) et deviennent des bienfaiteurs de premier ordre à partir de 1909 en achetant beaucoup plus cher que demandé des créations brodées, en offrant le trousseau de deux jeunes recrues espagnoles49, la couronne en vermeil de l’Enfant Jésus, une calotte de Pie X donnée par le pape lui-même en audience à Paco de Rincon Gallardo50. En 1912, pour empêcher l’installation d’une usine près du monastère, Carlos de Rincon (fils) achète le terrain pour les Clarisses. C’est aussi un des enfants de Madame de Rincon qui devient le photographe du monastère, faisant passer chaque moniale puis le groupe devant son objectif. Madame de Rincon est décédée le 9 mai 1923 et est inhumée dans le caveau du monastère ; ses enfants poursuivent leur générosité après elle. De plus, certains d’entre eux se marient avec des enfants d’Hyver et Lewden, familles qui ont fourni des moniales à Mazamet : Marie-Antoinette d’Hyver de Las Deses51, très cultivée, est devenue Mère Marie de saint Michel et a travaillé aux ornements ; Jeanne Lewden52, Mère Marie de la Présentation en religion, va devenir vicaire en 1942, puis abbesse à partir de 1954.
- 53 - Cependant, la forme de la croix brodée oblige à reprendre la coupe d’origine.
- 54 - Christophe de Cahors ? (1172-1272). D’abord simple curé, il obéit au souhait de François d’Assise (...)
- 55 - Agathange de Vendôme, capucin, fut pendu et lapidé à Alep en 1638.
- 56 - Frère mineur d’origine croate, prédicateur célèbre dans le sud-ouest de la France. Est à l’origin (...)
- 57 - (1266-1308), philosophe écossais, inventeur de la doctrine de l’univocité de l’être, Dieu et l’ho (...)
37Le tissu actuel de l’ornement du Père Exupère de 1925 (ainsi que la doublure en satin orangé) n’est pas celui d’origine, un damas néo-gothique à fleurs stylisées inscrites dans des cercles53. La chasuble ample blanche est accompagnée d’une étole et d’un manipule de coupe droite, d’une bourse de corporal, et d’un voile de calice avec le décor placé à l’italienne, c’est-à-dire au centre de la pièce. Sur le devant de la chasuble, est figurée une Vierge de Murillo. Sur un fond de rinceaux, les médaillons du Bienheureux Christophe54, du Bienheureux Agathange55, de sainte Claire et du Bienheureux Thomas d’Illyrie56 sont autant de personnages importants de l’ordre franciscain. Dans le dos de la chasuble (fig. 15), figurent le Christ en croix, avec saint Antoine de Padoue, le Bienheureux Jean Duns Scot57 et saint François d’Assise, juste au-dessus des Conformités franciscaines.
Fig. 15
Albi (Tarn), archives diocésaines, fonds des Clarisses de Mazamet, vue d’ensemble et détail du dos de la chasuble du Père Exupère, 1925 (IM81003085)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
38Sur l’étole (fig. 16), a été représenté saint Bonaventure, sur le manipule saint Roch, sur la bourse de corporal saint Bernardin de Sienne, sur le voile de calice, saint Pascal Baylon, célèbre pour sa dévotion à l’eucharistie.
Fig. 16
Albi (Tarn), archives diocésaines, fonds des Clarisses de Mazamet, vue d’ensemble des étole, manipule, voile de calice et bourse de corporal de l’ornement du Père Exupère, 1925 (IM81003085)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
- 58 - Emma Amalvy. Naissance : 28 février 1893 à Burlats (Tarn) ; vêture : 29 septembre 1913 ; professi (...)
- 59 - Nécrologe.
39Pour répondre aux commandes, de plus en plus nombreuses, il faut trouver toujours plus de mains habiles, d’autant que certaines sœurs aiment enseigner aux autres. Mère Marie de saint Raphaël se plaît à enseigner le dessin et commence en juillet 1929, Sœur Marie Pia58 enseigne un temps la broderie. Elle est « experte dans l’art du nattage, tant pour la régularité que pour la rapidité. À l’époque du plus fort rendement de l’officine Saint Michel, elle est toujours du groupe qui veille quand il faut faire des heures supplémentaires »59.
40Des monastères extérieurs écrivent pour demander conseils ; ainsi, les Carmélites de La Rochelle demandent aux religieuses de Mazamet de les initier à la peinture à l’aiguille, des Franciscaines du Temple viennent visiter les ateliers, les Clarisses de Nîmes demandent des dessins pour un travail important qu’elles ont à faire. À l’inverse, les Clarisses de Mazamet recherchent qui peut les faire progresser. C’est ainsi qu’en juin 1924, on commence en communauté la lecture du livre :
- 60 - Journal, 20 juin 1924.
L’Art religieux, par les Bénédictines du Temple à Paris afin de former le goût des moniales dans la confection des ornements ; on en lira ainsi quelques lignes chaque jour, ce dont tout le monde remercie notre Mère chérie. Cette lecture promet d’être un vrai régal artistique et intellectuel qui nous rapprochera encore de Notre Seigneur, puisque toute beauté émane de lui60.
- 61 - À propos de cette moniale, devenue Sœur Marie de la Grâce, voir l’article de Danièle Véron-Denise (...)
41Dans le but d’améliorer les créations, Sabine Desvallières est invitée à venir donner des « leçons de peinture et de broderie » ; sa présence, quoique limitée à moins de dix ans, est déterminante sur l’évolution des dessins61.
- 62 - Pour plus de détails sur la vie dans un monastère de clarisses : ANCELET-HUSTACHE, 1929, qui fut (...)
42Sur le plan personnel, la vie dans un monastère de Clarisses passe par des moments très difficiles. Il est appris aux jeunes recrues que, pour élever l’âme dans sa vie spirituelle, il faut beaucoup lutter contre son amour propre et son libre arbitre. C’est par une « maternelle charité » que l’abbesse montre parfois les ornements ; bien souvent, les religieuses ne voient jamais achevé ce sur quoi elles ont travaillé par morceaux et qui a été envoyé dès le montage terminé. La « désappropriation est facilitée par cette manière d’agir », dit le Journal de la communauté. La règle monastique est imprégnée d’obligations très compliquées à respecter pour des esprits artistes, même remplis de la meilleure volonté. Mère Marie de saint Raphaël et Sœur Marie de la Grâce ont beaucoup souffert pendant les mois du noviciat62.
43Un exemple illustre clairement la négation de soi recherchée. À la fin de la procession des Saintes Reliques,
- 63 - Journal, 3 novembre 1942.
Notre Très Révérende Mère a reproché à la communauté d’avoir fait l’acte de volonté propre de plier en deux la feuille des litanies qui, jusqu’ici avait été tenue dans toute sa longueur. La sacristine s’est accusée d’avoir elle-même donné ce pli à toutes les feuilles pour la répartition et pour cet acte de volonté propre, que notre Très Révérende Mère rapporte également à un acte de propriété, elle a suspendu la sacristine pour quinze jours63.
- 64 - Journal, avril 1930 ; Sœur Marie de la Grâce fait partie des aspirantes.
44Les retraites régulières, les lectures, notamment celles de Progrès de l’âme dans la vie spirituelle, du R. P. Frederick William Faber (1856) font partie des soutiens dans leur démarche vers la vie surnaturelle souhaitée. La Mère abbesse a aussi fort à faire contre ses âmes ferventes qui sont attirées par la sainteté et essaient de l’atteindre en mettant leur propre vie en danger, ne s’alimentant pas bien, astreignant leur corps à des efforts démesurés ; certaines reconnaissent même avoir le souhait de mourir jeunes. « Notre Mère leur dit que ce n’est pas du jeu et qu’il faut travailler pour la Communauté avant de jouir en Paradis64. »
- 65 - Tous les textiles de Saint-Sauveur ne peuvent être cités dans cet article mais les quinze dossier (...)
45Les clarisses acquièrent rapidement grande réputation dans Mazamet grâce à l’aide qu’elles apportent à tous et l’exemple de vie monastique qu’elles incarnent. Il y a deux paroisses dans la ville, celle de Saint-Sauveur et celle de Notre-Dame ; le monastère se situe dans la paroisse Notre-Dame et lui a fourni quantité d’ornements, de bannières, de décors peints. Malheureusement, cette paroisse a été vidée de quasiment tous ses textiles antérieurs au concile de Vatican II et aujourd’hui, c’est à l’église Saint-Sauveur qu’il faut aller pour voir des œuvres des clarisses65.
