- 1 - Les termes de « cartiers » ou « Maître Cartier » désignent les fabricants de cartes à jouer.
1Une collection méconnue du patrimoine d’Occitanie constituée de plus de 700 cartes à jouer provenant de plusieurs cartiers toulousains a récemment été inventoriée1. L’étude approfondie de ce fonds, aujourd’hui conservé au Service Commun d’Étude et de Conversation des Collections Patrimoniales (SCECCP) de l’université Toulouse III-Paul Sabatier (UT3-PS) révèle une collection exceptionnelle, tant par la richesse de son contenu que par la fonction qu’elle acquiert au cours du XVIIIe siècle.
2Associée à la collection de minéralogie de Philippe Picot de Lapeyrouse (1744–1818), les cartes à jouer ont été détournées de leur fonction première afin de devenir des étiquettes d’inventaire. Ainsi, les inscriptions situées au verso indiquent-elles l’identification et les données de collecte propres à chaque échantillon de la collection (fig. 1, 2).
Fig. 1
Toulouse (Haute-Garonne), université Paul Sabatier, recto d’une Dame de pique, UPS-2019-CAR-350, cartier anonyme toulousain
© SCECCP, UT3-PS
Fig. 2
Toulouse (Haute-Garonne), université Paul Sabatier, verso d’une Dame de pique, UPS-2019-CAR-350, cartier anonyme toulousain
© SCECCP, UT3-PS
- 2 - MIGOT, Manon. Philippe Picot de Lapeyrouse (1744-1818), naturaliste et collectionneur toulousain (...)
- 3 - Quelques-unes seraient écrites de la main de Ph. Picot de Lapeyrouse.
- 4 - AM Toulouse, A. 06. 6. 15. DE CHARPENTIER, 1812 [nvlle éd. 2015].
3Naturaliste passionné et maire de Toulouse de 1801 à 1806, Ph. Picot de Lapeyrouse possédait de nombreuses collections d’objets naturels telles que celle de minéralogie qu’il lèguera à son fils Isidore2. Ce dernier en fera don par la suite à la Faculté des sciences de Toulouse. Or, la particularité de cet ensemble se manifeste par la présence d’étiquettes originales écrites par Jean de Charpentier (1786-1855), minéralogiste allemand et ami de Lapeyrouse3. Ce dernier aurait également élaboré un catalogue de minéralogie en 1812, date probable de la réalisation des étiquettes4.
4En 2014, pour des raisons de conservation, la collection minéralogique fut séparée de celle des cartes à jouer. En effet, certaines cartes ont été pliées et collées sur des supports hétéroclites tels que des socles d’époque ou des supports cartonnés contemporains, endommageant fortement l’image imprimée et fragilisant le papier. Cependant, les motifs et les figures restent identifiables pour une grande partie et peuvent être attribués à un cartier (fig. 3, 4).
Fig. 3
Toulouse (Haute-Garonne), université Paul Sabatier, carte collée au-dessous du socle, UOS-2019-CAR-488
© SCECCP, UT3-PS
Fig. 4
Toulouse (Haute-Garonne), université Paul Sabatier, support cartonné (verso) comprenant une carte pliée et collée
© SCECCP, UT3-PS
5Dès le XVIIe siècle, le métier de cartier connaît un réel développement. Certes, la ville de Toulouse n’est pas considérée comme le plus grand centre de production, mais le Languedoc regroupe plusieurs fabricants5. On comptabilise aujourd’hui, dans la collection de Ph. Picot de Lapeyrouse, près de six cartiers toulousains dont la production date du XVIIIe et du début du XIXe siècle. Leur activité s’étend sur trois périodes au cours desquelles les codes de représentation changent : l’Ancien Régime (cartiers Lalande, Chayrou, Thomas Pratviel ainsi qu’un cartier toulousain anonyme), la Révolution française (cartier Lamarque), suivie de l’Empire (cartier Nicolas-Marie Gatteaux).
6Au demeurant, il est difficile de trouver des documents qui attestent de la pratique des cartiers toulousains, de leurs conditions de vie ainsi que de leur production. Fabriquées et gravées à Toulouse, ces cartes à jouer ont probablement été récupérées par Ph. Picot de Lapeyrouse lui-même avant qu’il ne les donne à Jean de Charpentier.
- 6 - Raymond Pulou (1920-2018) est un scientifique rattaché à l’université Toulouse III-Paul Sabatier (...)
- 7 - Notice sur Jacques Lamarque, référencée par la Bibliothèque nationale de France.
7Chaque Maître Cartier possède son propre local de fabrication et a sous sa responsabilité plusieurs ouvriers en fonction de l’importance de la fabrique. Ce lieu appartient souvent à une même famille, dont les membres se succèdent pour perpétuer la production. C’est le cas du cartier Lamarque que l’on a d’abord identifié grâce à l’étude menée par Raymond Pulou6. La famille Lamarque, connue depuis le début du XVIIIe siècle, est composée de Sébastien, sa femme et leur fils Jacques, qui lui-même aurait eu un fils. L’ensemble des cartes associé à leur nom date de la période révolutionnaire. Jacques Lamarque est mort en 17717 ; on suppose donc que le producteur de cartes à jouer est son fils.
- 8 - DUHAMEL DU MONCEAU, p. 13 : Les pièces de rapport permettent d’ajouter à la carte à jouer des mot (...)
8Les cartiers peuvent être identifiés par certaines caractéristiques iconographiques de leur production ; cependant d’autres éléments permettent d’apparenter celle-ci. En effet, une mention située sur un bandeau dans la partie basse de l’estampe indique parfois le lieu de production. Ainsi, la carte du Valet de trèfle porte-t-elle dans un phylactère l’inscription « TOULOUSE ». Le nom du cartier se trouve quant à lui au sein de la partie inférieure du Valet de pique. Ces signatures – appelées aussi marques des Maîtres cartiers – sont des éléments distinctifs apposés sur des « pièces de rapport »8. Le jeu du « cartier anonyme » se distingue particulièrement des autres car les mentions sont inversées sur les deux cartes : aucun nom n’apparaît sur le Valet de trèfle, quant à « TOULOUSE », elle est inscrite sur le phylactère du Valet de pique.
9La collection de Philippe Picot de Lapeyrouse ne semble être constituée que de cartes du jeu du Piquet, majoritairement produit au XVIIIe siècle. Ce dernier est composé de 32 cartes comprenant les figures du Roi, de la Dame et du Valet suivies d’un dix, neuf, huit, sept et as pour points. Le jeu le plus complet et le plus représentatif de cette collection s’avère être celui du cartier Lalande (fig. 5).
Fig. 5
Toulouse (Haute-Garonne), université Paul Sabatier, jeu du Piquet, ensemble de 32 cartes à jouer fabriquées par Lalande, UPS-2019-CAR-01 à UPS-2019-CAR-34
© SCECCP, UT3-PS
- 9 - L’examen de cinq cartes produites par un cartier anonyme et conservées au musée du Vieux-Toulouse (...)
- 10 - BELMAS, p. 155.
10De plus, seul un jeu de 52 cartes a pu être partiellement reconstitué comprenant des numéros de cartes supplémentaires allant du six à la carte as. Il est produit par le cartier anonyme, connu par une planche conservée aux archives départementales de la Haute-Garonne (fig. 6), en raison des similitudes entre les représentations figurées et les caractéristiques esthétiques9. Il faut tout de même préciser qu’au XVIIIe siècle, plusieurs types de jeu utilisent 52 cartes, dont les jeux du Hoc, les plus connus10. Parmi eux, le Hoc Mazarin, la Manille ainsi que le Nain jaune doivent utiliser un jeu de 52 cartes.
- 11 - DUHAMEL DU MONCEAU. Écrit en 1762, cet article explique la technique de réalisation employée pour (...)
11Bien que plusieurs études aient déjà été réalisées sur les techniques de fabrication des cartes à jouer11, il semble néanmoins nécessaire d’évoquer quelques éléments essentiels permettant de comprendre l’utilisation de ce modèle de cartes ainsi que la réalisation de leur image imprimée. On remarque qu’elles ne portent aucun motif au verso, indiquant que leur production est antérieure à 1816, date à laquelle apparaît ce type d’ornement.