46L’aventure d’une bannière de Notre-Dame réalisée en 1918 montre bien le type particulier de relation que les moniales avaient avec leur curé ; d’un côté, le prêtre a tendance à arriver en catastrophe pour demander des réalisations pour le lendemain ; de l’autre, elles n’osent rien lui refuser. Ce sont de mauvaises conditions pour créer des chefs-d’œuvre. Il est difficile de réduire ce passage du 2 juin 1918 parce qu’il caractérise bien la pression souvent démesurée qu’elles acceptent avec un quasi-enthousiasme :
Notre Très Révérende Mère a dû encore accepter de faire une belle bannière à la Sainte Vierge pour la Congrégation des Enfants de Marie de Notre-Dame. C’est une œuvre paroissiale qu’il était impossible de refuser sans s’exposer à blesser Mr le curé et ses congréganistes, comptées presque toutes parmi nos amis et bienfaiteurs. Nous voilà donc au travail cette semaine nuit et jour pour atteindre le but désiré. Chacune semble pour cela multiplier ses forces et son dévouement afin de diminuer autant que possible la peine que cause à notre chère et si bonne Mère ce surcroît imposé à la Communauté. Il faut la bannière pour le dimanche de la Fête-Dieu, 2 juin, […]. Nous y travaillons sans relâche et pour doubler le temps 10 ou 12 moniales enfilent des aiguilles auprès des brodeuses infatigables. Notre Mère multiplie ses encouragements et ses prévenances maternelles afin de réparer les forces et d’activer le travail ; on se récrée au jardin pendant les repos afin de se remettre plus vite à l’ouvrage. Malgré toutes ces précautions, la bannière était loin d’être terminée hier soir samedi. Notre Très Révérende Mère envoie dire à Mr le Curé que, malgré notre bonne volonté, la bannière ne sera pas finie, on l’aura le second dimanche. » Le lendemain, « Monsieur le Curé écrit à notre Mère que cette nouvelle cause une révolution, qu’il faut nous sacrifier pour le bien général et livrer la bannière comme elle sera ; il nous donne toutes les permissions requises pour ce travail [à cause du dimanche]. Après le frustulum, notre Mère nous fait part de cette décision ; la nuit de repos avait un peu réparé les forces et on se remet à l’œuvre avec entrain. Tout l’essaim des brodeuses, Communauté et noviciat, s’envolent comme de diligentes abeilles à la salle de Communauté où les métiers sont préparés. Notre Très Révérende Mère déclare que l’on ne dînera que quand la bannière sera finie… Midi sonne, une heure, une heure et demie, et la bannière est encore sur le métier… Il faut pourtant s’arrêter, on s’arrête par obéissance ; la bannière est montée rapidement et l’ouvrage s’achevait quand la cloche du tour venait la réclamer pour la procession. […] Nos sœurs tourières étant à la procession ont pu nous rapporter les échos d’admiration pour la belle bannière qui, à la vérité, est une œuvre de mérite et d’art, reproduction d’un tableau de l’église de Florence : la Vierge de la médaille miraculeuse, couronnée de douze étoiles, repose sur le globe de la terre, entourée de nuages et portée par les anges. Le Magnificat est écrit en lettres d’or sur le globe ; une guirlande de fleurs et d’oiseaux du paradis forme l’encadrement. Au verso de la bannière, l’initiale de Marie entourée des quinze tableaux des mystères du Rosaire, le tout en peinture à l’aiguille ; deux chapelets sur ruban bleu se détachent de la bannière. On a admiré longuement l’expression si douce et si belle de la Vierge et celle, bien distincte, de chaque tête d’ange […]. Demain, la bannière sera remise sur le métier pour achever quelques détails.
47La municipalité ne manque pas d’apporter ponctuellement son aide en matériel, notamment en 1926, pour les illuminations du septième centenaire de la mort de saint François d’Assise ou pour le cinquantenaire du monastère, en 1938. Les relations avec les patrons d’entreprise sont bonnes, même si les moniales essaient aussi de soutenir les grévistes du syndicat chrétien des ouvriers de Mazamet. De ces liens avec le monde ouvrier, il nous reste une bannière, format drapeau, d’un style qui sort des représentations habituelles, celle des Jocistes de Saint-Sauveur, brodée en 1942, en pleine guerre, pour un congrès prévu à Toulouse (fig. 17).
Fig. 17
Mazamet (Tarn), église Saint-Sauveur, bannière des Jocistes, 1942 (IM81003118)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
48Le tissu de fond est à la fois peint, et brodé à longs points. La belle idée, sur l’avers, est de montrer un ouvrier qui peine en tirant sur une corde ; son corps suit le même mouvement que celui du Christ portant sa croix, et les deux se tiennent la main. Sur le revers, est figuré le blason de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (J.O.C.). Le projet des moniales est de présenter le Christ comme le Guide, la Voie à suivre, mais c’est la solidarité qui transparaît surtout ici. Les Clarisses ont réalisé une bannière (disparue) de même taille pour les ouvrières de Mazamet ; elle montrait une cité ouvrière dominée par la croix, avec une usine au premier plan, une église à droite, et les maisons des ouvriers.
49Le 15 août 1944, les paroisses de Mazamet ont fait le vœu, si la région était préservée des périls de la guerre, d’ériger à Bonnecousse, sur la commune d’Aussillon, une église dédiée au Sacré-Cœur.
50Les fondations en sont commencées en septembre 1946, avec l’aide de nombreux bénévoles. Le chantier dura un certain temps ; il est totalement repris en 1959-1960 par l’architecte Joseph Belmont et les ingénieurs Jean Prouvé et Serge Ketoff. C’est sans doute vers 1945-1950 qu’a été confectionné cet étendard (fig. 18) du groupe de l’Annonciation de Bonnecousse, en applications de satin peint et brodé.
Fig. 18
Mazamet (Tarn), église Saint-Sauveur, deux vues d’ensemble de la bannière des âmes vaillantes de Bonnecousse, vers 1945-1950 (IM81003112)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
51Le groupement des âmes vaillantes est un mouvement de jeunes filles créé après 1936. Le sourire est le premier article de leur règle qui en comporte douze. Après 1960, le mouvement disparaît en fusionnant avec d’autres mouvements de jeunesse catholique.
52S’il nous semble moins intéressant sur le plan artistique – mais peut-être est-ce parce que toutes les œuvres ont été expédiées à l’étranger ? – le soutien des Clarisses de Mazamet aux missions a pris beaucoup de leur temps de travail manuel. Les demandes de secours sont relayées par les Capucins de Toulouse auxquels elles sont liées. Dès 1900, il est question de « grand nombre de chasubles pour les missions ». Le mouvement prend plus d’ampleur avec le Père Zacharie qui commence à organiser des expositions de courte durée, en plusieurs lieux, visant à vendre toutes sortes d’objets religieux et à lever des fonds auprès de personnes pieuses, toujours en faveur des missions.
- 66 - Sur ce sujet, cf. : COUVERT-TARNOWKA, Natacha ; CHEKROUN, Amélie.
53Les capucins sont installés en Éthiopie avec, à leur tête, Mgr Jarosseau (1858-1941). Quatre jours après son ordination à Carcassonne, Marie-Élie Jarosseau embarque le jour de Noël 1881 pour Aden, puis Harar, où il arrive trois mois plus tard dans ce qui n’est alors qu’un vicariat apostolique en terre musulmane, les coptes étant plutôt hostiles aux missionnaires et les repoussant vers des terres non chrétiennes. Plus tard, il est déplacé par sécurité à Obock jusqu’en 1887, date à laquelle il peut revenir à Harar. Il prend soin des enfants orphelins et des soldats français blessés. En 1896, le ras Makonnen, gouverneur de Harar, le charge de l’éducation de son fils, qui devient en 1930 l’empereur d’Éthiopie Haïlé Sélassié Ier. Le 6 avril 1900, il est nommé évêque de Soatra ; il continue le travail en faveur des écoles et des lépreux. Il rentre en France en juin 1938 à cause de l’invasion de l’Éthiopie par l’armée de Mussolini et fort peu de missionnaires français restent sur place, remplacés par des italiens66.
54Mgr Jarosseau est venu à Mazamet en novembre 1924 :
- 67 - Journal, 26 novembre 1924.
Notre Mère a offert à sa Grandeur une belle pâle et s’est engagée à lui faire remettre avant son départ plusieurs ornements et accessoires, que Monseigneur a promis de venir chercher lui-même67.
55Par la suite, elles font d’autres envois, notamment en 1927 et 1929, et le prélat revient au monastère à son retour définitif en France, en juillet 1939, pour les remercier de leurs présents. Lors du couronnement de l’empereur, elles fournissent des cadeaux et dessinent notamment le pavillon impérial qui est exécuté à Lyon. En plus des ornements, les clarisses s’emploient à fournir des caisses de gaze et de coton hydrophile pour soigner les lépreux.
- 68 - Journal, 7 février 1951.
56Les capucins français ayant quitté l’Éthiopie en 1938, l’aide de Mazamet se reporte vers leur mission en Oubangui-Chari, aujourd’hui en République Centrafricaine mais territoire français jusqu’en 1958. Cependant, les envois diminuent après 1950, faute de bras au monastère pour ce travail. Les derniers dons d’ornements se font aux dépens de la sacristie du monastère68, puis les moniales essaient de vendre de petites choses ou des fleurs pour envoyer quelques subsides.
- 69 - Fondation d’un moustier…, 1924, p. 46.
- 70 - Journal, 4 et 18 septembre, 8 octobre, 24 décembre 1910, 2 février 1912, juillet 1919, 9 août 193 (...)
- 71 - Depuis le XVIIe siècle, de nombreux miracles sont attribués à la statue du couvent des Carmélites (...)
57L’Enfant Jésus de Prague a une place toute particulière au monastère des Clarisses de Mazamet69. Dès 1888, une statue le représentant trône au milieu de la pauvre communauté de l’époque ; le Père Exupère (fig. 1) et les mères abbesses le vénèrent. Vers lui, sont concentrées toute l’attention, la délicatesse de soins de mères, et il est doté d’une garde-robe royale70 puisqu’il est effectivement considéré comme le roi protecteur des lieux71 : les dentelles les plus anciennes et délicates – point de Milan, point de Bruges – lui sont réservées ; une robe est faite avec le crêpe de Chine blanc brodé d’une belle robe de dame ; un manteau d’hermine lui est offert… Mère Marie Thérèse de Jésus en personne lui confectionne des vêtements (fig. 19).
Fig. 19
Albi (Tarn), archives diocésaines, fonds des Clarisses de Mazamet, Mère Marie Thérèse de Jésus avec l’Enfant Jésus de Prague portant un vêtement brodé ou peint ; photo de l’Enfant Jésus du monastère dans sa robe de dentelle
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
58Cette dévotion très forte de Mazamet, véhiculée dès 1911 par de petites images imprimées, est connue des autres monastères qui passent parfois commande du trousseau d’un autre Enfant Jésus, tel celui du monastère de Laon, en 1931. Une couronne en vermeil a été offerte par Mme de Rincon, sans compter des dons de bijoux pour l’embellir, un chapelet de corail rose...
- 72 - PAGNON, 2019, § 20-24.
59En juin 1930, une petite chapelle lui est construite. Les fêtes du Cinquantenaire permettent de déclarer avec encore plus de force l’admiration des moniales à son endroit et son statut de protecteur puisque l’Enfant Jésus est choisi comme thème de l’ornement jubilaire72 et qu’il fait l’objet de véritables mises en scène (fig. 20) :
- 73 - Journal, 19 juin 1937. Robe sans doute faite en 1932 dans une robe d’une sœur décédée.
Dans le parloir intérieur, le petit Jésus vêtu d’une robe et d’un manteau de dentelle, couronné de fleurs naturelles entretenues fraîches par Sœur Marie archange, trône au milieu d’un parterre de plantes. L’assortiment faille ivoire et orfrois bleus de la sacristie, nos deux chasubles roses et quelques autres composent, avec des draperies bleues et blanches, le fond sur lequel il se détache… [dans la lingerie] Le Petit Jésus préside encore avec sa robe à broderies de paille, émaillées de bleuets et de coquelicots aux tons éclatants. Ici les draperies sont jaunes et blanches et s’assortissent aux transparents qui, dans les boîtes enrubannées font ressortir la beauté et la délicatesse des ouvrages. Les trois sections forment un tout vraiment magnifique harmonisé. Notre Mère ne pouvait mieux tirer parti du local, et de tous les éléments qui ont constitué cette exposition bien faite73.
Fig. 20
Albi (Tarn), archives diocésaines, fonds des Clarisses de Mazamet, photo de l’Enfant Jésus portant certainement la robe aux bleuets et coquelicots.
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
- 74 - Dernière mère abbesse de la communauté dissoute fin 2015.
60Alors, comment expliquer que de tout cela il ne reste absolument rien, pas plus dans les souvenirs de Sœur Marie Joie74 que dans le fonds des Clarisses ? C’est un mystère total.
- 75 - La statue d’origine, arrivée mystérieusement en barque, en 633, a été détruite pendant la Révolut (...)
61Parmi les multiples visites reçues au monastère, certaines provoquèrent des explosions de joie. En juillet 1938, eut lieu un grand congrès marial de quatre jours à Boulogne-sur-Mer. À cette occasion, une nouvelle Vierge en bois est réalisée par Youssef Howayek et trois copies en stuc de la statue de Notre-Dame de Boulogne75 sont faites. Au début de la deuxième guerre mondiale, les œuvres sont transportées à Lourdes pour leur protection. Suivant une vaste organisation, du 28 mars 1943 au 29 août 1948, quatre itinéraires différents sont mis en place pour transporter les statues dans toute la France et les rapporter à Boulogne, d’où l’appellation de Notre-Dame du Grand Retour également donnée à cette figure de la Vierge. Le 13 mai 1943, Notre-Dame de Boulogne s’arrête quelques minutes dans la chapelle du monastère de Mazamet :
… fleuristes, bouquetières ont fort à faire pour décorer la chapelle comme aux plus grands jours de fête, pour remplir nombre de corbeilles de pétales de roses que les « Amis du Petit Jésus » jetteront sous les pas de leur divine Reine. Les sacristines hissent les tentures bleues et blanches, déploient les frises d’anges de Fra Angelico faites pour le Cinquantenaire tout le long des lambris de la chapelle. Des moniales agiles grimpent au clocher pour y mettre des drapeaux... Le jardin extérieur, le portail, les arbres mêmes sont, paraît-il, décorés de banderoles, d’écussons aux couleurs mariales...
62La communauté, en habit de fête et en manteau entre au chœur. « Une table couverte d’un tapis a été placée devant l’autel en haut des marches pour servir de socle à la statue. » qui finalement est placée devant la grille.
63Après la guerre, les reliques de sainte Thérèse de Lisieux, canonisée en 1925, ont été exposées dans nombre de villes ; le 11 mars 1947, année du cinquantenaire de sa mort, la châsse fait étape au monastère :
La communauté défile baisant et touchant cet insigne monument en vermeil de 1,25 m de long environ ; haut et large de 50 à 60 cm, reposant sur une épaisse plaque de marbre blanc où sont creusées six poignées. Des colonnettes de marbre clair courent sur les faces latérales entre des panneaux ornés de lys et des cordons de roses ciselées – sur chacun des quatre côtés, une scène de la vie de la Sainte est représentée sur un émail bleu nuit.
- 76 - Voir l’article de Bernard Berthod consacré à cet ornement dans ce même numéro de la revue.
64C’est avec un grand bonheur que Mère Marie Thérèse de Jésus lit, à Noël 1923, dans une lettre du Père Zacharie, son souhait d’offrir au pape un ornement76, à l’occasion du septième centenaire de la mort de saint François d’Assise. Elle dirige jusqu’en août 1928 ce chantier d’exception qui apporte au monastère la reconnaissance du souverain pontife en même temps qu’une grande notoriété nationale voire internationale. Leurs relations fraternelles leur avaient déjà valu des commandes du Canada ou des Tertiaires de Malte.
65La chasuble du pape est réalisée en respectant la coupe romaine, les personnages sont dessinés simplement, d’une façon réaliste mais les cloisonnements de la composition sont très novateurs, dans le style Art déco qui s’épanouit dans ces mêmes années. Ces nouveautés sont questionnées au monastère :
- 77 - Journal, juillet 1929.
Hier soir notre récréation a été extrêmement intéressante ; on y a parlé de l’art moderne et de l’art ancien. Notre Mère préfère l’art ancien, mais voudrait cependant que dans notre Monastère il y eut les deux écoles afin de satisfaire tous ceux qui s’adressent à nous. Nous sommes assez nombreuses pour réaliser ce désir et notre Mère y pense sérieusement77.
66La question des dessins est régulièrement débattue, critiquée, les ratés sont impitoyablement exclus et recommencés. Les commandes toujours plus nombreuses justifient quelques ajustements à la règle : les sœurs ont droit de travailler plus tard ; celles qui ne savent broder préparent les aiguillées de fil ou délestent les brodeuses de certaines corvées comme le balayage. À aucun moment, cela ne doit interférer avec le religieux, chacune y veille :
- 78 - Journal, 17 juin 1930.
Confession des Quatre-temps. Quelqu’un émet la proposition scandaleuse que cela va retarder pour le travail. Aussitôt vingt voix s’élèvent pour rappeler que la ferveur donne des ailes ; que l’intensité de grâce actuelle double les puissances de production ; que la pureté du cœur attire les bénédictions de Dieu ; que les insinuations du Saint esprit donnent l’intelligence qui anime les objets inanimés eux-mêmes, communique l’agilité aux doigts et la splendeur aux œuvres de la main… bref la victoire du spiritualisme fut complète et l’heureuse vaincue se déclara entièrement convertie78.
- 79 - Transcription de la légende de l’ornement dans MENUSET, 2000, p. 111-112.
- 80 - Après Montauban, Mgr Roques devient archevêque d’Aix-en-Provence (1934-1940) puis de Rennes (1940 (...)
67Les Clarisses sont devenues naturellement les fournisseurs d’ornements privilégiés auprès de plusieurs évêques. La demande passe souvent par l’archevêque d’Albi. C’est le cas en 1929 avec l’arrivée de Mgr Clément Roques à l’évêché de Montauban. Enfant du pays, sa première nomination lui vaut un sacre à Albi le 24 juin. Il reçoit de Mazamet un ornement complet dans le même drap d’or que l’ornement du pape, accompagné d’une chape (Assomption de Murillo sur le chaperon) et d’une mitre. Malheureusement, cet ornement, décrit par les Clarisses79, n’est pas localisé actuellement et nous n’avons à disposition que les fort mauvaises photos de l’album 20 du fonds des clarisses, à Albi80 (fig. 21).
Fig. 21
Albi (Tarn), archives diocésaines, fonds des Clarisses de Mazamet, page de l’album montrant des photos de l’ornement de Mgr Roques, 1929
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
68Les Clarisses de Mazamet se sont essayées très tôt – premier exemple connu en 1907 – à cet exercice particulier qu’est la confection d’une mitre : faire entrer dans un espace restreint, compartimenté (titulus, circulus, cantons, fanons sont autant de petits espaces fermés). Elles entreprennent le travail dans sa totalité puisqu’elles fabriquaient elles-mêmes les écrins en bois habillés d’une étoffe assortie à la mitre. Dans les années 1940, elles ne font plus les écrins et ont un fournisseur à Toulouse. L’intérieur de la coiffe est doublé d’un satin et c’est toujours au niveau du cercle de tête (circulus), au-dessus d’un bandeau de cuir souple qu’est signée l’œuvre, souvent : « Monastère de Ste Claire du Sacré Cœur, Mazamet d’Albi ». Pour mieux protéger les broderies lorsque l’objet est rangé, on glisse un molleton, généralement armorié, entre la mitre et les fanons rabattus sur elle (fig. 22).
Fig. 22
Albi (Tarn), archevêché, mitre au Christ-roi de Mgr Barthès présentée dans son écrin et avec son molleton, 1936 (IM81003072)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
- 81 - Martyr africain brûlé en 250.
69À partir de 1930, les réalisations atteignent les sommets « surnaturels » tant recherchés : les dessins sont toujours uniques, pensés en fonction du destinataire. Prenons l’exemple de Mgr Barthès. Émile Barthès (1883-1939), né à Castres, était très apprécié de Mgr Cézerac qui voyait en lui son successeur à la tête de l’archidiocèse d’Albi. Il est nommé vicaire général d’Albi en 1929 puis, le 16 août 1932, évêque auxiliaire d’Albi et évêque titulaire de Verbe (comme in partibus infidelium, sans territoire) par le pape Pie XI. C’est à cette occasion qu’est confectionnée sa mitre, qui est un cadeau de Mgr Cézerac. Mgr Barthès avait soutenu une thèse sur Eugénie Guérin, femme de lettres du Tarn. Le souvenir en est rappelé, brodé sur un livre tenu par des anges, sur l’avers de la pièce (fig. 23) ; le nouvel évêque est qualifié de custos scientiae, gardien de la connaissance. Professeur de théologie mais également présent sur le front pendant toute la durée des combats de la première guerre mondiale, il est un orationis exemplum, un exemple dans la prière. À l’avers, à l’emplacement du titulus, son saint patron, Émile81, émerge des flammes.