- 12 - La feuille de moulage est le résultat de l’impression faite à partir du moule.
12La planche du cartier anonyme choisie comme référence d’analyse (fig. 6) illustre les différentes étapes de fabrication, de la feuille de moulage12 à la carte à jouer.
Fig. 6
Toulouse (Haute-Garonne), archives départementales, feuille de moulage imprimée par un cartier anonyme, 1783, 1C81, dossier 12, pièce 13
© Manon Migot
- 13 - Dès le XVIIIe siècle, les gravures sur cuivre sont devenues plus courantes. Par exemple, la planc (...)
13Tout d’abord, une matrice en bois ou en cuivre est découpée et gravée selon les modèles voulus13. Après la préparation du moule, l’étape de l’impression sur un papier spécifique choisi, appelé papier au pot, implique qu’il soit mouillé afin de recevoir le motif puis la couleur lors d’une seconde étape. Pour obtenir l’aspect cartonné de la carte et éviter la transparence, les cartiers collaient la planche de papier au pot, sur un second papier intermédiaire, appelé la main brune, et enfin sur un troisième papier, le papier cartier.
- 14 - Sur la composition des pigments utilisés pour les couleurs : DUHAMEL DU MONCEAU, p. 19.
14Dans un cadre de production artisanal, l’habillage, ou le fait de mettre en couleur les cartes à jouer est réalisé grâce à la technique du pochoir. Chaque patron est découpé en fonction des formes à colorer : un noir, un bleu, un rouge, un gris et un jaune14. Ces cinq pochoirs sont destinés aux Rois, aux Dames et aux Valets (à l’exception des rouges qui ne possèdent en principe pas de noir). Quant aux points (pique, trèfle, carreau et cœur), ils sont révélés seulement par la couleur à l’aide d’un emporte-pièce. Le seul élément imprimé est le cadre noir qui permet de délimiter la carte. Ensuite, la couleur est vernie afin de la rehausser. Pour finaliser la conception d’un jeu de cartes, celles-ci sont découpées à l’aide d’un ciseau, le long des traits imprimés. On constate que dans la collection de l’Université Paul Sabatier différents pigments sont utilisés, pour des couleurs plus sombres, notamment par le cartier Chayrou (fig. 8). Il est possible que la qualité des pigments ait pu se dégrader au cours du temps.
15Il est important de s’interroger aussi sur la qualité esthétique de l’estampe à partir du jeu de Lalande (fig. 5). La découpe de ces cartes n’est pas régulière et la représentation des personnages diffère, particulièrement sur les détails du visage. Ces distinctions peuvent s’expliquer par l’usure des moules en bois gravés, altérant ainsi la netteté du résultat imprimé.
16Par conséquent, il est possible que les irrégularités des cartes aient empêché leur intégration aux jeux à la vente les destinant à être mises au rebut.
- 15 - TALBOT, p. 183.
- 16 - BERT, 2017.
17À ce sujet, Jude Talbot complète dans sa récente étude sur Les fabuleuses cartes à jouer15 : « De nombreuses planches de cartes, mal imprimées ou mal peintes, ont aussi été sauvées du rebut par leur emploi en reliure, pour renforcer les dos et les plats des livres ». Ph. Picot de Lapeyrouse choisit, quant à lui, d’utiliser ces cartes comme fiches de notes afin d’identifier les minéraux en sa possession. Les cartes à jouer sont ainsi fortuitement devenues des supports de production du savoir scientifique16.
- 17 - BERT, p. 248 : Cet impôt est établi par un Édit du Roy dans le but de devoir payer « 18 deniers s (...)
- 18 - La Ferme Générale sous l’Ancien Régime régit les différents impôts prélevés par le roi. Le Fermie (...)
18Sous l’Ancien Régime, la production des cartiers est soumise aux impôts sur les cartes à jouer dès 170117. Des moules, appelés « Portraits », et du papier filigrané, fournis par le Fermier18, devaient être utilisés par chaque province. Les cartes, imprimées sur les feuilles de moulage, étaient quant à elles réalisées par le cartier. Avec la Révolution française, l’iconographie change et les symboles royaux sont remplacés par des personnages mythologiques ou populaires : les Éléments se substituent aux Rois, les Saisons aux Dames et les Cultivateurs aux Valets. Sous Napoléon Ier, la production est réduite à un jeu unique sur l’ensemble de la France dont un fragment a été identifié dans la collection de Ph. Picot de Lapeyrouse.