Fig. 23
Albi (Tarn), archevêché, vues des deux faces de la mitre de Mgr Barthès, 1932, (IM81003071)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
- 82 - Mais aussi des brodeurs !
- 83 - Voir également les trois mitres présentées dans PAGNON, 2019, § 15 à 19 et 24.
70Le revers est entièrement consacré à sainte Cécile, patronne d’Albi82, ville arrosée par le Tarn. Sur un fanon, figure saint Salvy – saint Sauve ou Salvius, évêque d’Albi à la fin du VIe siècle. Sur l’autre fanon, est représenté saint Alain, patron de la cathédrale de Lavaur. Sur les ondes, voguent la barque de l’Église et celle de la Pêche miraculeuse. C’est parce qu’elles possèdent à la fois une culture religieuse livresque certaine, acquise et nourrie en communauté, des dessinatrices capables de traduire leurs idées, et des brodeuses aptes à réaliser des prouesses techniques que les clarisses arrivent à créer de multiples chefs-d’œuvre. Il faut ajouter que leur art s’est affiné au fil des années, aboutissant au juste choix et à l’harmonie des couleurs, ici dominées par le rouge et l’or ; enfin, une capacité à s’affranchir des cloisonnements des mitres tout en respectant un équilibre dans la composition indispensable au couvre-chef du pasteur du diocèse, très regardé par le public83.
- 84 - Journal, 18 juin 1935.
- 85 - Journal, 24 juillet 1935.
71Un prélat peut avoir plusieurs mitres, selon ses changements de diocèse – exemple avec la première mitre de Mgr Moussaron conservée aujourd’hui à Nages – ou selon les cadeaux reçus de différentes origines. C’est ce qui arrive à Mgr Élie-Antoine Durand, sacré évêque de Montauban à Albi en juillet 1935. La communauté s’informe toujours sur les prélats : « Officier de réserve, décoré de la légion d’honneur et de la croix de guerre avec cinq citations, professeur à Saint-Sulpice, puis curé, il a toujours été un « chef », ce qui fait augurer un pasteur actif et militant, et un long épiscopat, car il n’a que 47 ans84 ». Trois mitres ont été commandées aux clarisses à son intention ; « l’intermédiaire, en camaïeu bleu-vert sur fond blanc a un cachet très spécial ; son écrin est en bois avec les armes pyrogravées »85 (fig. 24).
Fig. 24
Albi (Tarn), trésor de la cathédrale Sainte-Cécile, molleton et écrin (armoiries pyrogravées) de la mitre offerte par la paroisse de Sorèze à Mgr Durand, 1935 (IM81003099)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
72L’avers présente la Vierge en prière – Notre-Dame de Lourdes reconnaissable à sa large ceinture – dans une gloire, entourée de sainte Anne (Sta Anna), sa mère, et de sainte Bernadette Soubirous (Sa Bernadetta). Entre les figures, des braseros rougeoyants sont posés sur de hauts piétements cannelés (fig. 25).
Fig. 25
Albi (Tarn), trésor de la cathédrale Sainte-Cécile, vues des deux faces de la mitre offerte par la paroisse de Sorèze à Mgr Durand, 1935 (IM81003099)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
- 86 - De gueules à la croix latine d’or, au chef d’azur chargé de trois étoiles d’argent. Devise : Per (...)
73Au revers, saint Joseph (sanctus Joseph) dans une gloire figure entre le prophète Élie (sanctus Elias) et saint François d’Assise (S. Franciscus). Le tout forme un harmonieux exemple d’art déco géométrique – bases triangulaires, piétements des braseros, dessins des fumées bleues qui émanent des flammes – allié avec les figures en peinture à l’aiguille caractéristiques des Clarisses de Mazamet (mitre signée sur doublure). La mitre est rangée dans un écrin, avec un molleton bleu aux armes de Mgr Durand86. Il est né en 1888 à Revel et a fait ses premières études à l’abbaye-école de Sorèze ; c’est la paroisse de Sorèze qui lui offre cette mitre.
- 87 - Journal, 24 juillet 1935.
74Sa mitre précieuse (fig. 26) est brodée sur fond d’or nué, avec une doublure rose et capitonnage assorti, dans un écrin « en noyer avec les armes gravées sur vermeil87 ». L’avers montre le passage du Nouveau Testament où Jésus demande que l’on laisse venir à lui les enfants (Mt, 19, 13-15), scène placée au premier plan d’une ville orientale. L’épisode se passe alors que Jésus et ses disciples rencontrent des foules en Judée. Les disciples tentent, à gauche, d’empêcher les enfants d’approcher mais Jésus au contraire les appelle.
Fig. 26
Albi (Tarn), trésor de la cathédrale Sainte-Cécile, vues des deux faces de la mitre précieuse de Mgr Durand, 1935 (IM81003097)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
75Le revers figure la Vierge Marie les mains en prières, debout sur un croissant de lune, entourée d’angelots, dans le ciel au-dessus d’Albi, et de sa cathédrale. L’Assomption de la Vierge est encore une fois fortement inspirée d’un tableau de Murillo ; l’encadrement brun et or est dans le même esprit que celui de la mitre de Mgr Challiol (IM81003062, 1925). Deux angelots portent un phylactère sur lequel est rappelée la devise de Mgr Durand. Deux autres semblent apporter du ciel la mitre et la crosse du nouvel évêque, et Albi, ville où il fut sacré, est représentée. Sur les fanons, deux anges drapés d’étoffe tiennent un étendard avec la devise de l’évêque ainsi qu’un écu portant ses armoiries. Chaque fanon est terminé par cinq glands frangés or.
- 88 - Non localisée actuellement ; seulement connue grâce au Journal, 24 juillet 1935.
76La troisième mitre, dite de deuil, est toute blanche dans un écrin de satin blanc88. Les sœurs sont contentes des trois œuvres, qu’elles ont le temps de voir aux Vêpres, avant envoi ; elles arrivent à Albi douze heures avant la cérémonie, ce qui est considéré comme un grand progrès, bien des chantiers se terminant in extremis. Le lendemain de la cérémonie, les sœurs se désoleront de ce que la chasuble n’était pas assortie à la mitre.
- 89 - Gabrielle Atxer. Naissance : 23 avril 1913, à Banyuls ; vêture : 4 mai 1936 ; profession perpétue (...)
77Les glands des mitres et autres pièces sont fabriqués manuellement au monastère ; elles en ont fait des milliers, en embauchant des novices lorsque la titulaire de l’emploi, Sœur Marie de saint Laurent89 n’y suffisait plus. Quelques progrès techniques sont cependant admis : le 10 février 1938, la rédactrice du Journal note que :
Sœur Marie de st Laurent est dans la jubilation. Une « bonne affaire » de Sœur Marie de la Charité lui procure une machine à tordre la soie des glands qui va lui permettre d’augmenter considérablement le rendement de travail, en supprimant toute fatigue, car il n’y a qu’un contact à mettre et avec l’électricité cela tourne à 1000 tours à la minute. À mesure que l’emploi des glands pour les ornements se généralise, leur fabrication se perfectionne. Il y a trois ou quatre ans, on tordait la soie à la main, c’était extrêmement long. Une première machine a réalisé un grand progrès de vitesse. On l’a abandonnée à cause de son tapage pour se servir d’une machine à coudre ordinaire, avec laquelle il fallait pédaler énergiquement.
78Comme d’autres, cette moniale aimait beaucoup ces travaux dans l’atelier Saint Michel ; elle l’écrit elle-même en 1941 dans un des comptes-rendus qui étaient demandés à chacune :
- 90 - Nécrologe, notice de Mère Marie de saint Laurent.
Cette année encore, j’ai eu la grâce d’aider à saint Michel à la préparation du travail. Coudre les applications, monter et démonter les métiers, tout est bien intéressant ! ce qui donne le désir et le goût de la pauvreté, c’est de faire de très jolis ornements avec peu de chose et en utilisant les moindres morceaux de tissus. Ici, c’est un ourlet à découdre pour gagner à peine un centimètre ; là, ce sont des lambeaux de soie ou de velours qu’il faut ajouter dans tous les sens, un peu plus haut. C’est un galon qu’il faut poser sur une couture, des applications sur une autre, puis le tout est monté sur le métier. Les églises pauvres, qui ne pourraient se procurer un de nos beaux ornements, les vertus de pauvreté et de patience trouvent leur compte dans ce travail de charité. Quand on est novice dans l’art de tout utiliser, on se demande ce que va faire cet assemblage de morceaux et on est bien étonnée lorsque le travail des officières du sanctuaire a transformé tout cela en une chasuble ou une étole ou encore un devant d’autel d’un très joli effet. C’est ainsi que des robes usagées et nos parures blanches de la vêture sont transformés en délicieux vêtements sacerdotaux…90
79Il a été question ci-dessus d’armoiries gravées sur vermeil, sur le couvercle des écrins ; de même, les mitres sont parfois ornées d’un décor sommital d’orfèvrerie (fig. 22, 26, 27). Les clarisses se fournissent alors auprès d’un orfèvre de Toulouse, M. Félix.