19Le travail d’identification, lié à la collection de Ph. Picot de Lapeyrouse, a permis de distinguer quatre artisans languedociens œuvrant sous l’Ancien Régime, d’une part, par des divergences de représentation manifestes et, d’autre part par la présence de signatures. Le reste des figures a pu être associé à partir de la touche stylistique du cartier, notamment à l’aide du Valet de trèfle. Nous présenterons donc ces cartiers l’un après l’autre au sein du contexte historique.
20Lalande est le plus ancien, mais aussi le moins documenté par les sources disponibles aujourd’hui. Néanmoins, 344 cartes de sa production sont inventoriées dans la collection de Ph. Picot de Lapeyrouse, soit près de la moitié, ce qui atteste d’une importante production. De plus, la qualité de la représentation permet de la dater de la première moitié du XVIIIe siècle. En effet, les traits des figures démontrent que la technique de la gravure sur bois a été utilisée, ce qui est nettement visible sur le visage du Valet de pique (fig. 7).
21Dans l’ensemble de la collection, ce jeu de cartes se distingue par l’intensité de ses couleurs qui confirme son très bon état de conservation.
Fig. 7
Toulouse (Haute-Garonne), université Paul Sabatier, Valet de pique, cartier Lalande, UPS-2019-CAR-04
© SCECCP, UT3-PS
- 19 - Les références des cartes suivantes portent également le symbole du soleil : UPS-2019-CAR-351 (ca (...)
- 20 - MESURET, p. 12.
22De plus, le soleil figuré sur la poitrine est représenté avec une bouche et deux yeux. Or, cette image assez populaire apparaît plus finement réalisée dans des cartes postérieures à la production de Lalande19. Robert Mesuret a étudié ce type de jeu permettant d’établir plusieurs rapprochements iconographiques et picturaux avec la collection de Ph. Picot de Lapeyrouse20.
23Un second cartier toulousain est identifié sous le nom de Chayrou. En comparaison avec le valet de Lalande (fig. 7), l’image imprimée est originale, avec des couleurs plus foncées et des visages parfois asymétriques, comme celui du Roi de pique (fig. 8) au regard étrange. Il pourrait s’agir d’une marque distinctive du cartier concerné.
Fig. 8
Toulouse (Haute-Garonne), université Paul Sabatier, Roi de pique, cartier Chayrou, UPS-2019-CAR-435
© SCECCP, UT3-PS
- 21 - AD Haute-Garonne, 1C81, dossier 12, pièce 16, Feuille de moulage imprimée par Antoine Chayrou, 17 (...)
24Deux impressions d’un moule gravé sur bois attestent de l’identité de ce cartier toulousain, nommé Antoine Chayrou21. Datées de 1782, elles confirment sa période de production dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle.
- 22 - AD Haute-Garonne, 1J153, pièce 36, Planche d’un jeu de Piquet imprimé par le cartier Thomas Pratv (...)
25Quant aux deux derniers fabricants toulousains identifiés de l’Ancien Régime, il s’agit du cartier anonyme que l’on a pu détailler précédemment et de Thomas Pratviel, identifié à partir d’une moitié de carte (fig. 9). Ce fragment lui a été attribué grâce à des planches conservées aux archives départementales de la Haute-Garonne22. Les motifs de trois quarts de cercles situés dans le coin inférieur droit et la présence d’une fleur de lys permettent d’identifier, sur cette moitié de carte à un Roi de pique. De plus, un morceau de papier contemporain d’un auteur anonyme, retrouvé dans la collection de Ph. Picot de Lapeyrouse, évoque le nom du cartier Pratviel permettant d’orienter le chercheur vers ce fabricant.
Fig. 9
Toulouse (Haute-Garonne), université Paul Sabatier, Roi de pique, cartier Thomas Pratviel, UPS-2019-CAR-475
© SCECCP, UT3-PS
26Afin de différencier un cartier d’un autre, il est intéressant d’examiner les figures dans les médaillons et les sceptres. Excepté la Dame de cœur de Lalande ne portant aucun médaillon (fig. 10), on remarque que celle du cartier anonyme en porte un représentant un paon (fig. 11). La Dame de cœur par Chayrou est ornée de motifs pouvant être assimilés à un palmier ou à un feu d’artifice (fig. 12).
Fig. 10
Toulouse (Haute-Garonne), université Paul Sabatier, Dame de cœur, cartier Lalande, UPS-2019-CAR-27
© SCECCP, UT3-PS
Fig. 11
Toulouse (Haute-Garonne), université Paul Sabatier, Dame de cœur, cartier anonyme, UPS-2019-CAR-374
© SCECCP, UT3-PS
Fig. 12
Toulouse (Haute-Garonne), université Paul Sabatier, Dame de cœur, cartier Chayrou, UPS-2019-CAR-451
© SCECCP, UT3-PS
- 23 - SEGUIN, 1968, p. 154.
27D’autres particularités sont propres aux Rois, en particulier le Roi de cœur et le Roi de carreau. Jean-Pierre Seguin, bibliothécaire et historien de l’art, explique que ce dernier « présente des détails originaux ; il porte un sceptre surmonté d’un croissant et tient à la main une bourse »23. En revanche, celui de Lalande tient une hallebarde dans la main gauche et un bouclier figurant une tête de lion dans la main droite. Le Roi de cœur tient un sceptre dans sa main gauche et une lyre est posée devant sa jambe droite. De plus, une fleur de lys est représentée sur sa poitrine, symbolisant le pouvoir royal.
28Durant la Révolution française, la Convention nationale du 22 octobre 1793 a imposé la suppression des symboles monarchiques. Cela s’est traduit par le remplacement des figures royales (Roi, Dame, Valet) par celles de héros républicains, de philosophes ainsi que de personnifications du génie, de la liberté et de l’égalité.
- 24 - D’Allemagne, p. 141.
29Dans la collection de Ph. Picot de Lapeyrouse, un cartier toulousain a été identifié comme actif durant la Révolution française. Il s’agit probablement du fils de Jacques Lamarque, auquel quatre cartes peuvent être attribuées. Cependant, la mention imprimée du cartier n’est pas présente. Mais un jeu issu de la collection d’Henry d’Allemagne présente les mêmes impressions et permet de l’identifier à une édition réalisée par Lamarque durant la période révolutionnaire24.
- 25 - Ibid. ; Voir ici le jeu de Pinaut et celui de Lamarque conservés à la Bibliothèque nationale de F (...)
- 26 - BOUDON, p. 95. À partir du XIXe siècle, les cultivateurs deviennent petit à petit des propriétair (...)
30D’autre part, un jeu parisien, édité par Pinaut, présente une iconographie identique à celui de Lamarque25. Plusieurs auteurs ont confirmé que Lamarque s’était inspiré du jeu de Pinaut pour réaliser le sien. De fait, les mêmes personnages sont représentés dans des attitudes similaires d’un jeu à l’autre. Les Rois sont assimilés aux Éléments dont les représentations mythologiques désignent le pouvoir : Atlas (Terre), Phébus (Feu), Éole (Air) et Neptune (Eau). Les Valets sont représentés par les Cultivateurs26 : Desire (jardinier), Pour tous (moissonneur), Laltéré (vendangeur) et La souche (bûcheron). Quant aux Dames, elles sont remplacées par les Saisons, comme des nymphes ou divinités liées à la nature : Vesta (hiver), Cérès (été), Pomone (automne), Flore (printemps). La mention de chaque catégorie et le nom du personnage sont imprimés sur les cartes. Au demeurant, dans le jeu de Lamarque conservé par l’Université Paul Sabatier, aucune carte des Saisons n’est présente.
31Ce jeu nécessite de comprendre le choix des figures. Parmi les quatre cartes conservées, deux « Éléments » sont présents.