80Avec les nombreuses visites de prélat, sans compter les séjours de Mgr Moussaron, qui s’est véritablement attaché au monastère et venait y travailler au calme, les Clarisses de Mazamet se devaient d’avoir une mitre dans leur sacristie. Il est à supposer que l’objet suivant, à la fois très sobre et d’une grande beauté, trouvé dans le fonds des Clarisses conservé aux archives diocésaines d’Albi a tenu ce rôle (fig. 27).
Fig. 27
Albi (Tarn), archives diocésaines, fonds des Clarisses de Mazamet, vues des deux faces d’une mitre, figurant saint François d’Assise et sainte Claire, 1936 (IM81003065)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
- 91 - Journal, 12 août 1936.
81Sur un fond de drap d’or, les broderies sont en fils de soie bleu nuit et sont surlignées de filés or doubles fixés par couchure. Les rampants sont surmontés de deux croix en laiton. À l’avers, figure saint François d’Assise, avec une inscription tirée de l’Épître de Paul aux Galates (6, 4) ; au revers, apparaît sainte Claire tenant une tige de lys fleuris ; les paroles brodées au revers font partie de l’hymne des Vêpres dans l’office de sainte Claire célébré le 12 août. Les Clarisses faisaient régulièrement des expositions pour vendre des objets de leur fabrication et montrer en même temps leurs œuvres. Parmi les œuvres présentées en août 1936, il est question d’une « mitre pour Monseigneur avec saint François et sainte Claire sur fond d’or, seule pièce fournie cette année par saint Michel91 ».
- 92 - Elle est inscrite au titre des monuments historiques et visible sur la base POP. Voir également s (...)
82L’évêché de Rodez conserve aujourd’hui une mitre (fig. 28) offerte à Mgr Charles Challiol pour son jubilé sacerdotal en 194692. L’attribution de cette mitre aux Clarisses de Mazamet reste fortement sujette à caution et ne repose sur aucune source. Différents arguments balancent en faveur du pour et du contre. En 1946, il n’y a plus autant de brodeuses au monastère mais il en reste tout de même dont la dextérité est d’un niveau supérieur au travail exécuté pour cette pièce, notamment sur les visages. La mitre est dans une pochette souple ; les clarisses livraient les leurs dans des écrins en bois, longtemps fabriqués par Mère Claire, mais il est vrai qu’elle est décédée en janvier 1946. Et puis, à l’issue de la guerre, il n’y a plus de fines soies et il faut faire avec le coton, au rendu moins fin.
Fig. 28
Rodez (Aveyron), évêché, mitre de Mgr Challiol, 1946, vues d’ensemble avers et revers et détail de l’avers
J. Pagnon ©
- 93 - Pierre-Marie Puech (1906-1995) est supérieur du petit séminaire de Castres pendant l’Occupation. (...)
- 94 - Merci à Bernard Berthod de m’avoir signalé cette mitre.
83D’ailleurs six ans plus tard, les clarisses réalisent pour Mgr Puech93, évêque de Carcassonne, une œuvre (fig. 29) parfaitement selon leur esprit et leur façon de broder94. Le journal du 20 septembre 1952 note :
La mitre offerte par Messieurs les vicaires généraux à Monseigneur Puech est exposée. Notre Dame de la Merci et sainte Cécile et les pauvres occupent respectivement chaque face. Il y a dans chaque tableau un grand nombre de personnages mais traités si artistement que, loin d’être lourd, tout y est artistement gracieux et expressif.
- 95 - Cf. article de Cédric Trouche dans ce numéro.
84Ici, la dessinatrice n’est sans doute pas Mère Marie de sainte Jeanne d’Arc, décédée le 23 juin 1951, mais plutôt Mireille Thomas95, née en 1919 à Béziers, en religion Sœur Aimée de Marie.
Fig. 29
Carcassonne (Aude), évêché, mitre de Mgr Puech, 1952, vue d’ensemble de l’avers et détail du revers
B. Berthod ©
Fig. 30
Albi (Tarn) archives diocésaines, fonds des Clarisses de Mazamet, bannière pour le tiers ordre franciscain d’Orthez (IM81003078)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
- 96 - Tous les cahiers d’instructions du travail à faire mentionnés dans le Règlement du travail, annex (...)
85Dès les débuts de leur atelier, pour le sanctuaire de Buglose, les Clarisses créent des bannières. Ces pièces exposées en public contribuent grandement à la réputation de qualité de leurs ouvrages et les commandes affluent (fig. 30) : bannière de sainte Claire pour Aiguefonde (1910), du Très Saint-Sacrement pour Notre-Dame de la Platé de Castres (1917), pour Notre-Dame de Mazamet (1918), pour une paroisse des Charentes (1919), de sainte Philomène pour l’église de Chaniers (Charente-Maritime, 1926), pour les Tertiaires de Malte (1927), pour Briatexte (Tarn, 1929), dix-huit bannières pour les pèlerinages diocésains à Lourdes de 1929, chacune représentant une des apparitions de la Vierge ; une bannière pour Metz (1930) ; pour l’orphelinat de Saint-Martin-de-Lenne, en Aveyron (1931) ; pour Saint-Charles de Limoilou, à Québec (1932) ; un saint Martin à Cheval pour les Clarisses d’Anaz (Espagne, 1937) dont le dessin fut fait d’après une sculpture belge. Cette liste est loin d’être exhaustive, le journal de la Communauté ne pouvant mentionner toutes les réalisations96.
- 97 - Journal, 6 octobre, 14 octobre, 25 novembre 1934. Merci au P. Augustin Laffay pour les précisions (...)
86En 1934, une bannière du Rosaire97 très remarquée est brodée pour les Pères dominicains de la province de Toulouse, dans le contexte du pèlerinage du Rosaire à Lourdes (fig. 31). Elle est faite d’applications brodées sur un fond de satin blanc. Le dessin doit être net, les couleurs harmonieuses, mais le détail n’a pas besoin d’être extrêmement travaillé. Le fonds des Clarisses aux archives diocésaines montre un fragment de bannière sur le même thème. Les quatorze scènes suivent des dessins identiques mais la répartition des scènes suit deux principes différents : lecture circulaire à Albi, commençant dans l’angle supérieur gauche pour terminer dans l’angle supérieur droit ; lecture en bandes horizontales à Toulouse, à regarder de bas en haut.
Fig. 31
Toulouse (Haute-Garonne), Couvent des Dominicains, avers de la bannière du Rosaire, 1934, et fragment d’une bannière conservée à Albi, dans le fonds des Clarisses (IM81003084)
© Bernard Delorme et M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
87Lorsque revient la guerre, les Clarisses veulent exprimer leur solidarité aux combattants et offrent à l’armée un fanion du Sacré Cœur qui leur vaut remerciement du général Commandant en chef des armées terrestres ; puis elles composent une grande bannière à l’image de Notre-Dame des Armées (dont le sort est inconnu) qui est peinte en quatre jours en avril 1940 ; c’est une Vierge à l’Enfant dont le bébé tend une branche d’olivier :
- 98 - Journal, 30 avril 1940.
Ses pieds reposent sur un affût de canon et son bras gauche tient le drapeau du sacré-Cœur qui flotte au-dessus de sa tête. En haut, en grosses lettres dorées : « Victoire ! Paix ! » Dans le lointain saint Michel brandissant son épée et d’autres anges conduisent des troupes au combat. Aux pieds de Marie, un officier de marine, debout, un marin et des soldats de diverses armes agenouillés, prient avec ferveur. Enfin, au bas de la bannière, qui est entourée d’une longue frange d’or bronze, on lit l’inscription : « Notre Dame des armées, sauvez-nous !98
88Le 29 août 1942, un dominicain vient prêcher et leur parle aussi des camps de concentration.
89Peu documentée, cette activité au service des armées semble néanmoins avoir un peu occupé les Clarisses ; on voit ainsi dans un album une photo de Sœur Marie de Nazareth devant une bannière en cours d’exécution après la guerre pour les anciens du 405e régiment d’artillerie anti-aérienne (fig. 32).
Fig. 32
Albi (Tarn), archives diocésaines, fonds des Clarisses de Mazamet, Sœur Marie de Nazareth travaillant sur des fanions, à côté de la bannière des anciens du 405e RAA (forces terrestres anti-aériennes)
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
90La grande quantité de travaux qui prennent tout leur temps provoque le dépouillement régulier de la sacristie des Clarisses de Mazamet et elles doivent refaire par la suite ce qui leur manque. Cinq bannières99 (fig. 33) conservées à Nages ont déjà été mentionnées dans une publication100 mais leur date n’était pas connue à l’époque ; or, le 22 octobre 1950, le Journal de la Communauté mentionne :
une exposition imprévue attend nos avis dans les cloîtres : celle des projets des cinq nouvelles bannières de nos processions. Mère Marie du Christ-Roi humblement agenouillée aux pieds de notre Révérende Mère écoute les réflexions qui jaillissent de l’examen du Jury. La Communauté étant admise par faveur maternelle à ce rôle exceptionnel. En camaïeux bistres, de même format, avec inscriptions de style identique, ces bannières feront un ensemble très joli. Toutefois, quelques retouches sont prévues à celles du Sacré-Cœur de saint François et de sainte Claire. Les deux panneaux de la sainte Vierge et de saint Joseph très réussis ont tous les suffrages. Un éclairage savamment distribué donne beaucoup de relief aux visages. Les attitudes empreintes d’une majesté simple et gracieuse plaisent beaucoup.
Fig. 33
Nages (Tarn), presbytère de Tastavy, bannière de saint Joseph, 1950 (IM81003056)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
91Autant de réalisations, dont on ne peut localiser aujourd’hui qu’une faible partie, n’ont pu naître qu’avec une organisation très structurée qui atteint certainement sa perfection dans la décennie de 1930. Un règlement du travail de l’atelier de broderie ronéotypé le 12 août 1937 ainsi que deux autres documents (cf. annexes I à III) expliquent en détail toutes les étapes pour ne pas perdre de temps, ne pas abimer son travail ni les matières. Afin de travailler le plus possible en silence, toutes les indications sont écrites dans un cahier qui sert en même temps à faire circuler l’information entre brodeuses, responsables de la broderie, et détentrices des fournitures.