32Le premier est Phébus, dieu du soleil dans la mythologie romaine (fig. 13). Il tient un sceptre en main gauche, des rayons en main droite, et un drapé entoure sa taille. On l’identifie à un Roi de cœur.
Fig. 13
Toulouse (Haute-Garonne), université Paul Sabatier, Élément, Phébus, UPS-2019-CAR-347
© SCECCP, UT3-PS
33Le deuxième est Neptune, dieu des eaux vives (fig. 14). Il tient un trident dans sa main gauche et une silhouette s’apparentant à un bateau dans la main droite. Un drapé couvre le bas de son corps. On l’identifie à un Roi de pique.
Fig. 14
Toulouse (Haute-Garonne), université Paul Sabatier, Élément, Neptune, UPS-2019-CAR-348
© SCECCP, UT3-PS
34Quant aux deux autres cartes, elles représentent des Cultivateurs. L’une des cartes porte la mention « Pour tous » et représente un moissonneur assimilé au Valet de cœur (fig. 15). Il tient dans sa main droite une faucille et une gerbe dans sa main gauche alors qu’une seconde gerbe est posée derrière lui.
Fig. 15
Toulouse (Haute-Garonne), université Paul Sabatier, Cultivateur, Pour tous, UPS-2019-CAR-345
© SCECCP, UT3-PS
35Le second cultivateur s’appelle « la souche » et tient une hache dans sa main droite (fig. 16). Il porte sur son épaule gauche un fagot de bois et un second se situe à ces pieds. L’appellation de la souche, vient du nom de la base du tronc de l’arbre, visible une fois coupé. En effet, dans le jeu de Pinaut, un arbre abattu à la hache est représenté.
Fig. 16
Toulouse (Haute-Garonne), université Paul Sabatier, Cultivateur, La Souche, UPS-2019-CAR-346
© SCECCP, UT3-PS
- 27 - SEGUIN, 1968, p. 113. L’auteur précise que cette commande a pour objectif que ces cartes soient « (...)
36Sous Napoléon Ier, les cartes à jouer ne sont pas réalisées à l’échelon régional, mais plutôt national, sous la forme d’un jeu unique. Deux cartiers parisiens furent les principaux fabricants. Jacques-Louis David (1748-1825) est le premier, connu pour avoir peint le Portrait de Napoléon Ier en costume impérial en 1806. Proche de l’entourage du premier consul, David a reçu une commande pour la réalisation d’une iconographie propre aux cartes à jouer de l’Empire, en 1808, par le Directeur général des Droits27. Le résultat de son travail est édité le 1er octobre 1810. Un an après, Nicolas-Marie Gatteaux (1751-1832) reprend l’iconographie de Jacques Louis David et la modifie. Ce type de jeu est mis en circulation dans l’ensemble de l’Empire.
- 28 - La Bibliothèque nationale de France possède une carte représentant Statira et confirme bien la fi (...)
37Le fragment conservé par l’UT3-PS est une moitié de carte représentant la partie inférieure d’un personnage féminin (fig. 17). Par comparaison, on a déterminé que cette carte avait été réalisée par Nicolas-Marie Gatteaux. Il s’agit d’une Dame de trèfle représentant une princesse perse, Statira, fille de Darius III et de Stateira dans les années 300 avant J.-C28. Cette carte est la seule qui n’ait pas été imprimée à Toulouse, mais elle atteste tout de même qu’on y connaissait les productions parisiennes.
Fig. 17
Toulouse (Haute-Garonne), université Paul Sabatier, Statira, Nicolas-Marie Gatteaux, UPS-2019-CAR-474
© SCECCP, UT3-PS
- 29 - D’ALLEMAGNE, p. 150.
38Avec la Restauration, les Rois, Dames et Valets reviennent sur les cartes à jouer29.
39Associées historiquement à la collection de minéralogie de Philippe Picot de Lapeyrouse, les cartes à jouer sont conservées par le Service Commun d’Étude et de Conservation des Collections Patrimoniales (SCECCP). Aujourd’hui, les cartes ont été dissociées de la collection, probablement parce qu’elles s’étaient détachées des minéraux pour lesquels elles servaient d’étiquettes. On peut aussi faire l’hypothèse que cette action a pu être volontaire, afin de limiter les manipulations et de mieux les préserver. Certaines cartes restent tout de même encore collées sur les minéraux. Devant la nécessité d’organiser leur conservation préventive, il a été décidé de les numériser pour faciliter leur étude, sauvegarder les informations qu’elles portent et documenter le fonds.