92Dans une pièce appelée « capharnaüm », sont déposés tous les dons de soie, rubans, autres tissus jusqu’à des meubles. Les Clarisses ne manquent pas de signaler à leurs bienfaiteurs qu’elles ont toujours besoin d’étoffes. Tous les dons de châles brodés lors de la préparation du Cinquantenaire montrent qu’elles étaient entendues et que la scène notée dans le journal au 20 janvier 1934 est fréquente :
Notre Mère exhibe un paquet de magnifiques soieries. […] il y a une grande pente de velours violet broché de satin ; une autre de satin jaune à reflets verts damassé de roseaux blanc d’argent – encore du violet – du bleu. C’est le marquis de Mun qui s’est procuré pour nous ces étoffes chez une de ses parentes et qui a porté le paquet. […] On nous offre encore les galons.
93Elles deviennent expertes dans l’art du recyclage et leurs régulières expositions (fig. 34) présentent toujours plus de pièces. Elles achètent également du tissu, notamment chez Duviard à Lyon, qui a tissé le drap d’or de l’ornement du pape Pie XI mais également celui de l’ornement de Mgr Roques, évêque de Montauban, en 1929.
Fig. 34
Albi (Tarn), archives diocésaines, fonds des Clarisses de Mazamet, photo d’une des nombreuses expositions organisées au monastère de Mazamet. Noter à gauche la chasuble à l’arbre franciscain, sur sa première étoffe de fond
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie
- 101 - Cécile Bouissière. Naissance : 9 mars 1901 à Saint-Amans-Valtoret (Tarn) ; vêture : 29 juin 1923 (...)
- 102 - Honorine Roux. Naissance : 2 mars 1879 à La Puye (Vienne) ; vêture : 4 octobre 1916 ; profession (...)
- 103 - Marie Froment. Naissance : 7 juillet 1903 à Granville (Manche) ; vêture : 3 juin 1930 ; professio (...)
- 104 - Marcelle Bonnafous. Naissance : 12 février 1898 à Mazamet ; vêture : 26 mai 1919 ; profession per (...)
- 105 - Louise Rogier. Naissance : 1er mars 1918 à Narbonne (Aude) ; vêture : 1er juillet 1937 ; professi (...)
- 106 - Joséphine Vignolles. Naissance : 20 octobre 1891 à Fabas (Tarn-et-Garonne) ; vêture : 12 août 191 (...)
- 107 - Germaine Gatineau. Naissance : 29 octobre 1902 à Chevreuse ; vêture : 18 mai 1928 ; profession pe (...)
- 108 - Lucienne Sarda. Naissance : 10 mars 1898 ; vêture : 22 août 1921 ; profession perpétuelle : 31 ma (...)
94Certaines d’entre elles fabriquent et montent les métiers, d’autres prennent soin des étoffes et des fils, d’autres encore calquent les dessins sur les étoffes. Il est fort difficile de dire combien il y avait de brodeuses. En plus des sœurs déjà citées, il est certain que Sœur Marie de la Fidélité101, Sœur Marie de l’Annonciation102, Sœur Marie de la France103, Mère Marie de saint Gabriel104, Mère Marie des Cinq Plaies105, Sœur Marie de l’Enfant Jésus106, Sœur Marie de la Fidélité (2e du nom)107, Sœur Marie des anges108 ont excellé dans l’art de la broderie. Cette dernière réussissait particulièrement bien à reproduire le Christ de Limpias, qui apparaît notamment dans le dos d’une chasuble du Trésor de la cathédrale d’Albi (fig. 35).
Fig. 35
Albi (Tarn), trésor de la cathédrale Sainte-Cécile, détail du dos d’une chasuble noire (IM81003105)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
95Le Sancto Christo de la Agonia de Limpias, commune du nord de l’Espagne, est un grand christ sculpté en bois, au visage proche de la mort très impressionnant. Depuis un jour de 1919 où de nombreuses personnes affirmèrent l’avoir vu fermer les yeux, de multiples événements ont eu lieu qui ont rendu la statue célèbre.
96On le voit, par leur réseau d’amis, leurs lectures, les Clarisses sont très au fait de la vie religieuse de leur époque et les créations suivent cette actualité. Bernadette Soubirous est canonisée en 1933. Dans les années qui suivent, les Clarisses reproduisent fidèlement une photo célèbre de la sainte sur le devant d’une chasuble de Notre-Dame de Lourdes (fig. 36).
Fig. 36
Mazamet (Tarn), église Saint-Sauveur, détail du devant d’une chasuble (IM81003120) et photo de Bernadette Soubirous
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
- 109 - Appelé série VI, n° 27.
97Au fil des commandes, des projets de la communauté, les dessins s’accumulent et sont recopiés dans un grand album relié intitulé Nos travaux, le n° 19, qui contient des centaines de dessins. On y retrouve le modèle (fig. 37) d’un ornement aux pélicans109 réalisé pour Saint-Sauveur de Mazamet en décembre 1949 :
Fig. 37
a) Albi (Tarn), archives diocésaines, fonds des Clarisses de Mazamet, modèle d’ornement ; b) Mazamet (Tarn), église Saint-Sauveur, vue d’ensemble du dos de la chasuble (IM81003115)
A. Boyer © Inventaire général Région Occitanie ; M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
- 110 - Journal, 4 décembre 1949.
Il est simple et beau, la décoration sobre et riche tout ensemble par l’harmonie des teintes et le plein du dessin. Des bandes chaudron foncé, serties d’or se retrouvent dans les diverses pièces. La chasuble et le devant d’autel ont un pélican brodé en camaïeu de même tonalité. Sur la chape, le saint Esprit en profil jaillit d’un faisceau de flammes110.
- 111 - Journal, 25 avril 1931.
- 112 - Journal, 13 octobre 1938 et 25 mars 1939.
98Même si l’exigence d’un travail bien fait ne souffre aucun compromis, il est décidé avant d’entamer chaque pièce si son exécution devra être « rapide ou soignée ». Entre le tissu peint très rapidement et la peinture à l’aiguille accompagnée ou non d’or nué, il y a des pratiques mixtes avec des fonds peints rehaussés de longs points parallèles de broderie. Afin d’avancer au mieux, elles ne refusent pas la modernité. Si le don d’une machine à tricoter en octobre 1912 est mentionné sans commentaire, celle d’une machine à broder, en 1931, est saluée avec joie, même si on ne compte sans servir que pour « les raccommodages et les pauvres petits ornements de la campagne111 ». En réalité, comme personne ne sait se servir de la machine, ce n’est qu’en octobre 1938112, grâce à la venue d’une jeune professionnelle de Toulouse au monastère, qu’elles apprennent à l’utiliser.
99Pour leur archevêque qui les soutient de son amitié depuis bientôt douze ans, les Clarisses vont avoir à cœur de se surpasser afin de lui offrir un ornement à l’occasion de son jubilé sacerdotal.
100Pierre-Célestin Cézerac naît le 1er mai 1856 à Caussens, dans le Gers. Après le collège d’Eauze et le grand séminaire, vient la prêtrise, le 18 décembre 1880 ; il occupe plusieurs offices : vicaire, aumônier, professeur, curé, archiprêtre, secrétaire général, vicaire général. Le 24 décembre 1911, il est officiellement nommé évêque de Cahors et sous son épiscopat Rocamadour est élevée au rang de basilique (1913). Nommé coadjuteur de Mgr Mignot, il doit très rapidement le remplacer, le 18 mars 1918. Le nouvel archevêque est très préoccupé par la question du recrutement sacerdotal et crée ou restaure des séminaires (Massac, Barral), organise des journées des vocations. Il favorise les mouvements associatifs de prêtres, fonde une maison pour les prêtres âgés ou malades. Sur le plan pastoral, il réorganise les conférences ecclésiastiques, publie un programme de prônes pour l’enseignement de la doctrine chrétienne. Il crée en 1924 l’Union catholique pour les hommes et, en 1929, la Fédération Sainte-Cécile pour les œuvres féminines, reprend la tradition des congrès eucharistiques, rend annuel le pèlerinage à Lourdes. C’est cette grande activité pastorale que les Clarisses entendent mettre en valeur. Elles ont rédigé un texte descriptif complet recopié dans le cahier des ornements (cf. annexe II). Des scènes de l’Ancien Testament sont utilisées et reliées symboliquement à Mgr Cézerac.
101L’ornement actuel comprend chasuble, étole pastorale, étole de célébrant, manipule, voile de calice, bourse de corporal, chape et les molletons de chaque pièce. La chasuble (fig. 38) est de coupe très ample mais légèrement pointue au milieu du dos et du devant, avec une doublure mordorée.
Fig. 38
Albi (Tarn), trésor de la cathédrale Sainte-Cécile, vue d’ensemble et détail du devant de la chasuble aux pélicans de Mgr Cézerac, 1930 (IM81003095)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
102Sur le devant, quatre scènes sont déployées dans des médaillons rectangulaires : Au niveau de la poitrine, Jésus est au milieu des docteurs : et videntes admirati sunt, Luc, 2, 47 : et voyant ils [l’]admiraient). Juste en dessous, Jésus explique la parabole du grain de sénevé, minuscule graine qui devient grand arbre à l’ombre protectrice : simile est regnum Coelorum grano sinapis, Luc, 13, 18 : grain de sénevé semblable au royaume des cieux. Sur l’épaule droite, Jésus rend l’ouïe à un sourd : et surdos fecit audire et mutos loqui, Marc, 7, 37 : et il fait entendre les sourds et parler les muets. Sur l’épaule gauche, Jésus rend la vue à un samaritain : fides tua te salvum fecit, Luc, 17, 19 : ta foi t’a sauvé. Dans le dos (fig. 39), la même composition est conservée avec quatre scènes dans des médaillons rectangulaires.
Fig. 39
Albi (Tarn), trésor de la cathédrale Sainte-Cécile, détail du dos de la chasuble aux pélicans de Mgr Cézerac : la Cène, 1930 IM81003095
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
103Au centre des épaules, la Cène : desiderio desideravi hoc pascha manducare vobiscum, Luc, 22, 15, j’ai ardemment désiré manger cette pâque avec vous. Au milieu du dos : l’impôt dû à César : reddite ergo quae sunt Caesaris Caesari ; et quae sunt Dei Deo, Mt, 22, 21 : rendez donc à César ce qui est César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Sur l’épaule droite : Marthe et Marie devant Jésus ; Marie s’agenouille devant Jésus tandis que sa sœur s’affaire : Martha et Maria, Luc, 10, 38. Sur l’épaule gauche du prêtre : sinite parvulos venire ad me, (Mt, 19, 13-15) : laissez venir à moi les petits enfants. À l’encolure et dans le dos, très discrètement, figurent les armoiries de Mgr Moussaron, qui a porté cet ornement après le décès de Mgr Cézerac.
104En ce qui concerne l’étole, la face a traite de l’union de Dieu et des hommes : ego sum vitis vos palmites, Jean, 15, 5 : je suis la vigne, vous les sarments. Un samaritain donne à boire à un homme affaibli : samaritanus bonus, Luc, 10, 33-34, le bon samaritain. Sur la face b, du cou à l’extrémité : messis guida multa, un samaritain secourt un homme qui avait été attaqué et laissé sur le chemin (samaritanus bonus, Luc, 10, 33-34, le bon samaritain). Jésus guérit les estropiés et les malades : omnes male habentes curavit, Mt, 8, 16 : il guérit tous les malades. Les béatitudes (Beati misericordes, Mt, 5, 7 : Bienheureux les miséricordieux) (fig. 40).
Fig. 40
Albi (Tarn), trésor de la cathédrale Sainte-Cécile, étole de célébrant, étole pastorale, manipule et bourse de corporal de l’ornement aux pélicans de Mgr Cézerac, 1930 (IM81003095)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
105Le manipule présente sur une face un médaillon rectangulaire avec le bon pasteur : ego sum pastor bonus, Jean, 10, 11 : je suis le bon pasteur. Sur l’autre face, est brodée la parabole du semeur : ecce exiit qui seminat seminare, Mt, 13, 4 : voici que le semeur est sorti pour semer. Chaque extrémité est achevée par cinq glands frangés de fils bleus, roses et or.
106Sur la bourse de corporal, le pélican déploie ses ailes en soutenant un cartouche rectangulaire où figurent Jésus avec les pèlerins d’Emmaüs : mane nobiscum, Luc, 24, 29 : reste avec nous.
107Sur le voile de calice, deux serpents enroulés sur des axes horizontaux font face à la scène des Noces de Cana (vinum non habent, Jean, 2, 3 : ils n’ont pas de vin) (fig. 41).
Fig. 41
Albi (Tarn), trésor de la cathédrale Sainte-Cécile, voile de calice de l’ornement aux pélicans de Mgr Cézerac, 1930 (IM81003095)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
108La chape s’harmonise parfaitement à l’ensemble (fig. 42). Sur le chaperon, quatre pélicans s’étirent et déploient leurs ailes tout en saisissant de leur bec le cou d’un serpent. Au centre, est figurée la scène de la Pentecôte : et repleti sunt omnes spiritu sancto, Ac, 2, 4 : et ils sont tous pénétrés du Saint Esprit. Sur les orfrois, côté droit : La Pêche miraculeuse : et cum tanti essent non est scissum rete, Jean, 21, 11 : et quoiqu’il y en eût tant, le filet ne se déchira pas. La tempête apaisée : Domine salva nos perimus, Mt, 8, 25 : Seigneur, sauve-nous, nous périssons. Sur les orfrois, côté gauche, la multiplication des pains : manducaverunt omnes et saturati sunt, Marc, 6, 42 : ils eurent tous à manger et furent rassasiés ; Jésus chasse les marchands du temple : ejiciebat omnes vendentes et ementes in templo, Marc, 11, 15 : il chassait les vendeurs et les acheteurs dans le temple.
Fig. 42
Albi (Tarn), trésor de la cathédrale Sainte-Cécile, détail de la chape de l’ornement aux pélicans de Mgr Cézerac, 1930 (IM81003095)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
109Des molletons blancs (fig. 43) sont coupés à la forme des surfaces brodées et surpiqués de motifs : armoiries de Mgr Cézérac, dates 1880 et 1930, images de crosses et de mitre.
Fig. 43
Albi (Tarn), trésor de la cathédrale Sainte-Cécile, vue des molletons de la chasuble et du voile de calice de l’ornement aux pélicans, 1930 (IM81003095)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
- 113 - Chaleureux remerciements à Virginie Massol, conservatrice des antiquités et objets d’art pour sa (...)
110La conservation des antiquités et objets d’art du Tarn113 a repéré dans l’ancienne cathédrale Saint-Benoît de Castres un tableau en broderie représentant sainte Thérèse de l’Enfant Jésus ; et un ornement blanc accompagné d’une chape dont le chaperon est brodé de l’Assomption. La chape est signée par le monastère de Mazamet et une inscription indique qu’elle fut offerte par le chanoine Puginier à Mgr Barthès, natif de Castres, évêque auxiliaire d’Albi de 1932 à sa mort prématurée, en 1939. Le chanoine Puginier étant décédé le 24 juillet 1933, l’ensemble a été brodé en 1932 ou au début de 1933. Les peintures à l’aiguille et l’or nué sont de belle qualité et les couleurs sont harmonieuses, notamment le dégradé des rouges – l’abbé Puginier a été curé de Notre-Dame de Mazamet jusqu’en 1915 et les clarisses ont souhaité montrer tout leur art. Aux côtés de grands personnages du Nouveau Testament (Pierre, Paul, Luc, Matthieu, Joseph) et de figures du monde monastiques (François d’Assise, Claire d’Assise, Benoît, Dominique) figurent saint Eugène et saint Clair ; glands et feuilles de chêne (fig. 44) participent aux encadrements des personnages.
Fig. 44
Castres (Tarn), église Saint-Benoît, ornement blanc, détails des feuilles et glands de chêne, mis en rapport avec une page du Guide du sertissage et des mouvements de la broderie, 1939, annexe II
J. Pagnon ©
- 114 - Voir l’article spécialement dédié à cet ornement dans le même numéro par Virginie Massol, Éric Mo (...)
111Pendant plusieurs années, entre 1939 et 1943, les Clarisses réalisent un exceptionnel ornement or pour Notre-Dame de la Drèche, d’après les dessins fournis par le curé du sanctuaire114.
- 115 - Jean-Joseph Moussaron (1877-1940), né dans le Gers, a d’abord été évêque d’Auch (1929-1936), puis (...)
112Les liens entre Mgr Moussaron115, archevêque d’Albi de 1940 à 1946, et la communauté de Mazamet ont été particulièrement forts sur le plan affectif ; le prélat se considérait comme le père de la communauté où il savait pouvoir trouver un refuge au calme, particulièrement dans ces années très difficiles. C’est donc très naturellement, et sans occasion particulière, que les Clarisses lui font un cadeau (fig. 45) en février 1945 ; ce n’est pas le premier ornement orné du Christ-roi qu’elles réalisent ; elles en composèrent notamment un pour le congrès de Lisieux, en 1937, et qui aurait été donné à l’évêque de Dakar.
Fig. 45
Albi (Tarn), trésor de la cathédrale Sainte-Cécile, détail du centre du dos de la chasuble, 1945 (IM81003102)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
113L’ensemble est constitué des cinq pièces classiques, le tissu de fond est un drap d’or souple doublé d’un sergé d’un vert soutenu. Dans le dos de la chasuble, le Christ-roi se tient debout sur le globe ; il est couronné et porte un bâton de commandement en main gauche. Un chœur d’anges souffle de la trompette au-dessus du Christ. Deux anges écartent les pans de son manteau doublé d’hermine, tandis que deux autres soutiennent le globe. À la base de la chasuble, la ville d’Albi est représentée avec sa cathédrale ; de petits anges soufflent dans des trompes et présentent une banderole avec l’inscription Dominus rex noster, Seigneur, notre roi (fig. 46).
Fig. 46
Albi (Tarn), trésor de la cathédrale Sainte-Cécile, détail de la partie inférieure du dos de la chasuble, 1945 (IM81003102)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
- 116 - d’azur à la Vierge d’Auch d’argent, accompagnée de trois rocs d’échiquiers du même, deux à dextre (...)
114Sur le devant, la Vierge Marie couronnée par des anges se tient debout sur un croissant de lune. Le positionnement des anges est identique à celui du dos mais, en partie basse les anges présentent un écu aux armoiries116 de Mgr Moussaron avec sa devise (fig. 47).
Fig. 47
Albi (Tarn), trésor de la cathédrale Sainte-Cécile, vue rapprochée du devant de la chasuble ; vue rapprochée des étole, manipule, voile de calice et bourse de corporal, 1945 (IM81003102)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
115Sur l’étole et le manipule, le seul décor est fait de figures d’anges qui jouent de la musique ou tiennent un phylactère avec l’inscription Laus tibi Christe, Louange à toi Christ. Chaque extrémité est terminée par cinq glands frangés de fils d’un bleu soutenu ou or. Sur le voile de calice, deux anges agenouillés présentent une couronne sur un coussin ainsi qu’un sceptre et un bâton de commandement. Au-dessus d’eux, est brodée l’inscription : tu rex gloriae christie, toi, roi, Christ de gloire. Sur la bourse de corporal : deux anges sont agenouillés devant un autel dont les parfums s’élèvent vers le soleil.