40Des spécificités inédites de la collection de cartes à jouer permettent de mettre en lumière le double intérêt patrimonial et documentaire. Tout d’abord, cette collection est un témoignage historique en lien avec le personnage de Ph. Picot de Lapeyrouse. Avec son impressionnant volume de 700 pièces, elle nous interroge par ailleurs sur les moyens que Ph. Picot de Lapeyrouse a pu mettre en œuvre pour constituer sa collection.
- 30 - Le seul jeu complet dans cette collection est celui de Lalande (UPS-2019-CAR-1 à UPS-2019-CAR-34)
41Après un premier tri, l’inventaire a permis de reconstituer des jeux de cartes (soit de 32, soit de 52 cartes en fonction des points présents), complets30 ou incomplets.
- 31 - Aujourd’hui, ces cartes sont classées et conservées dans des classeurs adaptés au reconditionneme (...)
42Le choix de reconstituer des jeux incomplets donne la possibilité d’estimer le nombre de jeux que Lapeyrouse aurait pu avoir en sa possession31. En revanche, l’éventualité que ces cartes soient des rebuts, et qu’elles n’étaient pas vendues ou récupérées sous la forme de jeux, mais plutôt en désordre, reste possible.
43Quoi qu’il en soit, il est démontré que ce naturaliste pratiquait le remploi de cartes à des fins scientifiques. Même si elles n’ont pas eu de valeur marchande parce que destinées au rebut, elles sont devenues des éléments primordiaux pour la documentation de la collection de minéralogie.
44La pratique n’est pas inédite puisque nous savons que le scientifique genevois Georges-Louis Le Sage (1740-1824) a aussi exploité massivement les cartes à jouer de rebut comme fiches de notes pour ses pensées scientifiques, mais aussi des pensées très personnelles. La richesse de la collection Le Sage est un précieux outil de comparaison avec la collection de Philippe Picot de Lapeyrouse32.
45La Région Occitanie et l’Université Paul Sabatier collaborent dans la réalisation de l’inventaire et de la documentation des collections naturalistes de l’université depuis maintenant deux ans, le Service Connaissance et Inventaire des Patrimoines jouant le rôle d’expert et de conseiller quant à la méthodologie à adopter et permettant à terme à l’université de reverser son travail sur le portail régional Ressources et la Plateforme Ouverte du Patrimoine du ministère de la Culture (création des dossiers objets sur la base documentaire de l’Inventaire général).
46Il a donc été décidé d’étudier la carte à jouer en tant que telle, mais de conserver sa valeur documentaire pour que le travail de recherche sur le fond de minéralogie puisse se poursuivre. Ainsi, les inscriptions présentes aux versos de ces petites fiches ont-elles été transcrites dans un document « annexe » inventoriant l’ensemble de la collection.
47En conséquence, dégagés de cette première nécessité, il a été possible d’étudier l’intérêt artistique de ces cartes appartenant au patrimoine toulousain. Un premier tri a permis de rassembler les représentations similaires. Une attention particulière fut portée aux détails physiques ou vestimentaires des personnages ainsi qu’aux ornements. Les jeux ont donc été identifiés puis confrontés à ceux présents dans les collections d’autres institutions toulousaines qui conservent elles aussi des cartes à jouer. Les archives départementales de la Haute-Garonne possèdent des documents de l’Ancien Régime, principalement au sujet d’un cartier anonyme qui a été reconnu comme ayant produit des « Portraits » du Languedoc au cours du XVIIIe siècle (fig. 6). Le Musée Paul Dupuy en conserve aussi de beaux spécimens, de même que le musée Vieux-Toulouse. Il a donc été possible de confirmer que les cartes de Ph. Picot de Lapeyrouse avaient été pour la majorité produite à Toulouse et de faire connaître une collection supplémentaire encore aujourd’hui méconnue.