116D’après le Journal de la Communauté du 12 novembre 1947, cet ornement est né du besoin, exprimé par l’archevêque d’Albi, Mgr Moussaron, d’un ornement léger, mais de fête, pour ses tournées de confirmation (fig. 48).
Fig. 48
Albi (Tarn), trésor de la cathédrale Sainte-Cécile, vue d’ensemble et de détail du dos de la chasuble, 1947 (IM81003103)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
117Le tissu de fond est un drap d’or à motifs de croix grecques dans des cercles sur un tapis de feuillages stylisés ; la doublure est marron. Les scènes sont exécutées en peinture à l’aiguille, toutes en camaïeu de vert-bleu. Sur le devant, dans un décor d’entrelacs et de feuillages, sont surtout présentées des figures féminines : la Vierge couronnée d’étoiles montrant son cœur percé d’un glaive (fig. 49), sainte Cécile (sancta Caecilia), sainte Jeanne de Chantal (S. Joanna de Chantal) et saint Amans (sanctus Amatus). Dans le dos, apparaissent la Cène, réduite à Jésus et saint Jean l’Évangéliste, saint François d’Assise (sanctus Franciscus), sainte Claire (sancta Clara), saint Joseph et l’Enfant Jésus (sanctus Joseph). Étole, manipule et bourse sont ornés d’une croix en couchure or et de deux feuilles vertes stylisées et terminées en volutes. Chaque extrémité des étole et manipule est faite de cinq glands de fils orange, verts et or.
Fig. 49
Albi (Tarn), trésor de la cathédrale Sainte-Cécile, vues d’ensemble et de détail du devant de la chasuble, 1947 (IM81003103)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
- 117 - Depuis 1919, il est obligatoire de respecter une période de trois ans de vœux temporaires avant d (...)
118Plusieurs raisons expliquent un affaiblissement progressif des ateliers de création. Le mouvement s’amorce sans doute dès 1941. Au moment où deux novices prononcent leurs vœux temporaires, en novembre 1941, il leur est demandé de trouver des postulantes, parce qu’il n’y a plus qu’une novice et six professes temporaires117. Les conditions de vie deviennent très difficiles vers 1942 ; au mois de mai, la mère abbesse fait le tour de ses malades et en compte dix-huit, ce qui est le quart de la communauté de l’époque. Malgré cela et nonobstant le manque de fournitures la charge de travail reste intense en 1943. Dans les années qui suivent, et en dehors des ensembles exceptionnels, les ornements sont de plus en plus souvent qualifiés de simples, c’est-à-dire avec un décor de plus en plus réduit. La richesse des broderies n’est plus dans l’air du temps, remplacée par des souhaits de simplicité et de dépouillement. Le 31 mars 1946, est exposée dans les cloîtres une chasuble violette pour Mgr Moussaron, « avec le Christ en vert pâle se détachant sur un fond de velours grenat » (fig. 50).
Fig. 50
Albi (Tarn), trésor de la cathédrale Sainte-Cécile, chasuble violette, 1946
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
119À partir de 1949, il est fait de plus en plus souvent allusion au travail qui ne peut être assuré faute de main d’œuvre, sous-entendu de main d’œuvre qualifiée. En effet, sans être très important, le monastère des Clarisses de Mazamet regroupe un nombre certain de sœurs, que l’on arrive à évaluer grâce au journal ou grâce aux multiples photos de groupes qui ont été faites. On a vu plus haut que dix moniales ont créé l’établissement fin 1887. En novembre 1912 :
Notre noviciat compte 2 professes de chœur, 3 novices de chœur, 2 novices converses et 2 postulantes, une jeune professe a quitté le noviciat pour le tour. En Communauté, nous sommes 18 professes de chœur, 6 converses et une hôte professe de chœur de Besançon. Au Tour, il y a 4 professes et une postulante118.
- 119 - Cf. article de Cédric Trouche dans ce numéro, dont la figure 27.
120Donc, 38 femmes sont présentes à cette date. Des photos regroupant membres de la communauté et du noviciat donnent les chiffres de 51 en 1927, 67 en 1935, et 44 en 1970. Le dessin119, daté sans doute de 1940, représentant la Vierge au manteau qui enveloppe de sa protection les moniales, est entouré d’une liste de 95 noms, qui indiquerait la totalité des personnes vivant au monastère, converses comprises. Ce dernier chiffre semble être un maximum, et de courte durée, pour les Clarisses de Mazamet.
121Le 3 juillet 1951, est fêté le jubilé sacerdotal de Mgr Moussaron. Chape (fig. 51), mitre et étole sont confectionnées avec une belle soierie dite chinoise reçue en cadeau d’un ami indien. N’ayant pas suffisamment de tissu, orfrois et chaperons ont été réalisés, sur un fond de satin doré, en broderies sur tulle qui dessinent des vagues de style asiatique. L’ensemble est harmonieux et fort réussi mais on s’éloigne de ce qui a fait la réputation des Clarisses.
Fig. 51
Albi (Tarn), trésor de la cathédrale Sainte-Cécile, vue d’ensemble de la chape du jubilé de Mgr Moussaron, 1951, IM81003124
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
- 120 - Isabelle Singer n’a malheureusement pas de notice biographique parce qu’elle est décédée le 1er m (...)
122L’étoffe avait été offerte par M. Mhan Unwala, indien, mentionné comme fils spirituel de Mère Marie du Cœur de Jésus120, elle-même à l’origine de dons de très belles étoffes à la communauté.
123Néanmoins, il reste des brodeuses dans la communauté et, tout en diminuant le nombre de réalisations, en s’appuyant sur le fond de dessins mis soigneusement au propre, il reste possible de satisfaire des demandes. Les armoiries de Mgr Marquès, archevêque d’Albi de 1957 à 1961, attestent d’une réalisation tardive pour une chasuble dédiée à sainte Cécile, qui entre parfaitement dans les voies du décor dépouillé souhaité dans ces années-là (fig. 52). Il est possible d’attribuer aux Clarisses cette œuvre où l’on retrouve une originalité dans le dessin qui leur correspond : idée des palmes du martyre nouées à la croix, quarts de cercle à décrochements marqués du style Art déco.
Fig. 52
Albi (Tarn), trésor de la cathédrale Sainte-Cécile, vue d’ensemble du dos d’une chasuble de Mgr Marquès (IM81003100)
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
124Les conditions qui ont permis la floraison de broderies sublimes au sein au monastère de Mazamet et celles qui ont accompagné son déclin sont intimement liées : dans les premières décennies du XXe siècle, beaucoup de jeunes femmes chrétiennes sont attirées par la vocation monastique, ce qui est moins vrai après 1945 ; or le nombre est essentiel, les converses permettant aux artistes de consacrer plus de temps à la création. Des personnes exceptionnelles ont frappé à la porte des clarisses dans les toutes dernières années du XIXe siècle mais elles disparaissent dans la décennie de 1940, sans compter la trop brève présence de Sœur Marie de la Grâce. Enfin, sur le plan des commandes, dans les débuts du XXe siècle, une iconographie détaillée, de riches compositions sont toujours recherchées et admirées, tandis qu’après 1945, on tend vers la simplicité jusqu’au dépouillement. Indépendamment de ces explications rationnelles, la grande chance du monastère semble bien avoir été d’avoir Mère Marie Thérèse de Jésus pour abbesse, de 1906 à 1942. Cette conviction que la broderie correspond parfaitement à l’idéal de vie religieuse chez les clarisses, elle l’a transmise à toutes ses sœurs.
- 121 - La chasuble d’Estagel (Pyrénées-Orientales) mentionnée dans le Journal, n’est plus dans la sacris (...)
- 122 - Merci à Virginie Massol, conservatrice des antiquités et objets d’art du Tarn, pour les images co (...)
- 123 - Mgr Ségonzac, vicaire général d’Albi, protonotaire apostolique, est décédé en janvier 1947 à la m (...)
125Les événements sanitaires qui ont touché le monde en 2020-2021 ont donné un coup d’arrêt aux déplacements sur le terrain pour l’opération des Clarisses de Mazamet, alors même que la décision était prise de publier le résultat des amples recherches déjà menées à bien121. Il faut savoir arrêter un travail tout en donnant des pistes à ceux qui poursuivront… Certaines informations de collègues sont sûres122. Massac-Séran conserve une chasuble rouge, une chasuble et une chape blanches aux broderies raffinées123. À Mirandol-Bourgnounac, c’est une belle croix brodée d’après La Cène de Léonard de Vinci.
- 124 - Le Président est Monsieur Jacques Beaulieu.
- 125 - Journal, 15 octobre 1941, 14 novembre 1941.
126L’enquête menée à Mazamet a suscité l’intérêt de certains habitants, surtout les membres de l’association de valorisation du patrimoine mazamétain124 qui ont organisé deux jours d’exposition fin 2020 et fait redécouvrir des pièces en mains privées. Pour d’autres œuvres, des espoirs ont été pour l’instant déçus : où est la fameuse chasuble à l’effigie de Mgr Mignot (fig. 8) ? En 1941, les moniales ont brodé la mitre de Mgr Chevrier, nouvel évêque de Cahors qui présente une Vierge à l’Enfant sur le modèle de celle de Moulins et un saint Paul prêchant devant l’aréopage125. Le nouvel évêque a prêté puis offert un bel album d’œuvres d’art à prendre comme modèle. Malgré des recherches, l’œuvre n’est actuellement pas localisée. Les chasuble, mitre et chape confectionnées pour le sacre de Mgr Roques (fig. 21) n’ont pas été retrouvées à Montauban.
127L’actuelle étude permet cependant une mise en valeur de broderies dont la valeur sur le plan national n’est pas assez reconnue.